bable qu’il assistera à cette prem:cre de Simon Boccanegra. S’il n’y est pas, on prendra pour lui M. Tirard, qui lui ressemble, et ce ne sera pas la première fois qu’aura lieu la méprise.
Mais Verdi sera là. Il aime ces batailles parisiennes.
— Quand je viens à Paris, disait-il, un jour, je ne suis plus Verdi, je suis reverdi !
Je préfère sa musique à ses calembours, mais tout a son prix dans une montagne, même les fleurettes.
Perdican.
ASSUNTA
( Suite.)
Et comme Georges allait annoncer sa résolution :
— Non, c’est à moi de parler, continua le colonel ; retourne près de celle à q ii tu dois la vie et qui mourra en portant ton nom... Mess- eurs, mon
neveu, le lieutenant du Luc, s’était librement fiancé à cette jeune fille qu’il aimait... Avant de perdre celle qui serait devenue sa femme dans le monde, il veut qu’elle soit son épouse pour pa
raître devant Dieu !... Mon père, continua-t-il en s’adressant au capucin, rien ne s’oppose, je crois, à ce que vous procédiez à ce mariage suivant les lois de l’Eglise. Vous avez ici les témoins nécessaires... Je représente la famille de M. du Luc ; je prie le commandant Péri et monsieur l’ingénieur Leblond de bien vouloir être les témoins de mon neveu ;
— Monsieur le baron de Sanpiétri et don César de R... seront les témoins de cette pauvre enfant... Monsieur le baron, voulez-vous avoir l’obligeance de faire comprendre notre intention à ses parents, ils ne voudront pas, j’espère, y mettre obstacle et ils en recevront peut-être, cette malheureuse mère surtout, quelque consolation à leur douleur.
Sanpiétri était précisément en ce moment à parler avec Paolo ; celui-ci s’exprimait avec viva
cité; son âme italienne facilement ouverte aux sentiments de vengeance voyait la mort et la honte fondre sur sa famille, c’était l’officier français qui leur avait apporté tout cela !... De quel droit étaitil assis auprès de sa nièce mourante? N’avait-il pas l’air d’insulter à leur malheur ?
Le baron avait assez de peine à le contenir.
— Attendez, Paolo, lui disait-il, attendez la fin ; vous ne savez pas ce qui va arriver, il n’a pas été donné au Français de prévenir le coup fatal... Mais il sait ce qui lui reste à faire... Attendez avant de le juger et de chercher votre vengeance... Laissez du moins votre malheureuse enfant mourir en paix... Si le Français, contre mon attente, ne fai
sait pas son devoir, votre juste ressentiment aura toujours le temps d’éclater contre lui et aussi contre moi qui ai préféré sa vie à celle de votre neveu... ou plutôt ce serait à moi de vous venger tous, si je n’avais pas juré... Mais voilà le colonel qui parle, écoutez!...
— Eh bien! avez-vous compris,padrone ? ajouta Sanpiétri après la déclaration de M. de Loupiac... Le Français et la petite se sont aimés à la première vue ; il l’aurait épousée, il le lui avait juré — et maintenant le colonel son oncle me prie de vous demander à vous et à sa mère si vous voulez la lui accorder pour femme... Le prêtre attend pour bénir leur union...
— A moi ? à nous ? balbutia Paolo frappé de stupeur... Notre pauvre enfant serait devenue la femme du noble seigneur français !.. Voilà ce que vous vouliez dire, Excellence!.. Et pourquoi pas? elle n’est que la fille de misérables pêcheurs, mais le sang d’un roi coule dans ses veines !
Maria-Assunta n’eut pas le même étonnement : — Elle était belle comme une reine, dit-elle, et douce et bonne ; elle était bien digne de son bon
heur et elle aurait fait celui du seigneur français !.. Hélas ! le bon Dieu et la sainte madone ne l’ont pas voulu !
