ASSUNTA
(Suite.)
Il remonta chez Georges :
— Je l’avais oublié dit-il à l’ordonnance, le lieutenant m avait parlé, en effet, de sa promenade de ce matin, en me priant de vous avertir que si quelqu’un de ces messieurs, serait-ce le comman
dant, venait le voir, vous leur répondiez que le lieutenant s’étant trouvé indisposé pendant la nuit, veut dormir jusqu’au dîner; voilà la consigne ! vous entendez bien !
— Suffit, compris ! mon ingénieur, qu’on s’y conformera subséquemment.
Quand Edmond arriva seul à la pension, ce fut une exclamation générale des militaires et des civils ; les qualités aimables de Georges du Luc, sa belle humeur continuelle, sa générosité et aussi ses défauts en avaient fait l’enfant gâté de la réunion
dont il était le plus jeune;il résumait tellement en lui le caractère français, que les Corses l’avaient, dès l’abord, appelé il Francese, dénomination
bientôt adoptée par ses compatriotes eux-mêmes. Ajoutons qu’il était le neveu du colonel, ce qui ne contribuait pas peu à la considération et à la sympathie de ses chefs et de ses camarades.
— Ah ! il est enrkoumé, l’enfant ! dit le commandant ; nous monterons chez lui en allant au
café... je loui ferai apporter un lé de poule avec deux rouges d off; (le brave commandant tradui
sait ainsi littéralement l’expression italienne : msso d’ovo (jaune d’œuf)
Mais l’ingénieur les rassura, en les priant de la part du lieutenant de ne pas aller le déranger et promettant de l’amener à l’heure du dîner.
Puis prétextant une inspection à faire de son phare du Monte-Pertuzato après la terrible secousse qu’il avait dû essuyer de la tempête de la veille, il rentra chez lui.
— Combien de temps te faut-il, dit-il à son ordonnance, pour aller chercher les deux chevaux au maquis, le mien et celui du lieutenant ?
— Deux heures, mon ingénieur.
— Diable !... mais au fait, cela vaut peut-être mieux de partir à pied, continua-t-il en se parlant à lui-même ... Eh bien ! va les chercher et amèneles tous les deux, en suivant le chemin du bord de la mer, à la Piantarella où tu nous attendras... tu peux y être facilement en trois heures, je t’en donne trois et demie..
Il partit, jeta, en passant à la marine, un regard sur le Gioacchino, où ses deux vigilants gardiens dormaient toujours au soleil, et reprit en forçant sa marche le chemin suivi la veille par Georges et lui. Il s’arrêta sur une éminence d’où, masqué par les rochers et les myrtes, il pouvait embrasser à la fois tout l’horizon des Bouches, le chemin pierreux qui, par les éclaircies du maquis, serpente vers la ville, et à ses pieds, distante de demi-lieue, la cabane des pêcheurs avec la petite baie qui lui servait de port ; la barque n’y était pas.
Edmond arma son œil de la longue vue qu’il portait en bandoulière et explora les environs.
Autour de la maison, personne n’apparaissait, une légère fumée s’élevait du toit ; sur le rivage, personne. Au large, des voiles blanches, et sur la pointe de Lavezzi une embarcation qu’il lui sembla reconnaître pour celle de Paolo.,..
— Les pêcheurs sont en mer, se dit-il, mais lui où est-il ?... où diable est cet enragé?... le calme et le silence qui régnent partout me rassurent un peu cependant.... Faut-il l’attendre ici où il passera forcément pour s’en retourner ?... Ah ! voilà quel
qu’un qui sort de la cabane... c’est la vieille, elle regarde vers la mer... et autour d’elle... Ah ! elle ouvre la bouche comme pour appeler... (bonne lunette!...) elle rentre... évidemment, elle est seule... sa tille est dehors, c’est elle qu’elle appelait et qui tarde à rentrer, s’oubliant sans doute avec mon étourdi à l’ombre des myrtes ou derrière un rocher... les malheureux !... ils vont se laisser surprendre... il vaut mieux que j’aille à leur recherche... Ah ! grand Dieu ! les voilà!
