COURRIER DE PARIS
Novembre ! Le jour des Morts! Je voudrais avoir autant de centimes que ces dates ont fait verser de gouttes d’encre. M. Richepin, qui est maintenant un auteur dramatique, racontait, l’an dernier, l’a
venture de ce chroniqueur qui avait des tiroirs pour chaque anniversaire de l’année et, dedans, des articles tout faits. Le jour des Morts venu, il ouvre le tiroir de Novembre et envoie les feuillets à l’imprimerie, mais quelle est sa stupéfaction, lorsqu’il lit son journal le lendemain, de voir qu’il s’est trompé, qu’il a pris un tiroir pour un autre et qu’il a envoyé aux compositeurs la copie de l’article annuel sur le Carnaval.
Un évohé au lieu d’un requiem !
« Ohé! Ohé, pierrots etpierrettes ! » Au lieu de: « Pauvres morts, voilà votre jour qui revient. Un jour par an, ce n’est pas trop ! »
La plaisanterie de Richepin était amusante et la méprise a pu se produire. La vie, et surtout la vie des Courriers de Paris, n’est qu’un perpétuel recommencement. Donc, c’est la semaine des morts et c’est aussi celle des immortels puisqu’on va fêter Dumas.
Toute l’attention de Paris appartient à ce grand homme bon enfant. On va voir apparaître ses traits aimés et populaires et on saluera sa tête crépue d’une longue acclamation. Et, après cette statue, on lui en élevera une autre, car, après le plaisir de railler les grands hommes vivants, il n’en est pas de plus profond, paraît-il, que de les célébrer quand ils sont morts.
Alexandre Dumas aura sa statue à Paris et à Villers-Cotterets. Il s’est constitué, là-bas, un co
mité local qui tient à avoir son grand homme en bronze - - ou en marbre, puisque c’est en bronze que Gustave Doré a représenté le Dumas de Paris.
Il devait y avoir un discours des compatriotes de Jasmin au pied de la statue de la place Malesherbes. Lorsque la ville d’Agen voulut élever et éleva une statue à Jasmin, le poète-coiffeur, l’au
teur des Mousquetaires se rendit chez les Agenois pour faire une conférence, qui fut fructueuse, au profit de la statue de l’auteur des Papillottes. Les
compatriotes de Jasmin auraient voulu rendre la pareille à Dumas, mais on n’en finirait pas si tous ceux qui admirent le conteur de Monte- Cristo prenaient la parole pour le célébrer.
Ce n’est pas ce diable de Dumas, toujours prêt à célébrer l’héroïsme français et à faire de nos soldats des mousquetaires qui eût raconté que nos marins lardaient les Tonkinois à coups de baïonnettes.
Il est trop tard pour parler de ce qu’on a appelé « le cas de Pierre Loti ». Pierre Loti est un romancier de talent, qui est, en même temps, officier
de marine. Comme romancier, il a publié un volume distingué, Mon Frère Yves. Comme marin, il est attaché à l’expédition du Tonkin. Il envoie à son éditeur, M. Lévy, qui les place où il veut, des let
tres, des impressions de bitailles. Ces impressions ont paru trop crues — ou trop cruelles. Le mi
nistre a prié M. Julien Viaud — ainsi se nomme Pierre Loti, de son vrai nom — de venir s’expliquer à Paris. On a parlé de le mettre en disponi
bilité par retrait d’emploi, ce serait vraiment trop sévère.
Ce qui a compliqué le « cas de Pierre Loti » c’est que les étrangers se sont emparés de ses confi
dences pour affirmer que nos marins, ces braves gens sont, au combat, des bêtes brutes. La luxure du sang, dont parle le Dante, existe pour tous les peuples et il y a beau jour qu’Alfred de Vigny a posé ce redoutable point d’interrogation :
— Sait-on de combien d’assassinats se compose une bataille ?
