HISTOIRE DE LA SEMAINE
La première « bataille » annoncée et réclamée avec tant d’insistance par M. Ferry s’est à la fin
engagée et n est pas terminée encore à l’heure où j’écris.
De cette bataille, à vrai dire, personne n’avait grande envie; mais le gouvernement en avait abso
lument besoin, si désagréable qu’elle pût être pour lui.
L’expédition du Tonkin, en effet, dont on s’était promis merveille, au lieu d’être, comme on l’avait espéré, un facile bouquet de lauriers, tourne en
buisson d’épines. 11 y a un au, au Ministère de la marine — d où le gouvernement tire tout naturel
lement ses informations en pareille matière — on était convaincu que le Tonkin pouvait être con
quis tout entier en quelques mois, sans le moindre effort. On se souvenait des rapides victoires de Dupuis et de Garnier; on se rappelait Hanoï enlevé
d’assaut par cinquante-quatre assaillants contre une garnison de huit mille Annamites. Et cette facilité vraiment exceptionnelle n’était certainement pas étrangèie aux refus persistants que ren
contrait M. Dupuis lorsqu’il demandait qu’on le renvoyât au Tonkin. La marine, évidemment, n’é
tait pas fâchée d’opérer elle-même cette conquête si remplie d agréments et si dénuée de difficultés, dont il eût été naïf de laisser le plaisir à des « pékim ».
On a si bien eu des illusions au Ministère de la marine qu’on a, sans bruit et sans en rien dire à la Chambre, envoyé le commandant Rivière au Ton
kin, avec une poignée d’hommes, sous prétexte de renforcer nos garnisons, mais, en réalité pour faire la conquête du pay-Il Dans les premiers jours de l’expédition, il a semblé, en effet, que la chose irait toute seule. Hanoï pris d’assaut, Nam-Dinh enlevé lestement, la déroute immédiate et universelle des
Annamites partout où on les rencontrait, ont fait croire au renouvellement des succès de Dupuis. Et le ministère s’est trouvé fort étonné lorsque le commandant Rivière, tout à coup arrêté, n’avan
çant plus, presque prisonnier dans sa conquête, a demandé des renforts.
Il était pourtant bien naturel de penser que depuis trois ans qu’on annonçait publiquement l’intention de conquérir le Tonkin, le roi Tu-Duc et la Chine, avertis d avance, se seraient fait un plaisir d’accumuler au Tonkin les moyens de dé
fense. La faute du gouvernement est de ne l’avoir pis compris et de s’être laissé conduire sans réflexion par les mandarins militaires du ministère de la marine.
Aujourd’hui, l’embarras est grand. Précisément parce qu’on s’est mépris sur les résistances que nous rencontrons au Tonkin, on s’est créé des difficultés diplomatiques avec la Chine. Les Asia
tiques, en effet, qui n’ont pas le cerveau fait comme nous, raisonnent tout autrement que nous et pratiquent une diplomatie qui n’est pas celle des na
tions civilisées. Le seul droit qu’ils reconnaissent est celui de la force. Si nous avions du premier coup brisé toutes les résistances, la Chine n’eût pas soufflé mot. L’échec et la mort de Rivière l’ont décidée à intervenir. La prise des forts de Hué l’a rendue pour un moment circonspecte ; le combat sans résultat de Phu-Hoï, converti par elle en désastre, l’a rendue exigeante et insolente.
Le gouvernement se trouve donc aujourd’hui dans cette aventure où le ministère de la marine l’a embarqué, deux fois embarrassé : d’abord par les difficultés matérielles que nous rencontrons au Tonkin; ensuite, par l’hostilité de la Chine à laquelle — si on la traitait comme une nation civi
lisée — nous ne pourrions répondre que par une déclaration de guerre.
Le cabinet ressent vivement l’embarras de cette situation. Quoique les clameurs de l’opposition, par leur exagération même aient fatigué l’opinion publique, il n’en demeure pas moins certain que l’expédition du Tonkin par son insuccès relatif et par ses désagréments diplomatiques, inquiète le bourgeois. D autre part il y a non seulement des responsabilités à prendre, mais de l’argent et des troupes à demander. Et le gouvernement voulait, — non sans quelque habileté - que les demandes de crédit fussent précédées d’une interpellation.
