HISTOIRE DE LA SEMAINE
Le Journal officiel de mercredi dernier contenait, cachés pour ainsi dire dans un petit coin de sa 17epage,
les deux décrets qui nomment M. Ferry ministre ries affaires étrangères en remplacement de M. Challemel-Lacour démissionnaire et M. Fall ères ministre de l’Instruction publique en remplacement de M. Ferry.
En principe, la chose était faite déjà depuis quelque temps. Jevous en ai expliqué le comment et le pourquoi la semaine dernière. On n’attendait plus que la démission de M. Challemel-Lacour pour mettre la chose à V Officiel : et encore trou
vait-on qu’elle se faisait attendre trop longtemps. J’ai même ouï-dire, — mais je ne m’en porte point garant — qn’on avait provoqué par une sorte de «lettre de rappel » ingénieusement déguisée sous forme de « consultation sur des affaires graves qui récla
maient l intervention personnelle d un ministre » cette démission impatiemment attendue.
Et cependant, l’insertion au Journal officiel a subi vingt-quatre heures de retard par suite d’une circonstance bizarre et quelque peu ridicule. L’attaché de cabinet, envoyé par M. Ferry au Journal officiel, n’y a point rencontré M. le direc
teur du journal et, naïvement, il s’est laissé refuser « une insertion aussi grave » par un subalterne aussi maladroit qu’effarouché des responsabilités.
L’élimination de M. Challemel-Lacour et l’entrée de M. Fallières donnent au ministère de M. Ferry sa véritable couleur. M. Ferry paraît
penser, comme autrefois M. Thiers, que « la France est centre gauche ». Cela se peut bien et ce n’est pas moi qui contredirai, la vérification n’étant pas à ma portée. Mais où M. Ferry pourrait bien se tromper, c’est lorsqu’il applique à la Chambre cette même appréciation. La Chambre n’est point cen
tre gauche, pas plus qu’elle n’est radicale. La Chambre eM panachée de toutes les opinions ; et ces opinions se combinent irrésistiblement, selon les circonstances, avec l’intérêt électoral toujours, avec l’intérêt national quelquefois — lorsque la passion électorale n’empêche pas de le discerner.
Il semble que M. Ferry ne se rende pas compte de ce fait, car depuis quelque temps il poursuit, avec une opiniâtreté toute vosgienne, la constitu
tion d’un gouvernement centre gauche, soutenu par une majorité de modérés. Dès le jour de son entrée au ministère, M. Ferry comptait s’associer M. Léon Say. Dans sa pensée, le Sénat devait être le point d’appui de sa politique, c’est-à-dire son levier de résistance. Non pas que M. Ferry voulût affronter directement la Chambre — laquelle est seule en possession du droit de renver
ser les ministres — mais il comptait faire rayer par le Sénat toutes les lois ou tous les articles de toi que les exigences de la Chambre pouvaient le contraindre à accepter en apparence.
Et, actuellement, l’objectif de M. Ferry, c’est de se débarrasser à la première occasion des deux ministres qui le gênent encore — non pas person
nellement, car ils en sont incapables, mais par le seul fait de leur présence — MM. Tirard et Héris
son. Le jour où M. Ferry jugera que M. Léon Say peut être accepté par la Chambre, M. Léon Say deviendra ministre des finances. Et, en attendant, à la première occasion vous verrez M. Rouvierpren
dre le portefeuille des finances, M. Félix Faure le portefeuille du commerce et des colonies. Voilà pourquoi dans la discussion du budget, on ne manque pas une occasion de faire valoir M. Faure, et par comre, voilà pourquoi les familiers de M. Ferry — comme par exemple M. Trystram, rendent la vie dure à ce pauvre M. Hérisson qui, d’ailleurs, se défend assez mal.
