COURRIER DE PARIS
Rentrée de la Politique, drame ou comédie en plusieurs tableaux, avec changements à vue, ballets ou balais de ministères, intermèdes d’interpellations et combats à Vhache, comme dans les vieilles nièces militaires du boulevard du Temple.
Rentrée du froid, léger encore, mais piquant, par les matins frileux. Rentrée des fourrures qu’on avait mises en garde chez le fourreur pour passer l’été. Rentrée des villégiatures interrompues par ce prochain jour des morts qui interrompt la vie de château et ramène un peu tout le monde à Paris, ne fùt-ce que le temps d’aller porter une couronne à qui de droit. Rentrée partout.
Mais c’est surtout rentrée de la Chambre qui aura été la grosse affaire. Nos députés radicaux reviennent chargés à mitraille et nous allons assister à l’exécution d’un chœur de rentrée modulé sur l’air des Lampions :
Révision ! Révision !
Re-vi-sion !
Je ne crois pas que le chœur produise grand effèt, mais en France on ne peut jamais jurer de rien !
En réalité, la politique actuelle me fait, avec ses tourbillons, un peu l effet de ce monde des invisi
bles qu’on voit au théâtre des Menus-Plaisirs et qui grouille sousles yeux des spectateurs stupéfaits. Beaucoup de mouvement pour peu de chose. Ba
taille dans une goutte d’eau, tempête dans une
goutte de vinaigre, révolutions sur une croûte de fromage. Si l’on soumettait au microscope du
théâtre le verre d’eau sucrée parlementaire, on y trouverait la même agitation stérile et nous fré
mirions si les lentilles énormes de la microscopie électrique nous montrait les atomes qui composent l’atmosphère de la Chambre des Députés.
L’air respirable— ou respiré — du Palais Bourbon est chargé d’une infinité de microbes crochus, irrités, tatillons, agités de mouvements fébriles, et qui se logent désespérément dans les poumons.
Une trop longue respiration et absorption de ces vibrions conduirait tout droit à l’apoplexie.
— Pardon, me demande un lecteur, vous parlez simplement au point de vue physique, monsieur Perdican ?
— Je parle au point de vue physique et au point de vue intellectuel. Au moral et au figuré, comme vous l’entendrez. Je demande simplement que le microscope nous montre les divers microbes du parlementarisme, depuis le microbe ministériel, armé de griffes prenantes qui lui servent surtout à se cramponner aux rugosités de la peau de chagrin dts portefeuilles jusqu’au microbe mécontent, aux pinces mordicantes, aux ongles agressifs, qui s’a­ gite pour s’agiter,et semble ne chercher sa subsis
tance que dans la poussière et les détritus des ministères renversés.
Le soir où le microscope des Menus-Plaisirs qui devraient, depuis qu’on y montre des infusoires s’appeler les lmpalpables-Plaisirs, il y aurait un monde fou dans la petite salle.
Grand remue-ménage, place Maltsherbts, autour de la statue d’Alexandre Dumas. Les jardiniers de M. Alphand plantent des fleurs vertes et dessinent des triangles gazonnés sur le square où va appa
raître, dimanche, l’auteur des Mousquetaires. Les ouvriers qui travaillent la pierre donnent les der
niers coups de marteau et les marbrier; ont achevé les plaques où reluisent, en lettres d’or, les œuvres du grand romancier. La statue est toujours recou
verte de sa toile bise qui clapote au vent d’octobre et parfois, mouillée par la pluie, se colle à la figure de bronze et dessine vaguement, sur le ciel gris, le fantôme d’un Dumas gigantesque.
Il y aura foule, dans huit jours, au bas de ce piédestal. Deux jours avant, à la Gaîté, on aura célébré Dumas en récitant des vers à sa mémoire. Mais le plein air sied mieux encore aux apothéoses
que les solennités du théâtre et, s’il fait beau — car il faut avoir le beau temps pour collaborateur — Paris aura là une fête entraînante, où toutes les sympathies voleront, comme un chœur ailé, autour du génie.
Toujours la rue. A ne lire que les titres des journaux appendus aux kiosques des marchands ou braiilés à nos oreilles, on se croirait en pleine bataille :
Qui vive f
L! A n ti-Prussien. La Fronde.
La Patrie en Danger.
Tout cela, comme les microbes révisionnistes de la Chambre, fait plus de tapage que de besogne et ne compte guère. Mais cela trouble l’honnête promeneur qui tient à humer en paix l’air du trottoir.