Mais ce qui est hors de doute aussi c’est que le troupier français n’est pas féroce. Il a des pitiés de grand enfant après ses colères. Il dit aux Arabes
qu’il a canardés : « Titns, moricaud, tu dois avoir faim, partageons mon pain ! » J’ai vu des Allemands faits prisonniers, au Bourget, par nos fusi
liers marins. Comme il faisait froid, les matelots payaient la goutte à je ne sais quelle cantine am
bulante. Les Prussiens voulaient payer. « Est-ce que nous avons besoin de votre argent, tas d’im
béciles? » Voilà le ton, le trait du caractère. Pierre Loti l’avait pourtant bien signalé, mais on n’a voulu voir, dans son récit, que ce qu il y avait de féroce.
Le lieutenant Viaud a payé un peu cher quelques adjectifs de Pierre Loti.
Mais la discipline avant tout.
— Mon diocèse, disait le cardinal de Bonnecho«e, qui vient de mourir, marche comme un régiment !
Il n’est pas mauvais que les régiments marchent comme le diocèse de monseigneur de Bonnechose.
Et, on aura beau dire, les Français ne sont pas des Peaux-Rouges.
Mais, au fait, il y a des Peaux-Rouges au Jardin d’Acclimatation, et un fantaisiste paradoxal lançait dans la circulation, l’autre jour, cette plai
santerie que c’était les Mobawkaz, ou Mohawo — j’orthographie peut-être mal le nom— qui, la nuit, sautaient par-dessus leurs grillages et allait répandre la terreur dans les rues désertes de Neuilly.
Car Neuilly est bel et bien terrifié. Depuis qu’on y a signalé une bande de malfaiteurs, les Neuillysois sont bourrés de revolvers et il n’est pas pru
dent de s’aventurer en flânant dans leurs parages. Des yeux invisibles vous guettent. Si vous faites mine de chercher votre mouchoir dans votre po
che, on vous soupçonne d’y puiser une fausse clef, un rossignol ou un coutelas, et, pan! un coup de feu retentit, une balle s’aplatit à trois pouces de votre tête. C est un habitant de Neuilly qui vous surveillait et qui, ayant vu votre geste, a voulu prévenir votre méfait.
Pif! paf! Pan! M. de Cordier tire huit ou dix ou douze coups de fusil à travers l’espace et cette fusillade semble toute naturelle aux gens de Neuilly.
— Ce sont, sans doute, disent-ils, les sauvages à qui l’on donne la chasse!
Sérieusement, je ne conseillerais point aux Peaux-Rouges de se promener avec leurs plumes et leurs tatouages aux environs de la rue Saint- Ferdinand. Ils risqueraient de ne jamais revoir l’enclos que leur a octroyé M. Geoffroy-Saint-Hilaire. Les chasseurs de Neuilly renouvelleraient les exploits des batteurs d’estrade de ce grand gascon de Gustave Aimard. La peur est une conseillère si
étonnante que tout est possible quand un quartier, tout un quartier, est terrorisé.
On a vu des pacifiques, fanatisés par la lecture des romans de Cooper, se promener avec des coutelas et des tamahaws dans les rues silencieuses de Neuilly et dire avec décision :
— Si le serpent rouge sort du Jardin d’Acclimatation, je ne fais ni une ni deux, je le scalpe !
Hélas ! le serpent rouge s’appelle de son vrai nom, Auguste ou Gustave. Il a les cheveux collés aux tempes et des casquettes à trois ponts. Il crochète à la fois les cœurs et les serrures. Il vit, en pleine boue de Paris, comme un goujon dans l’eau. Voilà les vrais Peaux-Rouges, les chasseurs de porte-mon
naie et non de chevelures, ceux qu’Alexandre Dumas avait appelés les Mohicans de Paris.
Une bonne expédition contre ces Indiens en veston ne serait pas désagréable et Pierre Loti ne trouverait point, sans doute, que les agents man
quent de pitié dans la poursuite de ces Pavillons- Noirs de barrière et de tapis-franc.
