Victor Hugo obéit au mot d’ordre qui dit : Rentrée. Il a quitté la Suisse et il rentre à Paris. Il vient surveiller sans doute les répétitions de son Cromwell remanié et considérablement diminué, car le Cromwell primitif formait, comme on sait, un volume. Talma voulait jouer ce rô e de Crom
well. Il est mort trop tôt et c’est Lafontaine qui le créera, comme on dit, à l’Odéon.
Mais l’Odéon a le temos d attendre Cromwell. Il a sur l’affiche le beau drame de Vacquerie, cette Formosa qui est une œuvre hors de pair et, dans ses cartons, le Tiberio Savelli, de Coppée, qui sera représenté cet hiver.
Voilà de la littérature sur là planche, comme disent les courriéristes de théâtre. Toujours est-il
que Victor Hugo revient plus robuste encore et plus en haleine que quand il était parti et qu’il va donner à l’imprimeur un volume de vers inédits : Les Années funestes.
Une suite à l’Année terrible.
Mme Mackay a rouvert ses salons. On y a donné, samedi, la comédie, une comédie japonaise nécessairement, et fait d’excellente musique. A ne lire que les noms des invités on se croirait en Amé
rique. Les noms en o et les noms en ttt abondent. Il; a beau jour que Paris est conquis sur les Pari
siens. La plupart du temps, les gros scandales de Paris sont produits par les étrangers. Les ambas
sadeurs des divers pays étouffent la plupart du temps l affaire, et quand les étrangers retournent chez eux ils n’ont pas assez de dédain pour Paris, ce Paris qui, ce Paris que... Paris, la ville corrompue, la ville impudente, la ville à vendre...
Or, ce sont les gens en i, en ski ou skoff qui font plus de bruit à Paris que M. Jourdain ou Jacques Bonhomme.
Ceci n’est pas dit pour l’hospitalité charmante et la générosité de Mme Mackay qui, si elle connaît les millionnaires et les tapageurs de Paris en con
naît surtout les pauvres et est très connue de ces malheureux. Mais c’e-t toujours avec un nouvel étonnement que je constate le bruit que font dans les journaux les gentlemen exotiques et la noblesse d’importation.
— Paris, a-t-on dit, est un caravansérail et un sérail !
Croyez vous? comme dit Landrol. Demandez au bon bourgeois qui économise pour mettre ses fils au collège et au pauvre diable qui bûche dur pour payer son terme.
Pour un certain journalisme, il n’y a que ce qui brille qui compte. Nous brillerons un peu plus le jour où l’on ne comptera que ce qui est obscurément laborieux. Et maintenant écoutons. On va, nous annoncent les intransigeants, flétrir le ministère! Rentrée de la politique : flétrissure en plusieurs tableaux et plusieurs partis.
Perdican.
ASSUNTA
(Suite.)
Batistone tendit alors à Don Cécar la lettre ciaprès :
« Mon cher cousin Don César, tu as dû apprendre ma double rencontre avec les voltigeurs ; la pre
« mière, dans laquelle, pour sauver ma vie, j’ai été » forcé de tuer peut-être un de ces pauvres soldats « et de blesser l’autre, et la seconde, où j’ai été as« sez heureux de m’échapper sans verser le sang.
« Ces deux attaques, le même jour, à quelques « heures d’inferval!e, me démontrent qu’on avait « dû informer les voltigeurs de mon chemin.
« Parmi ceux qui le connaissaient se trouvent « deux de tes commensaux. L’un, l’ingénieur, est
« un homme prudent et sage, déplorant nos mal« heureuses mœurs corses, mais Incapable, je crois, « d’aucune démonstration hostile. II n’en est pas « de même de son jeune ami.
« Il y a peu de jours, le hasard nous a réunis; une « commune sympathie sembla d’abord nous attirer, « M. du Luc et moi, l’un vers l’autre ; mais quand « je lui appris que j’étais le btndit Sanpietri, son « ton est devenu hautain, ses paroles pœsque me« naçantes, et s’il eût été en son pouvoir de me « faire arrêter, il n’y aurait pas manqué, conformé« ment à la loi de son pays.
