approfondir! Toutefois, la naïveté des confidences de la jeune fille exemptes du moindre embarras, dépourvues de réticences, lui donnèrent lieu de croire que Georges n’avait pas abusé de tant d’abandon et de tant d’innocence.
— N’est-ce pas là ce que voulait dire le Français ? Pensait-il. A-t-il su l’aimer assez pour la res
pecter?... et voudrait-il donc ?... hélas! je ne puis le souhaiter ni pour l’un, ni pour l’autre !... Pauvres enfants! Quelle fata dté qu’ils se soient rencontrés ! mais qui peut fuir son destin ?
Sanpiétri et la jeune fille étaient arrivés en parlant ainsi, jusqu’au tournant du chemin et ils se trouvèrent en vue de la maisonnette.
— Quels sont ceux qui sont chez toi ? demandait d’un air sombre.
— Il y a mon père et ma mère et le ragazzo\ les deux autres ont reconduit la balancelle au port; ils ne reviendront que tard.
— Cela se rencontre à merveille; j’ai à parler à ton père et à ta mère ; tu vas entendre des choses qui vous surprendront et vous affligeront aussi; peut être ferais-je mieux de me taire ?
Ils rencontrèrent devant la porte Paolo qui les avait, vus venir.
— Soyez le bienvenu, Excellence ! il y a du nouveau, paraît-il, j’ai appris cela à l’entrée des Bou
ches par les pêcheurs au Portovecchio; mais vous vous en êtes tiré à votre honneur, comme toujours.
— Oui et malheureusement comme toujours avec du sang versé, répondit Sanpiétri en entrant dans la maison; que ce sang retombe sur le traître qui a vendu Sanpiétri ! Sanpiétri dédaigne de se venger de lui et c’est pourquoi il vient vous dire adieu...
— Mais je ne vous comprends pas, Excellence, que voulez-vous dire ?
— Comment Paolo, vous ne comprenez pas? Pour que les collets jaunes aient attaqué Sanpiétri aux trois châtaigniers, pour qu’ils aient voulu le surprendre au passage des roches noires, il fallait que quelqu’un les eut instruits de sa route! Eh
bien ! ce traître je le connais, et je me fécilite qu’il ne soit pas ici en ce moment, bien que jë ne veuille pas me venger, je vous le répète à cause de cette enfant !
— Mais, par la madone! Signor, de qui voulezvous parler ? lequel ici vous a trahi ?
— Comment vous ne devinez pas que c’est le fils de votre frère ?
— lacopo ! oh ! par le sang du Christ, Signor, si c’était tout autre qui l’accusât d’une pareille lâ
cheté, je lui aurais déjà fait rentrer ses paroles dans la gorge!
— Calmez-vous, Paolo, et écoutez-moi.
Et il leur raconta l’absurde jalousie de lacopo, sa trahison dont il s’était douté, et comment il l’avait découverte.
Son récit fut souvent interrompu par les imprécations de Paolo et ses menaces à son neveu absent.
— Et maintenant, ajouta le baron en terminant vous comprenez, padrone, que Sanpiétri laissera la vie au fils de votre frère; tu comprends petite, que je ne veux pas tuer ton fiancé. Ne m’interrompez pas ! laissez-moi finir; mais vous comprenez aussi que je ne veux pas me trouver sous le même toît que le traître ! il va rentrer et je vous fais mes adieux pour ne pas m’exposer à ma colère en le voyant.
— Ah ! le misérable ! cria Paolo; mais c’est lui qui partira d’ici. Cette maison est à moi, et elle ne sera pas souillée par la présence de ce maudit.... Quant à la petite...
— Je n’avais pu l’aimer avant ce jour, interrompit-elle, et maintenant je le hais... et je mourrai,
mon père, plutôt que d’être sa femme... oui, ma mère, je vous le jure, je mourrai!
— Vous réfléchirez tous, dit Sanpiétri, il ne faut pas vous désunir à cause de moi. Je voulais d’abord vous laisser tout ignorer; mais moi, qui avais engagé cette pauvre enfant à donner son consente
ment à Jacopo, pouvais-je ensuite, sans l’avertir, lui laisser lier sa vie à un homme capable de tant
de lâcheté? Cependant, je vous y engage, réfléchissez, je ne veux pas porter le trouble parmi vous, et, quoi qu’il arrive, Sanpiétri restera votre ami, padrone, et le tien aussi, chère petite, ne l’oubliez pas, et maintenant, adieu à tous!