Se bouche-t-il les oreilles ? Il faut bien qu’il ouvre les yeux. Alors il voit, sur les murailles, des affi
ches polychromes, où on lui montre un pape, de blanc vêtu qui, par des tortionnaires armés de .tenailles, fait arracher les seins à une jeune femme. C’est gentil. Un peu plus loin une grande dame vêtue à la mode du temps de Louis XIV se tient, l’air vexé,.devant un gros monsieur vêtu de rouge,
sorte de Mascarille qui n’est autre que Lauzun, car cette grande, dame est la grande Mademoiselle, et le passant lit au-dessous de cette affiche :
— Louise d’Orléans, ôte-moi mes bottes !
Le Lauzun en habit rouge montre en effet ses bottes à entonnoir. L’œuvre historique, que l’Aca
démie ne couronnera pas et qui est illustrée ainsi par ces enluminures pariétaires, s’appelle l’Alcôve de nos rois. C’est un enseignement comme un autre pour la jeunesse, et les collégiens se rendant au
lycée aimeront mieux étudier l’histoire par ces belles imageries que potasser leur Lavisse.
M. Duruy, de notre temps, n’avait pas prévu cette éducation par les murailles.
Lorsqu’on aura affiché, tour à tour, les Amours dePharamond, les Amourettes de Philippe-Auguste,
les Lntrigues de François Ar, les Peccadilles
d Henri IL1, les Galanteries d Henri IV, les Maîtresses de Louis XIV et la Cafetière de la reine Du Barry, quand Jes affiches peintes auront agrémenté ces divers épisodes de scènes nouvelles, aux jolies couleurs crues, les collégiens pourront passer leurs examens.
— Qu’était-ce que Louis XIV?
— C’était un roi très gros, qui, lorsqu’il attrapait une indigestion, ce qui lui arrivait assez souvent, se faisait servir du thé par des dames habillées en turques ou en déesses.
Tête effarée du professeur. — Qui vous a dit çà ?
— Personne. Mais je l’ai vu affiché sur une image, au coin du passage du Havre.
— Très bien. Asseyez-vous. Autre question :
— Qu’est-ce que Mlle de Montpensier a tiré, un jour, de ses mains royales ? Cherchez bien.
— Ce qu’elle a tiré ?... Mais ia paire de bottes d’un énorme monsieur qui se prélassait sur un banc.
— Elle a surtout tiré un coup de canon sur les troupes du roi, à la porte Saint-Antoine. Vous n’a­ vez donc pas lu votre manuel ?
— A quoi bon ? Je lis les affiches en passant. C’est plus commode et c’est plus facile.
O érudition de l’avenir!
Restent les affiches de théâtre. On y enseigne aussi d’aimables petites choses. Nos collé
giens vont évidemment, dans leurs matinées, se précipiter vers Théo. La Marseillaise des lycées sera, cette année, le refrain de Mme Boniface :
Turlututu
Pour ia vertu!
Partout des matinées, en effet. C’est, je le répète, l’hiver qui commence. Paris a trouvé le moyen de faire de ses Dimanches des jours à spectacle. Il ne se promène plus, Paris en ses repos dominicaux, il va au théâtre ou il va aux courses. Les matinées n’ont même d’ennemis résolus que : i° le beau temps, et 2° les courses. Encore auraient-elles rai
son du beau temps ! Le goût du Parisien est encore si vif qu’il préférera toujours quatre heures de salle à deux heures de Bois. Il y a pourtant une différence hygiénique : au théâtre, on aspire doucement de l’acide carbonique; au Bois, on s’oxy
gène les poumons; mais qui ne braverait un peu de carbone pour se diveitir? Le Parisien est tou
jours brave quand il s’agit de son plaisir. C’est bien sur cette bravoure que comptent les directeurs qui affichent dès Matinées. Et ils ont raison ! La Matinée est le jour de joie des collégiens qui sont li
bres et des spectateurs qui sont vieux. Un habitant de Batignolles ou d’Auteuil devra se coucher ter
riblement tard s’il veut se tenir au courant des nouveautés : la Matinée lui permet d’être au cou
rant des pièces à la mode sans veiller jusqu’à deux heures du matin. Le théâtre diurne est la ressource des valétudinaires.
Et, chose curieuse, ce public est le meilleur des
publics ! Il s amuse cent fois plus que le public du soir. Celui-ci vient souvent, en effet, pour passer le temps et, comme on dit, tuer sa soirée. Le pu
blic diurne vient pour la pièce. Il ne demande qu’à s’amuser.
