HISTOIRE DE LA SEMAINE
C’est par une véritable série de surprises que nous ont fait passer, ces jours derniers, deux des principaux acteurs de ce qu’on pourrait appeler l’imbroglio Tonkino-franco-chinois.
Jeudi dernier, au moment où notre dernier numéro passait sors la presse, on lisait dans les journaux du soir ce simple fait-divers :
« Le marquis Tseng, ambassadeur de Chine, est arrivé hier 6 septembre à Boulogne par le paquebot venant de Folkestone. »
Que venait faire parmi nous le diplomate chinois ? A là suite de l’accueil peu engageant fait à ses ouvertures comme à ses protestations, en juillet
dernier, par M. Challemel-Lacour, il avait profité de la double représeniation qui lui permet de rési
der indifféremment à Londres ou à Paris pour transférer ses pénates dans la première de ces deux capitales.
Allait-il protester contre le traité de Hué, lequel—- soit dit entre parenthèse, a été bel et bien conclu avec le véritable successeur de Tu-Duc — présenter un ultimatum, ou simplement offrir de reprendre les pourparlers interrompus à Shang- Haï comme ils l’avaient été déjà à Paris ?
Dès le lendemain, la curiosité du public recevait une première satisfaction. Vendredi soir en effet,
le Temps annonçait dans ses dernières nouvelles que l’ambassadeur de Chine avait fait connaître à notre ministre des affaires étrangères les bases sur lesquelles la cour de Pékin croyait possible de s entendre.
A M. Challemel-Lacour, ces bases avaient semblé « mériter examen ». Quant à leur teneur, le Temps la résumait en deux articles :
i° Réglement sous une forme honorifique à débattre de la question de suzeraineté revendiquée par la Chine sur 1’Annam ;
2° Délimitation de frontière comportant, éventuellement, sur certains points, l’établissement d’une zone neutre.
Samedi matin, le Figaro, renchérissant sur son confrère du soir, se croyait en mesure de dévelop
per en six articles, plus quelques détails accessoires, le programme de l’arrangement qu’il présentait comme virtuellement accepté par les deux parties.
Tout bien pesé, les conditions en paraissaient assez acceptables. Sur certains points elles se rap
prochaient singulièrement du fameux projet de M. Bourée, et l’on était en droit de s’étonner, après l’exécution solennelle du projet et de son auteur, de voir l’exécuteur se faire ainsi le continuateur de l’exécuté. C’étaitlà pourtant le cas ou jamais de passer la main à un autre. A cela on répondait que le traité de Hué avait modifié la situation, et que les avantages qu’il nous assurait dans tout l’Annam nous permettaient de nous montrer plus coulants sur le règlement de questions d’ordre secon
daire. D’ailleurs, tout est bien qui finit bien, et vraiment, on avait hâte d’en finir avec toutes ces agaçantes chinoiseries.
.Mais voici bien une autre affaire ! vingt-quatre heures sontàpeine écoulées qu’il est devenu impos
sible de savoir à quoi s’en tenir. L’accord, affirment les gens « d’ordinaire bien informés, » se réduit au désir de s’entendre. C’est de Pékin où l’on a trans
mis le résumé de l’entretien des deux négociateurs que l on attend désormais la lumière. On se dit à l’oreille que Chinois et Français se font de la « zone neutre » les conceptions les moins conciliables. Puis voici que des notes d’allure confiden
tielle paraissent simultanément à Londres et à Paris, insinuant que, pour ne pas compromettre les négociations, la France devra s’abstenir de tout nouvel envoi de renforts au Tonkin.
révélés par les officieux de l’ambassade chinoise. L Aveyron vient de quitter Toulon emportant un demi-bataillon à destination du Tonkin, d’autres transports vont prendre en Algérie les bataillons de marche fournis par nos admirables régiments de tirailleurs indigènes, et tout fait espérer que la haute protection de la diplomatie chinoise ne préservera nas les compagnons de l’ancien bandit Lun Vinh Phuoc du fort mauvais quart-d’heure que leur feront passer ces Africains aux mains rudes II n’en semble pas moins acquis que notre situation vis-à-vis de la Chine est demeurée à peu près ce qu’elle était avant la courte apparition que le marquis Tseng vient de faire à Paris. — Dès lundi matin il repartait pour Londres. — Nous restons dans la même incertitude relativement aux intentions réelles de ce gouvernement bizarre, qui a tout au moins sur le nôtre l’avantage de n’avoir ni Chambres ni journaux pour crier sur les toits ce qu’il fait, ce qu’il veut faire et surtout ce qu’on ne veut pas lui laisser faire.