Ce fut Georges qui annonça à Assunta qu’ils allaient être unis; il prit ses deux mains dans le
siennes et se penchant sur son visage rougi par la fièvre :
— Chère Assunta, dit-il, écoutez-moi ! m’entendez-vous ?
Elle appela sur ses lèvres un douloureux sourire et lui pressant la main :
— Oui, Georges, répondit-elle, je vous vois et je vous entends; mais pourquoi m’avez-vous quit
tée? je veux vous savoir là et sentir votre main dans la mienne, pour mourir en vous regardant.
— Pourquoi donc parlez vous de mourir? il faut vivre!... vivre pour être heureuse avec moi, mabien-aimée !...
Et il murmura à son oreille des paroles qu’elle seule entendait.
A mesure qu’il parlait, le visage de la jeune fille semblait rayonner d unejoie céleste, et quand il eut fini, elle essaya de soulever sa tête vers lui, mais n’en ayant pas la force, elle porta à ses lèvres la main du jeune officier et la biisa ardemment :
— Ah ! mon Georges, disait-elle, la pauvre Assunta n’aurait pas osé rê/er ce bonheur ! Ah! c’est à présent surtout que je regrette la vie.
Le Père Exupère avait pris les noms des deux époux, ceux de leurs parents et des témoins et accompli toutes les formalités que l’Eglise prescrit pour la régularité de ces mariages célébrés dans ces circonstances extrêmes ; mariages légitimes et valides, même devant l’autorité civile, par suite de l’empêchement matériel des contractants.
La triste cérémonie de ce mariage en présence de la mort, de ce mariage de la mort avec la vie, pourrait-on dire, fut un spectacle navrant.
La nuit venait ; la pleine lune montait lentement dans un ciel calme et pur ; on entendait la vague brisée sur les rochers, derrière la falaise avec un murmure faible et doux, — par intervalles, le cri plaintif d un oiseau de mer regagnant sa re
traite, et sous les verts massifs, les notes aîgües des merles sifflant leur dernier adieu au jour mourant.
Au pied du lit de la jeune fille, funèbre autel nuptial, le prêtre agenouillé récitait à haute voix les prières préliminaires ; — autour étaient rangés les assistants muets et recueillis, ayant peine à contenir leurs larmes.
La prière du capucin fut courte, le temps pressait; il se leva et fit à Georges les demandes d usage.
Puis s’adressant à Assunta :
— Et vous dona Maria-Assunta Aniello, fille de don Tomaso Aniello, voulez-vous prendre pour légitime époux, suivant les lois de notre Sainte- Mère l Eglise, le seigneur Georges du Luc ?
— Oui, mon père, répondit-elled’une voix claire, et deux larmes roulèrent le long de ses joues, pendant que le prêtre ayant pris leurs mains unies prononçait sur eux les paroles de la bénédiction nuptiale.
— Don Tomaso Aniello?... Masaniello! comment a-t-il dit? avait murmuré le marquis de Loupiac. C’est Masaniello qu’elle s’appelle?
— Oui, monsieur le marquis, répondit le baron debout à ses côtés, elle est la dernière et directe descendante de Masaniello, le pêcheur qui fut, pendant une semaine, souverain de Naples... Sa no
blesse ne remonte pas aux croisades comme la vôtre, mais elle compte un roi parmi ses aïeux.
— Ah! murmura de nouveau le marquis,je ne savais pas cela!.., Masaniello !... Pauvre enfant! pauvre Georges !... Masaniello ! Ah !...
Hélas ! la vanité humaine ne perd jamais ses droits ni en aucun lieu, ni à aucune heure.
Le capucin ôta de sa ceinture de corde son grand crucifix de bois et le présenta aux deux époux : tous les deux imprimèrent leurs lèvres, dans un même baiser, sur l’image du Dieu de l’é ternel amour.
Le colonel, en proie à une émotion irrésistible, s’avança ; il prit la main de la jeune fille et se penchant, la baisa au front :
— Je vous aurais aimée comme ma fille, dit-il.