En effet, Georges et la jeune fille, se tenant par la main, apparurent tout à coup au pied des falaises, par une échancrure en face du poste d’obser
vation de l’ingénieur. Cette ouverture se conti
nuait jusque là par une étroite vallée où coulait un mince ruisseau.
Les deux amoureux s’arrêtèrent et la jeune fille appuya sa tête sur la poitrine du jeune homme.
— Bon ! voilà qu’ils s’embrassent maintenant ! Ah! les imprudents!... hélas! c’en est fait! qui pourra désormais arrêter Georges ?... et comment tout ceci finira-t-il ?
Pour le moment, cela finit par des baisers qui n’en finissaient jamais; enfin, ils se quittèrent, la jeune fille disparut derrière la falaise et Georges remontant le cours du ruisseau, arriva à l’endroit où Edmond attendait sa venue.
Celui-ci le voyait s’avancer souriant et d’un air ravi ; et quand son ami, se démasquant, se dressa devant lui, Georges ne parut nullement surpris, tant il était transporté et se jeta à son cou.
— Ah ! mon ami, que je suis heureux ! s’écriat-il.
Ce n’était ni le moment ni le lieu pour l’ingéni;ur de placer un discours qui n’aurait pas d’ailleurs été écouté.
Le bonheur de Georges était expansif et se répandit en confidences pendant qu’ils reprenaient le chemin de Bonifacio.
Edmond apprit donc qu’après une nuit passée sans sommeil à rêver de la belle Napolitaine, en attendant le jour trop lent à venir, Georges, parti, sans plan arrêté, mais décidé à la revoir, était venu là se mettre en observation. Il avait pu ainsi assis
ter sans être vu au départ des pêcheurs ; ils étaient tous les quatre dans la barque qui n’avait pas tardé à disparaître entre les rochers de la côte et Cavallo. Il se disposait à aller vers la maison, quand la jeune fille portant un paquet de linge, avait paru à l’échancrure de la falaise, se dirigeant vers le lavoir formé par le ruisseau au milieu du petit vallon ; il était descendu rapidement et mas
qué par le feuillage et par les rochers, il était arrivé sans bruit devant elle.
La pauvre enfant avait failli s’évanouir à sa vue, mais bientôt revenue de son saisissement, elle avait pris la main qu’il lui tendait, et sans se dire une parole, leurs lèvres s’étaient rencontrées.
— Et vous pouvez vous dispenser, continua Georges, de me faire des observations ; je les vois, je les sais; vous me parlerez le langage de la raison et je n’ai plus la mienne et je ne veux plus l’avoir, quand je pense à ces deux heures de bon
heur dont le souvenir va remplir le reste de ma journée et dont le retour aura lieu demain.
— Comment ! vous voulez demain encore ?...
— Oui, mon ami, demain et après-demain et jours suivants, ne vous en déplaise! Mais, hélas! seulement jusqu’à samedi... car les pêcheurs par
tent tous pour Naples et ne reviendront que dans huit jours.... Ah ! qu’il me tardera de revoir le Gioacchino amarré au port de Bonifacio !
— A merveille ! mais comment expliquerezvous vos absences quotidiennes au commandant du batadlon et à vos camarades.
— D’abord, je ne suis pas de semaine, je n’ai aucune obligation de service et pourvu que je sois rentré le soir, avant dix heures, ni le capitaine ni
le commandant n’ont rien à dire.... Mais je veux êt -e prudent, surtout à cause d’elle ; j’irai tous les matins déjeûner à la pension, à midi, je partirai en chasse et après avoir passé deux heures avec elle, je trouverai à la Piantarella, où nous arrivons en ce moment, mon cheval amené par mon ordon
nance.... Tiens, mais le voilà!... eh bien! merci,
mon bon Edmond, c’est une galanterie de votre part dont je suis touché !... Vous m’évitez d’arriver
en retard au dîner et des explications toujours embarrassantes à donner, surtout à ce vieux bor
gne de commandant de place curieux et bavard comme une pie... Ah ! la bonne idée que vous avez eue ! allons, vous n’êtes pas aussi méchant que vous voulez le paraître !...
