Nécrologie. — Le contre-amiral Pierre, ex-commandant en chef de la station navale de la mer des Indes, qui a dirigé l’expédition contre Madagascar.
M. Pierre était né en 1827, à Dijon (Côte-d’Or); entré à l’Ecole navale en 1841, il fut nommé aspirant de 2e classe en 1843, et de ire classe en 1844; il se distingua au combat de Mogador et à l’affaire de Tanger (1844); promu enseigne de vaisseau en 1846, il embarqua sur le Ducoucdic (Réunion), du 6 janvier 1846 au Ier juillet 1858, puis sur le Faune, pour les Antilles, de 1849 à 1851.
Lieutenant de vaisseau de 2e classe en 1853, de Pe classe en 1858, capitaine de frégate en 1865.
Il commanda la Néréide, (voyages en Océanie), du 21 décembre 1868 au 23 novembre 1870; à sa rentrée en France, il prit part à la Défense nationale et assista au combat d’Orléans et à la retraite de l’armée fran
çaise. Il fut nommé capitaine de vaisseau le 28 janvier 1871, et contre-amiral en 1880. Il était commandeur de la Légion d’honneur.
M. Gérard Gould, ministre plénipotentiaire de la Grande-Bretagne à Stuttgard.
COURRIER DE PARIS
Je laisse aux grands politiques le soin de savoir si nous avons ou si nous aurons la guerre avec la Chine. C’est Paris qui nous intéresse ; parlons de Paris. Il est très coquet, pimpant et doré, par ce bel automne, très ensoleillé à l’heure où j’écris et qui sera peut être brumeux et boueux quand pa
raîtront ces lignes. Car le roi de Marignan aurait bien pu, parlant du temps comme il parlait de la femme, écrire sur une vitre du château de Chambord ;
Le temps souvent varie, Bien fol est qui s’y fie !
En attendant, voici le soleil, le doux soleil d’automne qui invite aux promenades et réchauffe les chasseurs sans leur donner d’insolations. Paris en jouit au Bois encore vert, cuivré et bronzé par places et toujours peuplé. Il y a plus de provin
ciaux et d’étrangers que de Parisiens dans les allées mais qu importe ! Tout fait nombre, comme disait
ce caporal auvergnat en mangeant un débris de soulier tombé dans sa gamelle.
Les Parisiens vont pourtant venir et seront venus pour le Vernissage. Quel Vernissage? Celui du Salon Triennal. Le Salon ouvre officiellement le 15 et, comme toujours, s’entr’ouvre officieuse
ment le 14. Il n’y aura le 15 que la foule et le 14 il y aura le gratin. C’est ( ette enrr’ouverture qu’on
appelle le Vernissage et qu’on devrait nommer le Revernissage puisque la plupart des tableauxqu’ou verra là ont été déjà v-rnis et ne seront que revenais pour la circonstance.
Revernissage ou Vernissage, va pour le Salon Triennal! Il sera la grande attraction de l’automne. Des maîtres qui fuient d’ordinaire les expositions au tas, comme Jules Dupré, y figureront. D’autres, comme Charles Jacque ou Antoine Vollon ont ou
blié d’y rien envoyer et c’est grand dommage car ils n’y sont pas remplacés, pas même par des équivalents. Quoiqu’il en soit, l’exhibition paraît de
voir être selected et remarquable, fais vous verrez que le public, après s’être plaint qu’i. y eût trop de
tableaux en mai se plaindra qu’il n’y e.i ait pas assez en septembre !
J’entends déjà d ici les plaintes — éternelles plaintes des mécontents éternels :
— Sept cents tableaux! Mais c’est l’affaire d’une demi-heure à regarder! On n’a pas seulement le temps d’occuper sa journée.
Car figurez-vous bien, ô peintres, que la plupart des gens qui vont aux Salons y vont moins pour voir de la peinture que pour tuer le temps. Sur cent personnes, il y a dix artistes qui entrent atti
rés par l’art, cinq amateurs qui cherchent une bonne affaire, cinq critiques d’art qui prennent des notes, dix femmes du monde qui montrent leur toilette, quinze femmes du demi-monde qui se mon
trent là comme elles se montraient aux eaux, et cinquante-cinq flâneurs, désœuvrés, promeneurs inutiles et figurants éternels de la comédie parisienne qui entrent là comme ils iraient au panorama, au hammam ou au tattersall.