Les boulevards, non pas ceux de Neuilly mais ceux des Variétés, et de la fashion ont été sil
lonnés, comme on dit, dans ces jours-ci, par de grandes voitures-annonces portant ces deux noms en grosses capitales : Mme Thérésa, Mlle Bennatti. C’est la diva du bock, une grande artiste,
s’il vous plait, qui remonte sur les planches et fait sa rentrée à l’Alcazar devenu quasiment un théâtre. On y jouera Choufleury de feu Morny et de quelques auteurs bien vivants. Cette Thérésa, qui chante avec la sûreté de méthode d’une Viardot, va peut-être retrouver là ses succès d’autrefois, ses triomphes des temps lointains où elle faisait courir la ville et la Cour. On l’appelait aux Tuile
ries, on lui faisait chanter son répertoire: La Gartcuse d Ours, la Vénus aux Carottes...
La belle Vénus La belle Vénus,
La Vénus aux Carottes !
Aux Tuileries, cela? Aux Tuileries. Thérésa amusait beaucoup l’empereur.
Quelques années après, dans les mêmes salles de ce même palais, aujourd’hui disparu, une autre chanteuse populaire, Mme Bordas, déroulant ses
longs cheveux blonds, lançait aux lambris dorés les refrains de la Canaille :
C’est la canaille,
Eh! bien, j’en suis !
C’était aux derniers jours de la Commune. Les
Tuileries n’avaient plus que quelques heures à demeurer debout.
Quand on pense qu’ainsi, et par là, Thérésa et Mme Bordas demeureront des personnages historiques !
Ce n’est pas seulement Thérésa qui va reparaître sur la scène, c’est une artiste admirable, Mlle Anaïs Fargueil qui, prenant sa retraite, va remonter, pour un jour, sur les planches et faire solennellement ses adieux au public.
Le Figaro qui avait organisé la représentatiou de Bouffé et celle du bon gros Laurent a eu la bonne pensée de pousser au succès de ces adieux de Mlle Fargueil. L’affiche de la représentation est superbe et la salle du Vaudeville sera comble le jeudi 8 novembre, jour où la créatrice de Patrie, de Dalila, des Filles de Marbre, de /’Artésienne et de Pose Michel viendra jouer, pour la dernière fois la comédie. Cette comédie qui fut sa vie et sa gloire.
Elle mérita cent fois de jouer le répertoire de la rue de Richelieu, cette femme tout à fait remarqua
ble et d’un talent si fin, si profond et si puissant.
Elle aura laissé à d’autres, la renommée officielle et comme certains écrivains du plus haut rang, elle ne sera pas entrét à l’Académie. La Comédie- Française est, en effet, l’Institut des artistes dramatiques.
Mais Fargueil n’a pas eu besoin de cet Institut pour être admirée et se montrer admirable.
Elle laissera un nom dans l’histoire de l’art.Elle fut bien l’actrice nerveuse et audacieuse du réper
toire de Sardou et des premiers drames de Feuillet. Elle fut femme et, au théâtre, le succès c’est la femme car le roman éternel de la scène c’est l’amour.
Nous irons applaudir, une fois encore, Mlle Fargueil qui emporte avec elle tant de beaux sou
venirs, tant de bravos oubliés et de magnifiques soirées triomphantes et triomphales.
Et voilà, au total, tout ce qu’il y a de bien nouveau à Baris. On y voit naître ou renaître des journaux tonitruants comme le Point Noir ou le Cri du Peuple et on y prépare la réouverture du Théâtre-Italien sur les planches quasi-littéraires de M. Ballande. En avant, Simon Boccanegra! Verdi d’abord, puis Massenet ensuite avec Hérodiade. Les Italiens vont peut-être retrouver, au bord de l’eau, leurs beaux soirs de la place Ventadour.
