enfin le motif de votre retard et la cause de votre entorse ? J étais dans une inquiétude mortelle !
— Je vous conterai tout cela en allant au café; mais chut ! voilà le commandant qui prononce un discours :
— Messieurs, disait le commandant, je souis obligé de vous quitter ; le dottcur m attend chez moi pour me renseigner sur l’état du pauvre ca
poral et du sergent que ce diable de Sanpietri a si malheureusement accommodés... et puis il me faut savoir si le lieutenant des voltigeurs est revenou...
oun bon commandant de place doit savoir tout ce qui se passe dans sa place... Mà zuste ! le voilà, le dotteur !... Entrez, dotteur, asseyez-vous, vous boi
rez un verre de virx de Tollano avec un biscuit... Commeut vont les blessés ?...
— Mon commandant, dit l’aide-major qui, étant marié, né mangeait pas à la pension, nous sauve
rons le caporal ; le stylet de Sanpietri n’a produit aucun désordre bien grave ; l’abondance du sang perdu a causé ce long évanouissement qu’on a pris pour la mort et l a sauvé, en évitant un épanche
ment intérieur. On croit que Sanpietri aurait pu
facilement le frapper au ventre et a voulu seu e- ment le blesser pour lui faire lâcher prise. Quant au sergent, il a l’épaule fracassée ; sa guérison est assurée, mais je ne pense pas qu’il puisse jamais plus se servir de son bras droit... Il avoue que San
pietri l’a épargné en ne lui tirant pas son coup de pistolet à bout portant dans la poitrine. Le sergent et les trois autres voltigeurs sont également una
nimes pour dire que Sanpietri, arrivé au haut des rochers, les avait tous les quatre à découvert, occu
pés à relever le caporal ; il aurait pu les fusiller et les balles de Sanpietri ne manquent jamais leur but.
— Ah! fit le commandant, tout cela sera consigné au procès-verbal que je dresserai concurrem
ment avec M. le zouze de pé... Les voltigeurs ont fait leur devoir de braves soldats, et quant à Sanpietri... quant à lui, messieurs... quant , à lui... il faut être zouste pour tout le monde.
On se leva de table et les deux amis purent enfin causer librement.
— Eh bien ? demanda Edmond.
— Eh bien! répondit Georges, j’ai failli être surpris. Les pêcheurs n’étaient pas sortis à cause du mauvais état de la mer. Placé en observation, après une longue attente, j’avais vu Assunta se diriger vers le lavoir, lieu de nos rendez-vous pré
cédents, et j’étais allé la rejoindre. Mais elle était émue et tremblante; elle me suppliait de fuir au plus vite, Jacopo et le petit Gioacchino étaient là, le long des falaises, occupés à pêcher des coquillages et pouvaient paraître d’un moment à l’autre.
Le vent de la mer nous apportait, en effet, le bruit de leurs voix et je n’eus que le temps de me glisser sous les massifs; pensant mieux couvrir ma fuite, je voulus sauter dans le ravin, mais j’avais mal calculé mon élan et je retombai sur un rocher pointu où mon pied tourna et craqua.
Je demeurai étendu à terre, ressentant une douleur aiguë, mais étouffant mes cris, car j’entendais au-dessus de moi parier l’enfant et Jacopo qui avaient rejoint Assunta.
Je restai là sans bouger jusqu’à ce que, n’entendant plus aucun bruit de voix, je me relevai avec grand’-peine. J’avais tout au plus réussi à faire deux cents pas dans la direction de la Piantarella, (car la douleur me forçait de m’arrêter à chaque instant), quand je vis le maquis s’agiter en face de moi et un homme apparut en pelone, fusil en main, cartouchière et pistolet au flanc.
