COURRIER DE PARIS
De mémoire de chasseur, il n’y a eu ouverture aussi contrariée par le vent. Qmlle bourrasque! Je ne sais s’il en a été partout comme dans le coin de Seine-et-Oise où j’ai tiré mon premier lièvre de 1883, mais le vent, l’atroce vent, a changé une panie de fête en une aimable tempête qui courbait les arbres, secouait les branches et faisait voler, au loin, les feuilles comme des oiseaux blessés. Allez donc entendre, avec ce tapage du vent, le lapin courir sur les feuilles sèches ! Pan ! pan ! D’ordi
naire ce bruit était celui des fusils déchargés sur le gibier. Dimanche c’était tout simplement le bruit des branches brusquement cassées. J’ignore si les chasseurs ont jonché le bois de cadavres de faisans et de levreaux, mais la tempête a fait par les sen
tiers une joliejonchée de feuillages.Hélas, je plains les chasseurs de 1883 !
Je plains aussi les marins, et la mer a dû être dure, ces jours-là, sur nos côtes. Il suffit d un coup de vent pareil pour avancer les jardins de trois semaines et donner aux allées et aux pelouses, subi
tement, un aspect d’automne quand, la veille, elles ressemblaient encore à l’été. Mais il suffit aussi
d’une bourrasque pareille pour vider rapidement les casinos de bains de mer. Du 31 août au Ier sep
tembre, les hôtels de Trouville ou de Cabourg changent subitement d’aspect. La veille, la table d’hôte était comble; le lendemain elle a des places vides, comme une tête qui devient chauve. Où sont allés les dîneurs? Ils ont repris le chemin de Paris. Septembre est une demi-rentrée, la rentrée des Pa
risiens qui n’ont pas de terres.Puis viendra la grande rentrée, qui est octobre et, en avant la saison !
Il faut croire, du reste, que les gens de demirentrée sont assez nombreux. On s’étouffait, dimanche, aux Tuileries quoiqu’il ne s’agît plus des pau
vres d’Italie, mais des pauvres de Paris dont, comme chacun sait, les Français s inquiètent toujours beaucoup moins que des pauvres étrangers. Il y avait eu, trois jours auparavant, nombre de Parisiens choisis et de Parisiennes cotées à la réouverture du Gymnase, et la première de Kérabau le Têm de
vait être le lendemain aussi bruyante, aussi biillante et aussi courue que pourront l’être les pre
mières les plus attirantes de l’année. Octobre ne fera que compléter Paris mais, dès à présent, Paris n’est plus vide.
Ce sont donc vraiment des Courriers de Paris que nous allons, à présent, écrire.
Et pourtant ce sont les Courriers de Gomtz qu’on a lus avec le plus de soin, cette semaine. C’est qu’une partie du tout Paris était à Goritz et sui
vait le convoi de celui qui meurt roi sans avoir ré
gné ! Certains royalistes, fort peu partisans des déplacements, avaient trouvé plus simple de faire le voyage de Saint-Germain-l’Auxerrois et de prendre leur coupé au lieu de prendre le chemin
de fer. Mais on n’est pas toujours maître de son temps, et qu’on prie à Goritz, à Paris ou à Eu; la prière va toujours à son but et l’on aura payé la dette du souvenir à un honnête homme.
Les royalistes reconnaîtront, du reste,que la presse a été fort respectueuse devant ce cercueil. Il y a eu unanimité, pour ainsi dire, et un spéculateur quel
conque s aviserait d’écrire les Amours d Henri V, comme un autre spéculateur ose afficher sur les murailles les Amours de Napoléon III,, qu’il n’y aurait pas assez de dégoûts pour le flétrir. Mais,
en vérité, est-ce que les murs de Paris sont faits pour supporter de telles imageries, enseignes tirant l’œil des curiosités malsaines ? « Le papier souffre tout », disent nos paysans. Est-ce que les murailles sont bâties pour tout souffrir ? Je suis un bon bour
geois, je passe dans la rue avec ma femme ou ma fille ; il me déplaît d’apercevoir ces scènes de ri
paille et je ne crois pas que ces scandales ainsi affichés soient de nature à nous assurer le respect bien profond des étrangers qui visitent Paris.
