HISTOIRE DE LA SEMAINE
Les vacances n’ont pas précisément pacifié le monde parlementaire et la rentrée des Chambres nous promet quelques émotions.
La session extraordinaire qui va commencer le 22 octobre ne peut qu’ê.re sinon bien remplie au moins bien occapée car, sans parler du budget qui n’est pour ainsi dire pas commencé, les interpella
tions et les incidents sont déjà depuis 1 angtemps annoncés par douzaines.
Il est vrai que cela peut se réduire à une seule bataille car, au fond, sous ses apparences compliquées. la question est bien simple : la grande que
relle qui va se vider — et qui recommencera bien
des fois encore — est encore et sera toajours la vieille, l’éternelle querelle entre les modérés et les radicaux.
Elle se présente aujourd’hui sous des formes et avec des incidents nouveaux. Mais, en changeant les noms et les circonstances, on n’a pas changé le fond des choses.
Il est vrai que les circonstances ne manquent pas de piquant ni les incidents d’imprévu. Le per
sonnage, tout à fait original, de M. Wilson, donne aux escarmouches préliminaires dont nous venons d’être témoins un cachet particulier qui n’est peut-être pas celui de la correction mais qui, certainement, n’est pas celui de la banalité.
Par une série d’accidents et d’anomalies dont il serait trop long de faire le récit, M. Wilson in
carne, aux yeux du public, le ministère Freycinet — c’est-à-dire le parti des « libéraux » en opposi
tion avec les gambettistes, désignés aujourd’hui sous le vocable d autoritaires.
M. Ferry—j’ai souvent eu l occasion de vous le rappeler — a dù, pour se faire une majorité, grouper autour de lui les restes du centre-gauche et les gambettistes. Et, par la force même des choses, autant que par les efforts de M. Ferry, les modérés ont emprunté aux gambettistes leur esprit autoritaire, pendant que les gambettistes, je dis radicaux, allaient dans la modération jusqu’au modérantisme.
Par un phénomène pareil, mais en sens contraire, les amis de M. Freycinet, autrefois modérés,
quoique libéraux, devenaient radicaux par leur allianceavecl’extrême-gauche pendant que l’extrêmegauche, autrefois autoritaire et jacobine, devenait libérale à tous crins au commerce des libéraux.
Et à cette heure, les camps sont ainsi formés et chaque jour se délimitent plus étroitement, malgré la confusion apparente de ces derniers jours.
Ce qui, surtout, peut dérouter le public, peu fait aux singularités de la tactique parlementaire, c’est
le vacarme étrange qui se fait autour du nom de M. le général Thibaudin- et l’introduction dans toute cette affaire du nom de M. Grévy.
M. le général Thibaudin n’est qu’un accident, tout au plus un prétexte, une occasion. Sans vou
loir apprécier sa valeur personnelle, dont il n’a pas eu le temps de donner la mesure, je crois que sa valeur sur l’échiquier politique était surtout une « valeur de position », ou même, si l’on veut, une « valeur d’opposition ». Son entrée au ministère n’eût d importance que parce qu’elle impliquait la sortie des princes d’Orléans de l’armée; et sa sortie du ministère n’a l’importance exagérée dont on la grossit que parce qu’elle semble indiquer la rentrée des orléanistes dans la majorité de M. Ferry.
Ce n’est pas d’hier que date la guerre faite à M. Thibaudin par M. Ferry. Je vous ai dit l’an passé qu’on avait pris M. le général Thibaudin
pour faire une besogne déterminée et que, cette besogne faite, on comptait se débarrasser de lui ;— et de M. Tirard. Plus d’une fois je vous ai dit qtie le rêve de M. Ferry était d’avoir au ministère M. Campe non et M. Léon Say. Mais, soutenu par la gauche radicale, M. Thibaudin se cramponnait et ne se laissait pas extirper.
En même temps, M. Wilson — sans grand succès, il est vrai, mais non pas sans désagréments
pour M. Ferry— faisait au ministère une véritable « guerre au couteau » que M. Ferry lui rendait de son mieux. Gendre de M. Grévy, M. Wilson avait dans son jeu quelques bonnes cartes; mais il avait aussi des ménagements -à garder, qu’il paraît n’a­
voir pas gardés suffi iamment et dont l’oubli l’a mis à peu près hors de combat. A cette heure, M. Wil son, qui ne fut jamais très populaire, est, pour les ennemis du ministère, un allié plu > compromettant que sérieux.