Le lendemain, à midi, malgré les représentations de son ami, Georges, après lui avoir défendu
de venir à sa rencontre, partit comme il l’avait annoncé, et à six heures il revenait le prendre pour aller dîner à la pension :
— Ha ! ouf!... fit-il, en contrefaisant les exclamations de soulagement que poussa Edmond en le
voyant entrer, je ne suis ni mort ai blessé, comme vous voyez. Eh bien ! croirez-vous maintenant qu’il y a quelque danger ?... Mais c’est absolument
comme en France, mon cher ami, le jaloux va à ses affaires et la belle trompe sa mère pour aller trouver son amoureux ! Ah ! mon ami ! qu’elle est belle !... et je vais bien vous étonner, mais pas plus
que je n’ai été surpris moi-même... Elle parle à ravir!... Vous vous figuriez peut-être que toute sa conversation était de dire oui et non : gnor si, gnofno, en son affreux patois napolitain ; eh bien ! mon cher, détrompez-vous, elle parle très bien le français et admirablement l’italien, le vrai, le pur toscan ; elle sait lire, écrire, compter et le reste; et qui lui a appris tout cela ? C’est notre ami, son Excellence le baron-bandit de Sanpietri, qu’elle aime comme un second père. Car le baron, voyant l’intelligence et les heureuses dispositions de sa
jeune élève a voulu payer pendant trois hivers sa pension chez les religieuses de 1 Immaculata, de sorte que la petite a reçu une éducation dont se contenteraient beaucoup de nos demoiselles du continent !
— Il ne vous reste donc plus, mon cher ami, qu’à dépêcher votre oncle le colonel marquis de Loupiac vers ses illustres parents pour aller leur demander sa main. Nul doute que Mme la com
tesse du Luc, votre mère et M. le comte votre frère aîné, secrétaire de l’ambassade de Vienne, ne se trouvent très flattés de cette alliance et que le glorieux général votre père tué devant Constantine n’en tressaille d’aise dans sa tombe !
— Vous êtes cruel, Edmond ! Ah ! je le sais, je ne puis l’espérer, et c’est ce qui, dans mon bon
heur, fait mon désespoir!... Oui, ma mère ! mon frère ! mon oncle ! Ah ! si ce n’étaient eux, je bra
verais tout, et le monde et ses préjugés pour faire ma femme de cette fille de pêcheurs!... car je l’aime, Elmond mon ami, à ne pouvoir vivre s-ans elle !...
— Mon pauvres Georges, je vous ai fait toutes les représentations que mon amitié me donnait le droit de vous adresser ; je vous ai montré votre amour insensé sous toutes ses faces, celle du mariage que vous tenez vous-même pour une folie impossible, celle d’une séduction qui devient alors une action mauvaise et dans ces circonstances par
ticulières, criminelle; vous persistez, malgré tout. Il ne me reste plus qu’à vous prier de ne plus me parler de ces amours dont je paraîtrais le complice et l’approbateur en écoutant vos confidences, et à faire des vœux pour qu’elles n’aient pas ce dénoûment terrible que je redoute et que j’aurai été impuissant à prévenir. Rappelez-vous donc que désormais, je veux tout ignorer, afin que rien ne vienne m’empêcher de demeurer votre ami.
— Ah ! oui, vous êtes mon ami, je le sais, mais vous êtes un rude ami ! (A suivre.)
Louis d’Amraloges. LE SALON NATIONAL
II
Nous voici arrivés à l’examen des œuvres exposées : celles qui nous sont montrées pour la première fois et qui méritent qu’on s’arrête devant elles, sont, en somme, le petit, le très petit nombre ; la plupart ont figuré à un des Salons de ces der
nières années, à celui de 1883 notamment, d’où on n’avait pas à les faire revenir de bien loin. Il est évident que nous ne demanderons pas à nos lec
teurs de reprendre avec nous l’étude de tous les tableaux et de toutes les statues dont nous avons parlé au mois de mai ; le but de l’Exposition est de nous permettre de jeter ui. coup d’œil collectif sur notre art contemporain ; c’est donc une revue d’ensemble que nous allons essayer, en passant ra
(Suite.)