Autant de recettes de moins — qui sait? —dans l’avenir, pour les Français — les Italiens contre les Français, lutte musico-dramatique — car si la mode se tourne du côté de M. Maurel, adieu les mardis de la rue de Richelieu, ces fameux mardis, qui ont été si fructueux et si courus. Tous les sept ans les goûts changent chez l’homme et presque tous les ans ils se modifient dans ce diable de Paris qui devrait bien ajouter une girouette à son écusson.
Verdi est, d’ailleurs, un rude enchanteur, et qui a bien sa puissance. On ne connaît pas ici son Simon Boccanegra. Il est probable qu’on y courra comme à Aïda.
— Verdi, disait, l’autre jour, un faiseur de mots, c’est Berlioz qui aurait lu Victor Hugo!
Comme tous les mots, ce trait, fort discutable, n’est vrai qu’à demi.
Mais voici un mot, qu’on a attribué au cardinal Donnet, et qui est bel et bien de l’archevêque de Rouen.
Le cardinal de Bonnechose dînait chez un curé de son bataillon —je veux dire de son diocèse.
On servait du vin excellent et un des convives, un peu étonné, dit au cardinal :
— Vraiment, Monseigneur, vous devez être un peu surpris de rencontrer un aussi bon vin sur la table d’un simple prêtre!
— C’est vrai, dit M. de Bonnechose, mais aussi, vous voyez : le bonhomme ne veut pas le garder pour lui !
J’ai lu le trait dans une étude sur les vins ce Bordeaux par M. de Chasteigner. Par esprit de terroir, l’historien du Médoc l’attribuait à l’archevêque de Bordeaux !
C’est encore M. de Chasteigner qni rapporte la réponse d’un religieux chez qui son supérieur trouve un flacon de Sauternes.
— De quelle faute ne vous êtes-vous pas rendu coupable en rompant la règle !
— Hélas! mon révérend, je le sais bien, j’ai fait une faute, mais je la boirai !
Perdican.
Novembre ! Le jour des Morts! Je voudrais avoir autant de centimes que ces dates ont fait verser de gouttes d’encre. M. Richepin, qui est maintenant un auteur dramatique, racontait, l’an dernier, l’a
venture de ce chroniqueur qui avait des tiroirs pour chaque anniversaire de l’année et, dedans, des articles tout faits. Le jour des Morts venu, il ouvre le tiroir de Novembre et envoie les feuillets à l’imprimerie, mais quelle est sa stupéfaction, lorsqu’il lit son journal le lendemain, de voir qu’il s’est trompé, qu’il a pris un tiroir pour un autre et qu’il a envoyé aux compositeurs la copie de l’article annuel sur le Carnaval.
Un évohé au lieu d’un requiem !
« Ohé! Ohé, pierrots etpierrettes ! » Au lieu de: « Pauvres morts, voilà votre jour qui revient. Un jour par an, ce n’est pas trop ! »
La plaisanterie de Richepin était amusante et la méprise a pu se produire. La vie, et surtout la vie des Courriers de Paris, n’est qu’un perpétuel recommencement. Donc, c’est la semaine des morts et c’est aussi celle des immortels puisqu’on va fêter Dumas.
Toute l’attention de Paris appartient à ce grand homme bon enfant. On va voir apparaître ses traits aimés et populaires et on saluera sa tête crépue d’une longue acclamation. Et, après cette statue, on lui en élevera une autre, car, après le plaisir de railler les grands hommes vivants, il n’en est pas de plus profond, paraît-il, que de les célébrer quand ils sont morts.
Alexandre Dumas aura sa statue à Paris et à Villers-Cotterets. Il s’est constitué, là-bas, un co
mité local qui tient à avoir son grand homme en bronze - - ou en marbre, puisque c’est en bronze que Gustave Doré a représenté le Dumas de Paris.
