vant dans une ville inconnue, à avoir le pavé pour asile ou des bouges moins scrupuleux que des hôtels de premier ordre? Mais une femme peut cepen
dant être obligée de sedéplacer! En Amérique; une femme traversera les Etats-Unis sans qu’on remar
que même que c’est unz femme seule. Mlle Hubertine Auclerc réclame, en France, des hôtels pour les femmes seules comme il y a, dans les trains; des wagons pour les dames seules. Elle a raison. Ce n’est pas là une demande bien révolutionnaire.
C’est une innovation de moralité et de politesse publiques.
Eh bien! je parie que l’on n’ouvrira point de pareils hôtels et que les autres continueront à se fermer, avec ce mot d’ordre qui semble naturel au pays de la galanterie et de la loi salique :
— On ne reçoit pas les femmes seules!
Comme qui dirait : « Allez chercher un compagnon, quel qu’il soit, et nous vous recevrons! »
Perdican


ASSUNTA


(Suite.)
L’ingénieur vit bien qu’il y aurait danger à s’aventurer par un pareil temps et combien leur départ, en cette circonstance, serait de nature à blesser le patron napolitain en lui laissant supposer du mépris pour son hospitalité.
— Ce n’est pas que je voulusse partir, padrone, ajouta Edmond, nous avons mangé votre souper et nous avons accepté votre lit dont, je vous assure,
nous aurons grand besoin tout à l’heure... — Au moins, pensa-t-il en lui-même, — au lit, je tien
drai mon enragé ; il ne pourra plus voir sa belle et je l’empêcherai bien de bouger.
Pour le moment, l’enragé semblait avoir oublié ses amours ; il était en grande conversation avec Son Excellence ; il lui avait offert un panatellas que le signor bandit connaissait depuis longtemps,
comme préférables à ses cigares corses recourbés ; ils devisaient de Paris où le Corse avait fait ses études, de Londres, de Vienne et des principales villes de l’Europe qu’il avait visitées et dont il par
lait les langues, — Son Excellence possédait une élocution facile, un bon ton et une aisance de manières qui charmaient le sous-lieutenant.
Celui-ci l’engageait à venir à Bonifacio, il le présenterait à ses amis les officiers ; ce serait une bonne fortune pour eux tous, dans ce pays sau
vage, de faire la connaissance d’un homme aussi distingué et aussi aimable. A tous ces compliments, Son Excellence s’inclinait sans répondre, en es
quissant sur son visage pâle son sourire doux et un peu amer.
Mais il se faisait tard ; Maria-Angela, la padrona (on prononçait M angé, par contraction) avait garni le lit de deux draps à peu près propres. As
sunta, après avoir mis un semblant d’ordre dans la pauvre habitation, rêvait accoudée sur la table, le
ragazzo Gioacchino dormait étendu devant le foyer étèint, pêle-mêle avec les deux chiens, de
venus ses amis; le vieux raccommodeur de filets
s’était arrangé sur ses paquets de cordages, à côté du sombre Jacopo, roulé sur un tas de voiles, dans une couverture de laine.
Le patron commença à haute voix une courte prière ; tous se mirent à genoux ; les deux femmes terminèrent en implorant pour eux et pour leurs hôtes la protection de la madone, patronne des pêcheurs.
Puis chacun fit ses dispositions pour la nuit; les deux bandits allèrent s’installer dans le coin le plus reculé — sur un lit de bruyères sèches et de fougères odoriférantes — toujours carchiera et pistolet au flanc, et les fusils sous la main.
Le patron s’étendit près d’eux dans sa couverture, et les femmes disposèrent pour elles, par-de la la table qui les sépara ainsi du lit destiné à nos deux amis, une sorte de vieux matelas, étendu par terre.
On se souhaita bonne nuit, et avant de se placer à côté de sa mère, Assunta put échanger avec le Français un long regard où elle mit toute son âme.
III
— A nous deux, maintenant ! dit à voix basse l’ingénieur, quand tout vêtus, sauf de leurs sou
liers et de leurs vestes, ils eurent pris place côte à côte dans le lit.
— Bon ! vous allez me faire un discours ! Soyez bref, car je m’endors.