Mais tout cela ne va point sans faire naître quelques difficultés. Tout député ministrable a l’épiderme sensible à l’endroit des portefeuilles et les groupes eux-mêmes par des raisons non plus d’amour-propre, mais d’intérêt électoral — c’est-à- dire par les raisons qui sont les plus puissantes — n’aiment pas qu’on leur enlève ou qu’on leur re
fuse les portefeuilles auxquels ils croient avoir droit. A cette heure, l’Union républicaine (grand Il) n’est pas contente. Elle trouve, non sans raison, que tous les portefeuilles sont accaparés par la gauche démocratique — c’est aujourd hui le nom du centre gauche. Le fait est que bientôt il ne se nommera plus en France un cantonnier ou un rat-de-cave, il ne se donnera plus un congé d’un mois à n’importe quel soldat, sans que ce soit par la grâce d’un député du centre gauche.
L’Union républicaine n’est donc pas contente! M. Spuller, qui pouvait entrer — on en avait parlé — n’entre pas ; et M. Paul Bert, qui pour
tant avait donné des gages et presque reçu parole, demeure à la porte.
Cela n est pas sans avoir produit quelques petits changements. C’est ainsi que, dans la Commission du Tonkin, M. Paul Bert s’est aperçu tout à coup que l’ordre du jour de confiance, rédigé par lui, signé par lui, proposé et défendu par lui, précisé
ment à propos de l’interpellation sur le Tonkin, était interprété dans un sens infiniment trop large, infiniment troD « confiant » ; et que lui, Paul Bert, en rédigeant cet ordre du jour de confiance absolue,
n’y avait attaché virtuellement qu’une confiance toute relative.
Et, de fait, il y a là — sans parler des autres, — un gros point noir pour le cabinet. Si, par malheur, un échec nous survenait au Tonkin, grave ou léger, peu importe, le ministère aurait vécu. Et déjà, l’évidence de la rupture accomplie avec la Chine paraît produire dans la Chambre, voire dans la Commission du Tonkin, une impression fâcheuse. Pourtant que la Commission ait juré de garder le
secret sur ses délibérations, il en transpire assez pour faire comprendre que la« confiance », rédigée par M. Paul Bert, a déjà fait place à la « préocupation » formulée par le même M. Paul Bert ; et il ne faudrait pas grand’chose pour la transformer en une expression de « regret » selon la formule de M. Wilson.
Inutile de dire que l’extrême gauche et la gauche radicale guettent l’occasion d’utiliser le mécontentement de l’Union républicaine. Aussi la discussion sur le Tonkin sera dure.
Et pourtant, aujourd’hui plus que jamais, je crois à la stabilité ministérielle... jusqu’au 15 jan
vier. Le budget protège de sa faiblesse — avec une force d’autant plus irrésistible — le ministère chancelant. Tant que le budget ne sera pas voté la Chambre n’osera pas toucher au cabinet. Et si d’aventure elle le renverse sans le vouloir - - cela s’est vu — soyez sûrs qu’elle le « recollera » le lendemain avec empressement.
Jusqu’au 15 janvier, vous dis-je. Après... on ne répond plus de rien.
décrets. — M. Jules Ferry, président du conseil et ministre de l’instruction publique, est nommé ministre des affaires étrangères, en remplacement de M. Challemel-Lacour, démissionnaire pour raison de santé.
M. Fallières est nommé ministre de l’instruction publique en remplacement de M. Jules Ferry.
*
Election. — Sénatoriale. Meurthe-et-Moselle : M. Marquis, candidat républicain est élu par 427 suffrages contre 237 donnés à M. Welche, candidat conservateur. Il s’agissait de remplacer M. Bernard, décédé.
Sénat. — Séance du 15 novembre : Oraison funèbre de M. de Lasteyrie, par M. le président Le Royer. — Commencement de la discussion des conventions avec les chemins defer, adoptées par la Chambre des députés. Quatre orateurs sont entendus dans la discussion générale : MM. Gaston Bazille, rapporteur, de Freycinet, Buffet et Tirard.
Séance du 16 : suite de la précédente discussion. M. Raynal, ministre des travaux publics explique au Sénat l’économie des conventions et montre les avan
tagés qui résulteraient de leur adoption. MM. Tolain et Clamageran prennent ensuite la parole. L’urgence est déclarée et la suite de la discussion générale est renvoyée au lendemain.
