COURRIER DE PARIS
De toutes les dépêches que j’ai pu lire, ces jours derniers, la plus étonnante, à mon avis, est celleci, et on partagera, je crois, mon sentiment :
— « Il se confirme que I Espagne va passer au rang de grande puissance ! »
Je ne savais pas, je l’avoue, que les nations obtenaient ainsi de l’avancement de temps à autre, ainsi qu’un commis de ministère ou un magistrat « amovible. »
Est-ce au choix ou à l’ancienneté que l’Espagne a mérité de devenir « grande puissance ? »
Ce n’est ni à l’ancienneté ni au choix : c’est en voyage. On a fait le roi colonel de uhlans et le royaume « grande puissance » et voilà qui est dit. Je sais de bons bourgeois espagnols qui en sont très fiers. El chauvinismo doit être aussi un nom espagnol. Mais je connais, par contre, nombre de castillans qui se trouvaient, avec raison, fils d’une grande nation, même avant que le rang de leur pays eût été constaté officiellement.
On n’est pas seulement une «grande puissance » parce que la politique et les intérêts vous accordent ce titre comme on vous donnerait une décoration :
on est une « grande puissance » quand on a de grands hommes, de grands politiques, de grands écrivains et de bons soldats. Cervantes, à mon avis, a fait plus pour la grandeur de l’Espagne que tous les ministres espagnols ensemble. Le pays de Don Quichotte n’avait pas besoin d’être élevé au « rang de grande puissance » pour être un grand pays.
Ce qui se pasre au-de la des Pyrénées pique d’ailleurs, médiocrement, notre curiosité, quoiqu’il s agisse, surtout à Madrid, de donner une leçon à Paris. Quel Paris ? Les quelques siffleurs de la gare du Nord incarnaient-ils donc Paris tout entier ?
C’est comme si l’on disait que le jeune anarchiste Curien, qui s’introduit dans les ministères pour casser la tête aux ministres, incarnait, à lui seul, toute la boulangerie de Lille en Flandre.
Les boulangers lillois ne sont pas responsables des velléités de meurtre du citoyen Curien, mais il faut avouer que les gazetiers qui montent la tête, comme on dit, aux pauvres diables ont, sinon col
laboré à la pièce, au moins fourni le scénario du drame. Drame manqué, je le veux bien, mais qui
pouvait facilement avoir un dénouement tout autre et plus violent.
Voilà un jeune cerveau qui bouillonne, cerveau faible évidemment, tout prêt à absorber, comme une éponge, les billevesées dont on l’arrose. Il lit les déclamations des farceurs qui font des phrases sur les prolétaires tout en buvant sec et en man
geant gras et il s’en imprègne et il s’en alcoolise et, un beau matin, à force d’avoir entendu gro
gner contre la tyrannie, il se dit : « J ai une idée. Je m’en vais tuer le tyran! »
Le tyran, c’est Pierre ou Paul, Jean ou Jacques. C’était, il y a un an. ce satrape, ce Vitellius, cette ouire de Gambetta. Cette année, c’est Jules Ferry. Les longs favoris de Jules Ferry, à en juger par les articles de certains journaux, sont la marque dis
tinctive d’une épouvantable tyrannie. L’an pro
chain, qui sera le tyran? Mon Dieu, c’eût été Curien lui-même, si Curien eût occupé le ministère au lieu de l’assiéger. Notre ennemi, c’est notre maître. Notre tyran, c’est notre gouvernement.
Curien n’avait pas de haine contre Ferry. Il ne le connaissait pas. Ferry se fut appelé Delescluze ou Rossel que Curien eût dit : « A bas le tyran ! » et eut voulu tuer Rossel ou Delescluze.
Il y a de ces intelligences charmantes. Au 31 octobre, parmi les papiers griffonnés laissés par les envahisseurs de l’Hôtel de Ville sur les tables du gouvernement provisoire, Jules Mahias, alors secrétaire général de la mairie de Paris, ramassa cet autographe, qu’il gardait précieusement :
Nini,
« Je viens de fonder un gouvernement, « Ça m’embête déjà. — A demain. Ton
« Auguste. »
Cet Auguste était tout simplement un Curien gai, un Curien qui ne prenait pas les choses au tra
gique. un Curien mâtiné de Gavroche et maniant la diôlerieplus volontiers que le revolver.
Moralité de l’assassinat politique : l’Amérique élève un monument superbe à M. Garfield qui ne le mérite pas autrement, revolver à part.
