Mademoiselle Aurélie dépouillait les pièces de cette volumineuse procédure.
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Aux sons lugubrement rythmés de toutes les cloches des églises de Villotte, le cortège sortait de la maison mortuaire et se répandait dans la rue : — d’abord un clergé nombreux, avec les hautes croix d’argent dressées en avant de chaque paroisse et scintillant vivement au soleil de mai ; puis les cinquante enfants de l’hospice cheminant sur deux files, chacun un cierge à la main ; les plus petits trébuchant dans leur soutane noire trop longue, les aînés entourant le corbillard empanaché, dont quatre dames en grand deuil tenaient
DESSIN D’ÉMILE BAYARD
les cordons et derrière lequel marchaient les sœurs de Saint-Charles, baissant dévotement leurs amples coiffes blanches vers leurs doigts occupés à égrener un chapelet. Les deux servantes qui avaient soigné la défunte suivaient immédiatement, le mouchoir sur les yeux et jouant bruyamment le rôle des pleureuses antiques. A distance convenable, soutenu par son ami et confrère le docteur Boisselier, appa
raissait le mari, Amable Desrônis, médecin en chef de l’hôpital et du bureau de bienfaisance, inspec
teur des pharmacies du département et chevalier de l’ordre de Saint-Sylvestre. Cravaté de blanc, irréprochable de tenue, il semblait écrasé par son chagrin. Sa tête nue et ballante s’affaissait douloureusement tantôt sur une épaule et tantôt sur
l’autre ; des sanglots soulevaient sa poitrine et secouaient son dos sous l’habit noir ; des plaintes inachevées entr’ouvraient par moment ses lèvres crispées, comme s’il eût parlé en rêve. Les curieux qui regardaient le convoi à l’abri de leurs persiennes entrebâillées, ne pouvaient s’empêcher de murmurer : « Le pauvre garçon, son affliction est navrante ! » La pensée que cet homme, qui san
glotait comme un simple mortel, était le médecin le plus occupé et le plus considéré de Villotte,
ajoutait à l’intensité de l’impression produite par cette douleur violemment expansive. — A la suite du veuf, et comme pour accroître encore cette pénible impression, marchaient, escortés par un parent, les jeunes enfants de la défunte : Sosthène et


TANTE AURÉLIE


Par ANDRÉ THEURIET
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