L’éducation à la Spartiate, préconisée par le docteur
DESSIN D’ÉMILE BAYARD


TANTE AURÉLIE(1)


Par ANDRÉ THEURIET
( Suite.]
A peine eût-elle hasardé quelques pas dans une allée en pente, qu’elle entendit des cris aigus et vit l’infortuné Sosthène bondir au milieu du potager dans le plus simple appareil, en donnant des si


gnes de la plus vive frayeur. Armé d’un tube d’ar


rosage alimenté par la source du jardin, le docteur Boisselier poursuivait le fuyard en braquant sur
lui la lance de métal d’où jaillissait un jet d’eau tumultueux. Pendant ce temps Marcel, assis les jambes pendantes, sur l’appui d’une fenêtre basse, assistait en riant aux éclats à la fuite terrifiée de son camarade. Il avait, pour sa part, reçu un moment auparavant, sans sourciller, cette douche ma
tinale, qui constituait un des éléments de l’éducation à la Spartiate préconisée par le docteur ; mais Sosthène, pour lequel cetraitement hygiénique était chose toute nouvelle, Sosthène regimbait ferme et piétinant salades et poireaux, protestait comme un beau diable :
— Ne me touchez pas!... Je ne veux pas être arrosé !
— Poule mouillée ! répliquait Boisselier en cinglant d’un nouveau jet les jambes nues du patient,
tu n’asdoncjamais lu Montaigne? « Le baigner est salubre, et rien n’est mauvais comme de tenir nos
membres encroustés et nos pores estoupés de crasse... » Tu y passeras, morbleu ! ou j’y perdrai mon latin !
Il fallut l’intervention de Camille pour délivrer le malheureux Sosthène. A sa prière, le docteur daigna fermer le robinet, en déclarant que cela
suffisait pour cette fois, mais que le lendemain il serait inexorable. Il rentra dans son cabinet ; Sos
thène alla s’éponger et se vêtir, et Camille resta en tête à tête avec Marcel.
— Votre père est un bourreau ! s’écria la fillette indignée.
— Bah ! dit Marcel, votre frère s’y fera... Moi, je reçois tous les jours la douche sans broncher. le ne suis pas fâché de cette petite scène ; papa était si échauffé qu’il a oublié de me gronder au sujet de mes gluaux ; c’est toujours ça de gagné.


— Je suis bien désolée, d’en avoir parlé hier au


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