Ah ! le revolver ! Sa Majesté le Revolver ! Il menace de devenir le roi de notre République
Il règne sur les mœurs avec une tyrannie qui s’af
firme, non par des phrases, mais par des détonations. Si l’on n’y prend garde, le revolver passera d’une ftçon déplorable dans les mœurs françaises.
Mme Clovis Hugues voulait naguère en finir à coups de revolver avec les calomnies et parlait tout simplement de tuer dans son lit cette Mme Lenor
mant qui avait, on l’a vu, peu de jours à vivre. Ce revolver entre les mains d’une jolie femme n’a étonné personne. On portera bientôt un revolver sur soi comme on a un porte-monnaie, et même il est fort probable que ceux-là surtout qui n’auront point de porte-monnaie, seront munis d’un revolver
Ce n’est point là, je pense, un signe n’adoucis - sement dans les mœurs. En temps de crise poli
tique et de névrose morale, le revolver est capabl ; de compliquer furieusement les choses et, s’il tût
existé du temps de la Révolution française, par exemple, je ne sais pas s’il y aurait eu plus de tête
coupées mais on aurait certainement vu plus de têtes cassées.
D’ailleurs avec ce diable de revolver, il y a tou jours à craindre l’affreuse méprise qui amenait, l’autre jour, sur les bancs de la Cour d’assises cette femme qui avait tué un passant inconnu en croyant revolveriser un mari infidèle.
— Monsieur, je vous demande mille fois pardon : cette balle ne vous était pas adressée !
L excuse est polie mais non valable.
C’est l’histoire de ce fameux drame dont Marc Fournier reçut, un jour, communication pour le théâtre de la Porte-Saint-Martin et dont il ne lut que le premier acte.
ACTE PREMIER. — scène première.
léon, seul. — Amélie ne viendra-t-elle pas? Ou monte l’escalier. Mon cœur bai! C’est elle! quelle joie (Amélie entre, il T embrasse).
SCÈNE II. - AMÉLIE, LÉON.
léon. Je t’aime!
amélie. Je t’adore! ( On entend des pas dans P escalier).
scène ni. le général (entrant un revolver à la main). Misérables! Vous me trompez! (Il ajuste et tire deux coups de feu. Léon et Amélie tombent).
le général s approche des deux cadavres, les contemple puis recule effaré et regarde autour de lui : — Ah! malheureux! Qu’ai je fait? Il y a er
reur! Je me suis trompé d’étage! (Il s enfuit. La toile tombe. Fin du premier acte).
On n’a jamais représenté, sur aucun théâtre, ce drame illustre, mais on le jouera couramment dans la vie quotidienne, pourvu que l’usage du revolver continue.
Ce n’est pas un revolver mais un article de journal que Mme Maria Gaëtana Pignatelli, princesse de Ce rchiara, vient de décharger sursa fa
mille, dans un numéro du Voltaire. La princesse appelle cette fusillade : une explication. Elle a soin de nous dire que sa maison compte des illustra
tions sans nombre : Des grands d’Espagne, des princes romains, des princes du Saint-Empire.
« Je me rappelle, dit-elle, une fresque qui existe chez la duchesse de Chevreuse et représentant une de mes aïeules venue en France pour épouser, je crois, le comte d’Egmont, sous le règne de Louis XIV, et je me souviens avec quelle fierté M. le duc de Sabran me dit, un jour, de saluer ce souvenir de nos gloires passées ».
Très bien ! De qui est cette fresque ? Si Manet vivait, il en pourrait peindre une autre : la princesse à la Scala.
— « Les Pignatelli étaient braves, ajoute la chanteuse, et comme eux, j’ai marché, défiant les lâches ».
Ce qui est navrant dans cette explication, c’est que la princesse y raconte qu’elle chante « pour ses enfants ». Où il y a pauvreté, comme elle dit, il doit y avoir respect.
Mais est-elle vraiment aussi pauvre que cela, la noble artiste de la Scala qui chante, si je ne me trompe, avec des diamants aux oreilles ?
La princesse en est comme l’an 1883, à l’été de la Saint-Martin et ce post-criptum de l’été rendait Paris tout à fait charmant ces jours derniers. Soleil , ciel bleu, robes nouvelles. On eut pris le der
nier dimanche pour une préface du printemps. Le bois était comble, les bateaux-mouche regor -
gaient, les cochers devenaient inabordables. Et comme de raison il y avait des Courses quelque part. Il y a toujours et tous les jours des Courses. Cette fois, c’était à Auteuil.