— Vous vous endormez ! Ah ! dans ce cas, le sommeil vous sera meilleur que tous mes discours! Dormez, mon bon, je me tais, je vais en faire autant, bonne nuit ! Ne remuez pas trop, j’ai le sommeil léger.
Les deux amis ne bougèrent plus.
Bientôt, dans cette pauvre cabane, où dix personnes et deux chiens étaient couchés çà et là, sous la clarté mourante d’une lampe fumeuse, on n’en
tendit plus que quelques ronflements sonores; au dehors, le clapotement de la pluie et le mugissement de la mer dans la nuit profonde.....
La lampe avait fini par s’éteindre.
Georges remua dans son lit ; son camarade ne bougea pas ; Georges le poussa légèrement, Edmond resta immobile.
— Vous dormez ? souffla Georges à son oreille. Pas de réponse, mais une respiration régulière et forte, indice d’un sommeil paisible.
Georges toussa doucement dans la direction de la table ; à la troisième fois, une toux, pareillement discrète, répondit; il réitéra à deux intervaller, deux soupirs étouffés lui arrivèrent comme un faible murmure.
--- Elle ne dort pas ! j’en étais sûr, pensa Georges; elle m’a entendu et elle m’attend !
Et s’érnnt soulevé petit à petit, il passa avec précaution une jambe hors du lit; il mettait en
marche la seconde, quand il la sentit appréhendée et serrée comme dans un étau par la main de l’ingénieur.
— Ah ! voilà comme vous dormez ! mais, misérable, vous voulez donc nous faire écharper à coups de couteau? Voyons! voyons! assez de folies
comme cela; remettez-vous au lit et contre la ruelle, s’il vous plaît.
Et comme Georges résistait :
— le vous le déclare, continua l’ingénieur, si vous ne demeurez tranquille et si vous ne remont lève aussi, je rallume la lampe et j’éveille toute la chambrée, le patron, les bandits et le Jacopo qui ne dort pas, lui, je vous en réponds, et qui a entendu et compris toute votre manœuvre.
—- Ah ! que vous avez le cœur dur, disait Georges en obéissant, mais vous n’avez donc pas vu comme elle est belle !... je vous dis qu’elle m’aime et qu’elle m’attend!..’, laissez-rnoi aller lui dire que je l’aime aussi, lui donner un seul baiser, un seul... Edmond, je vous en prie, je reviens de suite... je vous le promets.....
— Vous n’avez pas le sens commun!... Mais écoutez!... voilà qu on se réveille, entendez-vous le patron... et Son Excellence parlant à son compagnon ?... Sur votre vie, ne bougez plus !...
Quand tout fut rentré dans le silence, Edmond approcha sa bouche de l’oreille de Georges et lui dit :
— Ecoutez, mon bon, ce qui serait advenu, si je ne vous avais arrêté au début de votre folle équipée. A peine arrivé à tâtons auprès de la belle As
sunta, auriez-vous eu le temps de lui dire une parole, à peine votre premier baiser aurait-il effleuré ses lèvres, que le Jacopo bondissant de des
sous sa couverture pareil à un jaguar (comme eux il y voit la nuit), vous, aurait ouvert le ventre avec son grand.couteau qui ne quitte jamais sa ceinture rouge et qu’il caressait ce soir si tendrement en vous regardant.
Mais qu’est-ce que cela lui fait à votre Jacopo? Est-il son mari, ou son amant, ou son frère ? Et quand même!.....
— Ah! qu’est-ce que cela lui fait? Vous êtes charmant! et ce quand même me ravit!... Vous vous croyez encore en France, mon cher bon, où, en effet,. cela ne fait rien, ou pas grand chose ! C’est
seulement en France que les filles ont des amants avant de se marier, ce qui ne les empêche pas d’en avoir après.....Mais ici, cela est différent ! Jacopo
aime Assunta ; il est son fiancé, sonpromesso sposo, comme ils disent, et il veut sa promise pour lui tout seul... Voilà ce que cela lui fait !...
— Mais vous n’en savez rien..
