HISTOIRE DE LA SEMAINE
Les amateurs de bataille parlementaire ont de quoi se trouver désappointés. La rentrée des Chambres, en effet, s’est accomplie dans un calme pres
que édifiant.De toutes les ardeurs belliqueuses que manifestaient naguère à l’envi les opposants d’ex
trême gauche et le président du conseil, il n’est resté qu’un embarras marqué de l’extrême gauche, obligée au silence après un bruit excessif et, dans le ministère un vif désir de tranquillité après des démontrations quelque peu risquées.
Aussi bien quelque envie que les partis puissent avoir d’en venir aux mains, chacun se rend compte que le moment n’est pas bon pour livrer une ba
taille. Trop de questions sont en suspens et ne peuventêtreajournées saris degraves inconvénients. Le budget, trois fois préparé et trois fois modifié dans ses bases par les événements, n’est pas même encore à l’état de rapport. Et, bien qu’après tout le vote de douzièmes provisoires ne soit point en lui-même bien calamiteux, le gouvernement et l’opposition elle-même craindraient d’inquiéter l’opinion publique en se mettant dans la nécessité de recourir à cet expédient.
Et, en effet, le suffrage universel médiocrement familier avec les choses financières, peu savant en matière de budget, sujet d ailleurs à s’emouvoir fa
cilement de ce qu’il ne comprend pas, éorouve, il faut bien le reconnaître, une sorte de frayeur à l’idée de douzièmes provisoires. Csla s’explique d’ailleurs assez naturellement. Depuis 1870, les
douzièmes provisoires ont coïncidé toujours avec des périodes d’alarme ou d’agitation; presque tou
jours ils marquaient une crise, soit qu’on fût dans rimpossibilhé de terminer à temps le budget, soit que la Chambre, comme en octobre 1877, sefît une arme du refus du budget et meuaçâj le gouverne
ment de ne lui donner qu’un par un les douzièmes provisoires.
Puis, les conventions avec les Compagnies de chemins de fer ne sont point encore définitives. Il y manque le vote du Sénat ; et si, d’aventure, une crise emportait le ministère, il se pourrait qu’un cabinet nouveau abandonnât les conventions ou voulût, tout au moins, les modifier. Le cas n’est pas probable, mais il serait à la rigueur possible ; et, en tout cas, la grande majorité des députés tient trop au vote définitif des conventions pour les exposer aux hasards d’une crise ministérielle.
D’autre part, l extrême gauche, mal engagée pour une interpellation utile, n’est point pressée de prendre l’offensive. Elle comprend, un peu tard,
il est vrai, mais très clairement, qu’elle a fait une fausse manœuvre en « s’emballant » sur la question Thibaudin. Et il est devenu évident que le général Thibaudin lui-même, après avoir fort adroite
ment manœuvré contre ses collègues, — lesquels,
depuis son entrée au ministère, ne songeaient qu’à l’en expulser,—a fait une faute et prêté le flanc dans l’affaire espagnole.
Dans la question du Tonkin, le général tenait, comme on dit, « le bon bout ». Pour faire de l’op
position, la question du Tonkin était, en effet, un excellent terrain. Le ministre de la guerre refu
sant des soldats pour une expédition lointaine se trouvait couvert par un texte constitutionnel ; il se conformait aux votes du Parlement ; et, d’autre part, il avait le droit de répondre qu’il ne pouvait désorganiser l’armée en affaiblissant tel ou tel corps. Cette Situation d’un ministre faisant opposi
tion au cabinet pouvait être singulière, mais du moins les prétextes étaient correcis. De plus, M. le général Thibaudin, en cette occasion, pouvait compter sur la Chambie, parce que la peur des
aventures guerrières est grande dans le pays et que l’intervention d’un ministre de la guerre contre la guerre ne pouvait manquer de faire grand effet.
Mais dans l’affaire espagnole, les rôles étaient intervertis. La manifestation à laquelle le général Thibaudin, qu’il le voulût ou non, s’était virtuelle
ment associé c’avait été qu’une maladresse et non pas sans danger. Elle avait failli nous créer au dehors des difficultés désagréables et, dans le pays comme dans, le Parlement, elle devait soulever une défiance d autant plus grande qu’on croyait voir, — à tort ou à raison — derrière le roi d’Espagne, le casque pointu de M. de Bismarck.
Aussi M. Ferry, comprenant la situation, n’a pas hésité à l’exploiter vigoureusement. Il s’est, du coup, débarrassé de M. le général Thibaudin qui le gênait depuis son entrée au ministère; et il a provoqué l’extrême gauche au combat, sentant parfai
tement que, sur ce terrain la bataille était facile et la victoire certaine.