Bon Dieu ! quelle population louche de bookmakers cette furie du jeu des grands chevaux,
plus ruineuse que les petits chevaux des casinos de bains de mer, quelle alluvion de parieurs cosmopolites, anglo-saxons, germano-anglais, gréco-bava
rois, ces Courses amènent à Paris ! On aperçoit, dans
les agences où l’on tripote des types singuliers qui font songer à quelque Commune de high life. Un jeune écrivain, très parisien et très vivant. M. Des
chaumes, vient d’étudier l Amour en Boutique. Il peut lui donner pour pendant : La Fortune en Boutique et peindre ce microcosme de parieurs qui sent le fumier et le cabaret. D’où vient cette germination de bohèmes hippiques? Quelle comé
die à écrire : le Mtnde où l on parie. Des gamins de treize ans s’y glissent et y jouent l’argent du papa, parfois même celui du patron. Le jeu est la plaie de ce temps. On le retrouve partout, depuis les entrepreneurs de bonneteaux des fêtes foraines jus
qu’aux grands cercles aux valets en culottes courtes et j usqu’aux Agences de steeple-chases.
Boulevard des Batignolles, Jupillon perd son argent à abattre, à coup de balles de peau, des poupées représentant Léon XIII ou Alphonse XII.
Boulevard des Italiens, M. de Chantenay perd au baccarat, sans sourciller, ses fermes en Beauce.
A l’Agence des Courses, le fils de Joseph Prudhomme fait sauter les économies de sa mère et ap
prend l’art de flâner et de gagner des sous sans rien faire !
Balzac eût écrit sur la Bourse hippique, sur ces tripotages d’écuries, ces parieurs de jockeys, ce trente et quarante à cheval, un roman terrible; mais les courses, en son temps, n’attiraient que les fashionables et ne ruinaient pas jusqu’aux pauvres, en leur soutirant leurs pièces blanches comme on tirerait un peu de sang pâle de la veine d’un anémique.
II va, ce Balzac, avoir sa statue. On la lui doit bien. M. Gonzalès, qui l’a connu, s’est mis à la tête de l’entreprise. On réunira dans un même local cent cinquante littérateurs sans grande sym
pathie évidemment les uns pour les autres, mais qui fraterniseront dans la même admiration. On
communiera en Balzac, on nommera un comité et il ne manquera plus rien que les fonds. Mais si la France n’a pas assez d’argent pour Balzac, pour qui en aura-t-elle ?
Lorsqu’une députation de membres du comité du monument Gambetta se présenta chez M. X...
un riche banquier qui fut l’ami et le protégé du tribun, le financier donna une somme insignifiante.
On s’en étonnait.
— Je lui aurais prêté cent mille francs de son vivant, dit M. X... mais qu’ai-je besoin de donner plus que je ne donne, puisqu il est mort?
C’était pratique. J’ai, je crois, cité le trait mais je tiens à le rappeler. Il est caractéristique.
Manet aussi est mort et cependant des amis dévoués vont faire revivre sa mémoire. On expo
sera son œuvre à l’Ecole des Beaux-Arts. Aux Beaux-Arts 1 Qu’en eût dit M. Ingres ? Il eût affirmé que nous devenons fous, et il aurait eu raison.
Avant l’exposition posthume des tableaux de Manet aura lieu celle du peintre lorrain Sellier, un romain, un classique, un homme de grand ta
lent, tombé trop tôt, mort à la peine et dont les travaux vus d’ensemble, révéleront ou montre
ront mieux la valeur. Après avoir, au contraire du banquier X..., beaucoup critiqué les gens quand ils vivent, on leur décerne une palme verte quand ils ont disparu.
Le monde n’admire que les cendres. C’est peutêtre triste, mais il faut en prendre son parti : c’est l’usage.
— La saison commence. La mode est de tire des pages de romans et des poésies dans les salons. C’est divertissant comme une conférence. Cela dé
goûterait de la lecture à tout jamais. La mo-o-o-de, monsieur, la mo-o-de !
