demi de hauteur, entourant les terres cultivées; là se réfugie tout le gibier traqué aux alentours ; il faut grimper au sommet pour descendre dans l’intérieur, double opération, pas toujours sans difficultés ni même sans danger.
En escaladant un de ces remparts, Georges, parvenu sur le faîte, avait senti la branlante clôture se désagréger sous ses pieds et avait été entraîné glissant à la renverse sur la pente du talus parmi
les pierres qui s’écroulaient et roulaient sur lui et autour de lui avec fracas.
A part quelques légères contusions, il s’était dégagé et relevé sans blessures ; son pantalon seul avait pâti dans sa partie postérieure, qui n’avait pu supporter sans dommage cette manière brutale de descendre.
Edmond trouva donc son ami debout dans le costume des naturels de l’île Taïti, ayant ôté cette partie indispensable de son costume et examinant piteusement la large plaie qui l’entr’ouvrait.
L’ingénieur était un homme pratique, comme nous l’avons dit; il était muni de ficelle; son cou
teau, véritable arsenal de poche, avait un poinçon des plus pointus; il eut bientôt fait de coudre et de fermer solidement, sinon élégamment, le trou, pendant que Georges lui contait son accident.
Et comme celui-ci se r’habillait :
— Mais vous ne me dites pas, interrompit Edmond, à quoi vous avez tiré si précipitamment vos deux coups de fusil ?
— Moi ! répondit Georges, mais je n’ai pas tiré. Il regarda alors son fusil et pâlit.
Un des canons était faussé, un des chiens cassé ; les deux coups avaient dû partir pendant que Georges roulait parmi les pierres ; — le fracas de l écroulement avait dû dominer le bruit des déto
nations ; — Georges, n’ayant pas lâché son fusil, n’avait rien senti, ni rien entendu que cet écroule
ment ; c’était un miracle qu’il n’eût pas été atteint ou que l’arme n’eût pas éclaté dans ses mains.
Pendant cet incident, l heure s’avançait et l’o rage pareillement. Le petit nuage de l’Asinara,
maintenant maître du Ciel tout entier, s’entr’ouvrait sous les éclairs et le tonnerre. De larges gouttes de pluie commençaient de tomber et les myrtes et les oliviers ne pouvaient offrir un abri suffisant.
L’ingénieur connaissait sur le rivage, er. face de Cavallo, une petite maison de pêcheurs ; il fallait l’atteindre avant le déchaînement de la tourmente, car pour retourner à Bonifacio, on ne devait pas y songer.
Mais bien que le grondement de la mer leur en indiquât la direction ; ils mirent beaucoup de temps pour regagner la côte qu’ils longèrent ensuite en marchant vers l’Ouest.
La nuit arrivait, bientôt sous la pluie qui leur fouettait le visage et sous l’obscurité qui s’épaississait, ils ne distingueraient plus leur chemin.
Ils ne tardèrent pas à être trempés jnsqu’aux os, comme l’ingénieur l’avait promis, en partant, à son compagnon.
La cabane des pêcheurs ne paraissait pas.
11 était pourtant impossible de rester sous l’a verse devenue un véritable déluge. L’ingénieur, prompt dans ses décisions avait déjà choisi une an
fractuosité de rocher où ils pourraient s’installer et attendre la fin de la tourmente, quand Georges signala une lumière qui brillait faiblement assez loin au-devant d’eux, mais paraissant peu distante du rivage.
Ils reprirent courage, et sans s amuser à contempler le spectacle grandiose de l’ouragan déchaîné sur une mer démontée, ils se lancèrent au pas gymnastique vers la lueur vacillante qui les guida jusqu’àla porte d’une maisonnette bâtie à trente mètres du rivage.
Ils frappèrent.
II
La porte s’ouvrit à demi et par l’entrebâillement apparut une tête grisonnante et barbue, coiffée du haut bonnet de laine rouge des Napolitains.
Bosco et Fermo, les deux chiens de nos amis, sans attendre une invitation plus régulière, se glis
sèrent par l’ouverture et s’installèrent à la première place, au-devant du grand feu flambant dans l’âtre.