« C’est en présence de ces dispositions non équi« voques et pour lui montrer combien peu je les « craignais, que je lui ai indiqué mon itinéraire « jour par jour.
« Toutefois, je ne puis croire que lad énonciation « parte de lui. quoique appliquée à un bandit, elle « ne serait pas l’acte d’un gentilhomme et d’un « officier français.
« Mais afin de ne pas égarer mes soupçons, j’ai « besoin d’en recevoir l’assurance. Et pour cela, je « ne vois pas d’autre moyen que de te prier, mon « cher cousin, de la lui demander. Une simple né« galion de sa part me suffira, et alors je saurai où « trouver le coupable.
« Si contre toute attente, et à mon grand re« gret, M, du Luc avait cru devoir appeler les vol« tigeurs sur le passage d’un bandit, je compte sur « toi pour lui faire comprendre que ce bandit est « toujours le baron de Sanpietri.
« Dans ce cas, je prie M. du Luc de me faire « l’honneur de se rendre devant la cabane du « pêcheur Paolo, le jour qu’il voudra bien me dé« signer, accompagné de toi, mon cher cousin, et « de tels amis qu’il lui plaira d’amener, afin que « tout se passe entre nous, correctement, à la « Française.
Vous serez porteurs d’épées ou de pistolets, au « choix de M. du Luc ; tu sais que je me sers assez « proprement des deux.
« Je te prie aussi, mon cher cousin, de me donner « des nouvelles du caporal Poli. Surpris par sa « brusque attaque, je n’ai pas été maître de mon « stylet et je crains d’être allé trop profondément. « Quant au sergent, il en sera quitte pour un bras « hors de service. Dis-leur que je les supplie de me « laisser venir à leur secours et à celui de leurs « familles. Leur gouvernement les paie mal et les « récompense encore plus mal. Comment veut-il
« être bien servi ? Au vu de la présente, le ban« quier Zigliara te remettra l’argent nécessaire « pour eux, s’ils veulent bien l’accepter.
« Présente mes respects à notre cousin le com« mandant Péri; et fais tous mes compliments au « brave lieutenant Andrinetti; si tu avais vu la « tête qu il faisait avec ses six collets jaunes, pri« sonniers de mes bergers !
« J’attends ta réponse par le retour de mon « messager; c’est ton vieux fratello Batistone; sa
is chant que j’avais à envoyer vers toi, il a vou Il « être choisi pour messager.
« Adieu, men cher cousin, je t embrasse.
« Don Giuseppe, baron de Sanpietri. »
Après avoir lu rapidement cette lettre, dont César la relut au commandant et à l’ingénieur :
— Il nous paraît inutile, dirent les deux Corses, de parler de cela à M. du Luc; ce serait lui faire in
jure en lui demandant la dénégation d’un acte qu’il n’a pas commis, nous en sommes sûrs et nous nous portons garants pour lui.
— D’autant plus, répondit Edmcnd, qui avait plusieurs fois sengé à la visite de Jacopo chez le lieutenant des voltigeurs, sans avoir pu trouver, dans son esprit chercheur, une solution raisonna
ble, et mis tout d’un coup par cette lettre sur la voie de son problème, d’autant plus que je crois connaître le dénonciateur... Je ne vous en dirai pas le nom, parce que, d’abord, je n’en suis pas rigou
reusement certain, et le serais-je, je ne le dirais pas non plus; ce serait envoyer un homme à la mort, bien que le sujet me semble mériter peu d’intérêt.
— Comme vous, dit don César, je crois deviner quel est le traître; il était présent aux dernières paroles échangées entre Sanpietri, M. du Luc et vous, chez le patron Paolo; mais je n’ai pas, à son endroit, les mêmes scrupules; et je vais faire part de mes soupçons à Sanpietri, afin de le mettre en garde contre un coquin capable de le frapper par derrière, autant pour corriger le mauvais succès de sa dénonciation, que pour prendre l’avance sur la justice de mon terrible cousin. N’est-ce point aussi votre avis, commandant ?