Puis chacun des siens vint l’embrasser ; elle les reconnut, elle leur sourit et leur dit adieu d’une
voix triste et douce ; elle retint sous un. plus long baiser son petit frère Gioacchino :
Stnpietri vint à son tour, refoulant ses larmes ; il l’embrassa sans pouvoir parler :
— Ah! Excellence! dit-elle, je vous aimais bien ; mais je vous aime encore mieux maintenant que vous avez sauvé la vie de mon Georges !...
Elle se tut, chercha des yeux autour d’elle et, les arrêtant sur Jacopo assis contre son arbre dans la clarté de la lune, ils s’allumèrent d’un dernier éclair.
—Ah ! toi, je te haïs et sois maudit ! répéta-t-elle. Le capucin qui priait à genoux se leva et lui présentant de nouveau le crucifix :
— Mon enfant, dit-il, voici le Dieu du pardon ! il n’admet devant lui que les âmes exemptes de haine et ne pardonne qu’à ceux qui ont pardonné !
Et s’agenouillant à son côté, il commençi, d’une voix forte, cette prière qu’un Dieu seul a
pu apprendreau monde : Notre père qui êtes aux deux ....
En arrivant aux paroles : et pardonnez-nous nos offenses, il s’arrêta, et la jeune fille qui suivait à haute voix continua seule et distinctement jusqu’à lafin.
— Eh bien ! mon enfant, vous lui avez pardonné n’est-ce pas ? reprit le prêtre.
— Oui, mon père, répondit-elle simplement, je lui pardonne pour l’amour de Dieu !
Cinq minutes plus tard, elle expirait. Le soir on transportait Jacopo dans une cabane de berger située dans le voisinage. Le lendemain, on l’y trouva mort, la poitrine trouée d’un coup de cou
teau. Pressé par son oncle, il s’était fait justice luimême.
Dans l après-midi, eurent lieu les funérailles de la malheureuse Assunta. — Le cortège funèbre, ac
compagné de tout le clergé de Bonifacio, partit de la cabane des pêcheurs ; Georges, tête nue, tenant par la main le petit Gioacchino, menait le deuil entre le colonel et l’ingénieur. On suivit ce tor
tueux et pittoresque sentier qui serpente dans les maquis, montant et descendant le long de la mer. A mesure qu’on avançait, paysans et bergers, se découvrant et faisant le signe de la croix, venaient prendre rang dans le cortège.
Quant on arriva sur la hauteur du Torrione qui domine Bonifacio, Sanpiétri qui marchait derrière Georges, s arrêta et lui prenant la main :
— Adieu, ami! lui dit-il, il ne m’est pas permis d’aller plus loin ; —adieu, votre souvenir et celui de cette pauvre enfant ne me quitteront jamais !
— Adieu, fratello, lui répondit Georges en l’embrassant à la manière corse ; — c’est à vous queje dois de vivre, bien que j’eusse préféré mourir !
et je ne vous oublierai jamais... mais je vous reverrai ?
— Je ne crois pas, répondit le baron ; adieu !
A la marine, le cortège trouva les signes d’un deuil général ; les navires avaient mis leurs pavil
lons en berne et une corvette française, arrivée depuis la veille, salua de trois coups de canon le cercueil de la vicomtesse du Luc.
Ou monta dans la ville entre une haie de soldats, au chant des prêtres, interrompus par les roulements des tambours voilés.
Toute la population bonifacienne vint grossir le convoi et l’église de Sainte-Marie fut trop petite pour contenir la foule venue pour donner au Français ce témoignage de douloureuse sympathie.
En attendant que Georges put la faire transporter en France, dans le tombeau de sa famille, la
jeune Napolitaine fut ensevelie dans le cimetière de Bonifacio ; cette inscription fut gravée sur la pierre :
MARIA- ASSUNTA ANIELLO, VICOMTESSE DU LUC, MORTE A L’AGE DE IÔ ANS.