Il devait y avoir un discours des compatriotes de Jasmin au pied de la statue de la place Malesherbes. Lorsque la ville d’Agen voulut élever et éleva une statue à Jasmin, le poète-coiffeur, l’au
teur des Mousquetaires se rendit chez les Agenois pour faire une conférence, qui fut fructueuse, au profit de la statue de l’auteur des Papillottes. Les
compatriotes de Jasmin auraient voulu rendre la pareille à Dumas, mais on n’en finirait pas si tous ceux qui admirent le conteur de Monte- Cristo prenaient la parole pour le célébrer.
Ce n’est pas ce diable de Dumas, toujours prêt à célébrer l’héroïsme français et à faire de nos soldats des mousquetaires qui eût raconté que nos marins lardaient les Tonkinois à coups de baïonnettes.
Il est trop tard pour parler de ce qu’on a appelé « le cas de Pierre Loti ». Pierre Loti est un romancier de talent, qui est, en même temps, officier
de marine. Comme romancier, il a publié un volume distingué, Mon Frère Yves. Comme marin, il est attaché à l’expédition du Tonkin. Il envoie à son éditeur, M. Lévy, qui les place où il veut, des let
tres, des impressions de bitailles. Ces impressions ont paru trop crues — ou trop cruelles. Le mi
nistre a prié M. Julien Viaud — ainsi se nomme Pierre Loti, de son vrai nom — de venir s’expliquer à Paris. On a parlé de le mettre en disponi
bilité par retrait d’emploi, ce serait vraiment trop sévère.
Ce qui a compliqué le « cas de Pierre Loti » c’est que les étrangers se sont emparés de ses confi
dences pour affirmer que nos marins, ces braves gens sont, au combat, des bêtes brutes. La luxure du sang, dont parle le Dante, existe pour tous les peuples et il y a beau jour qu’Alfred de Vigny a posé ce redoutable point d’interrogation :
— Sait-on de combien d’assassinats se compose une bataille ?
Mais ce qui est hors de doute aussi c’est que le troupier français n’est pas féroce. Il a des pitiés de grand enfant après ses colères. Il dit aux Arabes
qu’il a canardés : « Titns, moricaud, tu dois avoir faim, partageons mon pain ! » J’ai vu des Allemands faits prisonniers, au Bourget, par nos fusi
liers marins. Comme il faisait froid, les matelots payaient la goutte à je ne sais quelle cantine am
bulante. Les Prussiens voulaient payer. « Est-ce que nous avons besoin de votre argent, tas d’im
béciles? » Voilà le ton, le trait du caractère. Pierre Loti l’avait pourtant bien signalé, mais on n’a voulu voir, dans son récit, que ce qu il y avait de féroce.
Le lieutenant Viaud a payé un peu cher quelques adjectifs de Pierre Loti.
Mais la discipline avant tout.
— Mon diocèse, disait le cardinal de Bonnecho«e, qui vient de mourir, marche comme un régiment !
Il n’est pas mauvais que les régiments marchent comme le diocèse de monseigneur de Bonnechose.
Et, on aura beau dire, les Français ne sont pas des Peaux-Rouges.
Mais, au fait, il y a des Peaux-Rouges au Jardin d’Acclimatation, et un fantaisiste paradoxal lançait dans la circulation, l’autre jour, cette plai
santerie que c’était les Mobawkaz, ou Mohawo — j’orthographie peut-être mal le nom— qui, la nuit, sautaient par-dessus leurs grillages et allait répandre la terreur dans les rues désertes de Neuilly.
Car Neuilly est bel et bien terrifié. Depuis qu’on y a signalé une bande de malfaiteurs, les Neuillysois sont bourrés de revolvers et il n’est pas pru
dent de s’aventurer en flânant dans leurs parages. Des yeux invisibles vous guettent. Si vous faites mine de chercher votre mouchoir dans votre po
che, on vous soupçonne d’y puiser une fausse clef, un rossignol ou un coutelas, et, pan! un coup de feu retentit, une balle s’aplatit à trois pouces de votre tête. C est un habitant de Neuilly qui vous surveillait et qui, ayant vu votre geste, a voulu prévenir votre méfait.