— Non, demeurez! dit Paolo qui regardait par la porte ouverte sur le chemin, le voilà, mais il n’entrera pas dans ma maison et il partira d’ici avant vous.
C’était en effet Jacopo.
Après avoir terminé, à bord de sa balancelle, les opérations d’amarrage et recommandé aux deux gardiens de ne pas toujours dormir, il venait de descendre à terre pour s’en retourner à la cabane des pêcheurs, quand le lieutenant Andrinetti parut devant lui.
Celui-ci n’avait pas la conscience ni l’esprit tranquilles à l’endroit de Jacopo, dont il avait livré le secret. Evidemment, le commandant ne le lui avait demandé que pour en faire part à don César, lequel avait déjà instruit Sanpiétri de la trahison du Na
politain. Le message de Batistone n’avait pas eu d’autre but.
Jacopo, à son tour, finirait par apprendre l’indiscrétion d’Andrinetti, et don Andrinetti ne se
souciait pas d’avoir affaire au couteau du signor Jacopo.
Troublé par ces appréhensions, le lieutenant des voltigeurs se rendait tous les soirs sur le port pour guetter l’arrivée du Gioacchino.
Ayant attendu que Jacopo fut libre, il le rejoignit, lui apprit l’insuccès de ses deux embuscades, passa naturellement sous silence la scène des Roches-Noires et ajouta :
— Maintenant, ami Jacopo, je te conseille de prendre garde à toi, Sanpiétri a envoyé un mes
sager à son cousin don César, pour lui demander sans doute si ce n’étaient pas les deux Français dont tu m’as parlé qui m’auraient si bien rensei
gné. Les Français auront nié et Sanpiétri n’aura pas eu de peine alors à deviner que c’était toi... Tu sais qu’il ne pardonne jamais !... Te voilà prévenu
et, comme on dit en France, un bon averti en vaut deux.... Oui, oui, je vois bien, tu roules tes yeux blancs et ta main caresse ton couteau dans ta ceinture; mais la balle de Sanpiétri porte plus loin et
plus juste.... A toi de prendre tes précautions.... Adieu !...
Et il s’éloigna après avoir serré la main de son honorable compatriote.
Napolitanacci ! aurait dit le commandant Péri. Jacopo s’achemina, tout songeur, vers la maison de la plage, où il arriva au tomber de la nuit.
Il trouva sur le seuil Paolo, s’avançant pour lui barrer le passage.
— Tu peux t’en retourner, lui dit le patron d’une voix ferme et triste, il n’y a plus de place ici pour les traîtres.
— Qui donc est le traître? mon oncle, et qui accusez-vous ?
— Toi ! et tu sais bien que tu as lâchement livré les secrets de notre hôte pour le faire tuer ou prendre... Nous ne sommes que des pauvres gens, pê
cheurs depuis deux cents ans de père en fils... mais nous gardions les lois de l’honneur et de la loyau
té... C’est pour cela que le padrone Paolo Aniello était honoré dans toute la rivière du levant; main
tenant, par toi, la honte est sur nous, et le vieux Paolo sera de la famille d’un lâche et d’un traître... Va-t-en !
— Mais on vous a trompé, padrone; celui qui vous a dit cela a menti, et s’il était ici...
— Il est ici, dit Sanpiétri en apparaissant dans la lumière de la lampe que Maria-Angela venait d’allumer... Tu es le premier qui ait jamais donné un démenti à Sanpiétri ; il est heureux pour toi que j’aie promis à Paolo la vie du fils de son frère.
Et comme Jacopo, terrifié d’abord à cette apparition, portait ensuite la main à sa ceinture :
— Laisse ton couteau ; tu sais qu’il ne me fait pas peur, pas plus que ta lâcheté ne m’inspire de colère. Si la colère m’avait pris, je t’aurais déjà tué comme un chien !... Mais je ne répondrais de rien, si je continuais à te voir !... Allons ! débarrasse la
porte, laisse-moi passer... Adieu ! Maria-Angela; adieu ! petite ; adieu ! bon Paolo, ajouta-t-il en leur serrant la main... Je n’ose vous dire au revoir.