On a dit que le romancier russe Ivan Tourgueneff, dont les funérailles vont, sans doute, être
solennellement célébrées en Russie, était fort dédaigneux de cette foule et de ce public ainsi composés d’éléments aussi médiocres. Tourgueneff était un dédaigneux de génie. Il eût volontiers dit, comme Goethe dans le prologue de Faust :
— Combien faut-il de sots pour faire un public ? Je viens de montrer aux artistes peintres que
leurs admirateurs étaient composés d’une façon dont ils ne se doutaient peut-être pas, eux, les ar
tistes. Mais il est juste de reconnaître que ce brave et bon public, qui nous juge tous en définitive, n’est point aussi sot que Goëthe lui-même eût voulu le faire croire.
Interrogez un poète de haut vol— un peintre de race — un comédien de premier ordre — un ro
mancier — un journaliste — un musicien, demandez-lui ou demandez-/czzr .-
— Que pensez-vous du public?
Il vous répondra ou ils vous répondront :
— Oh! le public! Je m’en soucie peu. Il n’y connaît rien !
C’est-à-dire : il ne connaît rien ni à la poésie, ni à la peinture, ni à la comédie, ni au roman, ni à la musique.
Et pourtant c’est à lui que musiciens, romanciers, dramaturges, peintres, poètes, soumettent
leurs poésies, leurs tableaux, leurs drames, leurs romans et leurs partitions.
Il y a là un paradoxe tout à fait divertissant. Le peintre, qui fait fi du public, vous dira très bien :
On ne peut pas traverser la salle où est accroché mon tableau tant il y a de monde devant! Le romancier vous dira : « Mon roman en est à sa cin
quantième édition. Il se vend comme du pain. » Le musicien : « Ma symphonie a fait refuser du monde chez Colonne! » Le poète ; « On dit que les vers ne se vendent pas : mon volume est épuisé! »
Et tous — en chœur — ne manqueront point d’ajouter :
— Le public n’entend rien à rien !
C’est pourtant lui, ce public, le plus solide et le plus sincère des critiques. Il y va, comme on dit, bon jeu bon argent. Il n’a ni camaraderie ni ran
cunes. Vous l’amusez? Il vous applaudit. Vous l’intéressez? Il vous achète. Vous le charmez? Il vous adore. Le public entend dire : « Voilà une tragédie de génie! » Croyez-vous que le mot le trouble ? Il sait fort bien que nous vivons au temps où le cinq pour cent ne vaut que quatre et demi et il fait lui-même la conversion des réclames qu’on lui présente :
— C’est étonnant! Telle œuvre que l’illustre Damoiseau déclarait médiocre m’a profondément diverti et celle qu’il saluait comme geniale m’a par
faitement assommé. Est-ce que cela ne voudrait pas simplement dire que Damoiseau est l’ami de cet homme de génie, qu’il ne redoute guère, et qu’il est un peu jaloux de cet homme déclaré mediocre, qui réussit trop ?
Il a de la finesse le public. Il ne se laisse pas duper longtemps. Il finira comme les Anglais, par faire sa salade lui-même, je veux dire par ne jamais juger que sur ses propres impressions et selon son sentiment à lui.
C’est Clairville, mais ce pourrait être Siraudin, son collaborateur, qui (lisait volontiers :
— Chaque fois que mes pièces ont été saluées par les éloges de la critique elles n’ont pas fait le sou. Toutes les fois qu’elles ont été éreintées elles sont devenues centenaires. Aussi, quand je lis les
journaux au lendemain d’une première, je tremble et je reviens navré quand je puis dire : « Allons ! bien, nous sommes flambés : la presse est bonne ! »
Il y a plus de vrai qu’on ne pourrait croire dans cette boutade.
Siraudin, je gage, devait raisonner de même.
C’était un homme d’esprit, Siraudin, et un lettré, un bibliophile. Il aimait les livres, il les connaissait. Il déterrait volontiers dans les vieux bou
quins des sujets de pièces neuves Ce doit être lui qui dut avoir l’idée de cette légendaire et amu
sante Fille de Madame Angot qui emplit le monde entier de ses flons-flons. M. Victor Koning, le seul survivant des trois auteurs de cette jolie plaisan
terie, colorée comme un Debucourt, devrait conter l’histoire de cette opérette dont Paris ne voulut pas tout d’abord et qui nous vint par de la la frontière déjà consacrée par les bravos belges.
Siraudin avait signé un des plus beaux drames de ce temps, le Courrier de Lyon mais (autant qu’il est permis de découvrir les mystères d’une
collaboration) il parait que le Courrier de Lyon est tout entier de la main d’Auguste Maquet qui tou
cha quinze cents francs pour ce travail, la pièc rapportant, en fin de compte, aux autres auteurs une fortune.