Je reconnus le bandit Decio; il s’approcha, salua Ma Seigneurie et, me voyant blessé, me fit as
seoir, ôter le soulier et le bas de mon pied malade qu’il tira et tourna violemment, ce qui m’arracha un cri de douleur; puis, prenant mon pied nu dans ses mains, il y traça avec son pouce cinq ou six croix en long et en travers, en marmottant des mots inconnus.
(A suivre.)
Louis d’Ambaloges.
LE SALON NATIONAL
III
Est-ce chez les fervents de la mythologie que nous irons chercher la foi ? Naissance de Venus, de M. Bouguereau, Dalila et Bacchantes de M. Comerre, Nymphes, de M. Maillard, Diogène, de M. Layraud, Source du Tibre, de M. Boulanger, que nous importent, en vérité, toutes ces grandes machines, traitées avec des habiletés bien diverses, mais toutes également dépourvues d’inspiration, et par conséquent, de signification ? Le nu, c’est tout l’art, la chose est entendue depuis longtemps, et nous ne la discuterons pas à nouveau; mais est
ce la peine cependant d’être né au dix-neuvième siècle pour ne peindre que des dieux et des héros ?
Le nu, d’ailleurs, cesserait-il d’être le nu parce qu’il contiendrait une pensée ?
Nous n’en finirions pas si nous voulions entreprendre une revue tant soit peu complète de tout ce qui mérite d’être noté parmi les sept cents ta
bleaux de l’Exposition; mais les ouvrages qui ont figuré au dernier Salon y sont en telle majorité qu’on risque à chaque instant de tomber dans des redites dépourvues d’intérêt, aussi allons-nous es
sayer de marcher maintenant un peu vite, ne nous arrêtant que devant les œuvres nouvelles et cherchant surtout à marquer des tendances.
Voici tout d’abord une immense composition de M. Brozik, que nous voyons pour la première fois,
et dont nous n’avons encore rien dit; elle a pour sujet la Condamnation de Jean Husspar le concile de Constance; elle mesure sept mètres de large et a plus de quatre mètres de haut. Son auteur, élève de M. Piloty et de M. Munkacsy, a fait ses études à Prague ; il est, si nous ne nous uompons, après MM. Canon et Makart, un des plus brillants re
présentants de l’école autrichienne contemporaine; il n’est pas, d’ailleurs, un inconnu pour les Pari
siens, et nous nous rappelons qu’il obtint, au Salon de 1878, une seconde médaille pour une grande toile qui méritait davantage.
L’ordonnance générale a de la simplicité et de la grandeur; la scène se passe dans la cathédrale; le fond est occupé par le trône de l’empereur Sigismond; au premier plan, Jean Huss, qu’on vient de dépouiller de ses ornements sacerdotaux; en fatfe de lui, l’évêque de Madrid lisant le jugement qui condamne l’hérétique à être brûlé vit; tout autour, à droite et à gauche, la foule des seigneurs et des prélats; tout cela clair et largement composé, so
lennel sans emphase, mouveme’nté sans confusion, dénotant une remarquable entente de la couleur et de la lumière.
Il ne manque qu’une chose à cet ensemble presque irréprochable, c’est l’inspiration qu’on sent courir au travers d’une œuvre et qui lui donne la vie : cet empereur, qui avait donné un sauf-con
duit à l’accusé et qui l’abandonne lâchement aux
vengeances ecclésiastiques est absolument dépourvu de caractère, et dans tous ces personnages, dans tous ces groupes agencés avec un rare talent on cherche en vain l’expression des haines violentes dont le supplice de Jean Huss ne fut que la première explosion; nous assistons à une condamnation quel
conque, non à celle d’un illuminé dont les parti
sans vont, pendant de longues années , ensanglanter l’Allemagne.
Quant à l’exécution, qui est pleine d’habileté, elle a le tort grave d’ignorer absolument l’art des sacrifices ; tout y est également soigné, coloré, éclatant; c’est une série de morceaux dont la juxta
position ne suffit pas à faire une œuvre complète, ayant son unité, avec son point de départ et ses accessoires.