Et il partit, passant devant Jacopo, sans hâter sa marche, le fusil en bandoulière ; mais sa main sur sa cartouchière serrait la crosse de son pistolet.
— Ah ! signor, s’e cria Assunta en courant après lui et le rejoignant à dix pas de la maison. Com
ment ! nous ne nous reverrons plus ? Que fera la pauvre Assunta ? Que va-t-elle devenir ?
— Petite, chère petite ! répondit Sanpiétri d’une voix émue, tu feras ce que te commanderont Paolo et ta mère... Pour moi, je t’adresse seulement une prière ; renonce à voir le signor français ; il vous arrivera malheur à tous les deux !... Cependant, je ne puis t abandonner... Pour toi, je reviendrai, et
si la présence du traître m’empêche d’entrer dans ta maison, tu me rencontreras sur le rivage de la mer ou au bord du lavoir... Adieu ! si je ne puis venir, Decio vous apportera de mes nouvelles.
Pendant ce temps, Jacopo essayait inutilement de fléchir son oncle :
— Non, non, disait Paolo, tu n’entreras pas ; cette maison est à moi, retourne à bord de ta ba
lancelle... et tâche d’obtenir le pardon de Sanpiétri pour effacer un peu la souillure que ta lâcheté a fait rejaillir sur nous; jusque-là, je te le jure, le fils de mon père sera ici un étranger... Adieu !
— Mais toi, petite, dit Jacopo à Assunta qui revenait en essuyant ses larmes, tu es ma fiancée, j’ai ta promesse, c’est l’excès de mon amour pour toi qui m’a égaré!... pardonne-moi !
— Moi, s écria-t-elle, c’est pour obéir à mon père et à ma mère que je m’étais engagée à toi sans amour... et maintenant je t’ai en horreur!..-
Veux-tu d’une femme qui n’a que de la haine à te donner?... Dites, mon père, dites, ma mère, ne suisje pas déliée avec lui et me conseillez-vous toujours d’épouser cet homme?
— Non, petite, non!... Sa mauvaise action t’a dégagée de ta promesse. Quand celui qu’il a offensé par sa trahison lui aura tendu la main en signe de pardon, alors seulement nous pourrons oublier et pardonner comme lui.
— Eh bien! s’écria Jacopo avec emportement, je ferai valoir les droits que me donnent nos lois et à notre premier vor âge à Naples, par le corps du Christ!...
— Nos lois napolitaines ne peuvent rien sur cette terre française, et le vieux Paolo ne retournera pas parmi ses frères de Naples; il n’oserait, sans rougir de ta honte, lever le front au milieu d’eux... Va-t- en, te dis-je...
Jacopo eut un mouvement de fureur; il pâlit affreusement sous les pensées violentes qui montè
rent à son cerveau. Mais l’attitude douloureuse et le calme regard de celui qui avait été un père pour lui depuis son enfance, refoulèrent ses mauvais instincts.
Il poussa un soupir rauque, murmura, au milieu d’imprécations, des menaces qu’on n’entendit pas, et il s’éloigna, dans la profondeur de la nuit, sur le chemin de Bonifacio.
XVI
Le colonel avait annoncé son arrivée pour le vendredi; c’était le surlendemain du retour du Gioac
chino et le jour où les deux amants devaient se revoir.
Le commandant Péri se leva de très méchante humeur; il ne faisait jamais rien le vendredi, au
cun travail, aucune promenade, n’écrivait aucune lettre, n’ouvrait pas celles qui lui étaient adres
sées , se contentant uniquement d’accomplir les fonctions de la vie animale.
Que voulez-vous ! c’était le mauvais jour!
Qui aurait jamais songé à choisir un vendredi pour voyager ? pour commencer une inspection de
troupe ? Il n’y avait que ces Français ne croyant à rien, habitués à rire de tout, capables de cela !
Il fallut bien pourtant se lever, se raser et endosser sa grande tenue.
