COURRIER DE PARIS
— Il parait que l’hiver sera froid! disent les météorologistes.
— Vous verrez que l’hiver sera chaud! répondent les anarchistes.
Mon avis est qu’il ne sera ni chaud ni froid. Tous les hivers se ressemblent, comme, du reste, se ressemblent tous les étés. Ce ne sont plus que des saisons mixtes. Et, du reste, si l hiver est froid, tant mieux pour les fêtes de l’hiver! Il leur faut, pour briller, cette belle gelée dont parle ironique
ment Musset. Et si l’hiver est trop chaud, tant pis pour les anarchistes qui seront échaudés.
Ils sont bien étonnants, les anarchistes. Un matin ils se donnent rendez-vous sur une place pu
blique de Paris. La Bourse, par exemple. Tout est décidé, fixé, convenu. Tremble, société! Lelendemain, ils décommandent le rendez-vous. La partie est remise; il n’y a même plus de rendez-vous dutout. Mais les chefs ont fait le simulacre de mon
trer les dents et ils se figurent avoir en même t< mps fait grossir leur simulacre de popularité. Le tour est joué. A qui le tour ?
Pendant ce temps, les Chinois continuent leurs chinoiseries et nos politiciens les suivent sur ce terrain tout enchinoisé. Jamais ce pays-ci n’a eu plus besoin de vérité vraie, de vérité crâne, et jamais on ne la lui a mieux cachée.
On a écrit les impressions de voyage de Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des républi
ques. Il y aurait à raconter le voyage de M. Joseph Prudhomme et de Jacques Bonhomme à la recherche de la vérité.
Si la vérité était bannie du reste de la terre, elle ne se trouverait, du reste, ni dans !es discours des gens de parti ni dans les prospectus des négociants faisant feu des quatre- pieds pour la fin d’année ! Marchands de jouets et vendeurs de vêtements, débitantsde poupées ou de confections,tous illuminent leur façade et s’affichent à la quatrième page des journaux. C’est la grande kermesse des étrennes qui commence.
La fameuse ligue contre les cartes de visite continue toujours à fonctionner. Il s’agit de rempla
cer les bouts de carton jetés à la poste par une
annonce dans la gazette. « M. et Mme X... envoient leurs souhaits de nouvel an à leurs amis et con
naissances. » Rien de plus, rien de moins. Une formule en deux lignes. Quelque chose comme le «fi ai bien l honneur de vous saluer-» de la fin d’une lettre. Les plus généreux ajouteraient à cette consta
tation typographiée quelques louis pour les pauvres de l’arrondissement. Tout le monde y gagnerait : les déshérités d’abord, les facteurs ensuite, enfin les connaissances en question qui n’auraient pas l’oc
cupation de s’écrier en recevant les cartes annuelles :
— Allons, bien! Cet animal de*** m’envoie encore sa carte ! Est-ce qu’il va falloir que je lui renvoie la mienne ? Ou encore :
— Tiens, ***! Il vit donc encore? Je le croyais mort!
Il faut bien se figurer que les amis ont parfois de ces touchantes exclamations lorsqu’ils reçoivent les bouts de carton. Mais l’envoi des cartes de vi
site étant un usage presque immémorial, toutes les ligues n’y feront rien et l’on continuera, cette année comme par le passé, à se visiter par l’intermédiaire des employés de M. Cochery.
C’est bien étonnant, cependant, qu’une carte remplace une visite! Elle vous apporte tout au plus l’assurance d’une affection à distance et d’une amitié qui n’aime pas à se déranger. C’est la sympathie pratique... et platonique.
Et postale.
Mais, alors même qu’on fait réellement, en chair et en os, des visites, on a trouvé le moyen de faire de la carte de visite la complice d’une sorte d’in
solence. On a fabriqué — à l’usage des gens pressés
qui ne tiennent pas à perdre leur temps en lignes tracées au crayon chez un concierge ou dans une antichambre — on a inventé des cartes préparées — j’allais dire biseautées — pour toutes les occa
sions. Ces cartes d’un modernisme effréné portent, à chacun de leurs angles, la cause même de la visite que venait faire le visiteur :
Pour affaires. — Adieux. — Félicitations. — Visite.