C’est pourtant un jeu bien dangereux quejouent les diplomates du Céleste-Empire, si vraiment, comme ne cessent de le dire ceux qui connaissenle mieux leur pays, leur gouvernement n’a ni l’ins tention, ni les moyens d’en venir aux extrémités dont ils cherchent à faire un épouvavntail. C’est à eux qu’on pourrait peut-être appfiqueavec quelque semblant de justesse le proverbe germanique qui a
servi dernièrement de« mot de la fin » à la Gazette de VAllemagne du Nord : « A force de peindre le diable sur les murs, on- le fait apparaître en per
sonne. » Ils spéculent sur la soif légitime de paix et de tranquillité dont ils nous savent possédés ; ils comptent sur un déraillement de l’opinion, une défaillance des Chambres, une dislocation du mi
nistère pour arracher à notre indifférence, à notre ignorance ou à notre faiblesse des concessions qui annuleraient tous les résultats des efforts faits jus
qu’à ce jour pour implanter l’influence française dans les régions de l’extrême Orient. Ces concessions obtenues, ils les attribueraient à l’effroi ins
piré aux barbares parla puissance infinie du fils du Ciel. C’est ainsi qu’on a présenté aux populations chinoises la rétrocession de Kouldja, et nous ne saurions nous attendre à voir notre condescen
Affaires du Tonkin. — Entretien entre le marquis Tseng, ambassadeur de Chine, et M. Challemel-Lacour, au ministère des affaires étrangères. Au cours de cet entretien, l’ambassadeur de Chine a fait connaître à M.Chal
lemel-Lacour les bases sur lesquelles la cour de Pékin pense qu’un arrangement pourrait intervenir entre elle et le gouvernement français, relativement à
1’Annam et au Tonkin.
Nous donnons ci-contre ces conditions, sur lesquels notre ministre a cru qu’une entente pourrait se faire, étant donnée notre nouvelle situation dans l’Annam par le fait du traité nui notis reconnaît le droit de protectorat.
Le marquis Tseng, ayant télégraphié à Pékin à ce sujet, est retourné à Londres en attendant la réponse de son gouvernement.
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Arrivée à Paris, le 6 septembre, du roi d’Espagne, se rendant en Allemagne. Le roi a reçu M. Challemel-La
cour, le baron des Michels et le général Pittié. Il est reparti le soir même pour Munich. Le 8, il est arrivé à Vienne, où l’empereur, le prince impérial et les archi
ducs Guillaume et Eugène l’attendaient à la gare, et où il doit rester cinq jours.
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Autriche-Hongrie. — Publication au Journal officiel hongrois de deux lettres autographes de l’empereur d’Autriche, roi de Hongrie, la première adressée au ban de Croatie M. Pejacsewich, et la seconde à M. de Ramberg.
Dans ces lettres, l’empereur prononce la destitution définitive du ban, lequel, on s’en souvient, après avoir refusé de replacer les écussons hongrois, avait donné sa démission, et charge M. de Ramberg d’exécuter les mesures rendues nécessaires par les événements et de di
riger provisoirement l’administration du pays. L’empereur nomme à cet effet M. de Ramberg commissaire royal jusqu’au jour où le banat pourra avoir un nouveau titulaire.
La mesure est des plus sérieuses, mais elle s’explique par la gravité de la situation en Croatie. Ce n’est plus une émeute, c’est une insurrection ; le mouvement a
embrassé toute la Zagorie et s’étend jusqu’à la frontière de Styrie. A Beduje la moitié d’un escadron de hussards a dû se retirer devant l’attitude des paysans et attendre du renfort.
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Bulgarie. — Manifeste publié par le prince Alexandre, pour mettre fin à la crise ouverte depuis quelque temps déjà dans la principauté. Le prince dit, dans ce
manifeste qu’ayant toujours désiré le bonheur du peuple Bulgare, il a décidé, dans le but d’arriver à établir un état de choses stables, de former une commission qui sera chargée d’élaborer une nouvelle constitution avec le concours des ministres. Cette commission sera composée des hommes les plus éclairés et les plus compétents de tous les partis. Le projet que la commission aura préparé sera soumis ensuite à une grande assemblée convoquée spécialement à l’effet de le discuter.
