HISTOIRE DE LA SEMAINE
Le député de la Cochinchine s’est illustré dans J la dernière session parlementaire en faisant rejeter, dans un bel élan de patriotisme, la convention qui assurait, à bref délai, mais par un câble anglais, les communications télégraphiques entre Saigon et le Tonkin. M. Blancsubé qui se hausse décidé
ment au rôle d’Erostrate des ministères de toutes nuances, a démontré, une fois de plus, par son dernier exploit, que le mieux est souvent l’ennemi du bien. Le public, que l’incident encore inexpliqué du retour du général Bouët a mis en méchante humeur, réclame, lui aussi, « un peu plus de lumière », il réclamera au besoin sur l’air des lampions. Un câble anglais en opération ferait beau
coup mieux son affaire qu’une derni-douzaine de câbles français en perspective.
Le patriotisme ombrageux de M. Blancsubé serait-il par hasard dénaturé contagieuse ? Serait-ce aussi par crainte d’enrichir les actionnaires des Com
pagnies britanniques de télégraphie sous-marine,
que les agents français dans l Extrême-Orient, à Hong-Kong aussi bien qu’à Saigon, n’usent de ce moyen expéditif de correspondance qu’avec une discrétion à la Conrard et un laconisme digne des anciens Spartiates? Quand certains journaux an
glais — le Standard, par exemple — à propos d une question qui les touche beaucoup moins que nous-mêmes, font bénéficier leurs lecteurs d’un luxe d informations qui laisse bien loin en arrière les maigres dépêches transmises à notre gouver
nement, nous nous permettons de regarder ce rapprochement comme bien plus humiliant pour notre amour-propre national que ne l’eût été la concession à une Compagnie anglaise d’un câble cochinchmois. Et cependant ni le Standard, ni aucun de ses confrères ne disposent que nous sachions d’un budget de trois milliards.
Aussi bien n’insistons pas sur ce sujet quelque peu déplaisant; et, tout en exprimant l’espoir d’en apprendre un peu plus long dans le courant de la semaine qui commence, quittons l Extrême-Orient pour rentrer en Europe.
Ici, depuis une quinzaine, on ne peut point dire que la situation générale se soit sensiblement mo
difiée. Quelques coups curieux ont été cependant joués sur l’échiquier politique, là même où il semble dès à présent que tôt ou tard s’engagera sérieusement la partie.
Sans parler de l’excursion de M. Gladstone à Copenhague, excursion fort commentée, mais à laquelle la situation des partis en Angleterre en
lève beaucoup de son importance, nous avons eu, en Serbie, l’éclatant succès électoral du parti antiautrichien, survenant au moment même où Mi
lan Ier étalait dans les deux capitales allemandes, avec sa royauté de fraîche date, les témoignages empressés de son allégeance à l’alliance des deux empereurs. En Bulgarie, l’apparente satisfaction
donnée aux adversaires de l’influence russe par la retraite des deux généraux de l’armée du czar qui faisaient la pluie et le beau temps dans les Etats du prince Alexandre de Battemberg se trouve plus que compensée par le retour au pouvoir — avec un nouveau général russe comme ministre de la guerre — du parti le plus étroitement inféodé aux idées panslavistes. Reste la Roumanie, dont le roi, tout comme son voisin de Serbie, a cru devoir faire le pèlerinage de Berlin et de Vienne.
Les Roumains ont quelque sujet d’en vouloir à la diplomatie française. On sait quelle a été l’atti
tude de celle-ci dans la question du Danube, où on l a vu appuyer, au détriment des intérêts de la Roumanie, les prétentions de l’allié le plus intime de l’Allemagne.
Les nombreux amis que nous avions conservé dans la bonne et la mauvaise fortune parmi les latins de l’ancienne Dade peuvent dire qu’après avoir tant fait de nous-mêmes en faveur de l’Au
triche Hongrie, nous serions mal venus à leur reprocher d’entretenir avec cette dangereuse voisine un commerce de prudente amitié. Et cepen
dant les sympathies austro-allemandes ont peine à s’acclimater sur les bords de la Dimbovitza. Peutêtre assisterons-nous sous peu à une réaction populaire contre les tendances germanophiles du roi
Charles de Hohenzollern. Que cette réaction se produhe et dans la partie récemment engagée dans le bassin inférieur du Danube entre l’influence russe et l’influence allemande, celle-ci se trouvera .avoir perdu la seconde manche. Quelques uns supposent que la belle pourrait exiger un déploiement d’atouts plus sérieux.