Et l’on n’a qu’à corner la carte à l’angle portant l’un de ces mots pour faire savoir au visité, quand on ne le trouve point, qu’on était venu pour le féliciter ou lui faire ses adieux.
Voilà qui est pratique, je pense! Grâce à ces mots gravés d’avance, on ne court pas le risque de s’attarder ou de s’attendrir bien longtemps. On a des félicitations toutes préparées, des adieux tout clichés et l on porte ses sentiments stéréotypés dans sa poche.
Soyez certain, du reste, que notre civilisation qui simplifie tout, ira plus loin encore. On impri
mera par avance les compliments de condoléance.On gravera, dans un coin de la carte les paroles émues que le visiteur apportera à son ami venant de perdre son père ou sa femme. Il y aura des coins spéciaux pour chaque parenté. On abaissera l’angle de la carte, on tendra le bout de carton et tout sera dit.
Pourvu seulement qu’on ne se trompe point et qu’en rendant une visite de noce on ne corne pas l’angle réservé aux deuils : Profonde douleur ou : sympathie affligée. Il faudra bien que ces quipro
quos arrivent pour faire vivre les vaudevillistes dont le quiproquo, depuis des siècles, est le gagne pain le plus sûr.
Mais, en supposant qu’on ait fait au roi et à la reine de Naples, descendus à Paris, Hôtel Voillemont la visite que conseillaient les tschockeux
choqués par les Rois en exil, quel angle de la carte imprimée d’avance fallait-il donc abaisser ?
Visite était bien familier. Pour affaires indiquait une demande de décorations que les souverains
n’étaient plus en état de satisfaire. Félicitations pouvait risquer de paraître terriblement ironique. Félicitations, pourquoi ? Protestations, pourquoi ?
Je pense que la meilleure façon d’honorer ce roi sans royaume qui vit dignement hors de son pays et cette reine qui fut héroïque à Gaète était de ne pas les enrôler parmi le tschock offusqué et de ne point leur dire :
— Majestés ceux qui vont siffler vous saluent ! Mais les manifestations politiques sont rarement
intelligentes. Elles peuvent avoir du tschok ; elles n’ont pas toujours de tact.
Je me sers là de mots qui doivent faire dresser les cheveux sur la tête des lecteurs qui les
lisent hors de Paris, en province ou au bout du monde. J’ai reçu, un jour, du fond de la Perse, la protestation indignée d’un spirituel lecteur de \ Il
lustration qui me suppliait de ne plus lui parler du pschtt.
— La langue que j’entends parler autour de moi est plus française que cela !
Je ne dis pas le contraire. Et si j’enregistre les néologismes de la gomtne c’est qu’il faut bien être de son temps. Mais je ne les approuve pas. On nous a, du reste, appris que l’inventeur de ce mot pschtt, le Littré de ce vocable, était le jeune duc de Morny. Voilà pourquoi le mot a fait fortune. Louis XIV,
un jour, au lieu de dire, comme la règle le voulait alors : « Faites avancer ma carrosse » laissa tomber celte faute : « Faites avancer mon carrosse. » Et du
jour au lendemain carrosse changea de genre. Le mot était du féminin il devint du masculin. Le roi avait parlé. Tous les Vaugelas inclinaient leurs perruques.
Léo Delibes a écrit un joli opéra-comique sous ce titre : Le roi l a dit ! Il y en aurait un plus mo
derne à faire’ représenter sous ce titre : Mo: ny l’a créé !
On est ou on n’est pas le « roi de la mode » et le jeune duc en est le Louis XIV.