Seulement, ah ! seulement il ne faut pas qu’il y ait des courses! S’il y a des courses, les recettes des Matinées diminuent de moitié. Un jour de courses enlève plus de recettes aux théâtres diurnes qu’un jour de pluie ne leur en donne. Les courses sont la grosse, grosse fièvre du temps présent. Chantilly, pour le moment, est envahi, assiégé, plein de monde,
et toute la semaine les trains ont empoité vers ce point de réunion d’automne des wagons bondés.
On s’y inquiète un peu du cheval, beaucoup des chevalières — et Turlututu pour la vertu, comme chante Théo, ou « Pas de gêneurs ! » comme dirait Paulette. .
Jane Hading et Louise Théo ! Paulette et Mme Boniface ! Voilà les deux caprices de Paris depuis une semaine et la blonde et la brune se partagent les cœurs du public. La brune, c’est Mlle Hading et ce pourrait être Mme Théo, puis
que les jolis frisons olonds de la jolie pâtissière ne sont que les jolies boucles d’une jolie perruque. Théo nous revient d’Amérique avec sa grâce tou
jours aimable et elle semble avoir perdu, en route, un peu de son afL .erie.
Elle est charmante, elle est charmante, elle est charmante ! comme dit Augier dans un vers de Philiberte.
Mlle Hading est une beauté plus sérieuse. Elle n’a pas seulement le charme piquant de la petite figurine du dix-huitième siècle ; elle a quelque chose de la mélancolie de ce temps-ci. Sa bouche sourit et mord avec un petit nez spirituel, mais ses yeux noirs rêvent, rêvent et ont une douceur de gazelle. La lèvre est gaie et le regard est triste. Ce piquant contraste donne à la comédienne une physionomie toute particulière. Elle est Paulette au
jourd’hui, elle serait Marguerite Gautier demain. Ceux qui ne l’avaient applaudie que dans l’opé
rette se sont étonnés de trouver en elle une actrice passant d’une chansonnette à une scène de pas
sion; ils ne savaient pas que, toute jeune fille, elle avait joué la reine de Ruy-Blas et la Fille de Ro
land en province. Et très bitn et avec des succès
éclatants. Puis, un beau jour, Marseille s éprit de la petite Hading, fille du fameux Hading qui jouait les grands rôles de drames, et, dans une opérette de M. Edmond Audran, qui était alors fort mo
deste et qui a, depuis, la fatuité absolument inutile du succès, Hading fit courir tout Marseille.
Le premier qui parla de Mlle Hading à Paris, ce fut — je le dénonce — l’éminent critique de la Gazette de Fiance, M. de Pontmartin :
— J’ai vu, disait-il, j’ai entendu dans le salon de Mme Joseph Autran une jeune fille qui sera une des étoiles de Paris. Elle s’appelle Hading ! Les Marseillais en raffolent !
Et il s’amusait à faire sonner le nom à la provençale :
— Très, très jolie et pétrie de talent, cette Mlle Hadingggggg !
L’avenir devait donner raison au critique des Samedis. Barbantous dira désormais, avec son accent de la Caneb.ère ;
— Paris est un petit Marseille depuis qu’il a la petite Hadingggggg !
Quant à Paulette... Car on n’a parlé que de Paulette, Paulette, — c’est un Allemand qui vient de faire cette belle découverte,— Paulette, la Paulette de la Vie paiisienne est le type de la Française.
Ah ! bah!— Je ne l’aurais pas cru, je l’avoue. Paulette est une jolie petite exception mise en ve
dette par un caprice de jolie femme, mais elle n est ni du monde, ni du demi-monde, c’tst une toquée sans conséquence, et il ne faudrait pas plus juger
nos femmes de France d’après cet échantillon qu on ne jugerait, je suppose, le livre d or de Venise ou
de Naples sur une patricienne qui débute au caféccncert.
— Est-ce que c’est cela le fogh life ? demandait un critique peu mondain en lisant le livre, d’ailleurs spirituel, de Mme de Martel.
— Pas du tout, répondit la comtesse S. A... C’est le Gyp-life!
Un monde spécial, une vie particulière. Il y a du talent à l’avoir inventé, mais il y aurait de la crédulité à croire que cette vie est la vie française.
Une hirondelle ne fait pas le printemps. Soit.
Mais une linotte ne le défait pas.