Séance du 17 : M. de Pressensé est élu sénateur inamovible, en remplacement de M. Victor Lefranc. — Suite de la discussion générale des conventions avec les Compagnies de chemins de fer. ‘M. Baïhaut, soussecrétaire d’Etat aux travaux publics répond au dis
cours prononcé la veille par M. Tolain. Discours de MM. Pouyer-Ouertier et Ra)Tnal.
Séance du 19 : suite de la même discussion, clôture de la discussion générale ; la convention avec la Compagnie P.-L.-M. est adoptée sans modifications.
Séance du 20 : Adoption sans modifications des conventions avec les compagnies d’Orléans, du Nord, de l’Ouest, de l’Est et du Midi.
* *
Chambre des députés. — Séance du 15 novembre : Nomination dans les bureaux de la commission relative aux crédits pour les affaires du Tonkin. Sont nommés commissaires, MM. Turquet, Dubost, Cavaignac, Bernard-Lavergne, Rivière, de Douville-Maillefeu, Leroy, Tenot, Ribot, Mestreau et Léon Renault. Sur ces onze
commissaires, un seul est opposé au projet : M. de Douville-Maillefeu. — En séance, après avoir adopté plusieurs articles de la proposition de 1 û sur l’organi
sation de l’enseignement prirn lire, la Chambre s’arrête au chapitre relatif aux directeurs départementaux et renvoie le projet à la commission. Au début de la séance déposition par M. Rouvier, du rapport général sur le budget des dépenses et des recettes de 1884.
Séance du 17 : Adoption du projet de loi modifiant le tarif général des douanes. Sur la demande du président du conseil, la Chambre fixe au 19 la discussion du budget des ministères, la discussion générale du budget devant avoir lieu ultérieurement.
Séance du 19 : Commencement de la discussion du budjet des divers départements. Le budget de l’agri
culture est adopté conformément aux chiffres de la commission.
Séance du 20 : Adoption du budget du commerce conformément aux chiffres de la commission.
*
* *
Algérie. — Arrestation de Sahraoui, l’agha du harrar de Tiaret, qui, en apparence très attaché à la France, ne manquait, paraît-il, aucune occasion de la
trahir. Lors de la révolte de Bou-Amena, il y a deux ans, commandant les cavaliers indigènes adjoints à la co
lonne Innocenti, il est accusé d’avoir par ses trahisons, amené la défaite de nos troupes. Il trahit également plus tard le colonel Brunetière, opérant contre le même marabout. Dénoncé par le bach-agha de Frendah, Sahraoui a été conduit à Oran et écroué au fort de Mers-el-Kébir.
*
* *
Allemagne. — Le prince impérial quitte Berlin, le 17, pour se rendre en Espagne en passant par Gênes et Valence.
Ouverture de la session ordinaire du landtag prussien. C’est le vice-président du conseil, M. de Puttkamer qui donne lecture du discours du trône lequel invite les députés à reprendre leurs travaux « avec pleine confiance dans la durée de la paix. »
*
* *
Espagne. — Le maréchal Serrano est nommé ambassadeur d’Espagne à Paris, où il arrive le 20 novembre.
*
Bulgarie. — L’incident bulgaro-russe est officiellement terminé par une entente signée à Sofia entre le prince Alexandre et le colonel Kaulbars, délégué de i’empereur de Russie. Le ministre de la guerre sera nommé par le prince de Bulgarie avec l’assentiment de l’empereur; il n’interviendra pas dans les affaires inté
rieures de la principauté ; il sera révocable par le prince et responsable de ses actes et du budget de la guerre
devant l’assemblée et devant le souverain. Les officiers russes ne pourront servir en Bu garie qu’avec le con
sentement de l’empereur de Russie ; leur service ne sera que de trois ans. Ils seront soumis aux lois bulgares.