Ce ne fut pas sans maugréer; mais enfin à neuf
heures et demie, le vieux soldat était paré, sanglé
— N’est-ce pas là ce que voulait dire le Français ? Pensait-il. A-t-il su l’aimer assez pour la res
pecter?... et voudrait-il donc ?... hélas! je ne puis le souhaiter ni pour l’un, ni pour l’autre !... Pauvres enfants! Quelle fata dté qu’ils se soient rencontrés ! mais qui peut fuir son destin ?
Sanpiétri et la jeune fille étaient arrivés en parlant ainsi, jusqu’au tournant du chemin et ils se trouvèrent en vue de la maisonnette.
— Quels sont ceux qui sont chez toi ? demandait d’un air sombre.
— Il y a mon père et ma mère et le ragazzo\ les deux autres ont reconduit la balancelle au port; ils ne reviendront que tard.
— Cela se rencontre à merveille; j’ai à parler à ton père et à ta mère ; tu vas entendre des choses qui vous surprendront et vous affligeront aussi; peut être ferais-je mieux de me taire ?
Ils rencontrèrent devant la porte Paolo qui les avait, vus venir.
— Soyez le bienvenu, Excellence ! il y a du nouveau, paraît-il, j’ai appris cela à l’entrée des Bou
ches par les pêcheurs au Portovecchio; mais vous vous en êtes tiré à votre honneur, comme toujours.
— Oui et malheureusement comme toujours avec du sang versé, répondit Sanpiétri en entrant dans la maison; que ce sang retombe sur le traître qui a vendu Sanpiétri ! Sanpiétri dédaigne de se venger de lui et c’est pourquoi il vient vous dire adieu...
— Mais je ne vous comprends pas, Excellence, que voulez-vous dire ?
— Comment Paolo, vous ne comprenez pas? Pour que les collets jaunes aient attaqué Sanpiétri aux trois châtaigniers, pour qu’ils aient voulu le surprendre au passage des roches noires, il fallait que quelqu’un les eut instruits de sa route! Eh
bien ! ce traître je le connais, et je me fécilite qu’il ne soit pas ici en ce moment, bien que jë ne veuille pas me venger, je vous le répète à cause de cette enfant !
— Mais, par la madone! Signor, de qui voulezvous parler ? lequel ici vous a trahi ?
— Comment vous ne devinez pas que c’est le fils de votre frère ?
— lacopo ! oh ! par le sang du Christ, Signor, si c’était tout autre qui l’accusât d’une pareille lâ
cheté, je lui aurais déjà fait rentrer ses paroles dans la gorge!
— Calmez-vous, Paolo, et écoutez-moi.
Et il leur raconta l’absurde jalousie de lacopo, sa trahison dont il s’était douté, et comment il l’avait découverte.
Son récit fut souvent interrompu par les imprécations de Paolo et ses menaces à son neveu absent.
— Et maintenant, ajouta le baron en terminant vous comprenez, padrone, que Sanpiétri laissera la vie au fils de votre frère; tu comprends petite, que je ne veux pas tuer ton fiancé. Ne m’interrompez pas ! laissez-moi finir; mais vous comprenez aussi que je ne veux pas me trouver sous le même toît que le traître ! il va rentrer et je vous fais mes adieux pour ne pas m’exposer à ma colère en le voyant.
— Ah ! le misérable ! cria Paolo; mais c’est lui qui partira d’ici. Cette maison est à moi, et elle ne sera pas souillée par la présence de ce maudit.... Quant à la petite...
— Je n’avais pu l’aimer avant ce jour, interrompit-elle, et maintenant je le hais... et je mourrai,
mon père, plutôt que d’être sa femme... oui, ma mère, je vous le jure, je mourrai!
— Vous réfléchirez tous, dit Sanpiétri, il ne faut pas vous désunir à cause de moi. Je voulais d’abord vous laisser tout ignorer; mais moi, qui avais engagé cette pauvre enfant à donner son consente
ment à Jacopo, pouvais-je ensuite, sans l’avertir, lui laisser lier sa vie à un homme capable de tant
de lâcheté? Cependant, je vous y engage, réfléchissez, je ne veux pas porter le trouble parmi vous, et, quoi qu’il arrive, Sanpiétri restera votre ami, padrone, et le tien aussi, chère petite, ne l’oubliez pas, et maintenant, adieu à tous!