L’homme barbu vit de suite à qui il avait affaire, il ouvrit la porte toute grande, ôta son bonnet rouge en souhaitant la bienvenue à leurs seigneu
ries dans cet idiome napolitain un peu guttural, produit de la domination espagnole sur les bords de la mer Tyrrhénienne.
La cabane ou maisonnette n’avait qu’une porte, une chambre et une fenêtre. Deux escabeaux et deux bancs de bois autour d’une longue table, un lit fait de quatre planches et d’une paillasse, un
vieux bahut sur lequel apparaissaient en désordre quelques grossiers ustensiles de ménage formaient tout le mobilier.
Des filets de pêche, des rames, des cordages étaient épars sur le sol.
Fixés au mur par quatre épingles, le portrait colorié du roi Murat avec ses grands cheveux bouclés dans son haut col brodé et ses grosses épau
lettes, — et, à côté, la tête entourée du nimbe d’or, l image de saint Janvier, dont un tigre et un lion léchaient les pieds nus.
Au-dessus du lit, entre un bénitier et le laurier béni des Rameaux, la santu Madona tenant le bamlino divin.
Sur le feu, dont la fumée se répandait dans l’intérieur autant qu’elle sortait au dehors, était sus
pendue à la crémaillière la marmite, où bouillait la soupe au poisson, la bouillabesse; — un gigot de bouc rôtissait à une broche, tournée par un jeune garçon de dix ans, à la tête encore plus ébouriffée que celle du roi Murat, accroupi devant le foyer.
Nos chasseurs furent accueillis avec cet empressement plein de gravité qui caractérise l’hospita
lité des pays méridionaux. Les hommes se levèrent et se découvrirent ; les femmes leur avancèrent les deux escabeaux auprès du feu.
Ils étaient six hommes, celui qui avait ouvert la porte et qui paraissait le maître de céans, ilpadrone, le garçonnet faisant l’office de tourne-broche,
un vieillard assis sur des cordages, raccommodant ses filets, et un grand jeune homme aux yeux et aux cheveux noirs, au teint bistré, tous les quatre dans le pittoresque costume des pêcheurs napoli
tains que tout le monde a pu voir, sinon sur la plage de Castellamare au cap Misène, du moins sur les planches de l’Opéra-Comique. Seulement nous sommes forcés d’avouer que pour la richesse et la propreté et pour le soin des cheveux et de la barbe, cela ne ressemblait en rien à la tenue des jolis Napolitains de la Muette.
Il y avait encore deux hommes : ceux-ci étaient vêtus du pelone corse; ils portaient toute leur barbe, et la cartouchière {la carchiera) avec le pistolet à la ceinture. A la vue des deux chasseurs, ils saluèrent en ôtant leur pinsuto (bonnet pointu)
et déposèrent rapidement leurs fusils qu’ils avaient pris et armés en entendant frapper à la porte.
L’ingénieur savait sa Corse sur le bout du doigt ; — il rtconnut de suite deux honorables bandits.
Le personnel féminin se composait d’une femme et d’une jeune fille, — la mère et la fille, comme l’indiquait leur ressemblance. La première, mal
gré les fatigues de sa rude vie à la mer, et bien que les femmes vieillissent vite sous l’ardent ciel de Naples, conservait encore les restes d une beauté peu commune.
Mais la fille ! — Le sous-lieutenant Georges, en entrant, n’avait vu qu’elle; il ne vit ni les pêcheurs napolitains, ni les bandits corses et leurs fusils. Son regard, comme entraîné par un courant ma
gnétique, avait .rencontré celui de la jeune fille et ne pouvait se détacher de cette radieuse apparition qui illumina pour lui la misérable demeure et le rendit immobile et muet d’admiration.
La vieille Parthenope, au milieu de tant de peuples divers qui, dans la longue suite des siècles se sont croisés : sur ses rivages, garde encore, rares il est vrai, quelques uns de ses lypes de la forme antique apportés dès son origine, par la Grèce, sa mère.
Et ce n’est pas dans les palais de ses grands seigneurs, mais le plus souvent parmi les pauvres populations de ses pêcheurs et de ses lazzaroni,
vivant au sirocco et au soleil, que Naples reproduit ces étranges et saisissantes beautés, immorta
lisées par les chants d’Homère et par le ciseau de Praxiièle.