*
* *
nécrologie. — M. de Lasteyrie, sénateur inamovi ble. Il était petit-fils du général La Fayette. C’est en 1842 qu’il entra dans la vie politique, comme député de La Flèche,et siégea au centre gauche. Représentant du peuple, pour le département de Seine-et-Marne, à l’Assemblée constituante de 1848, il vota avec la droite, ap
prouva l’expédition de Rome et suivit la même ligne politique à la Législative où il se montra également hostile à la République et au prince Louis-Napoléon ; c’est ainsi qu’il protesta énergiquement contre le coup d’Etat ; expulsé de France en 1852, il rentra au mois d’août de la même année. Sous l’empire, M. de Lastey
rie se tint en dehors de la vie publique. Elu en février 1871 à l’Assemblée nationale, il siégea d’abord au cen
tre droit, se sépara de ce groupe lors du vote pour le retour à Paris, se fit inscrire au centre gauche, combat
tit la majorité monarchiste et,malgré l’état de sa santé, se fit porter à l’Assemblée toutes les fois qu’il s’agissait d’un vote important. Il avait été élu sénateur inamovible, le 10 décembre 1875,
M. Alfred Busquet, littérateur et poète français,gendre de l’éditeur Pagnerre, qui fut membre du gouvernement provisoire de 1848. M. Busquet était né en 1820. Il avait débuté au Corsaire. Puis il collabora à la Semaine, à la Silhouette, dont il était rédacteur en chef, à XArtiste, à la Liberté, à la Revue Française, au Pamphlet. II a publié le Poème des Heures (1854), la Nuit de Noël (1861), et Représailles (1872).
Safvet pacha, ancien ambassadeur ottoman à Paris. D’abord secrétaire du sultan Abdul-Medjid, puis secré
taire de l’ambassade turque à Paris,il fut nommé,en 1861, ministre du commerce et des travaux publics et ambassadeur à Paris en 1865. Rappelé l’année suivante, il ac
cepta successivement les portefeuilles du commerce et de l’instruction publique et fonda le lycée de Galata, qui fut dirigé par des Français. Au commencement de 1875, Safvet pacha fut appelé au ministère des affaires étran
gères ; il accepta ce poste dans des circonstances diffi
ciles, signa en cette qualité le traité de San-Stefano (3 mars 1878), et fut élevé à la dignité de grand-vizir, qu’il garda jusqu’à sa nomination comme ambassadeur à Paris (décembre 1878). Safvet pacha était âgé de soixante-huit ans.
Le Journal officiel de mercredi dernier contenait, cachés pour ainsi dire dans un petit coin de sa 17epage,
les deux décrets qui nomment M. Ferry ministre ries affaires étrangères en remplacement de M. Challemel-Lacour démissionnaire et M. Fall ères ministre de l’Instruction publique en remplacement de M. Ferry.
En principe, la chose était faite déjà depuis quelque temps. Jevous en ai expliqué le comment et le pourquoi la semaine dernière. On n’attendait plus que la démission de M. Challemel-Lacour pour mettre la chose à V Officiel : et encore trou
vait-on qu’elle se faisait attendre trop longtemps. J’ai même ouï-dire, — mais je ne m’en porte point garant — qn’on avait provoqué par une sorte de «lettre de rappel » ingénieusement déguisée sous forme de « consultation sur des affaires graves qui récla
maient l intervention personnelle d un ministre » cette démission impatiemment attendue.
Et cependant, l’insertion au Journal officiel a subi vingt-quatre heures de retard par suite d’une circonstance bizarre et quelque peu ridicule. L’attaché de cabinet, envoyé par M. Ferry au Journal officiel, n’y a point rencontré M. le direc
teur du journal et, naïvement, il s’est laissé refuser « une insertion aussi grave » par un subalterne aussi maladroit qu’effarouché des responsabilités.
L’élimination de M. Challemel-Lacour et l’entrée de M. Fallières donnent au ministère de M. Ferry sa véritable couleur. M. Ferry paraît
penser, comme autrefois M. Thiers, que « la France est centre gauche ». Cela se peut bien et ce n’est pas moi qui contredirai, la vérification n’étant pas à ma portée. Mais où M. Ferry pourrait bien se tromper, c’est lorsqu’il applique à la Chambre cette même appréciation. La Chambre n’est point cen
tre gauche, pas plus qu’elle n’est radicale. La Chambre eM panachée de toutes les opinions ; et ces opinions se combinent irrésistiblement, selon les circonstances, avec l’intérêt électoral toujours, avec l’intérêt national quelquefois — lorsque la passion électorale n’empêche pas de le discerner.