Il y a aussi quelque chose de factice et de trop évidemment voulu dans cette tonalité générale d’un brun roux que semblent affectionner les pein
tres autrichiens; il se peut que l ensemble y gagne en somptuosité; mais qu’on essaie seulement de placer la toile de M. Brozik entre deux tableaux de vrais coloristes, entre un Véronèse et un Dela
croix par extmple, on verra alors tout ce qu’il y a de pauvreté sous Cette apparence de richesse où l’or n’est trop souvent qu’un clinquant de facture.
Quoi qu’il en soit, du reste, de nos observations, l’œuvre de M. Brozik demeure une des plus im
portantes de ce nouveau Salon, et sans prétendre l’imiter, nos débutants d’aujourd’hui et d’hier pourront y trouver d’utiles enseignements.
Ils sont là presque tous, les représentants de notre jeune école, cherchant encore plus ou moins leur voie, mais intéressants, en somme, à retrouver
ainsi réunis, et npus autorisant à ne pas désespérer de l’avenir. Voici M. Rochegrosse, avec son Andromaque du dernier Salon : est-ce le changement de place, ou bien l’artiste a-t-il repris quelques détails ? Nous ne savons, mais il nous semble que les panaches des Troyens sont moins flamboyants et leurs mouvements moins désordonnés; à côté de cette œuvre, qui est d’un artiste et nous promet un peintre, le Dante et Virgile, de M. Martin, n’a pas fait un progrès pour mériter cette première médaille qui fut pour nous un sujet de stupéfaction, il y a quatre mois.
La grande comoosition de M. Besnard, Après la Défaite, qui fait face à celle de M. Brozik, n’a pas gagné non plus, depuis 1880; c’est du mélodrame hien cadavéreux.
M. Georges Bertrand retrouvera-t-il le succès qui avait accueilli son allégorie patriotique de 1881 ? — Nous ne le pensons pas; le tableau ce
pendant a toujours de la tenue et conserve rie la vigueur; c’est une peinture autrement solide que celle de son Printemps, sans dessin et sans modelé du mois de mai dernier.
Le Sacrifice de la famille à la patrie, de M. Moreau de Tours, du Salon de 1881, est une des rares œuvres d’art décoratif qui soient logiquement com
prises et solidement exécutées; la réalité humaine et vivante y est entière, tout en s’élevant au-dessus du fait individuel et en conservant sa signification largement compréhensive. Puis ce sont les pein
tres de la Révolution, M. F. Flamen g, avec son Appel des Girondins à la Conciergerie; M. Scherrer, avec sa Capitulation de Verdun, qui a pris du re
lief en n’étant plus exposée dans l’immense salle où elle était mangée par la lumière.
M. Le Blant nous montre son Exécution du général de Cliarctte et son Bataillon carré., deux pages superbes d’histoire sobre et éloquente ;
M. Cormon nous revient avec son Caïn, qui ne serait certes pas une chose agréable à avoir dans sa chambre à coucher, mais qui dénote un fier tempérament et fait songer à une inspiration de poésie épique. Puis ce sont les Foins et la Saison d oc
tobre de M. Bastien-Lepage, qui n’ont rien perdu ni de leurs défauts ni, ce qui prouve beaucoup, de leurs prestigieuses qualités; quel dommage qu’un peintre aussi personnel que M. Bastien-Lepage s obstine, sous prétexte de plein air, à enlever les silhouettes de ses figures sur des paysages qui leur donnent l’apparence de grandes découpures. Pein
dre, c’est trouver les rapports entre les divers per
sonnages et le milieu où ils se meuvent; qu’on se rappelle, en ce sens, l Accouchée de M. Duez.