Nous allons donc avoir un ballet à l’Opéra, un ballet pschtt, la Farandole, qui offrira, entr’autres séductions, celle de nous montrer des danseuses sans corset. Le corset, l’odieux corset, le corset meurtrier, est détrôné par le caoutchouc. Le caout
chouc moule et la baleine déprime. Le caoutchouc caresse et l’acier blesse. Je n’ai pas besoin d’in
sister sur l’importance d’une telle réforme qui a pour Luther Mlle Mérante et pour Calvin Mlle Invernizzi.
Plus de corsets ! Il y avait longtemps, bien longtemps, que les médecins leur avaient déclaré la guerre au nom de l’hygiène. Mais est-ce qu’on écoute les médecins, surtout en matière de modes? C est comme cette barbare coutume de porter des bottines à talons hauts faisant marcher celle qui les met à ses pieds comme si elle s’avançait sur un plancher incliné. Rien n’est plus dangereux, anti
hygiénique que cet autre supplice chinois. On l’a dit et répété cent fois. Les femmes n’ont pas écouté. Mais puisque les danseuses se décident à mettre en action les conseils des docteurs, ne crai
gnez rien : les femmes imiteront les danseuses et le corset battra en retraite devant le caoutchouc. Ceci exdera cela.
Allez voir, dans la salle Lacaze, au Louvre, où l’on vient de la placer, la Vénus de Milo. Les physiologistes vous diront qu’elle n’est aussi belle que parce qu’elle fut faite d’aDrès des modèles qui ne portaient point de corset. Le corset est le bour
reau intime de la femme moderne. Il en est le géolier et l’étouffeur. Le caoutchouc en sera le sauveur peut-être. De telles destinées ne sem
blaient pas promises à cet humble et honnête caoutchouc.
Dimanche, pendant que les électeurs séna toriaux écoutaient les explications du major Labordère, ce soldat résolu qui discute les ordres de ses supérieurs, mais obéit comme un caporal à ceux de ses inférieurs, on ouvrait, à l’Ecole des Beaux-Arts. l’Exposition des œuvres posthumes du peintre Sellier, mort naguère, à Nancy, et qui fut un des lauréats les plus éclatants de notre Ecole de Rome.
L’Exposition est des plus intéressantes. Sellier, épris du clair-obscur, a cherché une lumière à lui qu’il a souvent trouvée. Il a laissé des portraits ad
mirables et ses dessins ne seraient Das déplacés à côté de ceux des plus grands maîtres. C’est Mme Sel
lier qui a voulu cette exposition, suprême hom
mage à un nom aimé, et M. Roger Marx qui l’a organisée. Le succès en est complet. Les curieux s’arrêtent surtout devant un tableau des plus inté
ressants au point de vue historique et artistique et représentant la salle à manger de la villa Médicis en 1860, avec tous les pensionnaires attablés : Henner, Chapu, Giacomotti, Carpeaux, Bizet, Falguière, Ulrnann, Guillaume. Je dois oublier d’autres noms. Quelle assemblée ! Je voudrais que le Louvre ne laissât pas échapper cette toile, d’un intérêt ca
pital, et qui nous rend, dans tout l’éclat de leur jeunesse, des maîtres qui sont aujourd’hui la gloire de notre art français et dont beaucoup sont morts.
Je parlais, tout à l’heure, d’un peintre mort trop tôt. Un homme jeune, d’apparence vigoureuse,
qui promettait à la France un maître, vient de mourir à quarante-six ans et la perte est vraiment profonde. C’est Ulysse Butin, le peintre des mate
lots, le poète de la mer. Brave garçon, ce Butin, et grand artiste. Il y a dans ses dessins une autorité décisive. Il carnpe d’une façon définitive, en quel
ques traits, les rudes gars de mer, les marins de Villerville, les pêcheuses de la côte. Son réalisme était robuste, sans vaine recherche de la grossièreté.
