aujourd’hui, et qui s’évapore demain pour faire place à une fantasmagorie nouvelle. Il y a une force de fond, un goût de la vérité qui sauve de leur destin fragile toutes ces productions adoptées par l’engouement éphémère. Cet engouement pourrait cesser ici et s’éprendre ailleurs de formes inférieures que l’œuvre de M. René Lalique n’en subsisterait pas moins.
Elle semble, précisément parce qu’elle reflète d’une certaine manière l’esprit d’un temps, et parce qu’elle soutient ce rôle avec une rare so
lidité, devoir constituer un des chapitres de cette histoire du bijou
qui se confond avec l’histoire de l’humanité.
Elle doit cette solidité à ceci, que M. René
Lalique est un naturiste amoureux des manifes
tations de la vie, et qu’il se refuse à falsifier ses observations. Regardez chaque pièce de son œuvre : le don d’inven
tion s’y manifeste par la conception de l’ensemble mais chaque détail est traité avec le soin rigoureux quiobéit au vrai. Le don d’invention met d’accord l’objet avec son ornementation, trouvela forme générale, l’archi
tecture, le style. L’étude du détail est infiniment scrupuleuse, respecte la forme et le caractère des choses avec le même souci qui est celui des
artistes japonais. C’est là, si M René Lalique est habile, qu’il montre une habileté : c’est celle de tous les artistes qui se refusent à déserter la nature, qui savent trouver en elle l’aliment perpétuel, toujours renouvelé, de leur art.
Ici, il faut encore préciser. Non seulement M.René Lalique choisit, dans le monde infini des formes existantes, ce qui peut servir ses desseins, non seulement il emploie ces aspects vivants tels qu’ils se présentent, de préférence à toutes les combinaisons géométrales et décoratives, mais encore, et c’est alors qu’intervient la personnalité de son talent, il ne transforme pas en « natures mortes » ces oiseaux, ces insectes, ces
reptiles, ces fleurs, qu’il a regardés et surpris dans leur liberté native. Il leur garde cette vie qui est la leur, il transporte dans la matière le frisson qui est dans la réalité. Précieux don, faculté rare, c’est par là que l’art de M. Réné
Lalique peut défier la mode qui le favorise, c’est par là qu’il échappe à la clientèle des snobs et qu’il se rit du triomphe et du délaissement. L’artiste sait, en effet, que la grande réserve des
formes, des mouvements, des couleurs, ne sera jamais épuisée, qu’il y a
là de quoi satisfaire au travail de tous les ar
tistes d’aujourd’hui et de demain, et que tous ceux qui sont et tous ceux
qui viendront ne feront encore qu’effleurer cette immense vie toujours renaissante sous les yeux nouveaux. Quand on sait cela, on sait l’essentiel,
il n’y a plus qu’à vivre, qu’à voir la vie et qu’à l’exprimer.
Aussi, à ce Salon de 1901, où l’on pouvait croire que l’artiste allait répéter l’effort applaudi l’an dernier à l’Exposition, on se trouve en pré
sence d’une floraison
nouvelledece talentriche en sève. C’est une subite harmonie de blan
cheurs, poursuivie jusquedans l’ornementation de la vitrine flanquée à ses quatre angles de ser
pents de verre qui ont la transparence claire et grise de coulées de glace. C’est ce délicieux gris clair qui alterne avec les blancs immaculés dans la plupart des bijoux qui sont là. La couleur mêlée à ces lumières et à ces ombres est infini
ment légère, dosée avec une précaution savante pour garder toute sa valeur à la blancheur domi
nante, neige dorée de soleil ou bleuie de nuit, nuances d’ivoire, d’opale, d’argent, que revêtent cette fois les formes par lesquelles l’artiste sait rendre sensible sa vision de la vie.
C’est ce don particulier que j’ai voulu reconnaître pour résumer mon impression des
productions d’aujourd’hui et d’hier. Pour les figures féminines, pour la greffe de formes fémi
RENÉ LALIQUE