Ceci veut dire que notre jeune napolitaine aux cheveux fauves et aux yeux noirs comme la belle Hélène et comme Eve sortie des mains du créa
teur était surtout remarquable par la pureté de ses lignes, l’harmonie de ses contours et de ses formes qui semblaient taillés dans le marbre.
Mais elle n’était pas de marbre apparemment, car elle tressaillit sous le regard du jeune Français et comme lui demeura saisie et charmée.
Le sous-lieutenant offrait dans sa haute taille et dans sa figure le type qui distingue, parmi nous, les fils de la race franque ; dans ses yeux bleus aux reflets d’acier brillait une inexprimable douceur, et en même temps tout en lui respirait celte appa
rence de fierté et d’énergie qui manquera toujours aux beaux garçons de la molle Italie.
Certes, ni l’officier français, ni la belle fille de Naples ne pensèrent à ces considérations sur l’art grec et sur l’origine et la transformation des races; je ne sais même s’ils virent tout d’abord qu’ils étaient beaux tous les deux; car instantanément, par leur-, yeux, l’amour leur entra au cœur, per gli occhi al core, suivant l’expression du doux Pé
trarque, et celui-ci ne me paraît pas bien malin de l’avoir trouvée; — depuis que le monde est monde, l’amour suit toujours le même chemin.
L’ingénieur vit le coup de foudre qui frappait les deux jeunes gens et surprit en même temps le re
gard farouche dont les enveloppa le grand jeune Napolitain à la figure en terre de Sienne.
Il coupa court à cette contemplation, en prenant son ami par le bras et en l’engageant à retirer, comme lui, sa veste pour la faire sécher.
La plus âgée des deux femmes avait dû embrasser la même scène du regard :
— Mais allons donc! Assunta, dit-elle, à quoi penses-tu? au lieu de prendre les habits, de leurs seigneuries pour les suspendre auprès du feu ?... ,
Réveillée de son rêve, la. belle Assunta s’approcha rougissante; en prenant la veste de Georges, leurs mains se rencontrèrent et un courant électrique leur arriva au cœur.
Ce ne fut pas une petite affaire pour nos deux amis, ruisselants comme des Tritons, que de se faire sécher; leurs habits étaient collés à leur peau et force leur fût d’avoir recours à la garde-robe d.s Napolitains; elle n’était pas trop richement mon
tée; mais on trouva deux chemises de laine qu’ijls s’estimèrent heureux d’endosser malgré leur pro
preté douteuse et deux jupons de femme qui leur permirent d’ôter leurs pantalons et leurs bas; ils riaient fort de se voir ainsi affublés et la gravité c e
leurs hôtes ne tint pas contre cette bonne humeur et cette gaieté françaises.
Pendant ce temps, la tempête faisait rage âu dehors; des rafales violentes secouaient la chétive cabane; des coups de tonnerre retentissants se suc
cédaient sans intervalle ; à chacun d’eux, tÔnijfe l’assistance faisait le signe dé. la croix, les femmes invoquaient Jésus et la madone....ce qui n’erupechait pas la belle Assunta et le jeune Français d;e se regarder dans les yeux, le grand Napolitain de froncer alors ses noirs sourcils, et le sagace ingé
nieur d’observer tout ce mânége qui ne paraissait nullement de son goût.
— Pensez-vous, signor Padrone, dit ce dernier, que l’orage dure longtemps encore?
— Jusqu’au milieu de la nuit, votre seigneurie, et probablement jusqu’aux . approches du lever tju soleil; vous ne devez pas songer à vous en retourner avant le jour; — mais que cela n’inquiète pas
vos seigneuries; nous avons de quoi leur donner, à souper et ce lit à leur disposition... Nous avonspéu, mais nous vous l’offrons de bon cœur.
— Et c’est de bon cœur que nous l acceptons, Padrone, dit à son tour le sous-lieutenant, mais à la condition aussi de nous laisser fournir notre part du souper.