Cette tactique parlementaire est facile à comprendre. Une demande de crédit, surtout en l’état actuel du budget, a toujours quelque chose de dé
sagréable et de fâcheux. Les partisans mêmes du gouvernement sont enclins à refuser et c’est un ter
rain fort dangereux pour un débat ministériel. Si même il ne court pas risque d’être renversé, le gou
vernement, en un pareil débat, est sûr de rencontrer des difficultés plus grandes et une victoire moins brillante.
Dans une interpellation, au contraire, le ministère était sûr de sa majorité. C’est pour eux-mêmes que les modérés combattent en défendant le minis
tère contre les radicaux. Dans ces conditions, la victoire est certaine; et, après un brillant succès,
après un ordre du jour de confiance, le vote des crédits n’est plus qu’une formalité, conséquence nécessaire du vote acquis.
Voilà pourquoi M. Ferry tenait tant à être interpellé le plus tôt possible. Voilà pourquoi l’oppo
sition aurait voulu retarder jusqu’à la demande de crédits le débat qu’elle avait si bruyamment an
noncé. Mais elle avait trop parlé, fait trop de bruit pour qu’il lui fût possible d’atermoyer. Il lui a fallu s’exécuter et engager le combat sur le terrain que le gouvernement avait choisi et sur lequel il avait déjà pris position.
Aussi le débat est resté, jusqu’à présent, très calme et l’on peut presque dire très froid, précisé
ment parce qu’il a été exclusivement mené, jusqu’à cette heure, par 1\ xtrême-gauche.
Cela peut raraître bizarre à première vue et pourtant rien n’est plus naturel. L’extrême-gauche n’ignore pas qu’à elle toute seule non seulement elle ne renversera pas le cabinet, mais que son at
taque, au lieu de l’ébranler, le consolidera. Et plus l’attaque sera violente, plus elle sera sans péril pour le ministère, parce que sa violence empêchera les groupes modérés de l’opposition de s’y associer.
L’affaire ne deviendrait sérieuse et il n’y aurait danger de chute pour le cabinet que si, d’une part, le groupe de la gauche radicale prenait la direction de l’attaque et si, d’autre part, le groupe des « libé
raux modérés » — dont M. Ribot est le chef, — intervenait pour porter le dernier coup.
Jusqu’à présent, quoiqu’on lui ait proposé diverses combinaisons stratégiques pour ouvrir la porte à son intervention, la gauche radicale ne s’est point engagée; et le groupe Ribot, qui tient le ministère à la gorge dans la question du budget, ne s’engagera probablement pas dans la question du Tonkin.
M. Granet, cependant, et aussi M. Périn, se sont tenus dans la modération la plus parfaite; et, avec M. Challemel-Lacour, le débat ne risquait pas de s’échauffer trop. Reste à savoir s’il re va pas mon
ter de quelques degrés tout-à-l’heure avec M. Clémenceau et si l’intervention probable de la gauche radicale avec MM. Floquet et Jullien ne lui donnera pas quelque animation.
Décrets. — M. Oustry, ancien préfet de la Seine, est nommé conseiller d’Etat en service ordinaire, en remplacement de M. Béral, élu sénateur et nommé conseiller d’Etat honoraire.
Sont nommés : M. Jacquenet, évêque de Gap, à l’é vêché d’Amiens, et M. Couzot, archiprêtre à Périgueux, à l’évêché de Gap.
*
Sénat. — Séance du 25 octobre : Adoption d’un projet ouvrant au ministre de l’intérieur un crédit supplémentaire de 100,000 francs pour les traitements des
fonctionnaires administratifs des départements. —Fin de la deuxième délibération du projet de loi sur le régime des eaux. L’ensemble du projet est adopté.
Séance du 27 : Proposition de M. le colonel Meinadier, tendant à allouer aux anciens militaires pourvus d’emplois publics rétribués par l’Etat, les départements ou les communes, l’intégralité de leurs pensions de re
traite. Il s’agit d’une dépense assez faible, moins d’un million. Néanmoins, M. Tirard combat la proposition pour des raisons budgétaires, et le Sénat lui donne raison. La proposition est ajournée. — Adoption d’un pro
jet de loi sur les bois d’affouage. —- Sur la demande de M. de Freycinet, le projet de loi sur le canal du Nord qui devait venir en discussion est retiré de l’ordre du jour.