— Don César a raison, répondit celui-ci ; si vos soupçons s’accordent sur le même individu, et qu’il en résulte une assez forte présomption, il n’y
a pas à balancer pour en faire part à Sanpietri, de manière à ne plus laisser dans son esprit le moindre doute.
L’ingénieur leur raconta alors la visite de Jacopo chez Don Andrinetti, et il leur parut évident à tous les trois que le Napolitain avait tout révélé à ce dernier.
— Mais, du reste, ajouta le commandant, nous avons un moyen bien simple de le savoir au juste; c’est de le demander au lieutenant Andrinetti... Je le ferai appeler en remontant ; j’ai, d’ailleurs, à l’interroger sur des faits qui ne me paraissent pas bien clairs... Dis-moi, toi! cria-t-il à Batistone, de
meuré à l’écart; approche !... Voilà le cousin Sanüietri qui dit avoir vu le lieutenant des collets jaunes... Je croyais qu’ils ne s’étaient pas rencontrés. Est-ce vrai ?
— Mais, Signor, j’y étais et non pas seul, je vous assure !
Et Batistone raconta la scène des Roches-Noires, les voltigeurs prisonniers de Sanpietri et leur retraite forcée.
— Ah ! bravo cngino! bravo eugino! répétait le commandant en riant aux éclats.
Pour compléter son bonheur, il aperçut Don Andrinetti sur le port, hélant des rameurs pour s’embarquer.
Il l’appela et don Andrinetti, s’approchant, ne parut pas très agréablement surpris de reconnaître là le vieux Batistone.
— Bonjour, lieutenant, dit le commandant en clignant son œil narquois. Est-ce qu’on vient de vous signaler Sanpietri dans le Bocche? Et pensezvous être piou heureux sour mer que sour terre et sour l’ounde que sour les rochers ?
Le lieutenant comprit ; on savait ce qu’il avait espéré pouvoir cacher.
— Mais, mon commandant, qu’auriez-vous fait à ma place ? Pouvais-je lutter contre le nombre? J’ai cru inutile de mentionner cette petite particularité et...
— Mon Dieu ! je le sais bien, et j’aurais peutêtre fait comme vous... Mà votre rapport n’est pas ésact... et je m’étonne qu’oun homme de votre sens n’ait pas crou devoir relater cette petite particoularité !... Car si la vérité est connue in Ajaccio on vous accusera de connivence avec Sanpietri, ou d’avoir agi mollement, ou tout au moins de ne pas avoir pris les précautions souffisantes, per dissi
mouler votre embouscade... surtout quand vous étiez si bien renseigné... Ah! votre police est bien faite, lioutenant !... Mes compliments !... Mà, par
don, si je retarde votre promenade... Nous allons monter chez moi per faire de souite cette rettification en oun petit rapport soupplémentaire... Il est fâcheux per vous que votre premier rapport soit parti ; on va trouver cela étrange !... Enfin !...
— Mais, mon commandant, je vous assure, en taisant cette rencontre, je n’avais qu’une intention
louable: celle d’éviter pour moi, pour mes hommes et pour tout le corps des voltigeurs corses de faire connaître notre position ridicule d’avoir été pri
sonniers de celui que nous pensions prendre;il faut bien conserver le prestige de l’autorité aux yeux de la population !... Mais ne pourrait-on pas arranger cela, mon bon commandant ?...
— Je comprends, lioutenant, je comprends, et je ne demanderai pas mieux moi-même ; si nous pou
vions... Mà... écoutez un peu... j’ai oun autre petit renseignement à vous demander...
Et le commandant le tira à l’écart.
Après cinq minutes de conférence, ils revinrent; le lieutenant paraissait visiblement soulagé et il insista auprès de Batistone pour lui rendre l’hospi
talité qu’il avait reçue de lui ; mais Don César ne voulut pas céder son fratello.
— Napolitanacci ! murmura le commandant en regardant Andrinetti s’éloigner. Vous aviez deviné juste, messieurs, et en désignant le traître à Sanpietri, il n’y a rien à craindre ; je connais le cou
sin; tout en se tenant sur ses gardes, il dédaignera de frapper un aussi vil ennemi. Tranquillisez-vous donc, mon cher ingénieur, vous n’envoyez pas un homme à la mort... Et puis, après tout, quelle vie
well. Il est mort trop tôt et c’est Lafontaine qui le créera, comme on dit, à l’Odéon.
