HISTOIRE DE LA SEMAINE
Ce n’est pas avant la semaine prochaine que s’engageront les grosses parties, je veux dire le budget et, tout d’abord, les crédits du Tonkin. Le budget n’est pas tout à fait prêt encore, le rapport général de M. Rouvier n’étant pas encore déposé. Quant au Tonkin, M. le président du conseil n’est pas pressé, pour deux raisons : d’abord parce que la discussion ne promet rien de bien agréable, ensuite et surtout parce que M. Ferry voudrait bien avoir réglé avant d’aborder ce débat, la question des « modifications ministérielles » actuellement en suspens.
Car ce ministère qui, pour le temps où nous sommes, compte une existence déjà relativement longue et qui durera probablement quelque temps encore, a quelque tendance à imiter le fameux cou
teau de Jeannot. Il se renouvelle pièce à pièce et n’est jamais tout à fait vieux ni tout à fait neuf. Il a compté déjà trois ministres de la guerre:
MM. Billot. Thibaudin, Campenon, trois ministres de la marine : MM. Jauréguiberry, Ch. Brun, Peyron ; deux ministres des travaux publics : MM. Hérisson et Raynal. Et pour qu’il fût enfin tout au gré de M. Ferry, il faudrait que le minis
tère des finances, celui des affaires étrangères et celui de l’instruction publique subissent une mutation.
Heureusement pour M. Tirard que la popularité spéciale dont M. Léon Say jouit auprès de la Chambre rend quelque peu difficile son retour aux
affaires. Mais la mutation va se faire à l’instruction publique et aux affaires étrangères.
Bien que le ministère de l’instruction publique soit ce qu’on appelle «un gros portefeuille» par le temps qui court, M. Ferry désire l’échanger contre le portefeuille des affaires étrangères. Il pense que «son œuvre est faite» à l’instruction publique. Et peut-être à un certain point de vue,
n’a-t-il pas tort. Il est certain que dans l’histoire de la troisième république, M. Ferry aura cette bonne fortune d’avoir incarné la révolution considérable qui s’est faite dans l’enseignement. En politique, c est une chance rare et précieuse de pou
voir accoler son nom à une formule, et cette chance est échue à M. Ferry :« L’instruction gratuite, obligatoire et laïque » voilà la formule sacramentelle qui forcément appelle le nom de M. Ferry.
Donc M. Ferry pense que sa gloire n’a plus rien à gagner de ce côté. Mais, président du conseil, homme d’Etat et chef de gouvernement, il a besoin pour sortir de pair, de passer par le ministère des affaires étrangères. Tous les « premiers ministres » tous les chtL d emploi, sont passés par là. Decazes, Guizot, Thiers, Gambetta. C’est comme un brevet
de grand politique, quelque chose comme une désignation officielle pour les plus hautes destinées.
Voilà pourquoi M. Ferry tient à prendre — et le plus tôt possible — le portefeuille que M. Challemel-Lacour ne porte guère plus que d’une main défaillante. Voilà pourquoi dans la discussion de l’interpellation Granet, M. Ferry n’a pas été pré
cisément nâvré du médiocre succès obtenu par M. Challemel-Lacour et, après avoir, pour ainsi dire, officiellement constaté la froideur de la Cham
bre,il est intervenu comme un supérieur qui vient réparer les fautes de ses subordonnés, comme un vainqueur irrésistiblequi vient réchauffer les cœurs et grandir la victoire.
La mutation donc est décidée. Mais qui va succéder à M. Ferry comme ministre de l’Instruction publique? En bonne règle - - et puisqu’on refait ou à peu près le cabinet de M. Gambetta — c’est à M. Paul Bert que la succession devait écheoir. D’autant que l’occasion s’y prêtait et l’accord qui s’était fait dans le courant de la semaine dernière, entre M. Ferry et M. Paul Bert, au sujet d’un amendement qui a fait quelqut bruit, accord sou
ligné par une attaque de M. Clénienceau, laissait supposer que la chose était faite.