L’cx.rême gauche, sur le premier moment, avait beaucoup crié. Pour elle le coup était dur de per
dre le seul ministre qui l’eût jamais représentée dans le gouvernement. Mais autre chose est d’exhakr son ressentiment dans les journaux, autre chose de porter une attaque à la tribune. L’extrême gauche a dû s avouer à elle-même qu’une interpella
tion sur le cas de M. Thibaudin réussirait médio
crement et qu’un ordre du jour motivé sur le départ du général ferait un fiasco des plus solennels.
C’est pourquoi l’extrême-gauche est on ne peut plus embarrassée. D’autant que la gauche radicale, fort désireuse de renverser le gouvernement— plus désireuse peut-être que l’extrême-gauche, parce qu’elle peut prendre le pouvoir, ce que l’extrêmegauche ne peut pas espérer — la gauche radicale,
dis-je, se plaint amèrement que les maladresses de l’extrême-gauche aient compromis la situation.
Voilà pourquoi la rentrée s’est faite avec tant de calme. On a cherché vainement sur quoi l’on pour
rait bien interpeller, et on n’a pas trouvé une jonction stratégique suffisante pour engager la ba
taille. Et voilà ce qui fait de trois ou quatre partis tous résolus à se prendre aux cheveux, une Chambre toute décidée à rester tranquille.
Ainsi, d’une part, difficulté grande d’attaques ; d’autre part, besoin et presque nécessité d’achever les conventions et le budget avan: de risquer une crise, voilà ce qui maintient la paix parlementaire.
Nous aurons donc encore une fois la « trêve des confiseurs ».
A moins que, sur la politique extérieure du gouvernement, un débat ne s’engage à propos de la Chine. Si, comme ii est possible, nous arrivons à une rupture avec le Tsong-Li-Yamen, la Chambre pourrait bien se fâcher. Cette fais, c’est le man
darin qui peut « tuer son homme » en remuant le doigt. Le sort du cabinet Ferry se trouve — mo
mentanément, il faut l’espérer — entre les mains du marquis de Tseng.
Ouverture de la session extraordinaire du Parlement, le 23 octjbre.
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Sénat. — Séance d’ouverture. — Le président fait I’éioge funèbre de MM. Dutilleul, Bernard, Juval, Joubert et Victor Lefranc, sénateurs, décédés pendant les vacances. — Tirage au sort des bureaux. — Dépôt par le ministre des travaux publics de deux projets de loi relatifs aux conventions avec les Compagnies des che
mins de fer de l’Est et de l’Ouest, déjà votés par la Chambre des députés, et renvoi de ces projets à la Commission qui sera nommée dans les bureaux pour exami
ner les conventions déjà conclues avec les autres Compagnies des chemins de fer.
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Chambre des députés. —Dans sa séance du 22 octobre, la commission du budget repousse les proposi
tions rectificatives du budget de 1884 présentées par le ministre des finances, et adopte à l’unanimité, comme base des évaluations budgétaires les résultats des douze derniers mois, sans les majorer. Elle nomme M. Rouvier rapporteur général.
Séance d’ouverture. — Tirage au sort des bureaux. — Le ministre de l’intérieur demande à la Chambre de mettre en tète de son ordre du jour la deuxième délibé
ration sur le projet relatif à l’organisation municipale. Adopté. Viendront ensuite dans l’ordre suivant : la discussion de la loi sur les inhumations, celle sur les Sociétés de secours mutuels, et celle des propositions relatives au cumul.— Une proposition de M. de Baudryd’Asson, tendant à ce que la Chambre ne suspen
dît ses travaux que le dimanche, et qu’elle réservât le mercredi pour la discussion « des nombreuses questions et interpellations qui ne manqueront pas de se produire », est repoussée. — Le ministre des finances dépose un projet de loi portant modifica
tion du budget général des recettes et des dépenses de 1884. Le projet est renvoyé à la commission du budget. — Finalement, le ministre de la marine dépose un pro
jet portant concession de croix et médailles militaires, à l’occasion des opérations effectuées au Tonkin, à Hué et à Madagascar.
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Décrets. — Le général Forgemol de Bostquénard, commandant le corps d’occupation de Tunisie est appelé au commandement du 11e corps d’armée, à Nantes, en remplacement du général Zentz d’Alnois, arrivé au terme de son commandement.
Décret fixant les attributions du nouveau sous-secrétaire d’Etat à la guerre, M. Jean Casimir-Périer. Ces attributions comprennent la surveillance administrative de l’Ecole supérieure de guerre, les dépenses des che
mins de fer de campagne, de la télégraphie militaire et du dépôt de la guerre. Le sous-secrétaire d’Etat est
chargé de l’établissement du budget, de la liquidation des dépenses des armées, de la comptabilité, des archives admnistratives et du service intérieur du ministère.