Séance du 30 : Commencement de la discussion de la proposition de loi ayant pour objet la création d’un qmtrième titre pour les objets d’or et d’argent destinés à l’exportation.
* *
Chambre des Députés. — Séance du 25 octobre : Reprise de la discussion en deuxième lecture de la loi municipale. Cette loi est divisée en cinq titres et com
prend 166 articles, non compris les articles relatifs aux dispositions transitoires.
Les deux premiers titres qui traitent des Communes et des Conseils municipaux sont définitivement votés.
C’est donc au titre III (art. 73) qui traite des Maires et des Adjoints, de leurs fonctions et de leurs attributions,
que commence la discussion. Le titre IV est relatif à XAdministration des communes et le titre V comprend un certain nombre de Dispositions générales relatives
aux colonies ou abrogeant les dispositions des lois ej; décrets antérieurs. — Au cours de la séance, M. Grane1 a demandé au gouvernement s’il compte déposer pro chainement une demande de crédits pour le Tonkin- M. Ferry répond qu’il ignore, pour le moment, l’époque à laquelle le gouvernement demandera de nouveaux crédits. Une interpellation doit être déposée dans une prochaine séance par l extrême gauche. — Dépôt sur le bureau d’une demande de mise en accusation du minis
tère, signée par MM. Laroche-Joubert, Dufour etCunéod’Ornano.
Séance du 27 : Suite de la discussion de la loi municipale, qui se poursuit dans la séance du 29. A la fin de cette dernière séance, M. Granet dépose sa demande d’interpellation sur le Tonkin, dont nous parlons plus haut.
Séance du 30 : Validation de l’élection de M. Laguerre. — Ouverture du débat , sur l’interpellation de M. Gra
net, au sujet des affaires du Tonkin. Discours de M. Gra
net : Le cabinet s est trompé, a-t-il dit. Sa clairvoyance n’aurait cependant pas dû être mise en défaut. Tout fai
sait pressentir l’intervention de la Chine. Si, du moins, le ministère avait convoqué le Parlement lorsqu’il a re
connu son erreur. Mais non, il s’est substitué à la nation, et l’on ne peut approuver une politique qui con
siste à engager le pays dans des équivoques. — Réponse de M. Challemel-Lacour : La politique suivie par le gouvernement, c’est la politique indiquée par la Cham
bre. A quoi bon, dès lors, n’ayant rien de nouveau à lui dire, convoquer le Parlement pour inquiéter le pays. Suit un exposé des négociations infructueuses avec la Chine. La Chine est sourde. « Elle ne nie pas, ne dis
cute pas nos droits sur l’empire d’Annam, elle les ignore. » Du traité de 1862, donnant à la France le droit de protection sur cet empire, du traité de 1874 confirmant ce droit, elle ne veut plus entendre parler.
En présence de ces dispositions que faire? Reculer, abandonner nos droits et nos intérêts? Non, il faut agir « avec fermeté, rapidité et sang-froid ». Ce faisant, le gouvernement et le parlement accompliront leur devoir, « sans redouter les complications invraisemblables dont dont on nous menace ». — Discours de M. Périn : L’o
rateur soutient la politique pacifique. « Combattons, dit-il, à coups de traités de commerce et non àcoups de canon. » La discussion est renvoyée au lendemain. M. Jules Ferry doit prendre la parole.
* *
Espagne. — Cession par l’empereur du Maroc au gouvernement espagnol de la baie située à l’embouchure de la rivière de Yeni, au sud de Mogador, dans le ter
ritoire Sus. Ce point, désigné par les Espagnols sous le nom de Santa-Cruz de Mar Pequena, devait être cédé à l’Espagne en vertu du traité de 1860, après l’expédition d’O’Donnell au Maroc; il avait été depuis vainement réclamé sous tous les régimes qui se sont succédé en Espagne, mais le gouvernement marocain persistait à offrir en échange un autre territoire situé près du détroit de Gibraltar.
* *
Norvège. —- Après des remises successives, le procès des ministres norvégiens, dont nous avons parlé dans un de nos précédents numéros, s’ouvre le 19 octobre à Christiania.