Et il alla prendre parmi le gibier déposé dans un coin de la chambre, sur un paquet de voiles, quatre perdrix et une poule de Carthage.
En escaladant un de ces remparts, Georges, parvenu sur le faîte, avait senti la branlante clôture se désagréger sous ses pieds et avait été entraîné glissant à la renverse sur la pente du talus parmi
les pierres qui s’écroulaient et roulaient sur lui et autour de lui avec fracas.
A part quelques légères contusions, il s’était dégagé et relevé sans blessures ; son pantalon seul avait pâti dans sa partie postérieure, qui n’avait pu supporter sans dommage cette manière brutale de descendre.
Edmond trouva donc son ami debout dans le costume des naturels de l’île Taïti, ayant ôté cette partie indispensable de son costume et examinant piteusement la large plaie qui l’entr’ouvrait.
L’ingénieur était un homme pratique, comme nous l’avons dit; il était muni de ficelle; son cou
teau, véritable arsenal de poche, avait un poinçon des plus pointus; il eut bientôt fait de coudre et de fermer solidement, sinon élégamment, le trou, pendant que Georges lui contait son accident.
Et comme celui-ci se r’habillait :
— Mais vous ne me dites pas, interrompit Edmond, à quoi vous avez tiré si précipitamment vos deux coups de fusil ?
— Moi ! répondit Georges, mais je n’ai pas tiré. Il regarda alors son fusil et pâlit.
Un des canons était faussé, un des chiens cassé ; les deux coups avaient dû partir pendant que Georges roulait parmi les pierres ; — le fracas de l écroulement avait dû dominer le bruit des déto
nations ; — Georges, n’ayant pas lâché son fusil, n’avait rien senti, ni rien entendu que cet écroule
ment ; c’était un miracle qu’il n’eût pas été atteint ou que l’arme n’eût pas éclaté dans ses mains.
Pendant cet incident, l heure s’avançait et l’o rage pareillement. Le petit nuage de l’Asinara,
maintenant maître du Ciel tout entier, s’entr’ouvrait sous les éclairs et le tonnerre. De larges gouttes de pluie commençaient de tomber et les myrtes et les oliviers ne pouvaient offrir un abri suffisant.
L’ingénieur connaissait sur le rivage, er. face de Cavallo, une petite maison de pêcheurs ; il fallait l’atteindre avant le déchaînement de la tourmente, car pour retourner à Bonifacio, on ne devait pas y songer.
Mais bien que le grondement de la mer leur en indiquât la direction ; ils mirent beaucoup de temps pour regagner la côte qu’ils longèrent ensuite en marchant vers l’Ouest.
La nuit arrivait, bientôt sous la pluie qui leur fouettait le visage et sous l’obscurité qui s’épaississait, ils ne distingueraient plus leur chemin.
Ils ne tardèrent pas à être trempés jnsqu’aux os, comme l’ingénieur l’avait promis, en partant, à son compagnon.
La cabane des pêcheurs ne paraissait pas.
11 était pourtant impossible de rester sous l’a verse devenue un véritable déluge. L’ingénieur, prompt dans ses décisions avait déjà choisi une an
fractuosité de rocher où ils pourraient s’installer et attendre la fin de la tourmente, quand Georges signala une lumière qui brillait faiblement assez loin au-devant d’eux, mais paraissant peu distante du rivage.
Ils reprirent courage, et sans s amuser à contempler le spectacle grandiose de l’ouragan déchaîné sur une mer démontée, ils se lancèrent au pas gymnastique vers la lueur vacillante qui les guida jusqu’àla porte d’une maisonnette bâtie à trente mètres du rivage.
Ils frappèrent.
II
La porte s’ouvrit à demi et par l’entrebâillement apparut une tête grisonnante et barbue, coiffée du haut bonnet de laine rouge des Napolitains.
Bosco et Fermo, les deux chiens de nos amis, sans attendre une invitation plus régulière, se glis
sèrent par l’ouverture et s’installèrent à la première place, au-devant du grand feu flambant dans l’âtre.