— Non, demeurez! dit Paolo qui regardait par la porte ouverte sur le chemin, le voilà, mais il n’entrera pas dans ma maison et il partira d’ici avant vous.
C’était en effet Jacopo.
Après avoir terminé, à bord de sa balancelle, les opérations d’amarrage et recommandé aux deux gardiens de ne pas toujours dormir, il venait de descendre à terre pour s’en retourner à la cabane des pêcheurs, quand le lieutenant Andrinetti parut devant lui.
Celui-ci n’avait pas la conscience ni l’esprit tranquilles à l’endroit de Jacopo, dont il avait livré le secret. Evidemment, le commandant ne le lui avait demandé que pour en faire part à don César, lequel avait déjà instruit Sanpiétri de la trahison du Na
politain. Le message de Batistone n’avait pas eu d’autre but.
Jacopo, à son tour, finirait par apprendre l’indiscrétion d’Andrinetti, et don Andrinetti ne se
souciait pas d’avoir affaire au couteau du signor Jacopo.
Troublé par ces appréhensions, le lieutenant des voltigeurs se rendait tous les soirs sur le port pour guetter l’arrivée du Gioacchino.
Ayant attendu que Jacopo fut libre, il le rejoignit, lui apprit l’insuccès de ses deux embuscades, passa naturellement sous silence la scène des Roches-Noires et ajouta :
— Maintenant, ami Jacopo, je te conseille de prendre garde à toi, Sanpiétri a envoyé un mes
sager à son cousin don César, pour lui demander sans doute si ce n’étaient pas les deux Français dont tu m’as parlé qui m’auraient si bien rensei
gné. Les Français auront nié et Sanpiétri n’aura pas eu de peine alors à deviner que c’était toi... Tu sais qu’il ne pardonne jamais !... Te voilà prévenu
et, comme on dit en France, un bon averti en vaut deux.... Oui, oui, je vois bien, tu roules tes yeux blancs et ta main caresse ton couteau dans ta ceinture; mais la balle de Sanpiétri porte plus loin et
plus juste.... A toi de prendre tes précautions.... Adieu !...
Et il s’éloigna après avoir serré la main de son honorable compatriote.
Napolitanacci ! aurait dit le commandant Péri. Jacopo s’achemina, tout songeur, vers la maison de la plage, où il arriva au tomber de la nuit.
Il trouva sur le seuil Paolo, s’avançant pour lui barrer le passage.
— Tu peux t’en retourner, lui dit le patron d’une voix ferme et triste, il n’y a plus de place ici pour les traîtres.
— Qui donc est le traître? mon oncle, et qui accusez-vous ?
— Toi ! et tu sais bien que tu as lâchement livré les secrets de notre hôte pour le faire tuer ou prendre... Nous ne sommes que des pauvres gens, pê
cheurs depuis deux cents ans de père en fils... mais nous gardions les lois de l’honneur et de la loyau
té... C’est pour cela que le padrone Paolo Aniello était honoré dans toute la rivière du levant; main
tenant, par toi, la honte est sur nous, et le vieux Paolo sera de la famille d’un lâche et d’un traître... Va-t-en !
— Mais on vous a trompé, padrone; celui qui vous a dit cela a menti, et s’il était ici...
— Il est ici, dit Sanpiétri en apparaissant dans la lumière de la lampe que Maria-Angela venait d’allumer... Tu es le premier qui ait jamais donné un démenti à Sanpiétri ; il est heureux pour toi que j’aie promis à Paolo la vie du fils de son frère.
Et comme Jacopo, terrifié d’abord à cette apparition, portait ensuite la main à sa ceinture :
— Laisse ton couteau ; tu sais qu’il ne me fait pas peur, pas plus que ta lâcheté ne m’inspire de colère. Si la colère m’avait pris, je t’aurais déjà tué comme un chien !... Mais je ne répondrais de rien, si je continuais à te voir !... Allons ! débarrasse la
porte, laisse-moi passer... Adieu ! Maria-Angela; adieu ! petite ; adieu ! bon Paolo, ajouta-t-il en leur serrant la main... Je n’ose vous dire au revoir.