*
* *
Chili. — La légation du Chili à Paris communique aux journaux la dépêche suivante, qu’elle vient de recevoir de son gouvernement :
« Le gouvernement du général Iglesias établi à Lima est reconnu par le Chili. Un traité définitif de paix a été signé. Le gouvernement d’Iglesias domine tout le Pérou, sauf la région d’Arequipa vers laquelle une expédition chilienne est en marche. Un congrès péruvien a été convoqué. »
Les Chiliens ont évacué Lima, dont a pris possession le général Iglesias.
*
* *
Nécrologie. — Le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen. Voir la note biographique que nous lui consacrons à notre article Gravures.
M. Lanel, député de la première circonscription de Dieppe. M. Lanel, né à Dieppe, en 1813, exerçait les fonctions de notaire dans sa ville natale, et allait se re
tirer lorsque la confiance de ses concitoyens l’appela, en 1870, à la vie politique. Nommé maire de Dieppe, il fut élu, en février 1871, représentant de la Seine-Inférieure, et ne cessa, dès lors, de faire partie des assemblées dé
libérantes. II siégeait sur les bancs du centre gauche à l’Assemblée nationale, ainsi qu’à la Chambre des dépu
tés où il fit partie, après le 16 mai 1877, des 363. Aux
élections de 1876 comme à celles de 1877, il eut pour concurrent monarchiste M. Estancelin. Le 21 août 1881, il fut réélu sans concurrent. M. Lanel était beau-frère de M. John Lemoinne.
Le général de division de Maud’huy. — Né en 1809, le général de Maud’huy était entré à Saint-Cyr en 1826. Sous-lieutenant au 13“ de ligne en 1828, lieutenant en 1831, il assista au siège d’Anvers comme officiel d’or
donnance du roi Louis-Philippe, et sa conduite durant les journées de juin 1848 fut excessivement brillante. Colonel en 1851, général de brigade en 1857, général de division en 1870, il commanda, pendant le siège de Paris, la 2e division du corps Vinoy et les redoutes des Hautes-Bruyères et du Moulin-Saquet.
La première « bataille » annoncée et réclamée avec tant d’insistance par M. Ferry s’est à la fin
engagée et n est pas terminée encore à l’heure où j’écris.
De cette bataille, à vrai dire, personne n’avait grande envie; mais le gouvernement en avait abso
lument besoin, si désagréable qu’elle pût être pour lui.
L’expédition du Tonkin, en effet, dont on s’était promis merveille, au lieu d’être, comme on l’avait espéré, un facile bouquet de lauriers, tourne en
buisson d’épines. 11 y a un au, au Ministère de la marine — d où le gouvernement tire tout naturel
lement ses informations en pareille matière — on était convaincu que le Tonkin pouvait être con
quis tout entier en quelques mois, sans le moindre effort. On se souvenait des rapides victoires de Dupuis et de Garnier; on se rappelait Hanoï enlevé
d’assaut par cinquante-quatre assaillants contre une garnison de huit mille Annamites. Et cette facilité vraiment exceptionnelle n’était certainement pas étrangèie aux refus persistants que ren
contrait M. Dupuis lorsqu’il demandait qu’on le renvoyât au Tonkin. La marine, évidemment, n’é
tait pas fâchée d’opérer elle-même cette conquête si remplie d agréments et si dénuée de difficultés, dont il eût été naïf de laisser le plaisir à des « pékim ».
On a si bien eu des illusions au Ministère de la marine qu’on a, sans bruit et sans en rien dire à la Chambre, envoyé le commandant Rivière au Ton
kin, avec une poignée d’hommes, sous prétexte de renforcer nos garnisons, mais, en réalité pour faire la conquête du pay-Il Dans les premiers jours de l’expédition, il a semblé, en effet, que la chose irait toute seule. Hanoï pris d’assaut, Nam-Dinh enlevé lestement, la déroute immédiate et universelle des
Annamites partout où on les rencontrait, ont fait croire au renouvellement des succès de Dupuis. Et le ministère s’est trouvé fort étonné lorsque le commandant Rivière, tout à coup arrêté, n’avan
çant plus, presque prisonnier dans sa conquête, a demandé des renforts.