Les écoles militaires et d’application, les services de la
solde, des vivres, des fourrages, de l’habillement et du campement, ceux des poudres et salpêtres et de la santé relèvent encore du sous-secrétariat de la guerre. Enfin,
toute proposition concernant le personnel du corps du contrôle de l’administration de l’armée, des services administratifs, du corps de santé et de l’administration centrale ne sera soumise au ministre qu’avec l’avis mo
tivé du sous-secrétaire d’Etat. Celui-ci peut, en outre, assister à toutes les réunions de commissions lorsqu’il le juge nécessaire.
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Rapport adressé au président de la République, dans lequel le ministre de la marine et des colonies signale la nécessité de constituer auprès de l’administration de la marine et des colonies, un conseil supérieur qu’elle puisse consulter en matière coloniale. L’utilité de: cette création se justifie par les réformes que réclame la législation coloniale, qui a besoin d être revisée et simplifiée.
Des mesures doivent, en outre, être prises en vue du développement de la prospérité matérielle de nos colonies; il est nécessaire d’aborder résolument les difficultés multiples que soulèvent les questions d’immi
gration et de colonisation. « Pour remplir à la satisfaction de la métropole et de la France coloniale la tâche vrai
ment considérable qui Li incombe, l administration a besoin, dit le ministre, du concours d’hommes notoirement connus pour leur compétence en matière coloniale.
Ce rapport est suivi d’un premier décret qui institue le conseil supérieur des colonies, définit sa composition et dispose que le conseil supérieur est appelé à donner son avis sur les projets de loi, de règlement d’administration publique ou de décret concernant les colonies et, en général, sur toutes les questions coloniales que le ministre soumet à son examen. Il peut être chargé par le ministre de procéder à des enquêtes sur ces questions. Il présente annuellement un rapport sur ses travaux au ministre de la marine et des colonies. Ce rapport est imprimé et distribué aux Chambres.
Un autre décret constitue le conseil supérieur des colonies.
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Publication au Journal officiel du cinquième mouvement judiciaire. Ce mouvement est le dernier opéré en vertu de la loi du 30 août dernier et complète la réorganisation du personnel judiciaire.
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conseil municipal de paris.— Ouverture, le 22 octobre, de la première séance de la troisième session or
dinaire du conseil. Le bureau sortant est maintenu. Le nouveau préfet de la Seine est présent et prononce un discours conciliant. D’ans sa réponse, M. Mathé, prési
dent du conseil municipal, après avoir manifesté « le regret que le gouvernement n’ait pas choisi pour succé
der à M. OusU\y un homme rompu à la pratique de
l’organisation, si complexe et toute spéciale, de la ville de Paris », exprime la confiance que le nouveau préfet de la Seine « se joindra au conseil pour prendre en main
et défendre les intérêts de la grande cité républicaine dont les droits, a-t-il dit, sont méconnus depuis si long
temps, malgré les réclamations incessantes de ceux qui ont reçu de la population le mandat de la représenter. »
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Portugal. — M. Serpa-Pimentel, ministre des affaires étrangères, ayant démissionné, les modifications suivantes ont été apportées à la composition du minis
tère : sont nommés, M. H. Bucaze, ministre des affaires étrangères; M. Pinheiro Chagas, ministre de la marine; M. Aguiar, ministre des travaux publics. M. Hintze Ribeiro, ministre des finances, gérera par intérim le ministère des travaux publics pendant l’absence de M. Aguiar qui accompagne actuellement le prince héritier.
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Nécrologie. — M. Martin Bernard, ancien représentant du peuple.
L’un des insurgés du 12 mai 1839, il fut traduit devant la cour des pairs.-Condamné à la déportation, il passa plusieurs années au Mont-Saint-Michel, puis à la prison de Doullens. La révolution de Février lui rendit la liberté; il devint alors commissaire de la République française dans les départements du Rhône, de la Loire, de la Haute-Loire et de l’Ardèche et réussit à empêcher l’explosion de la guerre civile.
Nommé représentant du peuple par le département de la Loire à l’Assemblée constituante et réélu à la Lé
gislative, il siégea constamment sur les bancs de la Montagne, et fit une opposition énergique au prince Louis-Napoléon. Le mouvement du 13 juin 1849, auquel il prit part, le fit traduire devant la Cour martiale, mais il réussit à se réfugier en Belgique d’où il passa en An
gleterre; il ne rentra en France qu’après l’amnistie de 1859. Il se tint à l’écart de Il politique sous l’empire; en 1871, il fut élu représentant de la Seine à l’Assemblée nationale et siégea à l’extrême gauche.
Il ne se représenta point aux élections de 1876 et vé
cut presque oublié depuis.