Toutefois, si M. Wilson ne pataîc pas avoir retiré grand avantage des derniers événements, il n’est pas sans avoir fait subir quelques désavantages à M. Ferry, ne serait-ce que les froissements
— inévitables, malgré la correction impassible de M. Grévy — qui, certainement, se sont produits entre M. le président du conseil et M. le président de la République. Certainement M. Grévy, quels que puissent être ses sentiments personnels, ne se jettera pas dans la lutte. Mais sa sympathie ou sa froideur ne sont point sans importance dans une bataille parlementaire. S il ne les traduit pas en actes, il a des amis qui s’inspirent de ses senti
ments. M. Gambetta, même au temps de sa toute puissance, en fit l’épreuve à son détriment lorsque vint devant le Sénat la question du scrutin de liste. A cette, époque, il vous en souvient sans doute, entre l’Elysée et le Palais-Bourbon une lutte sourde se produisait, qui ne finit pas à l’avantage de M. Gambetta Et c’est là un précédent qui a sa gravité pour M. Ferry.
Le départ de M. Thibaudin et la rentrée de M. Campenon sont, il est vrai, des succès pour M. le président du conseil. Jusqu’au jour de l’inci
dent espagnol, M. le général Thibaudin tenait la corde et, spécialement dans la question du Tonkin
— oùM. Ferry n’eff pas sans avoir besoin d’un bill d’indemnité — le ministre de la guerre pouvait être dangereux à l’occasion. Mais l’incident espagnol a changé la situation. Pour vouloir trop bien
jouer, M. Thibaudin s’est découvert et M. Ferry s’est hâté d’en profiter. Peut-être même en a-t-il profité trop et la nomination de M. le général Campenon est un acte de hardiesse grande.
Il est certain que, dès maintenant, il y a bataille engagée et que le jour même de la rentrée pourrait bien être unjour de combat.
Quelles sont les chances probables ? C’est assez délicat à dire, parce qu’il y a plus d’nn élément à faire entrer dans le calcul. Cependant, je crois que, sans se compromettre, on peut prévoir que M.Ferry, pour cette fois encore, demeurera vainqueur. Mais, d’une part, sa majorité se trouvera forcément cir
conscrite et son programme bien rétréci. D autre part, l’appui que lui donneront les orléanistes — dont le rôle commence et dont il faudra que je vous précise prochainement la situation — est un appui bien dangereux pour un ministère républicain.
Bref, le budget n étant pas encore vote, les probabilités sont grandes que la Chambre ne voudra pas risquer une crise ministérielle.
Mais gare la seconde quinzaine de janvier!
Elections. — Sénatoriale. Constantine : M. Forcioli, bâtonnier de l’ordre des avocats de Constantine, candidat radical. 11 s’agissait de remplacer M. Lucet, décédé.
Démission de M. le général Thibaudin, ministre de la guerre, à la suite de la manifestation du 29 septembre contre le roi d’Espagne. Le vice-amiral Peyron, ministre de la marine et des colonies, est chargé de l’intérim.
Démission de M. Oustry, préfet de la Seine.
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Décret nommant le général Campenon ministre de la guerre.
Le général Campenon est né à Tonnerre en 1819. Sorti de Saint-Cyr en 1840, il entra comme sous-lieutenant élève à l’école d’application d’état-major et fut nommé lieutenant en 1843. Promu capitaine le 13 mars 1849, il refusa, après le 2 décembre, de prêter serment et dut quitter la France. Il se rendit en Tunisie et contribua à réorganiser les troupes de la Régence.
Quelques années plus tard, il reprit du service en France et fit successivement les campagnes d’Algérie et d’Italie. Il fut promu chef d’escadron le 1“” juillet 1859.
Il prit part ensuite à l’expédition de Chine et le général Cousin de Montauban le nomma lieutenant-colonel à la suite de la bataille de Palikao.
Colonel du 16 juillet 1870, il fut, au début de la guerre, chef d’état-major du général Legrand, lequel commandait une des divisions de civalerie de l’arm ie de Metz. Grièvement blessé à la célèbre charge de ca
valerie de Gravelotte, où le général Legrand tut tué, il fut transporté à Metz. Après la capitulation, il fut interné à Aix-la-Chapelle.
Général de brigade en 1875, de division en 1879, il était commandant de la 50 division à Paris lorsque M. Gambetta lui confia le portefeuille de la guerre en 1881, portefeuille qu’il déposa en 1882 lors de la démis
sion du ministère. Il est grand officier de la Légion d’honneur.