Après les disciples, les maîtres : M. Cabanel a demandé au muste de Montpellier sa Phèdre de 1880; il y a joint deux scènes tirées de la Bible. Quel talent d’exécution, mais aussi quel étrange choix d’accessoires ! Et comme nous le préférons dans ses portraits, où il n’a plus devant lui que Ja nature ! M. Jean-Paul Laurens a fait sortir du Luxembourg ses Emmurés de Carcassonne de l’an passé, qu’il a mis à côté de son Pape et Inqmsiteur de cette année. Toujours vigoureux, M. Laurens, et cherchant avant tout le caractère !
N’allons pas oublier le nu, représenté par l’éclatante Baigneuse de M. Mercié, par la Psyché de M. Jules Lefebvre, toujours fidèle au culte des for
mes sveltes et élégantes ; par l’Andromède de M. Henner, le peintre de chairs aux reflets ivoirés.
Cette dernière, notamment, que nous n’avions point vue encore, est un morceau incomparable; jamais l’artiste n’est arrivé à un résultat plus souple. plus fondu, plus lumineux.
Nous arrivons à la peinture de genre : c’est ici surtout que les noms se présentent en foule, que les divisions seraient innombrables. Est ce de la peinture de genre que cette magnifique Espagnole de M. Falguière, qui a laissé tomber son éventail pour brandir son poignard ? Et les robustes Mois
sonneurs de M. Lhemiitte, et les Marins de M. Ulysse Butin, et les rêveries poétiques de M. Jules Breton, et la Veuve de M. Renouf, et les exqui
ses compositions de M. Heilbuth, et la gracieuse Aurore de M. Parror, et les tristesses de M. Israëls,
et le Batelage de M. Haquette. autant d’œuvres toutes personnelles, où l’artiste peint ce qu’il sent et ce qu’il voit, sans se préoccuper de la catégorie où il sera rangé.
Plus loin, ce sont les vues parisiennes de M. de Nittis, les curieux effets de lumière de M. Jean Béraud, les spirituelles inventions de M. Vibert, les souvenirs d’Espagne de M. Worms, les coquet tes petites femmes de M. Toulmouche, les scènes d’intérieur de M. Dantan et de M. Dagnan-Bou
— Je vous conterai tout cela en allant au café; mais chut ! voilà le commandant qui prononce un discours :
— Messieurs, disait le commandant, je souis obligé de vous quitter ; le dottcur m attend chez moi pour me renseigner sur l’état du pauvre ca
poral et du sergent que ce diable de Sanpietri a si malheureusement accommodés... et puis il me faut savoir si le lieutenant des voltigeurs est revenou...
oun bon commandant de place doit savoir tout ce qui se passe dans sa place... Mà zuste ! le voilà, le dotteur !... Entrez, dotteur, asseyez-vous, vous boi
rez un verre de virx de Tollano avec un biscuit... Commeut vont les blessés ?...
— Mon commandant, dit l’aide-major qui, étant marié, né mangeait pas à la pension, nous sauve
rons le caporal ; le stylet de Sanpietri n’a produit aucun désordre bien grave ; l’abondance du sang perdu a causé ce long évanouissement qu’on a pris pour la mort et l a sauvé, en évitant un épanche
ment intérieur. On croit que Sanpietri aurait pu
facilement le frapper au ventre et a voulu seu e- ment le blesser pour lui faire lâcher prise. Quant au sergent, il a l’épaule fracassée ; sa guérison est assurée, mais je ne pense pas qu’il puisse jamais plus se servir de son bras droit... Il avoue que San
pietri l’a épargné en ne lui tirant pas son coup de pistolet à bout portant dans la poitrine. Le sergent et les trois autres voltigeurs sont également una
nimes pour dire que Sanpietri, arrivé au haut des rochers, les avait tous les quatre à découvert, occu
pés à relever le caporal ; il aurait pu les fusiller et les balles de Sanpietri ne manquent jamais leur but.
— Ah! fit le commandant, tout cela sera consigné au procès-verbal que je dresserai concurrem
ment avec M. le zouze de pé... Les voltigeurs ont fait leur devoir de braves soldats, et quant à Sanpietri... quant à lui, messieurs... quant , à lui... il faut être zouste pour tout le monde.