S’il comprenait mieux que personne le peuple — le peuple matelot — c’est qu’il était lui-même fils du peuple, enfant de Saint-Quentin, élevé à la mutuelle dans sa ville natale et ayant connu les rudes journées qui trempent un tempérament.
On n’eût jamais cru qu’un gros garçon râblé comme lui mourrait sitôt. Une maladie de foie l’avait entamé ; le chagrin l’a achevé : sa. femme était morte, il y a quelques mois. Depuis lors, Ulysse Butin n’a fait que végéter, attristé déses
pérément. Il avait des enfants cependant, deux tout petits, mais il se laissait aller, d’autant plus écrasé qu’il était plus fort. Les robustes ont de ces écroulements.
Je le répète, ce n’est pas seulement un peintre que nous perdons là, c’est un maître.
Le dîner de centième offert à la presse par M. Vacquerie, l’auteur de Formosa, le vote des crédits pour le Tonkin bientôt suivi de la repré
sentation des Pavillons noirs, drame militaire de M. Champagne au théâtre des Batignolles, la réouverture du cours de M. Caro en Sorbonne, événement tout à la fois littéraire et mondain, mais plus littéraire encore que mondain, l’ouver
ture et la fondation du fiournal parlé à la salle de l’Athénée, voilà, par le menu, les nouvelles, grosses ou petites, qui complètent le sommaire parisien de la semaine.
Il y a aussi cette innovation au théâtre des Menus-plaisirs : les célébrités actuelles vues au mi
croscope, nos gloires contemporaines projetées à la lumière électrique, le monde politique remplaçant là les puces et pucerons et le monde littéraire de
venu géant, tout à coup. C’est un procédé comme un autre.
Mais hélas! parmi tous ces gens illustres qu on nous montre là, combien ne sont grands que parce qu’ils sont vus à travers le microscope géant !
De grands hommes ? Non, mais des hommes grossis, voilà le bilan du temps présent. Ce n’est pas du tout la même chose.
Perdican.
— Il parait que l’hiver sera froid! disent les météorologistes.
— Vous verrez que l’hiver sera chaud! répondent les anarchistes.
Mon avis est qu’il ne sera ni chaud ni froid. Tous les hivers se ressemblent, comme, du reste, se ressemblent tous les étés. Ce ne sont plus que des saisons mixtes. Et, du reste, si l hiver est froid, tant mieux pour les fêtes de l’hiver! Il leur faut, pour briller, cette belle gelée dont parle ironique
ment Musset. Et si l’hiver est trop chaud, tant pis pour les anarchistes qui seront échaudés.
Ils sont bien étonnants, les anarchistes. Un matin ils se donnent rendez-vous sur une place pu
blique de Paris. La Bourse, par exemple. Tout est décidé, fixé, convenu. Tremble, société! Lelendemain, ils décommandent le rendez-vous. La partie est remise; il n’y a même plus de rendez-vous dutout. Mais les chefs ont fait le simulacre de mon
trer les dents et ils se figurent avoir en même t< mps fait grossir leur simulacre de popularité. Le tour est joué. A qui le tour ?
Pendant ce temps, les Chinois continuent leurs chinoiseries et nos politiciens les suivent sur ce terrain tout enchinoisé. Jamais ce pays-ci n’a eu plus besoin de vérité vraie, de vérité crâne, et jamais on ne la lui a mieux cachée.
On a écrit les impressions de voyage de Jérôme Paturot à la recherche de la meilleure des républi
ques. Il y aurait à raconter le voyage de M. Joseph Prudhomme et de Jacques Bonhomme à la recherche de la vérité.
Si la vérité était bannie du reste de la terre, elle ne se trouverait, du reste, ni dans !es discours des gens de parti ni dans les prospectus des négociants faisant feu des quatre- pieds pour la fin d’année ! Marchands de jouets et vendeurs de vêtements, débitantsde poupées ou de confections,tous illuminent leur façade et s’affichent à la quatrième page des journaux. C’est la grande kermesse des étrennes qui commence.