Il remonta chez Georges :
— Je l’avais oublié dit-il à l’ordonnance, le lieutenant m avait parlé, en effet, de sa promenade de ce matin, en me priant de vous avertir que si quelqu’un de ces messieurs, serait-ce le comman
dant, venait le voir, vous leur répondiez que le lieutenant s’étant trouvé indisposé pendant la nuit, veut dormir jusqu’au dîner; voilà la consigne ! vous entendez bien !
— Suffit, compris ! mon ingénieur, qu’on s’y conformera subséquemment.
Quand Edmond arriva seul à la pension, ce fut une exclamation générale des militaires et des civils ; les qualités aimables de Georges du Luc, sa belle humeur continuelle, sa générosité et aussi ses défauts en avaient fait l’enfant gâté de la réunion
dont il était le plus jeune;il résumait tellement en lui le caractère français, que les Corses l’avaient, dès l’abord, appelé il Francese, dénomination
bientôt adoptée par ses compatriotes eux-mêmes. Ajoutons qu’il était le neveu du colonel, ce qui ne contribuait pas peu à la considération et à la sympathie de ses chefs et de ses camarades.
— Ah ! il est enrkoumé, l’enfant ! dit le commandant ; nous monterons chez lui en allant au
café... je loui ferai apporter un lé de poule avec deux rouges d off; (le brave commandant tradui
sait ainsi littéralement l’expression italienne : msso d’ovo (jaune d’œuf)
Mais l’ingénieur les rassura, en les priant de la part du lieutenant de ne pas aller le déranger et promettant de l’amener à l’heure du dîner.
Puis prétextant une inspection à faire de son phare du Monte-Pertuzato après la terrible secousse qu’il avait dû essuyer de la tempête de la veille, il rentra chez lui.
— Combien de temps te faut-il, dit-il à son ordonnance, pour aller chercher les deux chevaux au maquis, le mien et celui du lieutenant ?
— Deux heures, mon ingénieur.
— Diable !... mais au fait, cela vaut peut-être mieux de partir à pied, continua-t-il en se parlant à lui-même ... Eh bien ! va les chercher et amèneles tous les deux, en suivant le chemin du bord de la mer, à la Piantarella où tu nous attendras... tu peux y être facilement en trois heures, je t’en donne trois et demie..
Il partit, jeta, en passant à la marine, un regard sur le Gioacchino, où ses deux vigilants gardiens dormaient toujours au soleil, et reprit en forçant sa marche le chemin suivi la veille par Georges et lui. Il s’arrêta sur une éminence d’où, masqué par les rochers et les myrtes, il pouvait embrasser à la fois tout l’horizon des Bouches, le chemin pierreux qui, par les éclaircies du maquis, serpente vers la ville, et à ses pieds, distante de demi-lieue, la cabane des pêcheurs avec la petite baie qui lui servait de port ; la barque n’y était pas.
Edmond arma son œil de la longue vue qu’il portait en bandoulière et explora les environs.
Autour de la maison, personne n’apparaissait, une légère fumée s’élevait du toit ; sur le rivage, personne. Au large, des voiles blanches, et sur la pointe de Lavezzi une embarcation qu’il lui sembla reconnaître pour celle de Paolo.,..
— Les pêcheurs sont en mer, se dit-il, mais lui où est-il ?... où diable est cet enragé?... le calme et le silence qui régnent partout me rassurent un peu cependant.... Faut-il l’attendre ici où il passera forcément pour s’en retourner ?... Ah ! voilà quel
qu’un qui sort de la cabane... c’est la vieille, elle regarde vers la mer... et autour d’elle... Ah ! elle ouvre la bouche comme pour appeler... (bonne lunette!...) elle rentre... évidemment, elle est seule... sa tille est dehors, c’est elle qu’elle appelait et qui tarde à rentrer, s’oubliant sans doute avec mon étourdi à l’ombre des myrtes ou derrière un rocher... les malheureux !... ils vont se laisser surprendre... il vaut mieux que j’aille à leur recherche... Ah ! grand Dieu ! les voilà!