On se leva de table et les deux amis purent enfin causer librement.
— Eh bien ? demanda Edmond.
— Eh bien! répondit Georges, j’ai failli être surpris. Les pêcheurs n’étaient pas sortis à cause du mauvais état de la mer. Placé en observation, après une longue attente, j’avais vu Assunta se diriger vers le lavoir, lieu de nos rendez-vous pré
cédents, et j’étais allé la rejoindre. Mais elle était émue et tremblante; elle me suppliait de fuir au plus vite, Jacopo et le petit Gioacchino étaient là, le long des falaises, occupés à pêcher des coquillages et pouvaient paraître d’un moment à l’autre.
Le vent de la mer nous apportait, en effet, le bruit de leurs voix et je n’eus que le temps de me glisser sous les massifs; pensant mieux couvrir ma fuite, je voulus sauter dans le ravin, mais j’avais mal calculé mon élan et je retombai sur un rocher pointu où mon pied tourna et craqua.
Je demeurai étendu à terre, ressentant une douleur aiguë, mais étouffant mes cris, car j’entendais au-dessus de moi parier l’enfant et Jacopo qui avaient rejoint Assunta.
Je restai là sans bouger jusqu’à ce que, n’entendant plus aucun bruit de voix, je me relevai avec grand’-peine. J’avais tout au plus réussi à faire deux cents pas dans la direction de la Piantarella, (car la douleur me forçait de m’arrêter à chaque instant), quand je vis le maquis s’agiter en face de moi et un homme apparut en pelone, fusil en main, cartouchière et pistolet au flanc.
Je reconnus le bandit Decio; il s’approcha, salua Ma Seigneurie et, me voyant blessé, me fit as
seoir, ôter le soulier et le bas de mon pied malade qu’il tira et tourna violemment, ce qui m’arracha un cri de douleur; puis, prenant mon pied nu dans ses mains, il y traça avec son pouce cinq ou six croix en long et en travers, en marmottant des mots inconnus.
(A suivre.)
Louis d’Ambaloges.
LE SALON NATIONAL
III
Est-ce chez les fervents de la mythologie que nous irons chercher la foi ? Naissance de Venus, de M. Bouguereau, Dalila et Bacchantes de M. Comerre, Nymphes, de M. Maillard, Diogène, de M. Layraud, Source du Tibre, de M. Boulanger, que nous importent, en vérité, toutes ces grandes machines, traitées avec des habiletés bien diverses, mais toutes également dépourvues d’inspiration, et par conséquent, de signification ? Le nu, c’est tout l’art, la chose est entendue depuis longtemps, et nous ne la discuterons pas à nouveau; mais est
ce la peine cependant d’être né au dix-neuvième siècle pour ne peindre que des dieux et des héros ?
Le nu, d’ailleurs, cesserait-il d’être le nu parce qu’il contiendrait une pensée ?
Nous n’en finirions pas si nous voulions entreprendre une revue tant soit peu complète de tout ce qui mérite d’être noté parmi les sept cents ta
bleaux de l’Exposition; mais les ouvrages qui ont figuré au dernier Salon y sont en telle majorité qu’on risque à chaque instant de tomber dans des redites dépourvues d’intérêt, aussi allons-nous es
sayer de marcher maintenant un peu vite, ne nous arrêtant que devant les œuvres nouvelles et cherchant surtout à marquer des tendances.
Voici tout d’abord une immense composition de M. Brozik, que nous voyons pour la première fois,
et dont nous n’avons encore rien dit; elle a pour sujet la Condamnation de Jean Husspar le concile de Constance; elle mesure sept mètres de large et a plus de quatre mètres de haut. Son auteur, élève de M. Piloty et de M. Munkacsy, a fait ses études à Prague ; il est, si nous ne nous uompons, après MM. Canon et Makart, un des plus brillants re
présentants de l’école autrichienne contemporaine; il n’est pas, d’ailleurs, un inconnu pour les Pari
siens, et nous nous rappelons qu’il obtint, au Salon de 1878, une seconde médaille pour une grande toile qui méritait davantage.