Il était pourtant bien naturel de penser que depuis trois ans qu’on annonçait publiquement l’intention de conquérir le Tonkin, le roi Tu-Duc et la Chine, avertis d avance, se seraient fait un plaisir d’accumuler au Tonkin les moyens de dé
fense. La faute du gouvernement est de ne l’avoir pis compris et de s’être laissé conduire sans réflexion par les mandarins militaires du ministère de la marine.
Aujourd’hui, l’embarras est grand. Précisément parce qu’on s’est mépris sur les résistances que nous rencontrons au Tonkin, on s’est créé des difficultés diplomatiques avec la Chine. Les Asia
tiques, en effet, qui n’ont pas le cerveau fait comme nous, raisonnent tout autrement que nous et pratiquent une diplomatie qui n’est pas celle des na
tions civilisées. Le seul droit qu’ils reconnaissent est celui de la force. Si nous avions du premier coup brisé toutes les résistances, la Chine n’eût pas soufflé mot. L’échec et la mort de Rivière l’ont décidée à intervenir. La prise des forts de Hué l’a rendue pour un moment circonspecte ; le combat sans résultat de Phu-Hoï, converti par elle en désastre, l’a rendue exigeante et insolente.
Le gouvernement se trouve donc aujourd’hui dans cette aventure où le ministère de la marine l’a embarqué, deux fois embarrassé : d’abord par les difficultés matérielles que nous rencontrons au Tonkin; ensuite, par l’hostilité de la Chine à laquelle — si on la traitait comme une nation civi
lisée — nous ne pourrions répondre que par une déclaration de guerre.
Le cabinet ressent vivement l’embarras de cette situation. Quoique les clameurs de l’opposition, par leur exagération même aient fatigué l’opinion publique, il n’en demeure pas moins certain que l’expédition du Tonkin par son insuccès relatif et par ses désagréments diplomatiques, inquiète le bourgeois. D autre part il y a non seulement des responsabilités à prendre, mais de l’argent et des troupes à demander. Et le gouvernement voulait, — non sans quelque habileté - que les demandes de crédit fussent précédées d’une interpellation.
Cette tactique parlementaire est facile à comprendre. Une demande de crédit, surtout en l’état actuel du budget, a toujours quelque chose de dé
sagréable et de fâcheux. Les partisans mêmes du gouvernement sont enclins à refuser et c’est un ter
rain fort dangereux pour un débat ministériel. Si même il ne court pas risque d’être renversé, le gou
vernement, en un pareil débat, est sûr de rencontrer des difficultés plus grandes et une victoire moins brillante.
Dans une interpellation, au contraire, le ministère était sûr de sa majorité. C’est pour eux-mêmes que les modérés combattent en défendant le minis
tère contre les radicaux. Dans ces conditions, la victoire est certaine; et, après un brillant succès,
après un ordre du jour de confiance, le vote des crédits n’est plus qu’une formalité, conséquence nécessaire du vote acquis.
Voilà pourquoi M. Ferry tenait tant à être interpellé le plus tôt possible. Voilà pourquoi l’oppo
sition aurait voulu retarder jusqu’à la demande de crédits le débat qu’elle avait si bruyamment an
noncé. Mais elle avait trop parlé, fait trop de bruit pour qu’il lui fût possible d’atermoyer. Il lui a fallu s’exécuter et engager le combat sur le terrain que le gouvernement avait choisi et sur lequel il avait déjà pris position.
Aussi le débat est resté, jusqu’à présent, très calme et l’on peut presque dire très froid, précisé
ment parce qu’il a été exclusivement mené, jusqu’à cette heure, par 1\ xtrême-gauche.
Cela peut raraître bizarre à première vue et pourtant rien n’est plus naturel. L’extrême-gauche n’ignore pas qu’à elle toute seule non seulement elle ne renversera pas le cabinet, mais que son at
taque, au lieu de l’ébranler, le consolidera. Et plus l’attaque sera violente, plus elle sera sans péril pour le ministère, parce que sa violence empêchera les groupes modérés de l’opposition de s’y associer.
L’affaire ne deviendrait sérieuse et il n’y aurait danger de chute pour le cabinet que si, d’une part, le groupe de la gauche radicale prenait la direction de l’attaque et si, d’autre part, le groupe des « libé
raux modérés » — dont M. Ribot est le chef, — intervenait pour porter le dernier coup.