Tous ces incidents ont remis pour la centième fois sur le tapis le problème du groupement des forces dans l’éventualité d’un conflit international. Le verre brisé du général Dragomirof — simple importation d’un vieil usage russe dans une réu
nion d’officiers français, disent les uns ; un vrai signe des temps, assurent les autres, — a eu, pen
dant quelques jours, le retentissement des propos que tenait, l’an passé, le vaillant soldat enlevé si prématurément, quelques mois plus tard, à l’affec
tion deses compagnons d’armes.En mars 1882, à la suite d’entretiens — qui devaient malheureuse
ment être les dentiers —avec le général Skobelef, nous écrivions ici-même, sous le titre de « Russes et Allemands », une étude dans laquelle, après dixhuit mois écoulés, nous n’aurions que bien peu de mots à changer. En dépit des répugnances d’une vieille école de politiciens doctrinaires, nous con
tinuons à croire à la solidarité politique de deux nations entre lesquelles il existe tant de motifs de sympathie sans aucun de ces points de contact matériels qui engendrent fatalement des conflits.
Nous faisions observer, il y a une quinzaine, à propos de l’article comminatoire de la Gazette de l Allemagne, du Nord, que quelques uns des plus exaltés parmi nous sur le terrain de la politique intérieure avaient tout à coup révélé une véritable clairvoyance sur celui de la politique étrangère. A ce titre, il nous sera permis de signaler comme l’un des meilleurs articles qui ait depuis longtemps paru dans un journal français, celui que publiait l’Intransigeant du 23 septembre, sous la signature de M. Maurice Talmeyr. Comme le dit notre confrère dans sa conclusion, « il ne s’agit pas ici de mo
rale, il pourrait seulement, à un moment donné, s’agir de la lutte pour la vie, et, dans ce cas-là,
nous devons beaucoup plus redouter une grande Allemagne qu’une grande Russie ».
H. L.
Décrets. — Sont nommés dans l’ordre de la Légion d’honneur : grand’ croix, Hiep-Hoa, roi d’Annam ; — grands officiers. Tran-Dinh-Tue, grand censeur du
royaume d’Annam, et Nguyen-Trangiep, ministre de l’intérieur et des affaires étrangères du même royaume; — chevalier, M. l’évêque Caspar, chef de la mission catholique de Hué.
M. Félix Faure, député, est nommé sous-secrétaire d’Etat, au ministère de la marine et des colonies.
*
* *
Elections. — Législatives. 1er arrondissement de Paris : M. Forest. Il s agissait de remplacer M. Tirard, nommé sénateur inamovible. — Saône-et-Loire. 2e cir
conscription de Châlon-sur-Saône : M. Loranchet. Il s’agissait de remplacer M. Daron, décédé.
*
Troisième mouvement judiciaire publié au Journal officiel. Sont mis à la retraite 15 présidents, 93 viceprésidents et 8 juges de tribunaux de première instance.
*
* *
Manifeste du groupe de l’extrème-gauche de la Chambre des députés, réclamant, en présence des évé
nements du Tonkin, la convocation immédiate des Chambres, et déclarant que le concours du Parlement peut seul calmer l’inquiétude publique. Le bureau du groupe est chargé de présenter cette déclaration au président du conseil des ministres.
*
* *
Les négociations entre le Vatican et la France, pour le rétablissement des traitements du clergé qui avaient été suspendus, ont heureusement abouti, dit 1 è journal de Rome. Le gouvernement de la République a assuré le Vatican de ses intentions pacifiques.