L’ordonnance générale a de la simplicité et de la grandeur; la scène se passe dans la cathédrale; le fond est occupé par le trône de l’empereur Sigismond; au premier plan, Jean Huss, qu’on vient de dépouiller de ses ornements sacerdotaux; en fatfe de lui, l’évêque de Madrid lisant le jugement qui condamne l’hérétique à être brûlé vit; tout autour, à droite et à gauche, la foule des seigneurs et des prélats; tout cela clair et largement composé, so
lennel sans emphase, mouveme’nté sans confusion, dénotant une remarquable entente de la couleur et de la lumière.
Il ne manque qu’une chose à cet ensemble presque irréprochable, c’est l’inspiration qu’on sent courir au travers d’une œuvre et qui lui donne la vie : cet empereur, qui avait donné un sauf-con
duit à l’accusé et qui l’abandonne lâchement aux
vengeances ecclésiastiques est absolument dépourvu de caractère, et dans tous ces personnages, dans tous ces groupes agencés avec un rare talent on cherche en vain l’expression des haines violentes dont le supplice de Jean Huss ne fut que la première explosion; nous assistons à une condamnation quel
conque, non à celle d’un illuminé dont les parti
sans vont, pendant de longues années , ensanglanter l’Allemagne.
Quant à l’exécution, qui est pleine d’habileté, elle a le tort grave d’ignorer absolument l’art des sacrifices ; tout y est également soigné, coloré, éclatant; c’est une série de morceaux dont la juxta
position ne suffit pas à faire une œuvre complète, ayant son unité, avec son point de départ et ses accessoires.
Il y a aussi quelque chose de factice et de trop évidemment voulu dans cette tonalité générale d’un brun roux que semblent affectionner les pein
tres autrichiens; il se peut que l ensemble y gagne en somptuosité; mais qu’on essaie seulement de placer la toile de M. Brozik entre deux tableaux de vrais coloristes, entre un Véronèse et un Dela
croix par extmple, on verra alors tout ce qu’il y a de pauvreté sous Cette apparence de richesse où l’or n’est trop souvent qu’un clinquant de facture.
Quoi qu’il en soit, du reste, de nos observations, l’œuvre de M. Brozik demeure une des plus im
portantes de ce nouveau Salon, et sans prétendre l’imiter, nos débutants d’aujourd’hui et d’hier pourront y trouver d’utiles enseignements.
Ils sont là presque tous, les représentants de notre jeune école, cherchant encore plus ou moins leur voie, mais intéressants, en somme, à retrouver
ainsi réunis, et npus autorisant à ne pas désespérer de l’avenir. Voici M. Rochegrosse, avec son Andromaque du dernier Salon : est-ce le changement de place, ou bien l’artiste a-t-il repris quelques détails ? Nous ne savons, mais il nous semble que les panaches des Troyens sont moins flamboyants et leurs mouvements moins désordonnés; à côté de cette œuvre, qui est d’un artiste et nous promet un peintre, le Dante et Virgile, de M. Martin, n’a pas fait un progrès pour mériter cette première médaille qui fut pour nous un sujet de stupéfaction, il y a quatre mois.
La grande comoosition de M. Besnard, Après la Défaite, qui fait face à celle de M. Brozik, n’a pas gagné non plus, depuis 1880; c’est du mélodrame hien cadavéreux.
M. Georges Bertrand retrouvera-t-il le succès qui avait accueilli son allégorie patriotique de 1881 ? — Nous ne le pensons pas; le tableau ce
pendant a toujours de la tenue et conserve rie la vigueur; c’est une peinture autrement solide que celle de son Printemps, sans dessin et sans modelé du mois de mai dernier.