L’homme barbu vit de suite à qui il avait affaire, il ouvrit la porte toute grande, ôta son bonnet rouge en souhaitant la bienvenue à leurs seigneu
ries dans cet idiome napolitain un peu guttural, produit de la domination espagnole sur les bords de la mer Tyrrhénienne.
La cabane ou maisonnette n’avait qu’une porte, une chambre et une fenêtre. Deux escabeaux et deux bancs de bois autour d’une longue table, un lit fait de quatre planches et d’une paillasse, un
vieux bahut sur lequel apparaissaient en désordre quelques grossiers ustensiles de ménage formaient tout le mobilier.
Des filets de pêche, des rames, des cordages étaient épars sur le sol.
Fixés au mur par quatre épingles, le portrait colorié du roi Murat avec ses grands cheveux bouclés dans son haut col brodé et ses grosses épau
lettes, — et, à côté, la tête entourée du nimbe d’or, l image de saint Janvier, dont un tigre et un lion léchaient les pieds nus.
Au-dessus du lit, entre un bénitier et le laurier béni des Rameaux, la santu Madona tenant le bamlino divin.
Sur le feu, dont la fumée se répandait dans l’intérieur autant qu’elle sortait au dehors, était sus
pendue à la crémaillière la marmite, où bouillait la soupe au poisson, la bouillabesse; — un gigot de bouc rôtissait à une broche, tournée par un jeune garçon de dix ans, à la tête encore plus ébouriffée que celle du roi Murat, accroupi devant le foyer.
Nos chasseurs furent accueillis avec cet empressement plein de gravité qui caractérise l’hospita
lité des pays méridionaux. Les hommes se levèrent et se découvrirent ; les femmes leur avancèrent les deux escabeaux auprès du feu.
Ils étaient six hommes, celui qui avait ouvert la porte et qui paraissait le maître de céans, ilpadrone, le garçonnet faisant l’office de tourne-broche,
un vieillard assis sur des cordages, raccommodant ses filets, et un grand jeune homme aux yeux et aux cheveux noirs, au teint bistré, tous les quatre dans le pittoresque costume des pêcheurs napoli
tains que tout le monde a pu voir, sinon sur la plage de Castellamare au cap Misène, du moins sur les planches de l’Opéra-Comique. Seulement nous sommes forcés d’avouer que pour la richesse et la propreté et pour le soin des cheveux et de la barbe, cela ne ressemblait en rien à la tenue des jolis Napolitains de la Muette.
Il y avait encore deux hommes : ceux-ci étaient vêtus du pelone corse; ils portaient toute leur barbe, et la cartouchière {la carchiera) avec le pistolet à la ceinture. A la vue des deux chasseurs, ils saluèrent en ôtant leur pinsuto (bonnet pointu)
et déposèrent rapidement leurs fusils qu’ils avaient pris et armés en entendant frapper à la porte.
L’ingénieur savait sa Corse sur le bout du doigt ; — il rtconnut de suite deux honorables bandits.
Le personnel féminin se composait d’une femme et d’une jeune fille, — la mère et la fille, comme l’indiquait leur ressemblance. La première, mal
gré les fatigues de sa rude vie à la mer, et bien que les femmes vieillissent vite sous l’ardent ciel de Naples, conservait encore les restes d une beauté peu commune.
Mais la fille ! — Le sous-lieutenant Georges, en entrant, n’avait vu qu’elle; il ne vit ni les pêcheurs napolitains, ni les bandits corses et leurs fusils. Son regard, comme entraîné par un courant ma
gnétique, avait .rencontré celui de la jeune fille et ne pouvait se détacher de cette radieuse apparition qui illumina pour lui la misérable demeure et le rendit immobile et muet d’admiration.
La vieille Parthenope, au milieu de tant de peuples divers qui, dans la longue suite des siècles se sont croisés : sur ses rivages, garde encore, rares il est vrai, quelques uns de ses lypes de la forme antique apportés dès son origine, par la Grèce, sa mère.
Et ce n’est pas dans les palais de ses grands seigneurs, mais le plus souvent parmi les pauvres populations de ses pêcheurs et de ses lazzaroni,
vivant au sirocco et au soleil, que Naples reproduit ces étranges et saisissantes beautés, immorta
lisées par les chants d’Homère et par le ciseau de Praxiièle.