Le Théâtre-Italien sera-t-il ouvert quand ces lignes paraîtront ? Aura-t-il déjà donné sa soirée de gala courue comme un grand prix ? M. Maurel
et Mme Fidès-Devriès vont être les lions de la, saison. Elle est belle, elle est bonne et elle chante admirablement, Mme Adler Devriès. Trois raisons pour une de l’applaudir. Quant à Verdi, il est pro~
De toutes les dépêches que j’ai pu lire, ces jours derniers, la plus étonnante, à mon avis, est celleci, et on partagera, je crois, mon sentiment :
— « Il se confirme que I Espagne va passer au rang de grande puissance ! »
Je ne savais pas, je l’avoue, que les nations obtenaient ainsi de l’avancement de temps à autre, ainsi qu’un commis de ministère ou un magistrat « amovible. »
Est-ce au choix ou à l’ancienneté que l’Espagne a mérité de devenir « grande puissance ? »
Ce n’est ni à l’ancienneté ni au choix : c’est en voyage. On a fait le roi colonel de uhlans et le royaume « grande puissance » et voilà qui est dit. Je sais de bons bourgeois espagnols qui en sont très fiers. El chauvinismo doit être aussi un nom espagnol. Mais je connais, par contre, nombre de castillans qui se trouvaient, avec raison, fils d’une grande nation, même avant que le rang de leur pays eût été constaté officiellement.
On n’est pas seulement une «grande puissance » parce que la politique et les intérêts vous accordent ce titre comme on vous donnerait une décoration :
on est une « grande puissance » quand on a de grands hommes, de grands politiques, de grands écrivains et de bons soldats. Cervantes, à mon avis, a fait plus pour la grandeur de l’Espagne que tous les ministres espagnols ensemble. Le pays de Don Quichotte n’avait pas besoin d’être élevé au « rang de grande puissance » pour être un grand pays.
Ce qui se pasre au-de la des Pyrénées pique d’ailleurs, médiocrement, notre curiosité, quoiqu’il s agisse, surtout à Madrid, de donner une leçon à Paris. Quel Paris ? Les quelques siffleurs de la gare du Nord incarnaient-ils donc Paris tout entier ?
C’est comme si l’on disait que le jeune anarchiste Curien, qui s’introduit dans les ministères pour casser la tête aux ministres, incarnait, à lui seul, toute la boulangerie de Lille en Flandre.
Les boulangers lillois ne sont pas responsables des velléités de meurtre du citoyen Curien, mais il faut avouer que les gazetiers qui montent la tête, comme on dit, aux pauvres diables ont, sinon col
laboré à la pièce, au moins fourni le scénario du drame. Drame manqué, je le veux bien, mais qui
pouvait facilement avoir un dénouement tout autre et plus violent.
Voilà un jeune cerveau qui bouillonne, cerveau faible évidemment, tout prêt à absorber, comme une éponge, les billevesées dont on l’arrose. Il lit les déclamations des farceurs qui font des phrases sur les prolétaires tout en buvant sec et en man
geant gras et il s’en imprègne et il s’en alcoolise et, un beau matin, à force d’avoir entendu gro
gner contre la tyrannie, il se dit : « J ai une idée. Je m’en vais tuer le tyran! »
Le tyran, c’est Pierre ou Paul, Jean ou Jacques. C’était, il y a un an. ce satrape, ce Vitellius, cette ouire de Gambetta. Cette année, c’est Jules Ferry. Les longs favoris de Jules Ferry, à en juger par les articles de certains journaux, sont la marque dis
tinctive d’une épouvantable tyrannie. L’an pro
chain, qui sera le tyran? Mon Dieu, c’eût été Curien lui-même, si Curien eût occupé le ministère au lieu de l’assiéger. Notre ennemi, c’est notre maître. Notre tyran, c’est notre gouvernement.
Curien n’avait pas de haine contre Ferry. Il ne le connaissait pas. Ferry se fut appelé Delescluze ou Rossel que Curien eût dit : « A bas le tyran ! » et eut voulu tuer Rossel ou Delescluze.
Il y a de ces intelligences charmantes. Au 31 octobre, parmi les papiers griffonnés laissés par les envahisseurs de l’Hôtel de Ville sur les tables du gouvernement provisoire, Jules Mahias, alors secrétaire général de la mairie de Paris, ramassa cet autographe, qu’il gardait précieusement :
Nini,
« Je viens de fonder un gouvernement, « Ça m’embête déjà. — A demain. Ton
« Auguste. »
Cet Auguste était tout simplement un Curien gai, un Curien qui ne prenait pas les choses au tra
gique. un Curien mâtiné de Gavroche et maniant la diôlerieplus volontiers que le revolver.
Moralité de l’assassinat politique : l’Amérique élève un monument superbe à M. Garfield qui ne le mérite pas autrement, revolver à part.
