FRISE AU POCHOIR, CL. 88.
et femmes cueillant des fleurs, jeunes filles suspendant des lanternes vénitiennes, ouvrières penchées sur leur broderie, tous ses personnages sont saisis dans la vérité de leur geste et l’accent même de leur nature. Le narrateur fécond de l’existence des faubourgs, l’observateur amusé,
réfléchi, pitoyable de l’atelier et de la rue, nous montre une fois de plus l’image d’une humanité un peu souffrante, un peu pâlie, mais qui porte courageusement le lourd souci de vivre. Et c’est après Cheret, après les enchantements de l’ima
gination, le charme plus humble et plus poignant du réel.
Au Pavillon de l’« Union centrale des Arts décoratifs », voilà maintenant le grand panneau d’Albert Besnard. Il nous ramène à la fantaisie,
une fantaisie qui par le tour rappelle Watteau et par l’accent l’étrange poète des «Fêtes galantes ». Des montagnes au bord d’un lac dé
roulent leur chaîne magnifiquement, leur pied disparaît sous de sombres verdures, leur cime se couronne de nuages roses, violets et orangés. Une petite ville se penche là-bas sur le miroir des eaux splendides. Au premier plan, à gauche, c’est un coin d’île avec un arbre qui monte, élé
gante silhouette, coupant la ligne harmonieuse des monts. Parmi l’herbe profonde et molle deux ou trois couples sont assis Auprès d’eux se trouvent des vaisselles d’or, des fruits, des vins dans des cristaux. Les amantes en leurs robes ouvertes ont une grâce moite et savoureuse; les amants couronnés de fleurs goûtent les nuques, les lèvres fondantes, les grenades, les vins dorés. Des satyres, sur un banc de pierre, jouent du triangle et du tambourin; les sons bourdonnent sauvages, passionnés, lascifs,
menant la ronde éperdue des désirs. Cependant des barques s’en viennent de la ville, guidées par de sveltes bateliers. Une femme attend les
passagers, debout, la jupe enflée au vent, avec des gestes de bon accueil. Mais les arrivants trahissent on ne sait quelle angoisse, sentiment de l’heure trop brève, effroi des trop proches voluptés? Ils entendent la musique des satyres. Ils aperçoivent celui là qui quête, dans une sé
bile de bois, le prix de l’excitant concert, et les pieds de bouc, les cornes aiguës, la face camuse leur sont une soudaine et déplaisante image des réalités de l’Amour. L’humble divinité sylvestre leur apparaît sournoise et fatidique comme
RUTYFRISE PEINTE AU PAVILLON DES MAGASINS DU PRINTEMPS
FÉLIX AUBERT