Pourtant, à cette heure, M. P. Bert est et demeure évincé. Le portefeuille est offert à M. Fallières, qui paraît hésiter à le prendre. C’est encore une fois « la politique du petit Il » qui l’emporte sur « la politique du grand Il. »
M. Fallières, en effet, appartient au groupe de la gauche « démocratique » — que remplace « l’an
cienne gauche modérée. » M. Paul Bert appartient à 1’ é7mon républicaine (grand Il). Les modérés, à ce qu’il paraît, ont fait froide mine à M. P. Bert, et M. Ferry qui naturellement incline vers les modérés, a préféré M. Fallières — lequel est d’ailleurs
un homme d’un caractère facile, agréable et non pas sans talent, qui — remarquez bien la circons
tance — a eu l’honneur d’être ministre de l’inté
rieur et président du conseil. Avoir pour successeur et pour lieutenant un ancien président du conseil, voilà de quoi relever encore le prestige de M. Ferry et cette considération n’est peut-être pas étrangère au choix — non encore officiel, mais à peu près certain — de M. Fallières.
Vous m’excuserez, j’espère, d’avoir donné tant de développements à cette question de portefeuilles. C’est qu’en politique, comme ailleurs, ce sont par
fois les plus petites choses qui tiennent la plus grande place ; et si les hommes sont parfois tout petits, les ambitions sont toujours tout grandes.
La semaine, d’ailleurs, n’a point eu d’évènements qui comptent. La loi municipale s’est ter
minée tout doucement, après un grand discours de M. Sigismond Lacroix, une longue amplification de M. Antonin Dubost, une petite conver
sation familière et charmante de M. Anatole de la Forge et une manœuvre fort adroitement opérée par M. Floquet pour forcer les membres de l’ancienne Union républicaine à prendre parfi. M. Spuller, en effet, se sentant mal à l’aise, lui député de Paris, pour repousser une proposition aussi modérée que celle de M. Floquet, a fait, non
sans à-propos, un quart de conversion et déclaré qu’il voterait le renvoi de l’amendement à la Commission.
Sans doute l’intervention de M. Spuller n’a pas suffi à faire triompher l’amendement, mais elle lui a valu, au minimum 60 voix de plus — 206 au lieu de 140 et, surtout, l’incident a eu son impor
tance parce qu’il a démontré la possibilité d’une « cassure » dans l’Union républicaine (grand Il) dont une bonne moitié pourrait bien, un de ces quatre matins, renforcer la gauche radicale.
Ajoutez que la déconvenue de M. Bert et la nouvelle évolution de M. Ferry vers les modérés pourrait bien hâter le mouvement. Tout cela, c’est de la semence de division et de bataille pour le mois de février prochain.
En attendant la question du Tonkin mûrit et, surtout, grossit. Aux 9 millions qu’on demande ouvertement, viendront s’ajouter pas mal de mil
lions encore; et déjà figure à l’ordre du jour des bureaux, un nouveau crédit de 12 millions pour la marine, qui sent le Tonkin d’une lieue.
Une autre question moins grave, mais non moins désagréable, est sur le point de s’engager : la question du cumul du mandat législatif avec les fonc
tions salariées. La Chambre n’est pas à cet endroit, sans quelque jalousie contre le Sénat, et ü faut convenir que les motifs abondent. L’affaire s’enga
gera demain, sur la proposilion de loi de M. Roques de Filhol ; et la discussion promet d’être curieuse, vu la brutalité maladroite dont est coutumier M. Raspail, l’un des auteurs du projet. Ce sera de quoi s’egayer la semaine prochaine ; perspective agréable en un moment où les occasions de gaieté sont si rares.
Décrets. — M. Jules Ferry, président du conseil des ministres, est chargé de l’intérim des affaires étrangères pendant le congé de M. Challemel-Lacour.
Le général Appert est nommé ambassadeur de la République française à Saint-Petersbourg, en remplace
ment du vice-amiral Jaurès, nommé au commandement de l’escadre d’évolution.— Le général Appert a soixantesix ans. Il appartient à la réserve de l’état-major général depuis le 12 juin 1882.
Sont nommés envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires : près le roi de Suède et Norwège, M. Le Pelletier d’Aunay ; près de la Confédération Ar
gentine, M. Rouvier, secrétaire de première classe à Rio de Janeiro ; chargé d’affaires au Monténégro, M. Schefer, ministre plénipotentiaire de deuxième classe.
