Comme le politicien de 93 disait : « Il y a du Pitt et du Cobourg ! »
C’est un peu ridicule peut-être et je me garderais bien de soutenir un tel paradoxe... Mais... mais... mais...
Il y eut, un jour, à Paris, des journées sinistres qui portent dans l’histoire le nom de journées de Juin. On se tira, pendant qu’elles durèrent, un cer
tain nombre de coups de fusils à travers les rues de Paris. Où diable les insurgés avaient-ils trouvé l’argent pour acheter leur poudre? Un peu partout, sans doute, mais il fut établi, dans l’enquête
ordonnée par l’Assemblée nationale, et dont M. Quentin Bauchart fit le R ipport, que les thalers avaient, en cette affaire, joué leur rôle.
M. Magnier, inspecteur général des finances, a publié le relevé des principaux envois de monnaie d’or et d’argent faits par les voitures de l adminis
tration des messageries nationa es au départ de Saarrelouis pour Paris, du 2 mai au 30 juin 1848 : de Francfort, de Berlin et de Stettin il était arrivé à l’adresse de Kœnigswarter, David et Schkkler. Chapusot, Gouin, Fould et Fould Oppenheim un
million huit cent cinquante quatre mille huit cent cinquante francs.
Près de deux millions expédiés à Paris, dans un moment où l’argent se cachait volontiers et ne voyageait pas facilement. Ceci n’est pas de la chronique ou un on-dit, c’est de l’histoire.
Et il n’aurait pas était besoin d’un million pour faire sortir de leurs repaires, comme disait Gambetta, et lancer des rôdeurs de barrières sur le passage du roi d Espagne. Quelques demi-septiers eussent suffi.
Ainsi, nous avons vu, encore une fois, à Paris, une journée ! Dernièrement, M. Oscar Convenant racontait qu’à Auberine-en-Royans, vil
lage du Dauphiné, près de Valence, on. lui avait montré une bonne vieille femme parvenue à l’âge tout à fait vénérable de cent vingt-trois ans.
J’ignore le nom de cette centenaire, mais je sais qu’à Auberine elle mendie, la pauvre femme. Elle tend ses mains ridées aux passants. A cent vingttrois ans ! Il y a eu tout juste, au mois de janvier
dernier, cent ans — un siècle complet — qu’elle s’est mariée. Elle a été cantinière du temps du premier Empire, versantia rasade aux troupiers com
me la cantinière chantée par Béranger. Mariée, la pauvre femme avait eu deux fils. ToA deux ont été tués, il y a bien longtemps, l un à la bataille de Friedland, l’autre pendant la guerre d Espagne. Quelle existence !
Née en 1760! En 1760, conçoit-on cela! Que de rois, d’empereurs, de présidences, de républiques, de gouvernements provisoires (et depuis 1760 tous les gouvernements ont été provisoires chez nous) la bonne vieille d’Auberine-en-Royans a vu passer, naître, briller, disparaître, s’envoler en fumée !
Quels Mémoires que les Mémoires de cette centenaire ! Si elle avait seulement autant de cent francs qu’elle a vécu de gouvernements, pour parler comme elle, elle se croirait et serait riche. Est-il possible que la pauvre femme ne reçoive pas bien vite une pension de l’Etat ? Deux fils tués il y a plus de soixante ans, c’est un titre, hélas !
La Lancet, journal anglais de médecine, signale comme parvenue à un âge extraordinaire la vieille femme du Dauphiné Mais cet âge extraordinaire est, en même temps, un âge tout à fait digne de respect et je demande qu’on plaide, par tous les moyens possibles, la cause de la pauvre centenaire qui vit, là-bas, dans les montagnes.
Un secours ! Une pension ! Ce qu on voudra. Je ne verrais même pas d’un mauvais œil qu’on célé
brât pour elle une de ces Fêtes de la vieillesse qu’on avait mises à la mode, à la fin du dix-huitième siècle.
Les vieillards, ces grando enfants, sont là pour montrer ce que vaut un peuple. Une nation sejuge au respect qu’elle témoigne aux femmes et qu’elle garde aux vieilles gens.
Ah ! que les vieux Sont ennuyeux
Ne rien faire est ce qu ils font mieux!
disait Béranger vieilli. Il calomniait les vieux et sa vieillesse même.