En effet, Georges et la jeune fille, se tenant par la main, apparurent tout à coup au pied des falaises, par une échancrure en face du poste d’obser
vation de l’ingénieur. Cette ouverture se conti
nuait jusque là par une étroite vallée où coulait un mince ruisseau.
Les deux amoureux s’arrêtèrent et la jeune fille appuya sa tête sur la poitrine du jeune homme.
— Bon ! voilà qu’ils s’embrassent maintenant ! Ah! les imprudents!... hélas! c’en est fait! qui pourra désormais arrêter Georges ?... et comment tout ceci finira-t-il ?
Pour le moment, cela finit par des baisers qui n’en finissaient jamais; enfin, ils se quittèrent, la jeune fille disparut derrière la falaise et Georges remontant le cours du ruisseau, arriva à l’endroit où Edmond attendait sa venue.
Celui-ci le voyait s’avancer souriant et d’un air ravi ; et quand son ami, se démasquant, se dressa devant lui, Georges ne parut nullement surpris, tant il était transporté et se jeta à son cou.
— Ah ! mon ami, que je suis heureux ! s’écriat-il.
Ce n’était ni le moment ni le lieu pour l’ingéni;ur de placer un discours qui n’aurait pas d’ailleurs été écouté.
Le bonheur de Georges était expansif et se répandit en confidences pendant qu’ils reprenaient le chemin de Bonifacio.
Edmond apprit donc qu’après une nuit passée sans sommeil à rêver de la belle Napolitaine, en attendant le jour trop lent à venir, Georges, parti, sans plan arrêté, mais décidé à la revoir, était venu là se mettre en observation. Il avait pu ainsi assis
ter sans être vu au départ des pêcheurs ; ils étaient tous les quatre dans la barque qui n’avait pas tardé à disparaître entre les rochers de la côte et Cavallo. Il se disposait à aller vers la maison, quand la jeune fille portant un paquet de linge, avait paru à l’échancrure de la falaise, se dirigeant vers le lavoir formé par le ruisseau au milieu du petit vallon ; il était descendu rapidement et mas
qué par le feuillage et par les rochers, il était arrivé sans bruit devant elle.
La pauvre enfant avait failli s’évanouir à sa vue, mais bientôt revenue de son saisissement, elle avait pris la main qu’il lui tendait, et sans se dire une parole, leurs lèvres s’étaient rencontrées.
— Et vous pouvez vous dispenser, continua Georges, de me faire des observations ; je les vois, je les sais; vous me parlerez le langage de la raison et je n’ai plus la mienne et je ne veux plus l’avoir, quand je pense à ces deux heures de bon
heur dont le souvenir va remplir le reste de ma journée et dont le retour aura lieu demain.
— Comment ! vous voulez demain encore ?...
— Oui, mon ami, demain et après-demain et jours suivants, ne vous en déplaise! Mais, hélas! seulement jusqu’à samedi... car les pêcheurs par
tent tous pour Naples et ne reviendront que dans huit jours.... Ah ! qu’il me tardera de revoir le Gioacchino amarré au port de Bonifacio !
— A merveille ! mais comment expliquerezvous vos absences quotidiennes au commandant du batadlon et à vos camarades.
— D’abord, je ne suis pas de semaine, je n’ai aucune obligation de service et pourvu que je sois rentré le soir, avant dix heures, ni le capitaine ni
le commandant n’ont rien à dire.... Mais je veux êt -e prudent, surtout à cause d’elle ; j’irai tous les matins déjeûner à la pension, à midi, je partirai en chasse et après avoir passé deux heures avec elle, je trouverai à la Piantarella, où nous arrivons en ce moment, mon cheval amené par mon ordon
nance.... Tiens, mais le voilà!... eh bien! merci,
mon bon Edmond, c’est une galanterie de votre part dont je suis touché !... Vous m’évitez d’arriver
en retard au dîner et des explications toujours embarrassantes à donner, surtout à ce vieux bor
gne de commandant de place curieux et bavard comme une pie... Ah ! la bonne idée que vous avez eue ! allons, vous n’êtes pas aussi méchant que vous voulez le paraître !...