M. Thomas, évêque de La Rochelle est nommé archevêque de Rouen, en remplacement du cardinal de Bonnechose, décédé ; M. Jacquement, évêque de Gap, évêqued’Amiens,en remplacement de M. Lamazou, dé
cédé ; et M. Gouot chanoine titulaire, curé de l’église cathédrale de Périgueux, évêque de Gap, en remplacement de M.Jacquemet.
*
Publication au Journal officiel d’un dernier mouvement judiciaire, complétant définitivement la réorganisation du personnel prescrite par la loi du 30 août
dernier. Ce mouvement porte sur des conseillers de cour d’appel, présidents de tribunaux, juges, procureurs et substituts.
*
*
Sénat. — Séance du 8 novembre : Reprise de la discussion de la proposition de loi tendant à la suppression du livret d’ouvrier. L’adoption d’un amendement de
M. Gustave Denis à l’article proposé parla Commission établissant un livret conventionnel rend nécessaire l’a journement de la discussion.
Séance du 13 : Eloge de M. Ferdinand Barrot, par le président. — Question adressée par M. Denormandie au garde des sceaux, à propos de l’exécution de la loi sur
la magistrature. Dans sa réponse, M. le ministre de la justice déclare que le mouvement judiciaire qui vient d’être publié termine l’exécution de la loi du 30 août. Le Sénat adopte ensuite en seconde lecture la loi sur la création d’un quatrième titre pour les objets d’or et d’argent destinés à l’exportation e* termine la discussion en première lecture de la proposition sur la suppression des livrets d’ouvriers.
*
* *
Chambre des députés. — Séance du 8 novembre : Dépôt par le ministre de la marine du projet de loi portant ouverture d’un crédit supplémentaire pour les affaires du Tonkin. — Suite de la discussion de la loi municipale. L’amendement de M. Paul Bert, sur la désaffectation des biens communaux occupés par les établisse
ments religieux, pris en considération à la séance précédente, est l’objet d’un long débat entre le rappor
teur, M. Freppel et le garde des sceaux. Une formule transactionnelle, proposée par MM. Dreyfus et Dubost, et adoptée par la Commission, est votée. L’amendement de M. Paul Bert, abandonné par son auteur, mais repris par M. Clémenteau, est préalablement repoussé à une forte majorité. La discussion reprend ensuite sur les dispositions relatives à l’organisation municipale de la ville de Paris. M. Antonin Dubost répond à M. Sigis
mond Lacroix et combat le projet d’autonomie commu
nale. Le renvoi à la Commission de l’amendement de M. Sigismond Lacroix est repoussé par 379 voix contre 110. M. Anatole de la Forge développe ensuite un amendement se bornant à accorder à Paris la mairie centrale. M. Waldeck-Rousseau, ministre de l’intérieur, répond à M. Anatole de la Forge. La Chambre s’ajourne au lendemain, sans prendre de décision.
Séance du 9 : Suite et fin de la discussion de la loi municipale. Après avoir entendu MM. Floquet et Spuller, la Chambre refuse, à une faible majorité, de ren
voyer à la Commission l’amendement de M.de la Forge. Les dispositions transitoires relatives à la Ville de Paris sont ajournées, d’accord avec le ministre de l’intérieur. Un projet d’organisation spéciale à Paris sera présenté ultérieurement. L’ensemble du projet de loi est adopté par 440 voix contre 66.
Séance du 12 : Adoption, après déclaration d’urgence, d’une proposition de loi tendant à l’abrogation des lois conférant aux fabriques des églises et consistoires le monopole des inhumations. — Discussion en deuxième lecture des propositions relatives aux sociétés de se
cours mutuels. — Au cours de la séance, M. Martin- Feuillée, ministre de la Justice et des Cultes, dépose un projet de loi sur les incompatibilités entre le mandat législatif et certaines fonctions rétribuées.