Ah ! le revolver ! Sa Majesté le Revolver ! Il menace de devenir le roi de notre République
Il règne sur les mœurs avec une tyrannie qui s’af
firme, non par des phrases, mais par des détonations. Si l’on n’y prend garde, le revolver passera d’une ftçon déplorable dans les mœurs françaises.
Mme Clovis Hugues voulait naguère en finir à coups de revolver avec les calomnies et parlait tout simplement de tuer dans son lit cette Mme Lenor
mant qui avait, on l’a vu, peu de jours à vivre. Ce revolver entre les mains d’une jolie femme n’a étonné personne. On portera bientôt un revolver sur soi comme on a un porte-monnaie, et même il est fort probable que ceux-là surtout qui n’auront point de porte-monnaie, seront munis d’un revolver
Ce n’est point là, je pense, un signe n’adoucis - sement dans les mœurs. En temps de crise poli
tique et de névrose morale, le revolver est capabl ; de compliquer furieusement les choses et, s’il tût
existé du temps de la Révolution française, par exemple, je ne sais pas s’il y aurait eu plus de tête
coupées mais on aurait certainement vu plus de têtes cassées.
D’ailleurs avec ce diable de revolver, il y a tou jours à craindre l’affreuse méprise qui amenait, l’autre jour, sur les bancs de la Cour d’assises cette femme qui avait tué un passant inconnu en croyant revolveriser un mari infidèle.
— Monsieur, je vous demande mille fois pardon : cette balle ne vous était pas adressée !
L excuse est polie mais non valable.
C’est l’histoire de ce fameux drame dont Marc Fournier reçut, un jour, communication pour le théâtre de la Porte-Saint-Martin et dont il ne lut que le premier acte.
ACTE PREMIER. — scène première.
léon, seul. — Amélie ne viendra-t-elle pas? Ou monte l’escalier. Mon cœur bai! C’est elle! quelle joie (Amélie entre, il T embrasse).
SCÈNE II. - AMÉLIE, LÉON.
léon. Je t’aime!
amélie. Je t’adore! ( On entend des pas dans P escalier).
scène ni. le général (entrant un revolver à la main). Misérables! Vous me trompez! (Il ajuste et tire deux coups de feu. Léon et Amélie tombent).
le général s approche des deux cadavres, les contemple puis recule effaré et regarde autour de lui : — Ah! malheureux! Qu’ai je fait? Il y a er
reur! Je me suis trompé d’étage! (Il s enfuit. La toile tombe. Fin du premier acte).
On n’a jamais représenté, sur aucun théâtre, ce drame illustre, mais on le jouera couramment dans la vie quotidienne, pourvu que l’usage du revolver continue.
Ce n’est pas un revolver mais un article de journal que Mme Maria Gaëtana Pignatelli, princesse de Ce rchiara, vient de décharger sursa fa
mille, dans un numéro du Voltaire. La princesse appelle cette fusillade : une explication. Elle a soin de nous dire que sa maison compte des illustra
tions sans nombre : Des grands d’Espagne, des princes romains, des princes du Saint-Empire.
« Je me rappelle, dit-elle, une fresque qui existe chez la duchesse de Chevreuse et représentant une de mes aïeules venue en France pour épouser, je crois, le comte d’Egmont, sous le règne de Louis XIV, et je me souviens avec quelle fierté M. le duc de Sabran me dit, un jour, de saluer ce souvenir de nos gloires passées ».
Très bien ! De qui est cette fresque ? Si Manet vivait, il en pourrait peindre une autre : la princesse à la Scala.
— « Les Pignatelli étaient braves, ajoute la chanteuse, et comme eux, j’ai marché, défiant les lâches ».
Ce qui est navrant dans cette explication, c’est que la princesse y raconte qu’elle chante « pour ses enfants ». Où il y a pauvreté, comme elle dit, il doit y avoir respect.
Mais est-elle vraiment aussi pauvre que cela, la noble artiste de la Scala qui chante, si je ne me trompe, avec des diamants aux oreilles ?
La princesse en est comme l’an 1883, à l’été de la Saint-Martin et ce post-criptum de l’été rendait Paris tout à fait charmant ces jours derniers. Soleil , ciel bleu, robes nouvelles. On eut pris le der
nier dimanche pour une préface du printemps. Le bois était comble, les bateaux-mouche regor -
gaient, les cochers devenaient inabordables. Et comme de raison il y avait des Courses quelque part. Il y a toujours et tous les jours des Courses. Cette fois, c’était à Auteuil.