La fameuse ligue contre les cartes de visite continue toujours à fonctionner. Il s’agit de rempla
cer les bouts de carton jetés à la poste par une
annonce dans la gazette. « M. et Mme X... envoient leurs souhaits de nouvel an à leurs amis et con
naissances. » Rien de plus, rien de moins. Une formule en deux lignes. Quelque chose comme le «fi ai bien l honneur de vous saluer-» de la fin d’une lettre. Les plus généreux ajouteraient à cette consta
tation typographiée quelques louis pour les pauvres de l’arrondissement. Tout le monde y gagnerait : les déshérités d’abord, les facteurs ensuite, enfin les connaissances en question qui n’auraient pas l’oc
cupation de s’écrier en recevant les cartes annuelles :
— Allons, bien! Cet animal de*** m’envoie encore sa carte ! Est-ce qu’il va falloir que je lui renvoie la mienne ? Ou encore :
— Tiens, ***! Il vit donc encore? Je le croyais mort!
Il faut bien se figurer que les amis ont parfois de ces touchantes exclamations lorsqu’ils reçoivent les bouts de carton. Mais l’envoi des cartes de vi
site étant un usage presque immémorial, toutes les ligues n’y feront rien et l’on continuera, cette année comme par le passé, à se visiter par l’intermédiaire des employés de M. Cochery.
C’est bien étonnant, cependant, qu’une carte remplace une visite! Elle vous apporte tout au plus l’assurance d’une affection à distance et d’une amitié qui n’aime pas à se déranger. C’est la sympathie pratique... et platonique.
Et postale.
Mais, alors même qu’on fait réellement, en chair et en os, des visites, on a trouvé le moyen de faire de la carte de visite la complice d’une sorte d’in
solence. On a fabriqué — à l’usage des gens pressés
qui ne tiennent pas à perdre leur temps en lignes tracées au crayon chez un concierge ou dans une antichambre — on a inventé des cartes préparées — j’allais dire biseautées — pour toutes les occa
sions. Ces cartes d’un modernisme effréné portent, à chacun de leurs angles, la cause même de la visite que venait faire le visiteur :
Pour affaires. — Adieux. — Félicitations. — Visite.
Et l’on n’a qu’à corner la carte à l’angle portant l’un de ces mots pour faire savoir au visité, quand on ne le trouve point, qu’on était venu pour le féliciter ou lui faire ses adieux.
Voilà qui est pratique, je pense! Grâce à ces mots gravés d’avance, on ne court pas le risque de s’attarder ou de s’attendrir bien longtemps. On a des félicitations toutes préparées, des adieux tout clichés et l on porte ses sentiments stéréotypés dans sa poche.
Soyez certain, du reste, que notre civilisation qui simplifie tout, ira plus loin encore. On impri
mera par avance les compliments de condoléance.On gravera, dans un coin de la carte les paroles émues que le visiteur apportera à son ami venant de perdre son père ou sa femme. Il y aura des coins spéciaux pour chaque parenté. On abaissera l’angle de la carte, on tendra le bout de carton et tout sera dit.
Pourvu seulement qu’on ne se trompe point et qu’en rendant une visite de noce on ne corne pas l’angle réservé aux deuils : Profonde douleur ou : sympathie affligée. Il faudra bien que ces quipro
quos arrivent pour faire vivre les vaudevillistes dont le quiproquo, depuis des siècles, est le gagne pain le plus sûr.
Mais, en supposant qu’on ait fait au roi et à la reine de Naples, descendus à Paris, Hôtel Voillemont la visite que conseillaient les tschockeux
choqués par les Rois en exil, quel angle de la carte imprimée d’avance fallait-il donc abaisser ?
Visite était bien familier. Pour affaires indiquait une demande de décorations que les souverains
n’étaient plus en état de satisfaire. Félicitations pouvait risquer de paraître terriblement ironique. Félicitations, pourquoi ? Protestations, pourquoi ?