Il semble que M. Ferry ne se rende pas compte de ce fait, car depuis quelque temps il poursuit, avec une opiniâtreté toute vosgienne, la constitu
tion d’un gouvernement centre gauche, soutenu par une majorité de modérés. Dès le jour de son entrée au ministère, M. Ferry comptait s’associer M. Léon Say. Dans sa pensée, le Sénat devait être le point d’appui de sa politique, c’est-à-dire son levier de résistance. Non pas que M. Ferry voulût affronter directement la Chambre — laquelle est seule en possession du droit de renver
ser les ministres — mais il comptait faire rayer par le Sénat toutes les lois ou tous les articles de toi que les exigences de la Chambre pouvaient le contraindre à accepter en apparence.
Et, actuellement, l’objectif de M. Ferry, c’est de se débarrasser à la première occasion des deux ministres qui le gênent encore — non pas person
nellement, car ils en sont incapables, mais par le seul fait de leur présence — MM. Tirard et Héris
son. Le jour où M. Ferry jugera que M. Léon Say peut être accepté par la Chambre, M. Léon Say deviendra ministre des finances. Et, en attendant, à la première occasion vous verrez M. Rouvierpren
dre le portefeuille des finances, M. Félix Faure le portefeuille du commerce et des colonies. Voilà pourquoi dans la discussion du budget, on ne manque pas une occasion de faire valoir M. Faure, et par comre, voilà pourquoi les familiers de M. Ferry — comme par exemple M. Trystram, rendent la vie dure à ce pauvre M. Hérisson qui, d’ailleurs, se défend assez mal.
Mais tout cela ne va point sans faire naître quelques difficultés. Tout député ministrable a l’épiderme sensible à l’endroit des portefeuilles et les groupes eux-mêmes par des raisons non plus d’amour-propre, mais d’intérêt électoral — c’est-à- dire par les raisons qui sont les plus puissantes — n’aiment pas qu’on leur enlève ou qu’on leur re
fuse les portefeuilles auxquels ils croient avoir droit. A cette heure, l’Union républicaine (grand Il) n’est pas contente. Elle trouve, non sans raison, que tous les portefeuilles sont accaparés par la gauche démocratique — c’est aujourd hui le nom du centre gauche. Le fait est que bientôt il ne se nommera plus en France un cantonnier ou un rat-de-cave, il ne se donnera plus un congé d’un mois à n’importe quel soldat, sans que ce soit par la grâce d’un député du centre gauche.
L’Union républicaine n’est donc pas contente! M. Spuller, qui pouvait entrer — on en avait parlé — n’entre pas ; et M. Paul Bert, qui pour
tant avait donné des gages et presque reçu parole, demeure à la porte.
Cela n est pas sans avoir produit quelques petits changements. C’est ainsi que, dans la Commission du Tonkin, M. Paul Bert s’est aperçu tout à coup que l’ordre du jour de confiance, rédigé par lui, signé par lui, proposé et défendu par lui, précisé
ment à propos de l’interpellation sur le Tonkin, était interprété dans un sens infiniment trop large, infiniment troD « confiant » ; et que lui, Paul Bert, en rédigeant cet ordre du jour de confiance absolue,
n’y avait attaché virtuellement qu’une confiance toute relative.
Et, de fait, il y a là — sans parler des autres, — un gros point noir pour le cabinet. Si, par malheur, un échec nous survenait au Tonkin, grave ou léger, peu importe, le ministère aurait vécu. Et déjà, l’évidence de la rupture accomplie avec la Chine paraît produire dans la Chambre, voire dans la Commission du Tonkin, une impression fâcheuse. Pourtant que la Commission ait juré de garder le
secret sur ses délibérations, il en transpire assez pour faire comprendre que la« confiance », rédigée par M. Paul Bert, a déjà fait place à la « préocupation » formulée par le même M. Paul Bert ; et il ne faudrait pas grand’chose pour la transformer en une expression de « regret » selon la formule de M. Wilson.