Séance du 13 : Adoption de divers projets de loi, parmi lesquels celui qui augmente le nombre des récompenses honorifiques à distribuer à l’occasion des opéra
tions effectuées au Tonkin, à Hué et à Madagascar. Les projets et propositions de loi relatifs à l’organisation de l enseignement primaire, aux traitements et à la no
mination des instituteurs sont ajournés sur la demande du président du conseil.
*
* *
Suède et Norvège. — Le procès des ministres norvégiens se poursuit, mais avance lentement. Le mi
nistère public soutient l’accusation contre le ministre d’Etat, M. Selmer ; il demande, à son égard, l’application d’une peine comportant la perte de son rang de minis
tre, ainsi que l’exclusion à l’avenir de toute fonction
publique ; il demande en outre sa condamnation aux frais du procès, qqi se chiffrent par une somme assez élevée.
* * *
Serbie. — Arrestation, à Belgrade, des principaux membres du Comité central du parti radical de cette ville.
Révolte dans le district de Banja, département d’Alexinatz. Les insurgés arrêtent le sous-préfet et coupent le fil télégraphique. L’état de siège est proclamé.
Rencontres des troupes avec les insurgés, qui sont partout battus. L’insurrection est étouffée.
*
*
Nécrologie. — M. Ferdinand Barrot. Né à Paris, le 10 janvier 1806, il fut d’abord avocat à Paris. Député de Loches sous la monarchie de Juillet et représentant du peuple pour l’Algérie en 1848, il devint secrétaire du président Louis-Napoléon Bonaparte. Le 31 octobre 1849,
11 entra comme ministre de l’intérieur dans le cabinet qui succéda au ministère présidé par son frère. Il ne conserva son portefeuille que peu de temps et fut nommé ministre plénipotentiaire à. Turin. A la suite du coup d’Etat du 2 décembre, il fit partie de la commission consultative, entra au conseil d’Etat et fut nommé sé
nateur en 1853. La chute de l’empire l’écarta de la vie politique juiqu’en 1877, où les droites réunies l’élurent sénateur inamovible.
Le comte Sérurier, fils du maréchal de ce nom, et ancien conseiller général du département de l’Aisne. M. Sérurier était âgé de soixante-dix ans.
Ce n’est pas avant la semaine prochaine que s’engageront les grosses parties, je veux dire le budget et, tout d’abord, les crédits du Tonkin. Le budget n’est pas tout à fait prêt encore, le rapport général de M. Rouvier n’étant pas encore déposé. Quant au Tonkin, M. le président du conseil n’est pas pressé, pour deux raisons : d’abord parce que la discussion ne promet rien de bien agréable, ensuite et surtout parce que M. Ferry voudrait bien avoir réglé avant d’aborder ce débat, la question des « modifications ministérielles » actuellement en suspens.
Car ce ministère qui, pour le temps où nous sommes, compte une existence déjà relativement longue et qui durera probablement quelque temps encore, a quelque tendance à imiter le fameux cou
teau de Jeannot. Il se renouvelle pièce à pièce et n’est jamais tout à fait vieux ni tout à fait neuf. Il a compté déjà trois ministres de la guerre:
MM. Billot. Thibaudin, Campenon, trois ministres de la marine : MM. Jauréguiberry, Ch. Brun, Peyron ; deux ministres des travaux publics : MM. Hérisson et Raynal. Et pour qu’il fût enfin tout au gré de M. Ferry, il faudrait que le minis
tère des finances, celui des affaires étrangères et celui de l’instruction publique subissent une mutation.
Heureusement pour M. Tirard que la popularité spéciale dont M. Léon Say jouit auprès de la Chambre rend quelque peu difficile son retour aux
affaires. Mais la mutation va se faire à l’instruction publique et aux affaires étrangères.
Bien que le ministère de l’instruction publique soit ce qu’on appelle «un gros portefeuille» par le temps qui court, M. Ferry désire l’échanger contre le portefeuille des affaires étrangères. Il pense que «son œuvre est faite» à l’instruction publique. Et peut-être à un certain point de vue,
n’a-t-il pas tort. Il est certain que dans l’histoire de la troisième république, M. Ferry aura cette bonne fortune d’avoir incarné la révolution considérable qui s’est faite dans l’enseignement. En politique, c est une chance rare et précieuse de pou
voir accoler son nom à une formule, et cette chance est échue à M. Ferry :« L’instruction gratuite, obligatoire et laïque » voilà la formule sacramentelle qui forcément appelle le nom de M. Ferry.