Bon Dieu ! quelle population louche de bookmakers cette furie du jeu des grands chevaux,
plus ruineuse que les petits chevaux des casinos de bains de mer, quelle alluvion de parieurs cosmopolites, anglo-saxons, germano-anglais, gréco-bava
rois, ces Courses amènent à Paris ! On aperçoit, dans
les agences où l’on tripote des types singuliers qui font songer à quelque Commune de high life. Un jeune écrivain, très parisien et très vivant. M. Des
chaumes, vient d’étudier l Amour en Boutique. Il peut lui donner pour pendant : La Fortune en Boutique et peindre ce microcosme de parieurs qui sent le fumier et le cabaret. D’où vient cette germination de bohèmes hippiques? Quelle comé
die à écrire : le Mtnde où l on parie. Des gamins de treize ans s’y glissent et y jouent l’argent du papa, parfois même celui du patron. Le jeu est la plaie de ce temps. On le retrouve partout, depuis les entrepreneurs de bonneteaux des fêtes foraines jus
qu’aux grands cercles aux valets en culottes courtes et j usqu’aux Agences de steeple-chases.
Boulevard des Batignolles, Jupillon perd son argent à abattre, à coup de balles de peau, des poupées représentant Léon XIII ou Alphonse XII.
Boulevard des Italiens, M. de Chantenay perd au baccarat, sans sourciller, ses fermes en Beauce.
A l’Agence des Courses, le fils de Joseph Prudhomme fait sauter les économies de sa mère et ap
prend l’art de flâner et de gagner des sous sans rien faire !
Balzac eût écrit sur la Bourse hippique, sur ces tripotages d’écuries, ces parieurs de jockeys, ce trente et quarante à cheval, un roman terrible; mais les courses, en son temps, n’attiraient que les fashionables et ne ruinaient pas jusqu’aux pauvres, en leur soutirant leurs pièces blanches comme on tirerait un peu de sang pâle de la veine d’un anémique.
II va, ce Balzac, avoir sa statue. On la lui doit bien. M. Gonzalès, qui l’a connu, s’est mis à la tête de l’entreprise. On réunira dans un même local cent cinquante littérateurs sans grande sym
pathie évidemment les uns pour les autres, mais qui fraterniseront dans la même admiration. On
communiera en Balzac, on nommera un comité et il ne manquera plus rien que les fonds. Mais si la France n’a pas assez d’argent pour Balzac, pour qui en aura-t-elle ?
Lorsqu’une députation de membres du comité du monument Gambetta se présenta chez M. X...
un riche banquier qui fut l’ami et le protégé du tribun, le financier donna une somme insignifiante.
On s’en étonnait.
— Je lui aurais prêté cent mille francs de son vivant, dit M. X... mais qu’ai-je besoin de donner plus que je ne donne, puisqu il est mort?
C’était pratique. J’ai, je crois, cité le trait mais je tiens à le rappeler. Il est caractéristique.
Manet aussi est mort et cependant des amis dévoués vont faire revivre sa mémoire. On expo
sera son œuvre à l’Ecole des Beaux-Arts. Aux Beaux-Arts 1 Qu’en eût dit M. Ingres ? Il eût affirmé que nous devenons fous, et il aurait eu raison.
Avant l’exposition posthume des tableaux de Manet aura lieu celle du peintre lorrain Sellier, un romain, un classique, un homme de grand ta
lent, tombé trop tôt, mort à la peine et dont les travaux vus d’ensemble, révéleront ou montre
ront mieux la valeur. Après avoir, au contraire du banquier X..., beaucoup critiqué les gens quand ils vivent, on leur décerne une palme verte quand ils ont disparu.
Le monde n’admire que les cendres. C’est peutêtre triste, mais il faut en prendre son parti : c’est l’usage.
— La saison commence. La mode est de tire des pages de romans et des poésies dans les salons. C’est divertissant comme une conférence. Cela dé
goûterait de la lecture à tout jamais. La mo-o-o-de, monsieur, la mo-o-de !
Le Théâtre-Italien sera-t-il ouvert quand ces lignes paraîtront ? Aura-t-il déjà donné sa soirée de gala courue comme un grand prix ? M. Maurel
et Mme Fidès-Devriès vont être les lions de la, saison. Elle est belle, elle est bonne et elle chante admirablement, Mme Adler Devriès. Trois raisons pour une de l’applaudir. Quant à Verdi, il est pro~