L. d’Ambaloges.
FIN
Mais Verdi sera là. Il aime ces batailles parisiennes.
— Quand je viens à Paris, disait-il, un jour, je ne suis plus Verdi, je suis reverdi !
Je préfère sa musique à ses calembours, mais tout a son prix dans une montagne, même les fleurettes.
Perdican.
ASSUNTA
( Suite.)
Et comme Georges allait annoncer sa résolution :
— Non, c’est à moi de parler, continua le colonel ; retourne près de celle à q ii tu dois la vie et qui mourra en portant ton nom... Mess- eurs, mon
neveu, le lieutenant du Luc, s’était librement fiancé à cette jeune fille qu’il aimait... Avant de perdre celle qui serait devenue sa femme dans le monde, il veut qu’elle soit son épouse pour pa
raître devant Dieu !... Mon père, continua-t-il en s’adressant au capucin, rien ne s’oppose, je crois, à ce que vous procédiez à ce mariage suivant les lois de l’Eglise. Vous avez ici les témoins nécessaires... Je représente la famille de M. du Luc ; je prie le commandant Péri et monsieur l’ingénieur Leblond de bien vouloir être les témoins de mon neveu ;
— Monsieur le baron de Sanpiétri et don César de R... seront les témoins de cette pauvre enfant... Monsieur le baron, voulez-vous avoir l’obligeance de faire comprendre notre intention à ses parents, ils ne voudront pas, j’espère, y mettre obstacle et ils en recevront peut-être, cette malheureuse mère surtout, quelque consolation à leur douleur.
Sanpiétri était précisément en ce moment à parler avec Paolo ; celui-ci s’exprimait avec viva
cité; son âme italienne facilement ouverte aux sentiments de vengeance voyait la mort et la honte fondre sur sa famille, c’était l’officier français qui leur avait apporté tout cela !... De quel droit étaitil assis auprès de sa nièce mourante? N’avait-il pas l’air d’insulter à leur malheur ?
Le baron avait assez de peine à le contenir.
— Attendez, Paolo, lui disait-il, attendez la fin ; vous ne savez pas ce qui va arriver, il n’a pas été donné au Français de prévenir le coup fatal... Mais il sait ce qui lui reste à faire... Attendez avant de le juger et de chercher votre vengeance... Laissez du moins votre malheureuse enfant mourir en paix... Si le Français, contre mon attente, ne fai
sait pas son devoir, votre juste ressentiment aura toujours le temps d’éclater contre lui et aussi contre moi qui ai préféré sa vie à celle de votre neveu... ou plutôt ce serait à moi de vous venger tous, si je n’avais pas juré... Mais voilà le colonel qui parle, écoutez!...
— Eh bien! avez-vous compris,padrone ? ajouta Sanpiétri après la déclaration de M. de Loupiac... Le Français et la petite se sont aimés à la première vue ; il l’aurait épousée, il le lui avait juré — et maintenant le colonel son oncle me prie de vous demander à vous et à sa mère si vous voulez la lui accorder pour femme... Le prêtre attend pour bénir leur union...
— A moi ? à nous ? balbutia Paolo frappé de stupeur... Notre pauvre enfant serait devenue la femme du noble seigneur français !.. Voilà ce que vous vouliez dire, Excellence!.. Et pourquoi pas? elle n’est que la fille de misérables pêcheurs, mais le sang d’un roi coule dans ses veines !
Maria-Assunta n’eut pas le même étonnement : — Elle était belle comme une reine, dit-elle, et douce et bonne ; elle était bien digne de son bon
heur et elle aurait fait celui du seigneur français !.. Hélas ! le bon Dieu et la sainte madone ne l’ont pas voulu !
Ce fut Georges qui annonça à Assunta qu’ils allaient être unis; il prit ses deux mains dans le
siennes et se penchant sur son visage rougi par la fièvre :
— Chère Assunta, dit-il, écoutez-moi ! m’entendez-vous ?