Jusqu’à présent, quoiqu’on lui ait proposé diverses combinaisons stratégiques pour ouvrir la porte à son intervention, la gauche radicale ne s’est point engagée; et le groupe Ribot, qui tient le ministère à la gorge dans la question du budget, ne s’engagera probablement pas dans la question du Tonkin.
M. Granet, cependant, et aussi M. Périn, se sont tenus dans la modération la plus parfaite; et, avec M. Challemel-Lacour, le débat ne risquait pas de s’échauffer trop. Reste à savoir s’il re va pas mon
ter de quelques degrés tout-à-l’heure avec M. Clémenceau et si l’intervention probable de la gauche radicale avec MM. Floquet et Jullien ne lui donnera pas quelque animation.
Décrets. — M. Oustry, ancien préfet de la Seine, est nommé conseiller d’Etat en service ordinaire, en remplacement de M. Béral, élu sénateur et nommé conseiller d’Etat honoraire.
Sont nommés : M. Jacquenet, évêque de Gap, à l’é vêché d’Amiens, et M. Couzot, archiprêtre à Périgueux, à l’évêché de Gap.
*
Sénat. — Séance du 25 octobre : Adoption d’un projet ouvrant au ministre de l’intérieur un crédit supplémentaire de 100,000 francs pour les traitements des
fonctionnaires administratifs des départements. —Fin de la deuxième délibération du projet de loi sur le régime des eaux. L’ensemble du projet est adopté.
Séance du 27 : Proposition de M. le colonel Meinadier, tendant à allouer aux anciens militaires pourvus d’emplois publics rétribués par l’Etat, les départements ou les communes, l’intégralité de leurs pensions de re
traite. Il s’agit d’une dépense assez faible, moins d’un million. Néanmoins, M. Tirard combat la proposition pour des raisons budgétaires, et le Sénat lui donne raison. La proposition est ajournée. — Adoption d’un pro
jet de loi sur les bois d’affouage. —- Sur la demande de M. de Freycinet, le projet de loi sur le canal du Nord qui devait venir en discussion est retiré de l’ordre du jour.
Séance du 30 : Commencement de la discussion de la proposition de loi ayant pour objet la création d’un qmtrième titre pour les objets d’or et d’argent destinés à l’exportation.
* *
Chambre des Députés. — Séance du 25 octobre : Reprise de la discussion en deuxième lecture de la loi municipale. Cette loi est divisée en cinq titres et com
prend 166 articles, non compris les articles relatifs aux dispositions transitoires.
Les deux premiers titres qui traitent des Communes et des Conseils municipaux sont définitivement votés.
C’est donc au titre III (art. 73) qui traite des Maires et des Adjoints, de leurs fonctions et de leurs attributions,
que commence la discussion. Le titre IV est relatif à XAdministration des communes et le titre V comprend un certain nombre de Dispositions générales relatives
aux colonies ou abrogeant les dispositions des lois ej; décrets antérieurs. — Au cours de la séance, M. Grane1 a demandé au gouvernement s’il compte déposer pro chainement une demande de crédits pour le Tonkin- M. Ferry répond qu’il ignore, pour le moment, l’époque à laquelle le gouvernement demandera de nouveaux crédits. Une interpellation doit être déposée dans une prochaine séance par l extrême gauche. — Dépôt sur le bureau d’une demande de mise en accusation du minis
tère, signée par MM. Laroche-Joubert, Dufour etCunéod’Ornano.
Séance du 27 : Suite de la discussion de la loi municipale, qui se poursuit dans la séance du 29. A la fin de cette dernière séance, M. Granet dépose sa demande d’interpellation sur le Tonkin, dont nous parlons plus haut.