Siraudin avait aussi collaboré avec The ophile Gautier, mais Gautier disait volontiers :
— Il n’a rien fait dans nos pièces !
Théodore de Banville est persuadé que certain rondeau, d’une facture admirable et d’une allure étonnante, qui se trouve dans une des pièces de Siraudin :
Mon Aldegonde,
Ma blonde
Oui plaît à tout le monde, Ma Rodogune,
Ma brune,
Pâle comme la luneest de Théophile Gautier.
On n’en saura jamais rien.
Siraudin, qui fut d’ailleurs le théâtre fait homme, qui avait le génie des planches — je dis bien, le génie — qui voyait toutes choses à travers la lu
mière de la rampe et qui, lorsqu’on lui racontait un malheur privé, disait en bon auteur drama
tique : « Quelle situation pour un troisième acte ! » Siraudin, qui eut beaucoup de talent, un talent varié dans tous les genres, et qui avait eu, avec un nombre considérable de chutes, un nombre plus gros encore de succès et de grands succès, Siraudin n’était pas riche. Ce gai Par:sien, dans les derniers temps de sa vie, avait même l’air assez pauvre. Il vivait aux Batignolles, en petit bourgeois retraité.
C’est son aventure de confiseur qui lui avait confisqué ses économies. On prétend que ce fut M. de Morny qui poussa Siraudin à ouvrir le magasin de Siraudin pour faire pièce (non pas une pièce de théâtre) à Boissier. Pure légende. Siraudin était orléaniste et ne devait pas avoir de rapports bien fréquents avec le duc de Morny, quoiqu’ils fussent confrères. Morny écrivait aussi des vaudevilles sous le pseudonyme de Saint-Remy. Non, Siraudin se fit tout bonnement confiseur pour faire fortune. Il se ruina à peu près dans l’entreprise, vendit son fonds et eut la joie, ou la tristesse, de voir les mar
rons glacés de Reinhardt se vendre infiniment sous cette étiquette parisienne et ce nom applaudi : Siraudin !
La calvitie de Siraudin, cette calvitie légendaire, a fait verser autant d’encre aux journalistes que le compte rendu des pièces de l’auteur dramatique.
Les cheveiLx de Siraudin furent, pendant vingt-cinq ans, une de ces plaisanteries faciles qui ont éternellement le don d’exciter le rire.
Le nez de l’acteur Hyacinthe et les oreilles de Sarcey ont fait et font parfois encore partie du ballot de ces facéties à la grosse. L’éternelle jeunesse de M. de Saint-Georges fut aussi de ces drôleries prévues. On disait :
— Du temps que Siraudin avait des cheveux ! comme on eût dit : « Du temps que la reine Berihe filait. » Il se plaisait lui-même à railler son
genou. Il remarquait d’ailleurs que, jadis, presque personne n’était chauve, et, qu’aujourd’hui, le nombre d s calvities est incalculable.
Il y a trente ans, un homme mettait sans ridicule une perruque. Aujourd’hui, une perruque est presque grotesque.
C’est ce qui faisait dire à Siraudin :
— Les cheveux tombés sont très bien portes !
Siraudin, qui donna, dit-on, plus d’un mot demeuré célèbre à Rochefort, lorsque le polémiste publia les premiers numéros de la Lanterne, écrivit pour Geoffroy bien des rôles amusants. Mais le co
médien, l’excellent et étonnant comédien que fut
Geoffroy, amène plutôt et tout aussitôt à la pensee. et aux lèvres le nom de Labiche.
Geoffroy a joué à Eugène Labiche plus Jê cinquante rôles, et quels rôles ! Perrichon, Çilimare, le bourgeois de la Cagnotte ! La bonhomie pro
fonde de Labiche avait rencontré le püius admirabledes interprètes dans ce Geoffroy, sj bonhomme et si fin.
Chaque auteur trouve d’ailleurs,, à l’heure dite,, le comédien qui doit incarner sa pensée. Pour Victor Hugo, c’est Frédérick. Ruy-Blas, c’est
Frédérick-Lemaître. Pour Alexandre Dumas père c’est Mélingue. Mélingue était né pour porter la rapière de d’Artagnan. Pour Dumas fils, c’est Du
puis. Olivier de Jalin, n’est-ce pas Dupuis lui
même ? Pour Emile Augier, c’est Got. Imaginez- Giboyer sans Got, à 1 heure où hardiment Augier
donne ses Effrontés. Pour Duvert et Lauzanne,. c’était Arnal. Pour Labiche, l’acteur né, c’était Geoffroy.