Ceci veut dire que notre jeune napolitaine aux cheveux fauves et aux yeux noirs comme la belle Hélène et comme Eve sortie des mains du créa
teur était surtout remarquable par la pureté de ses lignes, l’harmonie de ses contours et de ses formes qui semblaient taillés dans le marbre.
Mais elle n’était pas de marbre apparemment, car elle tressaillit sous le regard du jeune Français et comme lui demeura saisie et charmée.
Le sous-lieutenant offrait dans sa haute taille et dans sa figure le type qui distingue, parmi nous, les fils de la race franque ; dans ses yeux bleus aux reflets d’acier brillait une inexprimable douceur, et en même temps tout en lui respirait celte appa
rence de fierté et d’énergie qui manquera toujours aux beaux garçons de la molle Italie.
Certes, ni l’officier français, ni la belle fille de Naples ne pensèrent à ces considérations sur l’art grec et sur l’origine et la transformation des races; je ne sais même s’ils virent tout d’abord qu’ils étaient beaux tous les deux; car instantanément, par leur-, yeux, l’amour leur entra au cœur, per gli occhi al core, suivant l’expression du doux Pé
trarque, et celui-ci ne me paraît pas bien malin de l’avoir trouvée; — depuis que le monde est monde, l’amour suit toujours le même chemin.
L’ingénieur vit le coup de foudre qui frappait les deux jeunes gens et surprit en même temps le re
gard farouche dont les enveloppa le grand jeune Napolitain à la figure en terre de Sienne.
Il coupa court à cette contemplation, en prenant son ami par le bras et en l’engageant à retirer, comme lui, sa veste pour la faire sécher.
La plus âgée des deux femmes avait dû embrasser la même scène du regard :
— Mais allons donc! Assunta, dit-elle, à quoi penses-tu? au lieu de prendre les habits, de leurs seigneuries pour les suspendre auprès du feu ?... ,
Réveillée de son rêve, la. belle Assunta s’approcha rougissante; en prenant la veste de Georges, leurs mains se rencontrèrent et un courant électrique leur arriva au cœur.
Ce ne fut pas une petite affaire pour nos deux amis, ruisselants comme des Tritons, que de se faire sécher; leurs habits étaient collés à leur peau et force leur fût d’avoir recours à la garde-robe d.s Napolitains; elle n’était pas trop richement mon
tée; mais on trouva deux chemises de laine qu’ijls s’estimèrent heureux d’endosser malgré leur pro
preté douteuse et deux jupons de femme qui leur permirent d’ôter leurs pantalons et leurs bas; ils riaient fort de se voir ainsi affublés et la gravité c e
leurs hôtes ne tint pas contre cette bonne humeur et cette gaieté françaises.
Pendant ce temps, la tempête faisait rage âu dehors; des rafales violentes secouaient la chétive cabane; des coups de tonnerre retentissants se suc
cédaient sans intervalle ; à chacun d’eux, tÔnijfe l’assistance faisait le signe dé. la croix, les femmes invoquaient Jésus et la madone....ce qui n’erupechait pas la belle Assunta et le jeune Français d;e se regarder dans les yeux, le grand Napolitain de froncer alors ses noirs sourcils, et le sagace ingé
nieur d’observer tout ce mânége qui ne paraissait nullement de son goût.
— Pensez-vous, signor Padrone, dit ce dernier, que l’orage dure longtemps encore?
— Jusqu’au milieu de la nuit, votre seigneurie, et probablement jusqu’aux . approches du lever tju soleil; vous ne devez pas songer à vous en retourner avant le jour; — mais que cela n’inquiète pas
vos seigneuries; nous avons de quoi leur donner, à souper et ce lit à leur disposition... Nous avonspéu, mais nous vous l’offrons de bon cœur.
— Et c’est de bon cœur que nous l acceptons, Padrone, dit à son tour le sous-lieutenant, mais à la condition aussi de nous laisser fournir notre part du souper.
Et il alla prendre parmi le gibier déposé dans un coin de la chambre, sur un paquet de voiles, quatre perdrix et une poule de Carthage.