Pif! paf! Pan! M. de Cordier tire huit ou dix ou douze coups de fusil à travers l’espace et cette fusillade semble toute naturelle aux gens de Neuilly.
— Ce sont, sans doute, disent-ils, les sauvages à qui l’on donne la chasse!
Sérieusement, je ne conseillerais point aux Peaux-Rouges de se promener avec leurs plumes et leurs tatouages aux environs de la rue Saint- Ferdinand. Ils risqueraient de ne jamais revoir l’enclos que leur a octroyé M. Geoffroy-Saint-Hilaire. Les chasseurs de Neuilly renouvelleraient les exploits des batteurs d’estrade de ce grand gascon de Gustave Aimard. La peur est une conseillère si
étonnante que tout est possible quand un quartier, tout un quartier, est terrorisé.
On a vu des pacifiques, fanatisés par la lecture des romans de Cooper, se promener avec des coutelas et des tamahaws dans les rues silencieuses de Neuilly et dire avec décision :
— Si le serpent rouge sort du Jardin d’Acclimatation, je ne fais ni une ni deux, je le scalpe !
Hélas ! le serpent rouge s’appelle de son vrai nom, Auguste ou Gustave. Il a les cheveux collés aux tempes et des casquettes à trois ponts. Il crochète à la fois les cœurs et les serrures. Il vit, en pleine boue de Paris, comme un goujon dans l’eau. Voilà les vrais Peaux-Rouges, les chasseurs de porte-mon
naie et non de chevelures, ceux qu’Alexandre Dumas avait appelés les Mohicans de Paris.
Une bonne expédition contre ces Indiens en veston ne serait pas désagréable et Pierre Loti ne trouverait point, sans doute, que les agents man
quent de pitié dans la poursuite de ces Pavillons- Noirs de barrière et de tapis-franc.
Les boulevards, non pas ceux de Neuilly mais ceux des Variétés, et de la fashion ont été sil
lonnés, comme on dit, dans ces jours-ci, par de grandes voitures-annonces portant ces deux noms en grosses capitales : Mme Thérésa, Mlle Bennatti. C’est la diva du bock, une grande artiste,
s’il vous plait, qui remonte sur les planches et fait sa rentrée à l’Alcazar devenu quasiment un théâtre. On y jouera Choufleury de feu Morny et de quelques auteurs bien vivants. Cette Thérésa, qui chante avec la sûreté de méthode d’une Viardot, va peut-être retrouver là ses succès d’autrefois, ses triomphes des temps lointains où elle faisait courir la ville et la Cour. On l’appelait aux Tuile
ries, on lui faisait chanter son répertoire: La Gartcuse d Ours, la Vénus aux Carottes...
La belle Vénus La belle Vénus,
La Vénus aux Carottes !
Aux Tuileries, cela? Aux Tuileries. Thérésa amusait beaucoup l’empereur.
Quelques années après, dans les mêmes salles de ce même palais, aujourd’hui disparu, une autre chanteuse populaire, Mme Bordas, déroulant ses
longs cheveux blonds, lançait aux lambris dorés les refrains de la Canaille :
C’est la canaille,
Eh! bien, j’en suis !
C’était aux derniers jours de la Commune. Les
Tuileries n’avaient plus que quelques heures à demeurer debout.
Quand on pense qu’ainsi, et par là, Thérésa et Mme Bordas demeureront des personnages historiques !
Ce n’est pas seulement Thérésa qui va reparaître sur la scène, c’est une artiste admirable, Mlle Anaïs Fargueil qui, prenant sa retraite, va remonter, pour un jour, sur les planches et faire solennellement ses adieux au public.