Elle appela sur ses lèvres un douloureux sourire et lui pressant la main :
— Oui, Georges, répondit-elle, je vous vois et je vous entends; mais pourquoi m’avez-vous quit
tée? je veux vous savoir là et sentir votre main dans la mienne, pour mourir en vous regardant.
— Pourquoi donc parlez vous de mourir? il faut vivre!... vivre pour être heureuse avec moi, mabien-aimée !...
Et il murmura à son oreille des paroles qu’elle seule entendait.
A mesure qu’il parlait, le visage de la jeune fille semblait rayonner d unejoie céleste, et quand il eut fini, elle essaya de soulever sa tête vers lui, mais n’en ayant pas la force, elle porta à ses lèvres la main du jeune officier et la biisa ardemment :
— Ah ! mon Georges, disait-elle, la pauvre Assunta n’aurait pas osé rê/er ce bonheur ! Ah! c’est à présent surtout que je regrette la vie.
Le Père Exupère avait pris les noms des deux époux, ceux de leurs parents et des témoins et accompli toutes les formalités que l’Eglise prescrit pour la régularité de ces mariages célébrés dans ces circonstances extrêmes ; mariages légitimes et valides, même devant l’autorité civile, par suite de l’empêchement matériel des contractants.
La triste cérémonie de ce mariage en présence de la mort, de ce mariage de la mort avec la vie, pourrait-on dire, fut un spectacle navrant.
La nuit venait ; la pleine lune montait lentement dans un ciel calme et pur ; on entendait la vague brisée sur les rochers, derrière la falaise avec un murmure faible et doux, — par intervalles, le cri plaintif d un oiseau de mer regagnant sa re
traite, et sous les verts massifs, les notes aîgües des merles sifflant leur dernier adieu au jour mourant.
Au pied du lit de la jeune fille, funèbre autel nuptial, le prêtre agenouillé récitait à haute voix les prières préliminaires ; — autour étaient rangés les assistants muets et recueillis, ayant peine à contenir leurs larmes.
La prière du capucin fut courte, le temps pressait; il se leva et fit à Georges les demandes d usage.
Puis s’adressant à Assunta :
— Et vous dona Maria-Assunta Aniello, fille de don Tomaso Aniello, voulez-vous prendre pour légitime époux, suivant les lois de notre Sainte- Mère l Eglise, le seigneur Georges du Luc ?
— Oui, mon père, répondit-elled’une voix claire, et deux larmes roulèrent le long de ses joues, pendant que le prêtre ayant pris leurs mains unies prononçait sur eux les paroles de la bénédiction nuptiale.
— Don Tomaso Aniello?... Masaniello! comment a-t-il dit? avait murmuré le marquis de Loupiac. C’est Masaniello qu’elle s’appelle?
— Oui, monsieur le marquis, répondit le baron debout à ses côtés, elle est la dernière et directe descendante de Masaniello, le pêcheur qui fut, pendant une semaine, souverain de Naples... Sa no
blesse ne remonte pas aux croisades comme la vôtre, mais elle compte un roi parmi ses aïeux.
— Ah! murmura de nouveau le marquis,je ne savais pas cela!.., Masaniello !... Pauvre enfant! pauvre Georges !... Masaniello ! Ah !...
Hélas ! la vanité humaine ne perd jamais ses droits ni en aucun lieu, ni à aucune heure.
Le capucin ôta de sa ceinture de corde son grand crucifix de bois et le présenta aux deux époux : tous les deux imprimèrent leurs lèvres, dans un même baiser, sur l’image du Dieu de l’é ternel amour.
Le colonel, en proie à une émotion irrésistible, s’avança ; il prit la main de la jeune fille et se penchant, la baisa au front :
— Je vous aurais aimée comme ma fille, dit-il.