Inutile de dire que l’extrême gauche et la gauche radicale guettent l’occasion d’utiliser le mécontentement de l’Union républicaine. Aussi la discussion sur le Tonkin sera dure.
Et pourtant, aujourd’hui plus que jamais, je crois à la stabilité ministérielle... jusqu’au 15 jan
vier. Le budget protège de sa faiblesse — avec une force d’autant plus irrésistible — le ministère chancelant. Tant que le budget ne sera pas voté la Chambre n’osera pas toucher au cabinet. Et si d’aventure elle le renverse sans le vouloir - - cela s’est vu — soyez sûrs qu’elle le « recollera » le lendemain avec empressement.
Jusqu’au 15 janvier, vous dis-je. Après... on ne répond plus de rien.
décrets. — M. Jules Ferry, président du conseil et ministre de l’instruction publique, est nommé ministre des affaires étrangères, en remplacement de M. Challemel-Lacour, démissionnaire pour raison de santé.
M. Fallières est nommé ministre de l’instruction publique en remplacement de M. Jules Ferry.
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Election. — Sénatoriale. Meurthe-et-Moselle : M. Marquis, candidat républicain est élu par 427 suffrages contre 237 donnés à M. Welche, candidat conservateur. Il s’agissait de remplacer M. Bernard, décédé.
Sénat. — Séance du 15 novembre : Oraison funèbre de M. de Lasteyrie, par M. le président Le Royer. — Commencement de la discussion des conventions avec les chemins defer, adoptées par la Chambre des députés. Quatre orateurs sont entendus dans la discussion générale : MM. Gaston Bazille, rapporteur, de Freycinet, Buffet et Tirard.
Séance du 16 : suite de la précédente discussion. M. Raynal, ministre des travaux publics explique au Sénat l’économie des conventions et montre les avan
tagés qui résulteraient de leur adoption. MM. Tolain et Clamageran prennent ensuite la parole. L’urgence est déclarée et la suite de la discussion générale est renvoyée au lendemain.
Séance du 17 : M. de Pressensé est élu sénateur inamovible, en remplacement de M. Victor Lefranc. — Suite de la discussion générale des conventions avec les Compagnies de chemins de fer. ‘M. Baïhaut, soussecrétaire d’Etat aux travaux publics répond au dis
cours prononcé la veille par M. Tolain. Discours de MM. Pouyer-Ouertier et Ra)Tnal.
Séance du 19 : suite de la même discussion, clôture de la discussion générale ; la convention avec la Compagnie P.-L.-M. est adoptée sans modifications.
Séance du 20 : Adoption sans modifications des conventions avec les compagnies d’Orléans, du Nord, de l’Ouest, de l’Est et du Midi.
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Chambre des députés. — Séance du 15 novembre : Nomination dans les bureaux de la commission relative aux crédits pour les affaires du Tonkin. Sont nommés commissaires, MM. Turquet, Dubost, Cavaignac, Bernard-Lavergne, Rivière, de Douville-Maillefeu, Leroy, Tenot, Ribot, Mestreau et Léon Renault. Sur ces onze
commissaires, un seul est opposé au projet : M. de Douville-Maillefeu. — En séance, après avoir adopté plusieurs articles de la proposition de 1 û sur l’organi
sation de l’enseignement prirn lire, la Chambre s’arrête au chapitre relatif aux directeurs départementaux et renvoie le projet à la commission. Au début de la séance déposition par M. Rouvier, du rapport général sur le budget des dépenses et des recettes de 1884.
Séance du 17 : Adoption du projet de loi modifiant le tarif général des douanes. Sur la demande du président du conseil, la Chambre fixe au 19 la discussion du budget des ministères, la discussion générale du budget devant avoir lieu ultérieurement.
Séance du 19 : Commencement de la discussion du budjet des divers départements. Le budget de l’agri
culture est adopté conformément aux chiffres de la commission.
Séance du 20 : Adoption du budget du commerce conformément aux chiffres de la commission.