Mais l’Odéon a le temos d attendre Cromwell. Il a sur l’affiche le beau drame de Vacquerie, cette Formosa qui est une œuvre hors de pair et, dans ses cartons, le Tiberio Savelli, de Coppée, qui sera représenté cet hiver.
Voilà de la littérature sur là planche, comme disent les courriéristes de théâtre. Toujours est-il
que Victor Hugo revient plus robuste encore et plus en haleine que quand il était parti et qu’il va donner à l’imprimeur un volume de vers inédits : Les Années funestes.
Une suite à l’Année terrible.
Mme Mackay a rouvert ses salons. On y a donné, samedi, la comédie, une comédie japonaise nécessairement, et fait d’excellente musique. A ne lire que les noms des invités on se croirait en Amé
rique. Les noms en o et les noms en ttt abondent. Il; a beau jour que Paris est conquis sur les Pari
siens. La plupart du temps, les gros scandales de Paris sont produits par les étrangers. Les ambas
sadeurs des divers pays étouffent la plupart du temps l affaire, et quand les étrangers retournent chez eux ils n’ont pas assez de dédain pour Paris, ce Paris qui, ce Paris que... Paris, la ville corrompue, la ville impudente, la ville à vendre...
Or, ce sont les gens en i, en ski ou skoff qui font plus de bruit à Paris que M. Jourdain ou Jacques Bonhomme.
Ceci n’est pas dit pour l’hospitalité charmante et la générosité de Mme Mackay qui, si elle connaît les millionnaires et les tapageurs de Paris en con
naît surtout les pauvres et est très connue de ces malheureux. Mais c’e-t toujours avec un nouvel étonnement que je constate le bruit que font dans les journaux les gentlemen exotiques et la noblesse d’importation.
— Paris, a-t-on dit, est un caravansérail et un sérail !
Croyez vous? comme dit Landrol. Demandez au bon bourgeois qui économise pour mettre ses fils au collège et au pauvre diable qui bûche dur pour payer son terme.
Pour un certain journalisme, il n’y a que ce qui brille qui compte. Nous brillerons un peu plus le jour où l’on ne comptera que ce qui est obscurément laborieux. Et maintenant écoutons. On va, nous annoncent les intransigeants, flétrir le ministère! Rentrée de la politique : flétrissure en plusieurs tableaux et plusieurs partis.
Perdican.
ASSUNTA
(Suite.)
Batistone tendit alors à Don Cécar la lettre ciaprès :
« Mon cher cousin Don César, tu as dû apprendre ma double rencontre avec les voltigeurs ; la pre
« mière, dans laquelle, pour sauver ma vie, j’ai été » forcé de tuer peut-être un de ces pauvres soldats « et de blesser l’autre, et la seconde, où j’ai été as« sez heureux de m’échapper sans verser le sang.
« Ces deux attaques, le même jour, à quelques « heures d’inferval!e, me démontrent qu’on avait « dû informer les voltigeurs de mon chemin.
« Parmi ceux qui le connaissaient se trouvent « deux de tes commensaux. L’un, l’ingénieur, est
« un homme prudent et sage, déplorant nos mal« heureuses mœurs corses, mais Incapable, je crois, « d’aucune démonstration hostile. II n’en est pas « de même de son jeune ami.
« Il y a peu de jours, le hasard nous a réunis; une « commune sympathie sembla d’abord nous attirer, « M. du Luc et moi, l’un vers l’autre ; mais quand « je lui appris que j’étais le btndit Sanpietri, son « ton est devenu hautain, ses paroles pœsque me« naçantes, et s’il eût été en son pouvoir de me « faire arrêter, il n’y aurait pas manqué, conformé« ment à la loi de son pays.
« C’est en présence de ces dispositions non équi« voques et pour lui montrer combien peu je les « craignais, que je lui ai indiqué mon itinéraire « jour par jour.