Séance du 30 : Validation de l’élection de M. Laguerre. — Ouverture du débat , sur l’interpellation de M. Gra
net, au sujet des affaires du Tonkin. Discours de M. Gra
net : Le cabinet s est trompé, a-t-il dit. Sa clairvoyance n’aurait cependant pas dû être mise en défaut. Tout fai
sait pressentir l’intervention de la Chine. Si, du moins, le ministère avait convoqué le Parlement lorsqu’il a re
connu son erreur. Mais non, il s’est substitué à la nation, et l’on ne peut approuver une politique qui con
siste à engager le pays dans des équivoques. — Réponse de M. Challemel-Lacour : La politique suivie par le gouvernement, c’est la politique indiquée par la Cham
bre. A quoi bon, dès lors, n’ayant rien de nouveau à lui dire, convoquer le Parlement pour inquiéter le pays. Suit un exposé des négociations infructueuses avec la Chine. La Chine est sourde. « Elle ne nie pas, ne dis
cute pas nos droits sur l’empire d’Annam, elle les ignore. » Du traité de 1862, donnant à la France le droit de protection sur cet empire, du traité de 1874 confirmant ce droit, elle ne veut plus entendre parler.
En présence de ces dispositions que faire? Reculer, abandonner nos droits et nos intérêts? Non, il faut agir « avec fermeté, rapidité et sang-froid ». Ce faisant, le gouvernement et le parlement accompliront leur devoir, « sans redouter les complications invraisemblables dont dont on nous menace ». — Discours de M. Périn : L’o
rateur soutient la politique pacifique. « Combattons, dit-il, à coups de traités de commerce et non àcoups de canon. » La discussion est renvoyée au lendemain. M. Jules Ferry doit prendre la parole.
* *
Espagne. — Cession par l’empereur du Maroc au gouvernement espagnol de la baie située à l’embouchure de la rivière de Yeni, au sud de Mogador, dans le ter
ritoire Sus. Ce point, désigné par les Espagnols sous le nom de Santa-Cruz de Mar Pequena, devait être cédé à l’Espagne en vertu du traité de 1860, après l’expédition d’O’Donnell au Maroc; il avait été depuis vainement réclamé sous tous les régimes qui se sont succédé en Espagne, mais le gouvernement marocain persistait à offrir en échange un autre territoire situé près du détroit de Gibraltar.
* *
Norvège. —- Après des remises successives, le procès des ministres norvégiens, dont nous avons parlé dans un de nos précédents numéros, s’ouvre le 19 octobre à Christiania.
*
* *
Chili. — La légation du Chili à Paris communique aux journaux la dépêche suivante, qu’elle vient de recevoir de son gouvernement :
« Le gouvernement du général Iglesias établi à Lima est reconnu par le Chili. Un traité définitif de paix a été signé. Le gouvernement d’Iglesias domine tout le Pérou, sauf la région d’Arequipa vers laquelle une expédition chilienne est en marche. Un congrès péruvien a été convoqué. »
Les Chiliens ont évacué Lima, dont a pris possession le général Iglesias.
*
* *
Nécrologie. — Le cardinal de Bonnechose, archevêque de Rouen. Voir la note biographique que nous lui consacrons à notre article Gravures.
M. Lanel, député de la première circonscription de Dieppe. M. Lanel, né à Dieppe, en 1813, exerçait les fonctions de notaire dans sa ville natale, et allait se re
tirer lorsque la confiance de ses concitoyens l’appela, en 1870, à la vie politique. Nommé maire de Dieppe, il fut élu, en février 1871, représentant de la Seine-Inférieure, et ne cessa, dès lors, de faire partie des assemblées dé
libérantes. II siégeait sur les bancs du centre gauche à l’Assemblée nationale, ainsi qu’à la Chambre des dépu
tés où il fit partie, après le 16 mai 1877, des 363. Aux
élections de 1876 comme à celles de 1877, il eut pour concurrent monarchiste M. Estancelin. Le 21 août 1881, il fut réélu sans concurrent. M. Lanel était beau-frère de M. John Lemoinne.
Le général de division de Maud’huy. — Né en 1809, le général de Maud’huy était entré à Saint-Cyr en 1826. Sous-lieutenant au 13“ de ligne en 1828, lieutenant en 1831, il assista au siège d’Anvers comme officiel d’or
donnance du roi Louis-Philippe, et sa conduite durant les journées de juin 1848 fut excessivement brillante. Colonel en 1851, général de brigade en 1857, général de division en 1870, il commanda, pendant le siège de Paris, la 2e division du corps Vinoy et les redoutes des Hautes-Bruyères et du Moulin-Saquet.