Puis chacun des siens vint l’embrasser ; elle les reconnut, elle leur sourit et leur dit adieu d’une
voix triste et douce ; elle retint sous un. plus long baiser son petit frère Gioacchino :
Stnpietri vint à son tour, refoulant ses larmes ; il l’embrassa sans pouvoir parler :
— Ah! Excellence! dit-elle, je vous aimais bien ; mais je vous aime encore mieux maintenant que vous avez sauvé la vie de mon Georges !...
Elle se tut, chercha des yeux autour d’elle et, les arrêtant sur Jacopo assis contre son arbre dans la clarté de la lune, ils s’allumèrent d’un dernier éclair.
—Ah ! toi, je te haïs et sois maudit ! répéta-t-elle. Le capucin qui priait à genoux se leva et lui présentant de nouveau le crucifix :
— Mon enfant, dit-il, voici le Dieu du pardon ! il n’admet devant lui que les âmes exemptes de haine et ne pardonne qu’à ceux qui ont pardonné !
Et s’agenouillant à son côté, il commençi, d’une voix forte, cette prière qu’un Dieu seul a
pu apprendreau monde : Notre père qui êtes aux deux ....
En arrivant aux paroles : et pardonnez-nous nos offenses, il s’arrêta, et la jeune fille qui suivait à haute voix continua seule et distinctement jusqu’à lafin.
— Eh bien ! mon enfant, vous lui avez pardonné n’est-ce pas ? reprit le prêtre.
— Oui, mon père, répondit-elle simplement, je lui pardonne pour l’amour de Dieu !
Cinq minutes plus tard, elle expirait. Le soir on transportait Jacopo dans une cabane de berger située dans le voisinage. Le lendemain, on l’y trouva mort, la poitrine trouée d’un coup de cou
teau. Pressé par son oncle, il s’était fait justice luimême.
Dans l après-midi, eurent lieu les funérailles de la malheureuse Assunta. — Le cortège funèbre, ac
compagné de tout le clergé de Bonifacio, partit de la cabane des pêcheurs ; Georges, tête nue, tenant par la main le petit Gioacchino, menait le deuil entre le colonel et l’ingénieur. On suivit ce tor
tueux et pittoresque sentier qui serpente dans les maquis, montant et descendant le long de la mer. A mesure qu’on avançait, paysans et bergers, se découvrant et faisant le signe de la croix, venaient prendre rang dans le cortège.
Quant on arriva sur la hauteur du Torrione qui domine Bonifacio, Sanpiétri qui marchait derrière Georges, s arrêta et lui prenant la main :
— Adieu, ami! lui dit-il, il ne m’est pas permis d’aller plus loin ; —adieu, votre souvenir et celui de cette pauvre enfant ne me quitteront jamais !
— Adieu, fratello, lui répondit Georges en l’embrassant à la manière corse ; — c’est à vous queje dois de vivre, bien que j’eusse préféré mourir !
et je ne vous oublierai jamais... mais je vous reverrai ?
— Je ne crois pas, répondit le baron ; adieu !
A la marine, le cortège trouva les signes d’un deuil général ; les navires avaient mis leurs pavil
lons en berne et une corvette française, arrivée depuis la veille, salua de trois coups de canon le cercueil de la vicomtesse du Luc.
Ou monta dans la ville entre une haie de soldats, au chant des prêtres, interrompus par les roulements des tambours voilés.
Toute la population bonifacienne vint grossir le convoi et l’église de Sainte-Marie fut trop petite pour contenir la foule venue pour donner au Français ce témoignage de douloureuse sympathie.
En attendant que Georges put la faire transporter en France, dans le tombeau de sa famille, la
jeune Napolitaine fut ensevelie dans le cimetière de Bonifacio ; cette inscription fut gravée sur la pierre :
MARIA- ASSUNTA ANIELLO, VICOMTESSE DU LUC, MORTE A L’AGE DE IÔ ANS.
L. d’Ambaloges.
FIN