Je pense que la meilleure façon d’honorer ce roi sans royaume qui vit dignement hors de son pays et cette reine qui fut héroïque à Gaète était de ne pas les enrôler parmi le tschock offusqué et de ne point leur dire :
— Majestés ceux qui vont siffler vous saluent ! Mais les manifestations politiques sont rarement
intelligentes. Elles peuvent avoir du tschok ; elles n’ont pas toujours de tact.
Je me sers là de mots qui doivent faire dresser les cheveux sur la tête des lecteurs qui les
lisent hors de Paris, en province ou au bout du monde. J’ai reçu, un jour, du fond de la Perse, la protestation indignée d’un spirituel lecteur de \ Il
lustration qui me suppliait de ne plus lui parler du pschtt.
— La langue que j’entends parler autour de moi est plus française que cela !
Je ne dis pas le contraire. Et si j’enregistre les néologismes de la gomtne c’est qu’il faut bien être de son temps. Mais je ne les approuve pas. On nous a, du reste, appris que l’inventeur de ce mot pschtt, le Littré de ce vocable, était le jeune duc de Morny. Voilà pourquoi le mot a fait fortune. Louis XIV,
un jour, au lieu de dire, comme la règle le voulait alors : « Faites avancer ma carrosse » laissa tomber celte faute : « Faites avancer mon carrosse. » Et du
jour au lendemain carrosse changea de genre. Le mot était du féminin il devint du masculin. Le roi avait parlé. Tous les Vaugelas inclinaient leurs perruques.
Léo Delibes a écrit un joli opéra-comique sous ce titre : Le roi l a dit ! Il y en aurait un plus mo
derne à faire’ représenter sous ce titre : Mo: ny l’a créé !
On est ou on n’est pas le « roi de la mode » et le jeune duc en est le Louis XIV.
Nous allons donc avoir un ballet à l’Opéra, un ballet pschtt, la Farandole, qui offrira, entr’autres séductions, celle de nous montrer des danseuses sans corset. Le corset, l’odieux corset, le corset meurtrier, est détrôné par le caoutchouc. Le caout
chouc moule et la baleine déprime. Le caoutchouc caresse et l’acier blesse. Je n’ai pas besoin d’in
sister sur l’importance d’une telle réforme qui a pour Luther Mlle Mérante et pour Calvin Mlle Invernizzi.
Plus de corsets ! Il y avait longtemps, bien longtemps, que les médecins leur avaient déclaré la guerre au nom de l’hygiène. Mais est-ce qu’on écoute les médecins, surtout en matière de modes? C est comme cette barbare coutume de porter des bottines à talons hauts faisant marcher celle qui les met à ses pieds comme si elle s’avançait sur un plancher incliné. Rien n’est plus dangereux, anti
hygiénique que cet autre supplice chinois. On l’a dit et répété cent fois. Les femmes n’ont pas écouté. Mais puisque les danseuses se décident à mettre en action les conseils des docteurs, ne crai
gnez rien : les femmes imiteront les danseuses et le corset battra en retraite devant le caoutchouc. Ceci exdera cela.
Allez voir, dans la salle Lacaze, au Louvre, où l’on vient de la placer, la Vénus de Milo. Les physiologistes vous diront qu’elle n’est aussi belle que parce qu’elle fut faite d’aDrès des modèles qui ne portaient point de corset. Le corset est le bour
reau intime de la femme moderne. Il en est le géolier et l’étouffeur. Le caoutchouc en sera le sauveur peut-être. De telles destinées ne sem
blaient pas promises à cet humble et honnête caoutchouc.
