numero 26 Novembre 1960


L ART DÉCORATIF




LA PEINTURE DÉCORATIVE




A L’EXPOSITION


M on confrère Henri Frantz a traité ici mème.
en juillet dernier, de la peinture décorative à l’Exposition universelle ; mais la matière était si vaste qu’il n’a pu l’épuiser complètement et qu’il m’autorise à glaner derrière lui quelques épis magnifiques.
Parmi les œuvres dont je veux parler, quatre surtout sont belles et significatives; elles résument les qualités les plus aimables de notre race, elles fleurent en outre notre meilleure
grâce parisienne. Dans la cité miraculeusement surgie où toutes les villes du monde ont apporté leurs richesses et leur parfum, il était juste que Paris donnât en chaque genre sa note incompa
rable, la mesure de son unique génie. Il les a données, pour la peinture décorative, avec le maître Cheret. Au pavillon des Magasins du Printemps, il faut voir le plafond du grand artiste. Dominant l’arsenal où ses armes sont fourbies, le lieu où ses charmes s’élaborent, les objets parmi lesquels sa joliesse évolue, les toi
lettes frissonnantes et les dessous mousseux qui doublent sa grâce capiteuse, la Parisienne plane
au ciel bleu. En robe rose, des fleurs aux mains, un chapeau de paille sur ses cheveux roux, elle tournoie éperdument. Le soleil aux plis de sa jupe répand, furtif, des ombres mauves; le vent
découvre ses jambes gantées de soie, sesjambes sveltes et rondes, merveilles d’allègre volupté. Une compagne aux voiles oranges, des enfants partagent ses jeux, et c’est un spectacle exquis;
des clartés de corolles se mêlent à des lueurs de bras nus; des colombes passent parmi les couples; une ombrelle vogue, chargée de roses, sur la croupe rose d’un nuage!... Dites-moi, toute la femme avec ses rires, ses coquetteries,
sa pensée frivole, son cœur fantasque, son âme légère, toute la femme de Paris ne vit-elle pas en cette jolie fille évoquée par Cheret?
A l’entrée de la classe 71, l’apparition se renouvelle. Effrontément moulée dans une robe d’un jaune changeant, tantôt soufre et tantôt
rose-thé, la jolie fille agite toujours ses douces jambes spirituelles; elle tient d’une main une statuette, bibelot dont son regard s’amuse, elle lève de l’autre main son éventail; elle a ce geste adorable, impérieux, qui mène les hommes ser
viles, qui commande à toutes les puissances de volupté, et qui fait en ce moment ondoyer autour d’elle une seconde chaîne d’enfants rieurs. Un rideau richement drapé, un palmier nain sur une console indiquent ici un décor de salon; mais les murs se sont ouverts, l’air vient d’affluer par ondes vibrantes et la Parisienne
plane, cette fois encore, en plein azur. Image incomparable de couleur harmonieuse, de mouvement emporté et rythmique, vision unique de grâce et de joie, chant de l’alouette au matin clair, essor sous le vrai ciel gaulois de la plus libre, de la plus immatérielle fantaisie!
Lorsque je parle de Cheret, je prends naturellement le ton du dithyrambe. Aussi bien ce maître est exquis. Parmi nos artistes, s’il n’est pas le plus grand, il est du moins le plus fran
çais, français de France et français de Paris.
Mieux que les nobles toiles du Poussin, mieux que les fresques sublimes de Puvis de Chavannes, ses œuvres reflètent les traits essentiels de notre caractère national, et, quand tout vien
drait à crouler, quand notre peuple disparaîtrait avec les monuments de son activité, une seule affiche de Cheret, retrouvée par miracle, suffi
rait pour évoquer aux races nouvelles notre art charmant, notre esprit vif et clair.
En même temps que Cheret, magicien prestigieux, abstracteur très subtil de « parisine », l’entrée de la classe 71 nous montre le dessina
teur Steinlen. Seul un artiste de ce mérite
pouvait faire figure auprès du maître. Dans sa frise, en quatre panneaux, il groupe, formes et couleurs, les éléments de la décoration, les feuillages et la mer, les paons oscellés, les bleuets, les hélianthes, les dahlias, les trèfles
rosés, les campanules, les bouillons blancs, et l’on goûte l’ingénieuse simplicité de sa compo
sition, la franchise de sa palette, son dessin large et volontaire. Peintres au chevalet, enfants