L’affiche, l’annonce, le tapage, la montre, tiennent toujours trop de place dans notre existence. On a, par exemple, à propos de la mort du comte de Chambord, inventé toute une bijouterie de deuil, dont le fond est le lis noir. On porte un lis noir à sa cravate en mémoire d’Henri V comme on portait un aigle noir en mémoire du prince impérial et je ne suis pas bien certain que telle dégante quej’at rencontrée avec un énorme aigle de jais au lendemain de la mort de Napoléon IV 11’ait pas arboré un immense lis noir pour
affirmer ses sentiments légitimistes comme elle affirmait ses indéracinables sentiments bonapartistes. O éternelle comédie des emblèmes et des larmes !
— Je le pleurerai toute ma vie! disait une veuve en parlant de son mari.
—- Toute votre vie! ce serait dommage. Vous êtes si jeune, madame !
— Je vous dis que toute ma vie je porterai son deuil et que je ne me remarierai pas avant deux ans !
Combien de professions de foi politique m’ont fait, me font et me feront songer à cette aimable réponse de la veuve. C est toujours le mot de Talleyrand prêtant, entre les mains de Louis-Philippe, ce serment de fidélité que l’empereur d’Allemagne veut exiger des députés au Reichstag allemand pour embêter (je ne trouve pas d’autre mot) M. An
toine, de Metz et les représentants d’Alsace et de Lorraine :
--Eh ! Sire, c’est le treizième !
A proros de députés, on a beaucoup parlé de M. Clovis Hugues, qui est un poète de talent et dont les vers, coulés dans le moule de Victor Hugo, ont cependant une personnalité vigoureuse et un
vaillant accent. Lisez les Jours de Combat. Il y a là une vigueur rare. M. Clovis Hugues est du Midi et, devant une accusation odieuse, inique, absurde, portée sur sa femme, il s’est laissé entraîner à faire connaître au public une intrigue basse dont Mme Hugues était la victime. Il a d’abord télégra
phié à ses électeurs puis fait connaître l’aventure aux journaux.
Peut-être aurait-il mieux fait de tenir pour secret l’ignoble chantage qui voulait l’atteindre, mais, en pareil cas, chacun est libre de compren
dre ses affaires personnelles comme il l’entend. M. Clovis Hugues a voulu de la lumière et il l’a faite bravement, comme il fait toutes choses.
On comprend que Mme Clovis Hugues, dans la colère que lui causait l’accusation portée sur son passé ait voulu tuer le ou les auteurs de cette abominable calomnie.
Cette aventure aura eu cela d’utile qu’elle aura mis le public dans la connaissance des agissements louches de ces artistes en paperasses qui
mettent leur nez dans la vie privée des gens comme un furet ou une fouine met son museau dans le terrier. Quand on pense que tous, tant que nous sommes, nous sommes exposés aux enquêtes, aux potins, aux inventions, aux calomnies de ces Tricoche et de ces Cacolet qui vivent dans le scandale comme des rats dans un fromage!
En défendant aussi énergiquement son propre bonheur, le député de Marseille aura défendu, en même temps, le repos des autres, et je voudrais une bonne loi sur ces agences de renseignements où pul1 aient les ratés de tous les mondes et les bohèmes de toutes les catégories.
Un des auteurs de Tricocheet CacoletJ/l.Cndovic Halév y, vient d’avoir la douleur de perdre son père. C’était un grand vieillard à longue barbe blanche, l’air songeur, qui avait eu, au théâtre sur
tout, de grands succès autrefois. Il avait donné le Chevreuil, un amusant vaudeville qu’Odry avait créé avec infiniment de talent et que Dupuis re
prit, aux Variétés, de longues années après Odry; il avait traduit les tragiques grecs, mis à la scène deux romans de George Sand, donné des drames à la Porte-Saint-Martin, écrit de savantes histoires. Lauréat de l’Académie française, il s’y était aussi présenté comme candidat. D’autres y sont entrés
qui n’avaient ni son talent ni sa valeur. Frère de l’auteur de la Juive, M. Halévy semblait destiné à faire partie de l’Institut. Le sort, qui a des injustices, en a décidé autrement.
Ce qui est certain c’est que ce fut là un homme d’une valeur vraie et, dans toute la pureté du terme, un honnête homme. On l’a bien vu au respect qui l’a entouré et à l’affection dévouée de son fils.
Je disais, tout à l’heure, que jamais ouverture n’avait été aussi affreuse que celle du 2 sep
tembre de cette année. Nombre de chasseurs ont laissé chien et fusil au logis et sont restés da»s un fauteuil, occupés à regarder le vent casser les bran
ches des saules et les larges feuilles de bananiers. Eh bien ! — je tiens à le constater après tant d’autres, — malgré vent, poussière, bourrasque, tem
pête, les comédiennes de Paris, qui avaient promis leur concours à la fête des Tuileries, ont tenu leur promesse et payé de leur personne, ce qui n’était
pas sans danger puisque tout s’écroulait, que l’Eden- Théâtre s’abattait comme un château de cartes et qu’un peintre, M. Tomasi, était blessé comme un soldat sur le champ de bataille !