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Algérie. — Arrestation de Sahraoui, l’agha du harrar de Tiaret, qui, en apparence très attaché à la France, ne manquait, paraît-il, aucune occasion de la
trahir. Lors de la révolte de Bou-Amena, il y a deux ans, commandant les cavaliers indigènes adjoints à la co
lonne Innocenti, il est accusé d’avoir par ses trahisons, amené la défaite de nos troupes. Il trahit également plus tard le colonel Brunetière, opérant contre le même marabout. Dénoncé par le bach-agha de Frendah, Sahraoui a été conduit à Oran et écroué au fort de Mers-el-Kébir.
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Allemagne. — Le prince impérial quitte Berlin, le 17, pour se rendre en Espagne en passant par Gênes et Valence.
Ouverture de la session ordinaire du landtag prussien. C’est le vice-président du conseil, M. de Puttkamer qui donne lecture du discours du trône lequel invite les députés à reprendre leurs travaux « avec pleine confiance dans la durée de la paix. »
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Espagne. — Le maréchal Serrano est nommé ambassadeur d’Espagne à Paris, où il arrive le 20 novembre.
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Bulgarie. — L’incident bulgaro-russe est officiellement terminé par une entente signée à Sofia entre le prince Alexandre et le colonel Kaulbars, délégué de i’empereur de Russie. Le ministre de la guerre sera nommé par le prince de Bulgarie avec l’assentiment de l’empereur; il n’interviendra pas dans les affaires inté
rieures de la principauté ; il sera révocable par le prince et responsable de ses actes et du budget de la guerre
devant l’assemblée et devant le souverain. Les officiers russes ne pourront servir en Bu garie qu’avec le con
sentement de l’empereur de Russie ; leur service ne sera que de trois ans. Ils seront soumis aux lois bulgares.
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nécrologie. — M. de Lasteyrie, sénateur inamovi ble. Il était petit-fils du général La Fayette. C’est en 1842 qu’il entra dans la vie politique, comme député de La Flèche,et siégea au centre gauche. Représentant du peuple, pour le département de Seine-et-Marne, à l’Assemblée constituante de 1848, il vota avec la droite, ap
prouva l’expédition de Rome et suivit la même ligne politique à la Législative où il se montra également hostile à la République et au prince Louis-Napoléon ; c’est ainsi qu’il protesta énergiquement contre le coup d’Etat ; expulsé de France en 1852, il rentra au mois d’août de la même année. Sous l’empire, M. de Lastey
rie se tint en dehors de la vie publique. Elu en février 1871 à l’Assemblée nationale, il siégea d’abord au cen
tre droit, se sépara de ce groupe lors du vote pour le retour à Paris, se fit inscrire au centre gauche, combat
tit la majorité monarchiste et,malgré l’état de sa santé, se fit porter à l’Assemblée toutes les fois qu’il s’agissait d’un vote important. Il avait été élu sénateur inamovible, le 10 décembre 1875,
M. Alfred Busquet, littérateur et poète français,gendre de l’éditeur Pagnerre, qui fut membre du gouvernement provisoire de 1848. M. Busquet était né en 1820. Il avait débuté au Corsaire. Puis il collabora à la Semaine, à la Silhouette, dont il était rédacteur en chef, à XArtiste, à la Liberté, à la Revue Française, au Pamphlet. II a publié le Poème des Heures (1854), la Nuit de Noël (1861), et Représailles (1872).
Safvet pacha, ancien ambassadeur ottoman à Paris. D’abord secrétaire du sultan Abdul-Medjid, puis secré
taire de l’ambassade turque à Paris,il fut nommé,en 1861, ministre du commerce et des travaux publics et ambassadeur à Paris en 1865. Rappelé l’année suivante, il ac
cepta successivement les portefeuilles du commerce et de l’instruction publique et fonda le lycée de Galata, qui fut dirigé par des Français. Au commencement de 1875, Safvet pacha fut appelé au ministère des affaires étran
gères ; il accepta ce poste dans des circonstances diffi
ciles, signa en cette qualité le traité de San-Stefano (3 mars 1878), et fut élevé à la dignité de grand-vizir, qu’il garda jusqu’à sa nomination comme ambassadeur à Paris (décembre 1878). Safvet pacha était âgé de soixante-huit ans.