Donc M. Ferry pense que sa gloire n’a plus rien à gagner de ce côté. Mais, président du conseil, homme d’Etat et chef de gouvernement, il a besoin pour sortir de pair, de passer par le ministère des affaires étrangères. Tous les « premiers ministres » tous les chtL d emploi, sont passés par là. Decazes, Guizot, Thiers, Gambetta. C’est comme un brevet
de grand politique, quelque chose comme une désignation officielle pour les plus hautes destinées.
Voilà pourquoi M. Ferry tient à prendre — et le plus tôt possible — le portefeuille que M. Challemel-Lacour ne porte guère plus que d’une main défaillante. Voilà pourquoi dans la discussion de l’interpellation Granet, M. Ferry n’a pas été pré
cisément nâvré du médiocre succès obtenu par M. Challemel-Lacour et, après avoir, pour ainsi dire, officiellement constaté la froideur de la Cham
bre,il est intervenu comme un supérieur qui vient réparer les fautes de ses subordonnés, comme un vainqueur irrésistiblequi vient réchauffer les cœurs et grandir la victoire.
La mutation donc est décidée. Mais qui va succéder à M. Ferry comme ministre de l’Instruction publique? En bonne règle - - et puisqu’on refait ou à peu près le cabinet de M. Gambetta — c’est à M. Paul Bert que la succession devait écheoir. D’autant que l’occasion s’y prêtait et l’accord qui s’était fait dans le courant de la semaine dernière, entre M. Ferry et M. Paul Bert, au sujet d’un amendement qui a fait quelqut bruit, accord sou
ligné par une attaque de M. Clénienceau, laissait supposer que la chose était faite.
Pourtant, à cette heure, M. P. Bert est et demeure évincé. Le portefeuille est offert à M. Fallières, qui paraît hésiter à le prendre. C’est encore une fois « la politique du petit Il » qui l’emporte sur « la politique du grand Il. »
M. Fallières, en effet, appartient au groupe de la gauche « démocratique » — que remplace « l’an
cienne gauche modérée. » M. Paul Bert appartient à 1’ é7mon républicaine (grand Il). Les modérés, à ce qu’il paraît, ont fait froide mine à M. P. Bert, et M. Ferry qui naturellement incline vers les modérés, a préféré M. Fallières — lequel est d’ailleurs
un homme d’un caractère facile, agréable et non pas sans talent, qui — remarquez bien la circons
tance — a eu l’honneur d’être ministre de l’inté
rieur et président du conseil. Avoir pour successeur et pour lieutenant un ancien président du conseil, voilà de quoi relever encore le prestige de M. Ferry et cette considération n’est peut-être pas étrangère au choix — non encore officiel, mais à peu près certain — de M. Fallières.
Vous m’excuserez, j’espère, d’avoir donné tant de développements à cette question de portefeuilles. C’est qu’en politique, comme ailleurs, ce sont par
fois les plus petites choses qui tiennent la plus grande place ; et si les hommes sont parfois tout petits, les ambitions sont toujours tout grandes.
La semaine, d’ailleurs, n’a point eu d’évènements qui comptent. La loi municipale s’est ter
minée tout doucement, après un grand discours de M. Sigismond Lacroix, une longue amplification de M. Antonin Dubost, une petite conver
sation familière et charmante de M. Anatole de la Forge et une manœuvre fort adroitement opérée par M. Floquet pour forcer les membres de l’ancienne Union républicaine à prendre parfi. M. Spuller, en effet, se sentant mal à l’aise, lui député de Paris, pour repousser une proposition aussi modérée que celle de M. Floquet, a fait, non
sans à-propos, un quart de conversion et déclaré qu’il voterait le renvoi de l’amendement à la Commission.