Mlle Sarah Bernhardt, qui a peut-êire eu peur d’être emportée par le vent, s’était excusée, mais, au risque d’avaler des flots de poussière,
Mme Christine Nil-son est venue, elle a chanté des airs suédois, et Mlle Bartet, aussi courageuse qu’elle est élégante, a bravement lancé ses vers dans la tempête. Ce n’est rien, ce fait, en appa
rence, mais cela montre, une fois de plus, combien la femme est un être intrépide et combien la comé
dienne se montre crâne, quand il le faut, tout en souriant.
— Bah ! disait l’une d’elles en montrant ses dents blanches, ce ne sont pas les sifflets du vent que je crains, ce sont les autres !
Et si c’était Mme Montbazon qui disait cela, je me demande quels sifflets elle peut bien craindre. Cela n’est pas fait pour la Mascotte.
Oui, la femme est un être dévoué et courageux en toutes choses. C’était de la poussière qu’elle bra
vait dimanche. C’eût été du plomb qu’elle eût été là. Il y a de la sœur de charité même dans la danseuse.
Je vous le dis en vérité,
Sauvons-nous par la charité, disait Béranger.
Laissons répéter à d’autres que dans tout ce tohu-bohu de quêtes, de fêtes publiques, de ker
messes philanthropiques, c’est surtout le besoin de se mettre en scène, d’avoir des réclames et l’avidité de lire son nom le lendemain dans les journaux, avec le chiffre de la recette obtenue; — il y a un
peu de cela, je le veux bien, mais il y a surtout beaucoup d’autre chose. Et, je le répète, le be
soin de bravoure qui est instinctif chez la femme et que j’ai constaté souvent chez la comédienne.
Je me rappelle le grand hiver d’il y a trois ans environ, l’hiver d 0 grand gel où M. Edelfelt nous
montrait spirituellement, ici même, un Parisien fourré comme un Lapon. Il y avait, par les rues, de la neige à s’y enfoncer jusqu’aux genoux, des glissades à se casser les jambes, un vent à prendre
en chemin toutes les angines. Eh ! bien, à l’heure exacte de la répétition, à la minute fixée par le bulletin, on voyait arriver, sur la scène vide et gla
cée, on voyait faire leur entrée, le nez gelé, les mains glacées par l’onglée, les comédiennes convoquées pour la répétition du jour.
On ne jouait pas le soir — mais on répétait dans la journée et elles ne manquaient pas leur répéti
tion. Et elles venaient au théâtre malgré l’atroce froid et les tas de neige. Il y a un peu du soldat dans la comédienne. La consigne est là. Elle obéit.
C’est ce qui explique qu’un tas de jolies filles, qui font faire antichambre à de grands seigneurs et traitent certains blasonnés par-dessous la jambe,
sont tremblantes comme des petites filles devant le régisseur qui leur dit :
— A vous la réplique! Et ne manquez pas votre entrée !
Le matin, insolentes avec le marquis. Le soir, timides devant le régisseur.
Ah ! c’est que le théâtre, c’est le devoir ! Tandis que le marquis... c’est le contraire.
On pourrait ajouter aussi (tout bas) que c’est le théâtre qui conquiert les marquisats.
Et la femme, si vaillante et si dévouée-, est, sur certains points, tenue encore en suspicion etc en tutelle. Je n’approuve pas, certes, toutes les idees de Mlle Hubertine Auclerc, mais comment ne pas lui donner raison quand elle se plaint,
comme elle vient de le faire dans un Premier Droit des femmes, de ce que la femme française, en voyage, ne rencontre partout que portes fermées et mauvais accueil.
Elle se présente dans un hôtel, demanda stn chambre.
-— Nous n’avons pas de chambre, nous, ae recevons pas de femmes seules !
A Rochefort, dans un hôtel qu’qUs cite et dont. l’omnibus l’avait prise à la gare, Mlle Auclerc a. reçu brutalement cette réponse.
— Eh bien! alors, où voulez-vous que j’aille ?
— Allez où vous voudrez. Nous ne recevons patsde femmes seules.
Et les voyageurs ricanaient, donnant raison au. maître d’hôtel.
Ainsi, il est dit, qu’une femme, en France, ne
saurait voyager seule et se trouve exposée, en arrl