« Toutefois, je ne puis croire que lad énonciation « parte de lui. quoique appliquée à un bandit, elle « ne serait pas l’acte d’un gentilhomme et d’un « officier français.
« Mais afin de ne pas égarer mes soupçons, j’ai « besoin d’en recevoir l’assurance. Et pour cela, je « ne vois pas d’autre moyen que de te prier, mon « cher cousin, de la lui demander. Une simple né« galion de sa part me suffira, et alors je saurai où « trouver le coupable.
« Si contre toute attente, et à mon grand re« gret, M, du Luc avait cru devoir appeler les vol« tigeurs sur le passage d’un bandit, je compte sur « toi pour lui faire comprendre que ce bandit est « toujours le baron de Sanpietri.
« Dans ce cas, je prie M. du Luc de me faire « l’honneur de se rendre devant la cabane du « pêcheur Paolo, le jour qu’il voudra bien me dé« signer, accompagné de toi, mon cher cousin, et « de tels amis qu’il lui plaira d’amener, afin que « tout se passe entre nous, correctement, à la « Française.
Vous serez porteurs d’épées ou de pistolets, au « choix de M. du Luc ; tu sais que je me sers assez « proprement des deux.
« Je te prie aussi, mon cher cousin, de me donner « des nouvelles du caporal Poli. Surpris par sa « brusque attaque, je n’ai pas été maître de mon « stylet et je crains d’être allé trop profondément. « Quant au sergent, il en sera quitte pour un bras « hors de service. Dis-leur que je les supplie de me « laisser venir à leur secours et à celui de leurs « familles. Leur gouvernement les paie mal et les « récompense encore plus mal. Comment veut-il
« être bien servi ? Au vu de la présente, le ban« quier Zigliara te remettra l’argent nécessaire « pour eux, s’ils veulent bien l’accepter.
« Présente mes respects à notre cousin le com« mandant Péri; et fais tous mes compliments au « brave lieutenant Andrinetti; si tu avais vu la « tête qu il faisait avec ses six collets jaunes, pri« sonniers de mes bergers !
« J’attends ta réponse par le retour de mon « messager; c’est ton vieux fratello Batistone; sa
is chant que j’avais à envoyer vers toi, il a vou Il « être choisi pour messager.
« Adieu, men cher cousin, je t embrasse.
« Don Giuseppe, baron de Sanpietri. »
Après avoir lu rapidement cette lettre, dont César la relut au commandant et à l’ingénieur :
— Il nous paraît inutile, dirent les deux Corses, de parler de cela à M. du Luc; ce serait lui faire in
jure en lui demandant la dénégation d’un acte qu’il n’a pas commis, nous en sommes sûrs et nous nous portons garants pour lui.
— D’autant plus, répondit Edmcnd, qui avait plusieurs fois sengé à la visite de Jacopo chez le lieutenant des voltigeurs, sans avoir pu trouver, dans son esprit chercheur, une solution raisonna
ble, et mis tout d’un coup par cette lettre sur la voie de son problème, d’autant plus que je crois connaître le dénonciateur... Je ne vous en dirai pas le nom, parce que, d’abord, je n’en suis pas rigou
reusement certain, et le serais-je, je ne le dirais pas non plus; ce serait envoyer un homme à la mort, bien que le sujet me semble mériter peu d’intérêt.
— Comme vous, dit don César, je crois deviner quel est le traître; il était présent aux dernières paroles échangées entre Sanpietri, M. du Luc et vous, chez le patron Paolo; mais je n’ai pas, à son endroit, les mêmes scrupules; et je vais faire part de mes soupçons à Sanpietri, afin de le mettre en garde contre un coquin capable de le frapper par derrière, autant pour corriger le mauvais succès de sa dénonciation, que pour prendre l’avance sur la justice de mon terrible cousin. N’est-ce point aussi votre avis, commandant ?
— Don César a raison, répondit celui-ci ; si vos soupçons s’accordent sur le même individu, et qu’il en résulte une assez forte présomption, il n’y
a pas à balancer pour en faire part à Sanpietri, de manière à ne plus laisser dans son esprit le moindre doute.