Le Sacrifice de la famille à la patrie, de M. Moreau de Tours, du Salon de 1881, est une des rares œuvres d’art décoratif qui soient logiquement com
prises et solidement exécutées; la réalité humaine et vivante y est entière, tout en s’élevant au-dessus du fait individuel et en conservant sa signification largement compréhensive. Puis ce sont les pein
tres de la Révolution, M. F. Flamen g, avec son Appel des Girondins à la Conciergerie; M. Scherrer, avec sa Capitulation de Verdun, qui a pris du re
lief en n’étant plus exposée dans l’immense salle où elle était mangée par la lumière.
M. Le Blant nous montre son Exécution du général de Cliarctte et son Bataillon carré., deux pages superbes d’histoire sobre et éloquente ;
M. Cormon nous revient avec son Caïn, qui ne serait certes pas une chose agréable à avoir dans sa chambre à coucher, mais qui dénote un fier tempérament et fait songer à une inspiration de poésie épique. Puis ce sont les Foins et la Saison d oc
tobre de M. Bastien-Lepage, qui n’ont rien perdu ni de leurs défauts ni, ce qui prouve beaucoup, de leurs prestigieuses qualités; quel dommage qu’un peintre aussi personnel que M. Bastien-Lepage s obstine, sous prétexte de plein air, à enlever les silhouettes de ses figures sur des paysages qui leur donnent l’apparence de grandes découpures. Pein
dre, c’est trouver les rapports entre les divers per
sonnages et le milieu où ils se meuvent; qu’on se rappelle, en ce sens, l Accouchée de M. Duez.
Après les disciples, les maîtres : M. Cabanel a demandé au muste de Montpellier sa Phèdre de 1880; il y a joint deux scènes tirées de la Bible. Quel talent d’exécution, mais aussi quel étrange choix d’accessoires ! Et comme nous le préférons dans ses portraits, où il n’a plus devant lui que Ja nature ! M. Jean-Paul Laurens a fait sortir du Luxembourg ses Emmurés de Carcassonne de l’an passé, qu’il a mis à côté de son Pape et Inqmsiteur de cette année. Toujours vigoureux, M. Laurens, et cherchant avant tout le caractère !
N’allons pas oublier le nu, représenté par l’éclatante Baigneuse de M. Mercié, par la Psyché de M. Jules Lefebvre, toujours fidèle au culte des for
mes sveltes et élégantes ; par l’Andromède de M. Henner, le peintre de chairs aux reflets ivoirés.
Cette dernière, notamment, que nous n’avions point vue encore, est un morceau incomparable; jamais l’artiste n’est arrivé à un résultat plus souple. plus fondu, plus lumineux.
Nous arrivons à la peinture de genre : c’est ici surtout que les noms se présentent en foule, que les divisions seraient innombrables. Est ce de la peinture de genre que cette magnifique Espagnole de M. Falguière, qui a laissé tomber son éventail pour brandir son poignard ? Et les robustes Mois
sonneurs de M. Lhemiitte, et les Marins de M. Ulysse Butin, et les rêveries poétiques de M. Jules Breton, et la Veuve de M. Renouf, et les exqui
ses compositions de M. Heilbuth, et la gracieuse Aurore de M. Parror, et les tristesses de M. Israëls,
et le Batelage de M. Haquette. autant d’œuvres toutes personnelles, où l’artiste peint ce qu’il sent et ce qu’il voit, sans se préoccuper de la catégorie où il sera rangé.
Plus loin, ce sont les vues parisiennes de M. de Nittis, les curieux effets de lumière de M. Jean Béraud, les spirituelles inventions de M. Vibert, les souvenirs d’Espagne de M. Worms, les coquet tes petites femmes de M. Toulmouche, les scènes d’intérieur de M. Dantan et de M. Dagnan-Bou