Sans doute l’intervention de M. Spuller n’a pas suffi à faire triompher l’amendement, mais elle lui a valu, au minimum 60 voix de plus — 206 au lieu de 140 et, surtout, l’incident a eu son impor
tance parce qu’il a démontré la possibilité d’une « cassure » dans l’Union républicaine (grand Il) dont une bonne moitié pourrait bien, un de ces quatre matins, renforcer la gauche radicale.
Ajoutez que la déconvenue de M. Bert et la nouvelle évolution de M. Ferry vers les modérés pourrait bien hâter le mouvement. Tout cela, c’est de la semence de division et de bataille pour le mois de février prochain.
En attendant la question du Tonkin mûrit et, surtout, grossit. Aux 9 millions qu’on demande ouvertement, viendront s’ajouter pas mal de mil
lions encore; et déjà figure à l’ordre du jour des bureaux, un nouveau crédit de 12 millions pour la marine, qui sent le Tonkin d’une lieue.
Une autre question moins grave, mais non moins désagréable, est sur le point de s’engager : la question du cumul du mandat législatif avec les fonc
tions salariées. La Chambre n’est pas à cet endroit, sans quelque jalousie contre le Sénat, et ü faut convenir que les motifs abondent. L’affaire s’enga
gera demain, sur la proposilion de loi de M. Roques de Filhol ; et la discussion promet d’être curieuse, vu la brutalité maladroite dont est coutumier M. Raspail, l’un des auteurs du projet. Ce sera de quoi s’egayer la semaine prochaine ; perspective agréable en un moment où les occasions de gaieté sont si rares.
Décrets. — M. Jules Ferry, président du conseil des ministres, est chargé de l’intérim des affaires étrangères pendant le congé de M. Challemel-Lacour.
Le général Appert est nommé ambassadeur de la République française à Saint-Petersbourg, en remplace
ment du vice-amiral Jaurès, nommé au commandement de l’escadre d’évolution.— Le général Appert a soixantesix ans. Il appartient à la réserve de l’état-major général depuis le 12 juin 1882.
Sont nommés envoyés extraordinaires et ministres plénipotentiaires : près le roi de Suède et Norwège, M. Le Pelletier d’Aunay ; près de la Confédération Ar
gentine, M. Rouvier, secrétaire de première classe à Rio de Janeiro ; chargé d’affaires au Monténégro, M. Schefer, ministre plénipotentiaire de deuxième classe.
M. Thomas, évêque de La Rochelle est nommé archevêque de Rouen, en remplacement du cardinal de Bonnechose, décédé ; M. Jacquement, évêque de Gap, évêqued’Amiens,en remplacement de M. Lamazou, dé
cédé ; et M. Gouot chanoine titulaire, curé de l’église cathédrale de Périgueux, évêque de Gap, en remplacement de M.Jacquemet.
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Publication au Journal officiel d’un dernier mouvement judiciaire, complétant définitivement la réorganisation du personnel prescrite par la loi du 30 août
dernier. Ce mouvement porte sur des conseillers de cour d’appel, présidents de tribunaux, juges, procureurs et substituts.
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Sénat. — Séance du 8 novembre : Reprise de la discussion de la proposition de loi tendant à la suppression du livret d’ouvrier. L’adoption d’un amendement de
M. Gustave Denis à l’article proposé parla Commission établissant un livret conventionnel rend nécessaire l’a journement de la discussion.
Séance du 13 : Eloge de M. Ferdinand Barrot, par le président. — Question adressée par M. Denormandie au garde des sceaux, à propos de l’exécution de la loi sur
la magistrature. Dans sa réponse, M. le ministre de la justice déclare que le mouvement judiciaire qui vient d’être publié termine l’exécution de la loi du 30 août. Le Sénat adopte ensuite en seconde lecture la loi sur la création d’un quatrième titre pour les objets d’or et d’argent destinés à l’exportation e* termine la discussion en première lecture de la proposition sur la suppression des livrets d’ouvriers.