L’ingénieur leur raconta alors la visite de Jacopo chez Don Andrinetti, et il leur parut évident à tous les trois que le Napolitain avait tout révélé à ce dernier.
— Mais, du reste, ajouta le commandant, nous avons un moyen bien simple de le savoir au juste; c’est de le demander au lieutenant Andrinetti... Je le ferai appeler en remontant ; j’ai, d’ailleurs, à l’interroger sur des faits qui ne me paraissent pas bien clairs... Dis-moi, toi! cria-t-il à Batistone, de
meuré à l’écart; approche !... Voilà le cousin Sanüietri qui dit avoir vu le lieutenant des collets jaunes... Je croyais qu’ils ne s’étaient pas rencontrés. Est-ce vrai ?
— Mais, Signor, j’y étais et non pas seul, je vous assure !
Et Batistone raconta la scène des Roches-Noires, les voltigeurs prisonniers de Sanpietri et leur retraite forcée.
— Ah ! bravo cngino! bravo eugino! répétait le commandant en riant aux éclats.
Pour compléter son bonheur, il aperçut Don Andrinetti sur le port, hélant des rameurs pour s’embarquer.
Il l’appela et don Andrinetti, s’approchant, ne parut pas très agréablement surpris de reconnaître là le vieux Batistone.
— Bonjour, lieutenant, dit le commandant en clignant son œil narquois. Est-ce qu’on vient de vous signaler Sanpietri dans le Bocche? Et pensezvous être piou heureux sour mer que sour terre et sour l’ounde que sour les rochers ?
Le lieutenant comprit ; on savait ce qu’il avait espéré pouvoir cacher.
— Mais, mon commandant, qu’auriez-vous fait à ma place ? Pouvais-je lutter contre le nombre? J’ai cru inutile de mentionner cette petite particularité et...
— Mon Dieu ! je le sais bien, et j’aurais peutêtre fait comme vous... Mà votre rapport n’est pas ésact... et je m’étonne qu’oun homme de votre sens n’ait pas crou devoir relater cette petite particoularité !... Car si la vérité est connue in Ajaccio on vous accusera de connivence avec Sanpietri, ou d’avoir agi mollement, ou tout au moins de ne pas avoir pris les précautions souffisantes, per dissi
mouler votre embouscade... surtout quand vous étiez si bien renseigné... Ah! votre police est bien faite, lioutenant !... Mes compliments !... Mà, par
don, si je retarde votre promenade... Nous allons monter chez moi per faire de souite cette rettification en oun petit rapport soupplémentaire... Il est fâcheux per vous que votre premier rapport soit parti ; on va trouver cela étrange !... Enfin !...
— Mais, mon commandant, je vous assure, en taisant cette rencontre, je n’avais qu’une intention
louable: celle d’éviter pour moi, pour mes hommes et pour tout le corps des voltigeurs corses de faire connaître notre position ridicule d’avoir été pri
sonniers de celui que nous pensions prendre;il faut bien conserver le prestige de l’autorité aux yeux de la population !... Mais ne pourrait-on pas arranger cela, mon bon commandant ?...
— Je comprends, lioutenant, je comprends, et je ne demanderai pas mieux moi-même ; si nous pou
vions... Mà... écoutez un peu... j’ai oun autre petit renseignement à vous demander...
Et le commandant le tira à l’écart.
Après cinq minutes de conférence, ils revinrent; le lieutenant paraissait visiblement soulagé et il insista auprès de Batistone pour lui rendre l’hospi
talité qu’il avait reçue de lui ; mais Don César ne voulut pas céder son fratello.
— Napolitanacci ! murmura le commandant en regardant Andrinetti s’éloigner. Vous aviez deviné juste, messieurs, et en désignant le traître à Sanpietri, il n’y a rien à craindre ; je connais le cou
sin; tout en se tenant sur ses gardes, il dédaignera de frapper un aussi vil ennemi. Tranquillisez-vous donc, mon cher ingénieur, vous n’envoyez pas un homme à la mort... Et puis, après tout, quelle vie