Qu on n’oublie donc pas la bonne vieille d’Auberine, mais qu’on se hâte... qu’on se hâte... A cent vingt-trois ans, on a beau avoir pris l’habitude de la patience, on n’a guèie le temps d’attendre!
L’automne, qui se hâte un peu, lui, me semble venu. Il épeionne les Parisiens et fait soupirer
les collégiens. Le pupitre et les pions vous attendent. ô jeunes élèves ! Quels déchirements dans les familles ! L’enfant est triste, mais la mère n’est pas plus gaie.
— Tu viendras me voir au parloir, n’est-ce pas, maman ?
— Si j’irai te voir, mon cher petit !... — Souvent ?
— Toujours !
Et l’enfant rentre, le cœur gros et la mère se précipite, dès le jeudi qui suit, et dès le lendemain même, vers le parloir. Elle a les yeux un peu rou
ges, la mère. Lui, le petit, arrive, essoufflé. Ce sont ses joues qui sont rouges II joue aux billes, il a rencontré des camarades, il a presque oublié — l’ingrat — les caresses de la mère. Il l’embrasse ( n hâte, cette pauvre mère tout émue, qui lui glisse dans la main une pièce blanche et du chocolat, et, rapidement, il court retrouver son copain qui a engagé, pour deux, une partie de bloquetie.
Et la mère s’en va, trouvant qu il s’est consolé bien vite lorsqu elle se console si peu d’avoir l’ap
partement vide et de ne plus l’entendre trottiner, brûler ses capsules et casser les meubles !
Il y aura des séparations plus tristes encore pour les mères lorsqu’on aura pris l’habitude des lycées de filles ! Porteront-elles des képis, les lycéennes? On raille beaucoup ces ly ées. En France, où les étiquettes ont tant de puissance, on a peut-être eu tort d’appeler ces établissements des lycées. Le mot lycée porte à la raillerie facile. On aurait mis :
Pensionnats de jeunes filles, personne ou presque personne n’aurait protesté. Lycée Fénelon attire la verve des plaisanteries faciles. Je sais bien que les pédantes sont insupportables, mais, à voir combien peu sont agréables les femmes ignorantes encore aimé-je mieux les femmes instruites et, au besoin,
savantes. Je ne vois pas que la science, j’entends la connaissance des choses de littérature, d’art, d’his
toire, empêche une femme d être charmante. Estce que la science enlaidit ? Je ne crois pas. J’assurerai que non, jusqu’à preuve du contraire.
— L’idéal des imbéciles, disait Ivan Tourgueneff, c’est une femme bête. L’idéal des gens d’esprit, c’est une femme de cœur.
Or, il n’est pas démontré que la culture du cerveau nuise au développement du cœur.
Mais je m’arrête. Un pas de plus je tomberais dans la physiologie, si fort à l’ordre du jour pour le moment. Les restes de Tourgueneff sont partis pour la Russie. Ses amis se sont groupés une der
nière fois derrière son cercueil. Beaucoup, qui n’étaient pas allés à l’église de la rue Daru parce que c’était trop loin, se sont rendus à la gare du
Nord, parce que c’était plus près et à une heure plus commode. Et puis il n’est pas prudent de mourir en temps de villégiature! Les amis sont hors Paris.
L’autre jour, des détails nous ont été donnés sur le poids du cerveau de Tourgueneff. O prosecteurs éternels, on vous retrouve partout! Que nous im
porte le poids de la matière grise ! Ce sont ses œuvres, c’est son âme, ses écrits, ses créations qui m’importent ! On en viendra bientôt à parler du chyle ou du squelette d’un écrivain !
Les autopsies sont comme le reportage indiscret et le commérage de la science.
On parlait, l’autre jour, d’un écrivain, à qui nous avons trouvé du talent et qui a tenté de ral
lumer, en de petits cahiers, la Lanterne de Rochefort.
— Seulement, dit C..., c’est la Lanterne de Rochefaible !
Perdican. ASSUNTA
( Suite.) VIII
Malgré ses dernières affirmations, l’ingénieur n’avait nullement l’intention d’abandonner Geor
ges à cette passion absorbante et qui pourrait lui devenir fatale ; mais il voyait bien que dans ce commencement si violent, rien ne pourrait l’arrê
ter et, pour l’instant, il n’y avait qu’à le laisser faire.