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Elections. — Législatives. Premier arrondissement de Paris : Candidats, MM. Forest, Hiélard et Despatys. Ballottage. Il s’agissait de remplacer M. Tirard, sénateur inamovible. — Saône-et-Loire : Deuxième circon
scription de Châlon-sur Saône : Candidats, MM. Lorancliet, Josserand et l’abbé Sauvert. Ballottage. Il s’agissait de remplacer M. Daron, décédé.

Décrets. — M. Harmand, commissaire général de la République française au Tonkin, est nommé officier de la Légion d’honneur.
Publication au Journal officiel d’un important mouvement judicia re comprenant la nomination d’un con
seiller à la Cour de cassation, d’un avocat général à la même cour, de dix premiers présidents de cours d’appel et de dix procureurs généraux.
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Le ministre de l’instruction publique vient de décider que, afin d’encourager l’étude de la langue allemande dans les écoles primaires supérieures en particulier, un certain nombre d’élèves d’écoles normales d’instituteurs iront séjourner plusieurs mois à l’étranger, pour com
pléter leurs études. L’établissement choisi est l’école normale de Kusnacht, près de Zurich. Les instituteurs qui profiteront de la mesure nouvelle seront désignés après un concours dont les épreuves consisteront en un thème allemand et une version allemande.
dance plus respectueusement appréciée que celle du « Tsar blanc ». Mais, comme l’ont signalé à di
verses reprises les correspondants de Chine des journaux anglais, c’est là précisément que gît le danger. Mieux placés pour juger de la solidarité des intérêts européens dans ces lointains parages, qu’on ne l’est à Paris ou à Londres, ces correspondants ont souvent exposé que les habiles, les hauts mandarins, les faiseurs de légendes pouvaient se trouver un jour entraînés par le mouvement que leurs propres vantardises auront créé dans les masses igno
rantes, à formuler des exigences de plus en plus inacceptables, et à rompre finalement en visière avec les cabinets étrangers. En voulant, à force de concessions, éviter des conflits secondaires, on risquerait ainsi de hâter le moment d’un conflit général.
En ce qui concerne le cas spécial du Tonkin, nous avons la conviction que si par malheur nous devons avoir la guerre, nous la devrons surtout au fâcheux contraste qui a presque toujours existé, depuis l’origine, entre la grandeur de nos projets et la faiblesse des moyens mis en œuvre pour les réaliser, et, depuis quelques mois, entre la décision dans les paroles et l’indécision dans les actes de notre gouvernement. Pour intervenir directement au Tonkin, on aurait pu attendre — M. Gougeard a expliqué que telle était l’intention du cabinet dont il a fait partie —qu’on eût organisé l’armée coloniale, cet « instrument nécessaire » d’une poli
tique d’action dans les pays tropicaux. Mais après s’être engagés à fond, ayant à venger des affronts sans nombre, reculer devant les rodomontades du Céleste-Empire, alors que celui-ci, malgré l’état de paix qui existe officiellement entre lui et nous, ne prend même plus la peine de dissimuler sa com
plicité avec les bandes qui nous font la guerre, ce serait vraiment un comble. Des concessions de cérémonial ou de délimitation de frontières, pas^e encore, mais sur le fond de la question, c’est-à-dire sur le maintien effectif et sans partage de notre autorité au Tonkin et dans l’Annam, point de transaction ni de compromis possibles. Seulement pour parler clair à Paris, il faut avoir dans le delta du Fleuve-Rouge un autre effectif que celui dont dispose le général Bouët. Il est regrettable qu’on
ne l’ait pas compris plus tôt, espérons qu’il n’est pas trop tard pour le comprendre. H. L.
Pour le coup, la prétention était forte. Ne plus envoyer de renforts ! mais c’est justement hélas ce qu’on avait fait pendant que M. Bourée discu
tait avec Li Hung Chang sur les termes de son memorandum. Quels avaient été les résultats de cette trêve naïvement accordée aux « Pavillons Noirs » le sort du pauvre commandant Rivière ne nous l’avait que trop appris. Allait-on accorder un second délai à nos aimables adversaires pour leur donner tout loisir de préparer semblable fin à la poignée de braves gens qui soutiennent encore au Tonkin l’honneur national? Décidément la diplomatie orientale ne doute de rien. Mais l’opinion admettrait difficilement des circonstances atténuantes pour le « barbare d’occident » qui se laisserait prendre à un piège aussi grossier.
D’ailleurs il est inutile d’insister. On n’a pu
songer un seul instant à condescendre aux désirs