*
* *
Visite de M. Gladstone au tzar à Copenhague. Les journaux russes, allemands et autrichiens voient dans cette visite une réponse à la politique de M. de Bismarck et aux visites récentes de divers souverains en Allemagne. « Plus la ligue de l’Europe centrale étend
son influence, dit la Gazette allemande, et plus aussi ses adversaires s’efforcent de former une contre-ligue. M. Gladstone, tout en cherchant à tâter la Russie, fait d’un autre côté tout ce qu’il peut pour rendre des ser
vices à la France, en jouant le rôle de médiateur dans la question du Tonkin. » Le Tagblatt, de Vienne, dit de son côté : « On s’occupera probablement à Copenhague de chercher les moyens d’exercer une pression sur la Chine, pour mettre fin au différend franco-chinois sans
guerre, de manière à permettre à la France de concentrer ses forces en Europe. »
* *
Bulgarie. — Réponse de l’Assemblée bulgare au discours du trône, remise au prince Alexandre dans son palais en présence de tous les membres de l’Assemblée. Dans cette adresse, l’Assemblée prie le prince de réta
blir la Constitution de Tirnova et d indiquer les points qu’il voudrait voir modifier. L’examen de ces modifications serait fait par l’Assemblée actuelle réunie en ses
sion ordinaire et les modifications introduites seraient
soumises à une Assemblée élue à cet effet. L’adresse ajoute que l’Assemblée, voulant satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par le traité de Berlin, exa
minera avec le plus grand soin les deux questions qui ont motivé sa réunion. Le prince a répondu que la dé
termination, qu’il prendra dans le plus bref délai, sera basée sur la volonté solennellement et unanimement exprimée par les représentants de la nation.
Démission du cabinet et constitution d’un nouveau ministère.
Manifeste du prince Alexandre dans lequel celui-ci déclare rétablir la Constitution de Tirnova, en invitant l’Assemblée, dans sa session ordinaire, à se prononcer sur les modifications à apporter aux chapitres 13 et 14, relatifs à la représentation nationale.
*
* *
Nécrologie. — M. Eugène Arrazat, député de l’arrondissement de Lodève. M. Arrazat entra dans la vie politique aux élections complémentaires de juillet 1871 et fit partie de l’Union républicaine à l’Assemblée nationale. Il échoua de que ques voix contre le candidat con
servateur, M. Vitalis, aux élections de février 1876 et à ce les du 14 octobre 1877. Après l’invalidation de son concurrent, il fut élu en juillet 1878 contre M. Leroy- Beaulieu et réélu en janvier 1881 contre le même concurrent. M. Arrazat a été longtemps président du conseil général de l’Hérault; il était né le 3 octobre 1826.
M. Charles-Edmond d’Esclevin, général de brigade d’artillerie de marine. Il était né en 1794 et était commandeur de la Légion d’honneur depuis le 7 avril 1850.
COURRIER DE PARIS
La vie de château ! La comédie au château ! Voilà les plaisirs du moment. Après l inévitable article sur les eaux, article annuel comme les pe
tits pois, nous avons, sous la plume des courrié
ristes attitrés, l’article sur le château, les hôtes du château, les repas et les promenades au château.
Il y aurait d ailleurs à se demander où commence et où finit le château ? Il y a château et château, comme il y a fagot et fagot. Le boutiquier retiré qui a acheté sur ses économies, comme le lieute
nant de la Dame Blanche, une ancienne ferme, et qui l’a remise entre les mains d’un maître-maçon pour la récrépir, dit fièrement : mon château. Je doute cependant que ce château soit un château. Jules Lecomte acheta, un jour, pour deux cent cin
quante francs, un vieux burg sur les bords du Rhin. C’était une masure, un nid à corbeaux, mais
c’était un château. Jules Lecomte pouvait se dire burgrave.
Mais la moindre bicoque agrandie ne donne pas droit au titre de châtelain, pas plus que la vie maus
sade du bon bourgeois, enfermé par la pluie d’automne dans sa salle de billard, n’est la vie de château.
Que de carambolages mélancoliques, durant les après-midi pluvieuses! Que de parties de chasse parles terres humides, où l’on ne rencontre pas une pièce de gibier et où l’on attrape plus de co
ryzas que de perdreaux ! Est-ce l’existence d’un castellan? Non, c’est une manière de prison qui donne pourtant au prisonnier le droit de dire fièrement :
Je mène la haute vie ! Je passe l’arrière-saison dans mes terres !
Parlez-moi de la vraie vie de château, avec dîner en cravate blanche et en robes décolletées, la vie à l’anglaise dans quelque vieux castel historique ou,
ce qui vaut tout autant, dans quelque somptueuse habitation Louis XIII, briques rouges et toits d’ar
doise, datant de 1844. On se pare comme pour un bal. On fait de s frais comme dans un dîner prié. On mène la chasse grand train et la vie à grandes guides, et l’on joue aux charades et aux comédies.
La charade d’ailleurs est bourgeoise. « Mon premier... Mon second... » Ce sont des plaisirs de devineurs de rébus. La comédie est plus relevée, plus cotée ! Explique qui pourra la chose, car enfin, pour improviser une charade, il faut parfois beau