Puis, dans la pensée d’Edmond, cette violence
de l’amour de Georges, paraissait un indice de son peu de durée. En arrêtant aussi ses confi
dences, dont tous les amoureux éprouvent l irrésistible besoin, pour alimenter leur passion, il espérait amener un peu de réflexion dans l’esprit de son ami.
Enfin, connaissant le caractère mobile du jeune officier, (ilfrancesé) il fondait son meilleur espoir dans cette absence de dix jours de la belle fille, partie pour les rivages napolitains, absence de nature neut-être à mettre un peu d’oubli dans le cœur de Georges, dont on pourrait alors entreprendre plus sûrement la guérison.
Mais tous ces beaux raisonnements n’empêchaient pas le prudent ingénieur d’avoir l’âme en proie à de sinistres pressentiments; il y avait en
core deux jours jusqu’au samedi, deux rendez-vous de Georges avec sa maîtresse; deux jours à redou
ter le couteau de Jacopo; et il fallait uniquement s’en rapporter à la Providence du soin de piotéger Georges deux fois encore.
En y réfléchissant, l’ingénieur conçut l’idée de jouer un peu le rôle de cette providence et de pren
dre à son compte la moitié de cette protection, en diminuant d’un jour les chances du péril.
C’est pourquoi le lendemain jeudi, après Je départ de Georges pour son rendez-vous, il se rendit chez le commandant Péri.
— JV ! ze vous croyais en susse avec le Francese, lui dit ce dernier d’un ton goguenard; ze l’ai vou partir il y a oune houre à peine.
— C’est précisément de lui que je viens vous entretenir, commandant, il s’agit d’un danger sérieux et j’ai pensé à vous pour m’aider à le prévenir.
— C’est à propos de quelque amourette, z’en souis soui ! Le lieutenant, ces deux derniers zours. est parti seul à pied, comme auzourd’hui, et il est revenou à cheval, touzours tout seul et avec des airs mystérioux... Mà, ce ne sont point mes affai
res, bien qu’oun commandant de place ne doive rien ignorer de ce qui se passe dans sa place.
— Cependant, commandant...
— Mà, moun cer, écoutez donc ! ze le leur ai dit à tous : ici, en Corse, mes bouns, regardez et ne toucez point ! Mirare mà non tocare son dolori dà crepare, ze le sais bien, per bacco ! mà ça vaut en
core mieux qu’oun coup d cstvlet dans le ventre ou
oune balle dans la tête... Ah! nous autres Corses nous ne plaisantons pas ! Votre ami n’a qu’à rester tranquille.
— Eh ! oui, sans doute, commandant, mais il ne peut pas rester tranquille! D’ailleurs, il n’y a pas de Corses en jeu, ni hommes, ni femmes, ni filles
Corses; mais vous ne me donnez pas le temps de m’expliquer.
Et Edmond, lui ayant fait promettre de garder le secret, lui raconta Fur nuit passée chez les pê
cheurs, l’amour subit du lieutenant et de la belle Napolitaine, leur rendez-vous quotidien et la ja
louse fureur du fiancé qui les guettait avec son grand couteau; il termina en disant qu’il était urgent de combiner un moyen pour empêcher Georges d’aller se faire assassiner, ce qui arriverait immanquablement tôt ou tard
Mais à sa grande surprise, le vieux guerrier se renversa dans son fauteuil, en éclatant de rire :
— Ah! c’est oune Napolitaine; je croyais que c’était oune fille ou femme de quelque berger corse... Le cas est différent !... et elle est jolie, vous dites?... Ah! l’heureux couquin!... Ah ! satigue de la gallina, il va bien, l’enfant!... Laissez-le donc s’amouser, mon cer, c est son âge... Ah! je vou
drais bien être à sa place, c’est-à-dire si z étais zcune !
— Mais, commandant, songez donc ! Jacopo ! le fiancé !...
— Loui ! quello napolitanaccio ! Ze m’en soucierai comme de ça (il cracha par terre). Ça ne sait pas tirer un brave coup de foucil comme nous... Il s’embousquera peut-être pour frapper un coup de couteau par derrière, et encore, s il l’ose... Mà le
cor manquera à la mam... et pouis le Francese n’est pas oun maladroit, il ne se laissera pas sourprendre... et pouis encore ce n’est point oun lâce;
il saura bien se défendre... Bah ! bah ! laissez-le s’amouser, vous dis-je.