Le lendemain, à midi, malgré les représentations de son ami, Georges, après lui avoir défendu
de venir à sa rencontre, partit comme il l’avait annoncé, et à six heures il revenait le prendre pour aller dîner à la pension :
— Ha ! ouf!... fit-il, en contrefaisant les exclamations de soulagement que poussa Edmond en le
voyant entrer, je ne suis ni mort ai blessé, comme vous voyez. Eh bien ! croirez-vous maintenant qu’il y a quelque danger ?... Mais c’est absolument
comme en France, mon cher ami, le jaloux va à ses affaires et la belle trompe sa mère pour aller trouver son amoureux ! Ah ! mon ami ! qu’elle est belle !... et je vais bien vous étonner, mais pas plus
que je n’ai été surpris moi-même... Elle parle à ravir!... Vous vous figuriez peut-être que toute sa conversation était de dire oui et non : gnor si, gnofno, en son affreux patois napolitain ; eh bien ! mon cher, détrompez-vous, elle parle très bien le français et admirablement l’italien, le vrai, le pur toscan ; elle sait lire, écrire, compter et le reste; et qui lui a appris tout cela ? C’est notre ami, son Excellence le baron-bandit de Sanpietri, qu’elle aime comme un second père. Car le baron, voyant l’intelligence et les heureuses dispositions de sa
jeune élève a voulu payer pendant trois hivers sa pension chez les religieuses de 1 Immaculata, de sorte que la petite a reçu une éducation dont se contenteraient beaucoup de nos demoiselles du continent !
— Il ne vous reste donc plus, mon cher ami, qu’à dépêcher votre oncle le colonel marquis de Loupiac vers ses illustres parents pour aller leur demander sa main. Nul doute que Mme la com
tesse du Luc, votre mère et M. le comte votre frère aîné, secrétaire de l’ambassade de Vienne, ne se trouvent très flattés de cette alliance et que le glorieux général votre père tué devant Constantine n’en tressaille d’aise dans sa tombe !
— Vous êtes cruel, Edmond ! Ah ! je le sais, je ne puis l’espérer, et c’est ce qui, dans mon bon
heur, fait mon désespoir!... Oui, ma mère ! mon frère ! mon oncle ! Ah ! si ce n’étaient eux, je bra
verais tout, et le monde et ses préjugés pour faire ma femme de cette fille de pêcheurs!... car je l’aime, Elmond mon ami, à ne pouvoir vivre s-ans elle !...
— Mon pauvres Georges, je vous ai fait toutes les représentations que mon amitié me donnait le droit de vous adresser ; je vous ai montré votre amour insensé sous toutes ses faces, celle du mariage que vous tenez vous-même pour une folie impossible, celle d’une séduction qui devient alors une action mauvaise et dans ces circonstances par
ticulières, criminelle; vous persistez, malgré tout. Il ne me reste plus qu’à vous prier de ne plus me parler de ces amours dont je paraîtrais le complice et l’approbateur en écoutant vos confidences, et à faire des vœux pour qu’elles n’aient pas ce dénoûment terrible que je redoute et que j’aurai été impuissant à prévenir. Rappelez-vous donc que désormais, je veux tout ignorer, afin que rien ne vienne m’empêcher de demeurer votre ami.
— Ah ! oui, vous êtes mon ami, je le sais, mais vous êtes un rude ami ! (A suivre.)
Louis d’Amraloges. LE SALON NATIONAL
II
Nous voici arrivés à l’examen des œuvres exposées : celles qui nous sont montrées pour la première fois et qui méritent qu’on s’arrête devant elles, sont, en somme, le petit, le très petit nombre ; la plupart ont figuré à un des Salons de ces der
nières années, à celui de 1883 notamment, d’où on n’avait pas à les faire revenir de bien loin. Il est évident que nous ne demanderons pas à nos lec
teurs de reprendre avec nous l’étude de tous les tableaux et de toutes les statues dont nous avons parlé au mois de mai ; le but de l’Exposition est de nous permettre de jeter ui. coup d’œil collectif sur notre art contemporain ; c’est donc une revue d’ensemble que nous allons essayer, en passant ra