— Mais je vous demande pardon !... Si vous n’a­ viez pas été absorbé et ravi au septième ciel et si vous aviez observé et écouté autour de vous, pen
dant la soirée, vous sauriez, comme je l’ai apprise et devinée moi-même, avec l’histoire de toute notre société, celle de la belle Assunta...
— Ah ! oui, elle est bien belle, n’est-ce pas ? — interrompit Georges avec un soupir et en essayant de se lever — Edmond, mon ami, je vous en supplie, laissez-moi seulement...
— Là! là donc! Tenez-vous en paix... Le signor Paolo, le patron, n’est pas le père d’Assunta ;
M angé, alors peut-être plus belle que ne l’est sa fille aujourd’hui, l’avait eue d’un premier mariage, quand elle épousa Paolo ; le ragazzo ébouriffé est venu de ce second mariage et vous avez remarqué, du moins, combien la sœur aime son petit frère et comme elle l’embrassait folle
ment en vous regarJant... Allons ! voilà que vous poussez encore un grand soupir !... Je ne vous dirai rien de l’autre vieux Napolitain; autant que j’ai
pu le comprendre, il fait partie de la famille, à quel titre et de quel côté? Je l’ignore, mais cela importe peu, ce n’est qu’un comparse dans la
pièce... J en viens à Jacopo ; celui-ci est un propre neveu du patron, le fils de son frère Gioacchino, noyé avec son autre-frèreTomaso, le premier mari de M’angé et par conséquent le père d’Assunta, sur la côte ici voisine de Sardaigne, par une nuit pareille à celle-ci, ils ontdit quelques mots, ce soir de cette lugubre histoire que leur rappelait la tempête en secouant la cabane, mais vous étiez aveu
gle et sourd. Ce Jacopo, aux yeux de braise, au teint de bronze en fusion et au grand couteau, — ne l’oubliez pas ! — est donc le cousin d’Assunta ; de plus, leur mariage est une affaire convenue en famille, mais pourquoi n’est-il pas encore terminé? Assunta doit avoir seize ans et les filles de Naples sont nubiles à treize; Jacopo a vingt-quatre ou vingt-cinq ans et il l’aime avec férocité, à la Napo
litaine... Pour moi, je croL simplement que la jeune fille, habituée à le voir depuis son enfance, l’aiine comme un ami, comme un cousin, comme un frère, si vous voulez, mais pas assez comme un futur mari, et, suivant leur mode que l’on trouve
rait bizarre chez nous, la mère M’angé et le vieux patron, malgré la convenance de cette union au point de leur intérêt, ne veulent pas forcer le cœur de la belle enfant.....Nous ne sommes pas en France, vous voyez bien !
— Oh ! oui, c’est sur, interrompit Georges, elle ne l’aime pas, vous avez, comme toujours, deviné juste; alors elle le lui dira, et puisque c’est moi qu’elle aime et que je l’aime aussi, Jacopo n’a rien à voir dans notre amour! Ah ! oui, mon cher ami, oui, c’est bien cela !
— Ah ça ! mais vous êtes encore plus fou que je ne pensais!... Non, elle n’aime pas Jacopo; oui, elle vous aime, du moins elle a senti son cœur pour la première fois en vous voyant! Eh bien! après?... Voulez-vous épouser la fille d’un pêcheur de corail ? Non, n’est-ce pas?... Vous voulez donc la séduire et en faire votre maîtresse? Cela vous sera facile, si le couteau de Jacopo vous en laisse le temps.... Et l’honneur? Je ne parle pas du sien, le vôtre à vous? qu est-ce que vous en faites? De pauvres gens vous donnent, sous leur toit, une franche hos
pitalité ; pour première récompense, vous abusez de l’innocence de leur fille!... Allons, mon bon Georges, mon ami, revenez à vous-inême, à des sentiments dignes de votre nom et de votre éduca tion!... Mon Dieu! je sais bien que le couteau du
grand Jacopo ne vous fait pas peur! —cependant, croyez-le, il est au bout de tout cela, et, tôt ou tard, il y aurait du sang dans vos amours!... Georges mon ami, pensez à votre mère!...
Georges gardait un morne silence.
— Vous avez raison, ami, raison comme tou