Dimanche, pendant que les électeurs séna toriaux écoutaient les explications du major Labordère, ce soldat résolu qui discute les ordres de ses supérieurs, mais obéit comme un caporal à ceux de ses inférieurs, on ouvrait, à l’Ecole des Beaux-Arts. l’Exposition des œuvres posthumes du peintre Sellier, mort naguère, à Nancy, et qui fut un des lauréats les plus éclatants de notre Ecole de Rome.
L’Exposition est des plus intéressantes. Sellier, épris du clair-obscur, a cherché une lumière à lui qu’il a souvent trouvée. Il a laissé des portraits ad
mirables et ses dessins ne seraient Das déplacés à côté de ceux des plus grands maîtres. C’est Mme Sel
lier qui a voulu cette exposition, suprême hom
mage à un nom aimé, et M. Roger Marx qui l’a organisée. Le succès en est complet. Les curieux s’arrêtent surtout devant un tableau des plus inté
ressants au point de vue historique et artistique et représentant la salle à manger de la villa Médicis en 1860, avec tous les pensionnaires attablés : Henner, Chapu, Giacomotti, Carpeaux, Bizet, Falguière, Ulrnann, Guillaume. Je dois oublier d’autres noms. Quelle assemblée ! Je voudrais que le Louvre ne laissât pas échapper cette toile, d’un intérêt ca
pital, et qui nous rend, dans tout l’éclat de leur jeunesse, des maîtres qui sont aujourd’hui la gloire de notre art français et dont beaucoup sont morts.
Je parlais, tout à l’heure, d’un peintre mort trop tôt. Un homme jeune, d’apparence vigoureuse,
qui promettait à la France un maître, vient de mourir à quarante-six ans et la perte est vraiment profonde. C’est Ulysse Butin, le peintre des mate
lots, le poète de la mer. Brave garçon, ce Butin, et grand artiste. Il y a dans ses dessins une autorité décisive. Il carnpe d’une façon définitive, en quel
ques traits, les rudes gars de mer, les marins de Villerville, les pêcheuses de la côte. Son réalisme était robuste, sans vaine recherche de la grossièreté.
S’il comprenait mieux que personne le peuple — le peuple matelot — c’est qu’il était lui-même fils du peuple, enfant de Saint-Quentin, élevé à la mutuelle dans sa ville natale et ayant connu les rudes journées qui trempent un tempérament.
On n’eût jamais cru qu’un gros garçon râblé comme lui mourrait sitôt. Une maladie de foie l’avait entamé ; le chagrin l’a achevé : sa. femme était morte, il y a quelques mois. Depuis lors, Ulysse Butin n’a fait que végéter, attristé déses
pérément. Il avait des enfants cependant, deux tout petits, mais il se laissait aller, d’autant plus écrasé qu’il était plus fort. Les robustes ont de ces écroulements.
Je le répète, ce n’est pas seulement un peintre que nous perdons là, c’est un maître.
Le dîner de centième offert à la presse par M. Vacquerie, l’auteur de Formosa, le vote des crédits pour le Tonkin bientôt suivi de la repré
sentation des Pavillons noirs, drame militaire de M. Champagne au théâtre des Batignolles, la réouverture du cours de M. Caro en Sorbonne, événement tout à la fois littéraire et mondain, mais plus littéraire encore que mondain, l’ouver
ture et la fondation du fiournal parlé à la salle de l’Athénée, voilà, par le menu, les nouvelles, grosses ou petites, qui complètent le sommaire parisien de la semaine.
Il y a aussi cette innovation au théâtre des Menus-plaisirs : les célébrités actuelles vues au mi
croscope, nos gloires contemporaines projetées à la lumière électrique, le monde politique remplaçant là les puces et pucerons et le monde littéraire de
venu géant, tout à coup. C’est un procédé comme un autre.
Mais hélas! parmi tous ces gens illustres qu on nous montre là, combien ne sont grands que parce qu’ils sont vus à travers le microscope géant !
De grands hommes ? Non, mais des hommes grossis, voilà le bilan du temps présent. Ce n’est pas du tout la même chose.
Perdican.