Autriche-Hongrie. — L’entente entre le gouvernement hongrois et le parti national croate peut être con
sidérée comme un fait accompli. Les demandes des députés croates ayant été acceptées par M. Tisza, le parti national prend la responsabilité du maintien de i’ordre en Croatie. Les conditions de cette entente vont être prochainement soumises aux délibérations du parlement hongrois.
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Serbie. — Démission du ministère et constitution d’un nouveau cabinet, sous la présidence de IM. Nicolas
Christitch, vice-président du conseil d’Etat, qui a pris le portefeuille de l’intérieur. Ce cabinet ne présente qu’un changement de personnes.
4 octobre : Le président du conseil se présente devant la Skouptchina et donne lecture d’un décret autorisant l’ouverture de la session et approuvant l’élection du président de l’Assemblée, puis, sans descendre de la tri
bune, il lit un autre décret prononçant la clôture. Cette session devait être uniquement consacrée à la ratification de la convention des chemins de fer. Le gouverne
ment serbe se charge de cette ratification, qui ne peut être ajournée au de la du 15 octobre, sauf à la soumettre ultérieurement aux délibérations des députés. Que va faire le parti radical?
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Suède et Norvège. — Commencement, le 4 septembre, du procès des ministres à Christiania. En Norvège, il n’y a qu’une seule Chambre, le Storthing. Le roi gouverne à l’aide des ministres, pris en dehors de la Chambre et n’assistant pas à ses délibérations. Son droit de veto ne s’étend pas aux lois de finances et, pour les autres, il ne peut l’exercer que deux fois sur le même objet. La lutte entre la Chambre et les minis
tres s’est engagée d’abord à propos du droit de veto que la première voulait de plus en plus restreindre, puis, plus tard, par suite d’une résolution prise par l’Assem
blée, tendant à astreindre les ministres à assister à ses séances. De plus, le Storthing vota l’adjonction de commissaires choisis dans son sein aux chefs des dé
partements ministériels nommés par le roi. A deux reprises, lisant de son droit de veto, le roi refusa de sanctionner ces mesures, mais la troisième fois, pour.se tirer d’embarras, les ministres refusèrent à leur tour de soumettre à la sanction du roi les résolutions votées. De là le procès. Les ministres sont jugés par le Stor
thing. Ils sont au nombre de onze, y compris les trois conseillers d’Etat résidant auprès du roi à Stockolm. Ils seront jugés séparément.
Sur la demande de la défense, les débats sont renvoyés au 19 octobre.
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Nécrologie. — M. le général Demolon. Il appartenait à l’arme de l’infanterie. Promu au grade de général de brigade en 1870, il avait été admis à la retraite en 1878. Il était commandeur de la Légion d’honneur.
M. Edmond Roselli-Mo.let, député de l’Ain. Fils de l’ancien représentant à l’Assemblée législative de 1846 et petit-fils du conventionnel de ce nom, il était né le 30 janvier 1842. Emmené en Belgique par son père, qui fut exilé après le coup d’Etat du 2 Décembre, il fit ses études dans ce pays. 11 prit part à l’insurrection de la Commune et fut obligé de se réfugier en Suisse; il ne rentra en France qu’après l’amnistie de 1879. Aux élections législatives du 21 août 1881, il se porta dans l’arrondissement de Belley (Ain) et fut élu contre
M. Chaley, député sortant. M. Roselli-Mollet siégeait à l’extrême-gauche.
M. Paul-Emile Giraud, ancien député, ancien conseiller général de la Drôme et ancien président du tribunal de commerce. Il avait fait partie de la Chambre des députés, de 1830 à 1846, et avait siégé au centre. M. Giraud était en outre un archéologue fort érudit. Fondateur de la Société archéologique de la Drôme et mem
bre du comité des travaux historiques, il a écrit de nombreux ouvrages et mémoires, parmi lesquels on
cite son lissai sur la ville de Romans, qui a été couronné par l’Institut. Il était né le 27 novembre 1792.
M. le baron Van Nagell Van Ampsen, doyen des anciens membres du Parlement de Hollande. Il était né en 1784, avait été nommé chambellan du roi Guil
laume F1 en 1814, et élu, en 1822, par la province de Gueldre membre de la seconde Chambre, où il siégea iusqu’en 1849.