Et il partit, passant devant Jacopo, sans hâter sa marche, le fusil en bandoulière ; mais sa main sur sa cartouchière serrait la crosse de son pistolet.
— Ah ! signor, s’e cria Assunta en courant après lui et le rejoignant à dix pas de la maison. Com
ment ! nous ne nous reverrons plus ? Que fera la pauvre Assunta ? Que va-t-elle devenir ?
— Petite, chère petite ! répondit Sanpiétri d’une voix émue, tu feras ce que te commanderont Paolo et ta mère... Pour moi, je t’adresse seulement une prière ; renonce à voir le signor français ; il vous arrivera malheur à tous les deux !... Cependant, je ne puis t abandonner... Pour toi, je reviendrai, et
si la présence du traître m’empêche d’entrer dans ta maison, tu me rencontreras sur le rivage de la mer ou au bord du lavoir... Adieu ! si je ne puis venir, Decio vous apportera de mes nouvelles.
Pendant ce temps, Jacopo essayait inutilement de fléchir son oncle :
— Non, non, disait Paolo, tu n’entreras pas ; cette maison est à moi, retourne à bord de ta ba
lancelle... et tâche d’obtenir le pardon de Sanpiétri pour effacer un peu la souillure que ta lâcheté a fait rejaillir sur nous; jusque-là, je te le jure, le fils de mon père sera ici un étranger... Adieu !
— Mais toi, petite, dit Jacopo à Assunta qui revenait en essuyant ses larmes, tu es ma fiancée, j’ai ta promesse, c’est l’excès de mon amour pour toi qui m’a égaré!... pardonne-moi !
— Moi, s écria-t-elle, c’est pour obéir à mon père et à ma mère que je m’étais engagée à toi sans amour... et maintenant je t’ai en horreur!..-
Veux-tu d’une femme qui n’a que de la haine à te donner?... Dites, mon père, dites, ma mère, ne suisje pas déliée avec lui et me conseillez-vous toujours d’épouser cet homme?
— Non, petite, non!... Sa mauvaise action t’a dégagée de ta promesse. Quand celui qu’il a offensé par sa trahison lui aura tendu la main en signe de pardon, alors seulement nous pourrons oublier et pardonner comme lui.
— Eh bien! s’écria Jacopo avec emportement, je ferai valoir les droits que me donnent nos lois et à notre premier vor âge à Naples, par le corps du Christ!...
— Nos lois napolitaines ne peuvent rien sur cette terre française, et le vieux Paolo ne retournera pas parmi ses frères de Naples; il n’oserait, sans rougir de ta honte, lever le front au milieu d’eux... Va-t- en, te dis-je...
Jacopo eut un mouvement de fureur; il pâlit affreusement sous les pensées violentes qui montè
rent à son cerveau. Mais l’attitude douloureuse et le calme regard de celui qui avait été un père pour lui depuis son enfance, refoulèrent ses mauvais instincts.
Il poussa un soupir rauque, murmura, au milieu d’imprécations, des menaces qu’on n’entendit pas, et il s’éloigna, dans la profondeur de la nuit, sur le chemin de Bonifacio.
XVI
Le colonel avait annoncé son arrivée pour le vendredi; c’était le surlendemain du retour du Gioac
chino et le jour où les deux amants devaient se revoir.
Le commandant Péri se leva de très méchante humeur; il ne faisait jamais rien le vendredi, au
cun travail, aucune promenade, n’écrivait aucune lettre, n’ouvrait pas celles qui lui étaient adres
sées , se contentant uniquement d’accomplir les fonctions de la vie animale.
Que voulez-vous ! c’était le mauvais jour!
Qui aurait jamais songé à choisir un vendredi pour voyager ? pour commencer une inspection de
troupe ? Il n’y avait que ces Français ne croyant à rien, habitués à rire de tout, capables de cela !
Il fallut bien pourtant se lever, se raser et endosser sa grande tenue.
Ce ne fut pas sans maugréer; mais enfin à neuf
heures et demie, le vieux soldat était paré, sanglé