Le Figaro qui avait organisé la représentatiou de Bouffé et celle du bon gros Laurent a eu la bonne pensée de pousser au succès de ces adieux de Mlle Fargueil. L’affiche de la représentation est superbe et la salle du Vaudeville sera comble le jeudi 8 novembre, jour où la créatrice de Patrie, de Dalila, des Filles de Marbre, de /’Artésienne et de Pose Michel viendra jouer, pour la dernière fois la comédie. Cette comédie qui fut sa vie et sa gloire.
Elle mérita cent fois de jouer le répertoire de la rue de Richelieu, cette femme tout à fait remarqua
ble et d’un talent si fin, si profond et si puissant.
Elle aura laissé à d’autres, la renommée officielle et comme certains écrivains du plus haut rang, elle ne sera pas entrét à l’Académie. La Comédie- Française est, en effet, l’Institut des artistes dramatiques.
Mais Fargueil n’a pas eu besoin de cet Institut pour être admirée et se montrer admirable.
Elle laissera un nom dans l’histoire de l’art.Elle fut bien l’actrice nerveuse et audacieuse du réper
toire de Sardou et des premiers drames de Feuillet. Elle fut femme et, au théâtre, le succès c’est la femme car le roman éternel de la scène c’est l’amour.
Nous irons applaudir, une fois encore, Mlle Fargueil qui emporte avec elle tant de beaux sou
venirs, tant de bravos oubliés et de magnifiques soirées triomphantes et triomphales.
Et voilà, au total, tout ce qu’il y a de bien nouveau à Baris. On y voit naître ou renaître des journaux tonitruants comme le Point Noir ou le Cri du Peuple et on y prépare la réouverture du Théâtre-Italien sur les planches quasi-littéraires de M. Ballande. En avant, Simon Boccanegra! Verdi d’abord, puis Massenet ensuite avec Hérodiade. Les Italiens vont peut-être retrouver, au bord de l’eau, leurs beaux soirs de la place Ventadour.
Autant de recettes de moins — qui sait? —dans l’avenir, pour les Français — les Italiens contre les Français, lutte musico-dramatique — car si la mode se tourne du côté de M. Maurel, adieu les mardis de la rue de Richelieu, ces fameux mardis, qui ont été si fructueux et si courus. Tous les sept ans les goûts changent chez l’homme et presque tous les ans ils se modifient dans ce diable de Paris qui devrait bien ajouter une girouette à son écusson.
Verdi est, d’ailleurs, un rude enchanteur, et qui a bien sa puissance. On ne connaît pas ici son Simon Boccanegra. Il est probable qu’on y courra comme à Aïda.
— Verdi, disait, l’autre jour, un faiseur de mots, c’est Berlioz qui aurait lu Victor Hugo!
Comme tous les mots, ce trait, fort discutable, n’est vrai qu’à demi.
Mais voici un mot, qu’on a attribué au cardinal Donnet, et qui est bel et bien de l’archevêque de Rouen.
Le cardinal de Bonnechose dînait chez un curé de son bataillon —je veux dire de son diocèse.
On servait du vin excellent et un des convives, un peu étonné, dit au cardinal :
— Vraiment, Monseigneur, vous devez être un peu surpris de rencontrer un aussi bon vin sur la table d’un simple prêtre!
— C’est vrai, dit M. de Bonnechose, mais aussi, vous voyez : le bonhomme ne veut pas le garder pour lui !
J’ai lu le trait dans une étude sur les vins ce Bordeaux par M. de Chasteigner. Par esprit de terroir, l’historien du Médoc l’attribuait à l’archevêque de Bordeaux !
C’est encore M. de Chasteigner qni rapporte la réponse d’un religieux chez qui son supérieur trouve un flacon de Sauternes.
— De quelle faute ne vous êtes-vous pas rendu coupable en rompant la règle !
— Hélas! mon révérend, je le sais bien, j’ai fait une faute, mais je la boirai !
Perdican.