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Chambre des députés. — Séance du 8 novembre : Dépôt par le ministre de la marine du projet de loi portant ouverture d’un crédit supplémentaire pour les affaires du Tonkin. — Suite de la discussion de la loi municipale. L’amendement de M. Paul Bert, sur la désaffectation des biens communaux occupés par les établisse
ments religieux, pris en considération à la séance précédente, est l’objet d’un long débat entre le rappor
teur, M. Freppel et le garde des sceaux. Une formule transactionnelle, proposée par MM. Dreyfus et Dubost, et adoptée par la Commission, est votée. L’amendement de M. Paul Bert, abandonné par son auteur, mais repris par M. Clémenteau, est préalablement repoussé à une forte majorité. La discussion reprend ensuite sur les dispositions relatives à l’organisation municipale de la ville de Paris. M. Antonin Dubost répond à M. Sigis
mond Lacroix et combat le projet d’autonomie commu
nale. Le renvoi à la Commission de l’amendement de M. Sigismond Lacroix est repoussé par 379 voix contre 110. M. Anatole de la Forge développe ensuite un amendement se bornant à accorder à Paris la mairie centrale. M. Waldeck-Rousseau, ministre de l’intérieur, répond à M. Anatole de la Forge. La Chambre s’ajourne au lendemain, sans prendre de décision.
Séance du 9 : Suite et fin de la discussion de la loi municipale. Après avoir entendu MM. Floquet et Spuller, la Chambre refuse, à une faible majorité, de ren
voyer à la Commission l’amendement de M.de la Forge. Les dispositions transitoires relatives à la Ville de Paris sont ajournées, d’accord avec le ministre de l’intérieur. Un projet d’organisation spéciale à Paris sera présenté ultérieurement. L’ensemble du projet de loi est adopté par 440 voix contre 66.
Séance du 12 : Adoption, après déclaration d’urgence, d’une proposition de loi tendant à l’abrogation des lois conférant aux fabriques des églises et consistoires le monopole des inhumations. — Discussion en deuxième lecture des propositions relatives aux sociétés de se
cours mutuels. — Au cours de la séance, M. Martin- Feuillée, ministre de la Justice et des Cultes, dépose un projet de loi sur les incompatibilités entre le mandat législatif et certaines fonctions rétribuées.
Séance du 13 : Adoption de divers projets de loi, parmi lesquels celui qui augmente le nombre des récompenses honorifiques à distribuer à l’occasion des opéra
tions effectuées au Tonkin, à Hué et à Madagascar. Les projets et propositions de loi relatifs à l’organisation de l enseignement primaire, aux traitements et à la no
mination des instituteurs sont ajournés sur la demande du président du conseil.
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Suède et Norvège. — Le procès des ministres norvégiens se poursuit, mais avance lentement. Le mi
nistère public soutient l’accusation contre le ministre d’Etat, M. Selmer ; il demande, à son égard, l’application d’une peine comportant la perte de son rang de minis
tre, ainsi que l’exclusion à l’avenir de toute fonction
publique ; il demande en outre sa condamnation aux frais du procès, qqi se chiffrent par une somme assez élevée.
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Serbie. — Arrestation, à Belgrade, des principaux membres du Comité central du parti radical de cette ville.
Révolte dans le district de Banja, département d’Alexinatz. Les insurgés arrêtent le sous-préfet et coupent le fil télégraphique. L’état de siège est proclamé.
Rencontres des troupes avec les insurgés, qui sont partout battus. L’insurrection est étouffée.
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Nécrologie. — M. Ferdinand Barrot. Né à Paris, le 10 janvier 1806, il fut d’abord avocat à Paris. Député de Loches sous la monarchie de Juillet et représentant du peuple pour l’Algérie en 1848, il devint secrétaire du président Louis-Napoléon Bonaparte. Le 31 octobre 1849,
11 entra comme ministre de l’intérieur dans le cabinet qui succéda au ministère présidé par son frère. Il ne conserva son portefeuille que peu de temps et fut nommé ministre plénipotentiaire à. Turin. A la suite du coup d’Etat du 2 décembre, il fit partie de la commission consultative, entra au conseil d’Etat et fut nommé sé
nateur en 1853. La chute de l’empire l’écarta de la vie politique juiqu’en 1877, où les droites réunies l’élurent sénateur inamovible.
Le comte Sérurier, fils du maréchal de ce nom, et ancien conseiller général du département de l’Aisne. M. Sérurier était âgé de soixante-dix ans.