Avant le lancement : le paquebot, encore sur cale, vu par l’arrière, du milieu de l’estuaire de la Loire. — Phot. J. Clair-Guyot.
LE PLUS GRAND PAQUEBOT
DU MONDE
Le vent, qui soufflait en tempête depuis deux jours sur la région nazairienne, s’était apaisé le .matin, le ciel se- débarbouilla de nuages et, lorsqu’une myriade d’humains minuscules vinrent grouiller autour — mais à distance — du géant, inerte sur sa cale inclinée, une clarté légère auréola toute la scène.
On a exprimé déjà l’émotion que dégage la cérémonie d’un lancement de navire ; elle n’a pas d équivalence. Elle s’amplifie avec les dimensions du bâtiment, et pourtant, lorsque les lignes sont
aussi justement ordonnées que celles de la Normandie, l’impression dominante est moins d énor
mité que d’harmonie. Cette construction de fer éveille le même sentiment de beauté que les palais de pierre et, sur ces assises qu’on pourrait croire immuables, l’architecte naval s’égale à l’architecte terrien. Devant les courbes heureuses do cette masse, placée si puissamment sur sa base qu’elle semble fixée là pour l’éternité, on ouvre les mêmes yeux émerveillés que devant les plus authentiques chefs-d’œuvre de l’architecture la plus consacrée : le Parthénon, les pyramides, les cathédrales gothiques, le palais de Versailles, ou devant les
plus réussis des buildings newyorkais qui, dépassent aussi, et de peu — verticalement — les mêmes fatidiques 300 mètres.
Mais quelques centaines de myrmidons, esclaves d’un génie méthodique et calculateur, s’agitent sous ses flancs sans qu’on les remarque si l’on n’est pas aux premiers rangs des spectateurs ; leurs manœuvres, rapides, précises, minutées, délivrent le géant de ses liens, un à un, sur sa double voie glissante. Et à l’heure déterminée par la marée, à l’instant même voulu par le grand
maître de l’opération, l’ingénieur responsable, les derniers verrous de retenue tirés, l’immense nef, comme sous un souffle invisible, bouge impercep
tiblement, semble hésiter, glisse lentement, puis accélère. En s’animant, en se déplaçant soudain avec une puissance irrésistible, cette grandeur immobile s’apparente à une force de la nature. Elle entre dans les eaux, qu’elle divise, rebrousse,
fait écumer, et va s’installer
dans l’horizon avec une majesté presque aérienne.
Ainsi, ce 29 octobre, à 15 heures, la coque du paquebot Normandie — plus de 300 mètres de lon
gueur, sur plus de 30 mètres de hauteur et plus de 30 mètres de largeur, pesant plus de 30 millions de kilos : la plus volumi
neuse et la plus lourde masse qui ait jamais été mue directement par la volonté de l’homme — quitta la terre et prit la mer, où elle va régner. — G. S.
C’est en présence du Président de la République et de MM. Léon Meyer, ministre de la Marine mar
chande, Georges Leygues, ministre de la Marine nationale, des directeurs du chantier et de la Com
pagnie transatlantique et d’un grand nombre de personnalités politiques, maritimes et commerciales que le nouveau paquebot de la Compagnie générale transatlantique Nor
mandie a été lancé de la grande cale du chantier de Saint-Nazairc
Penhoët, spécialement édifiée pour sa construction. Le croiseur La Motte-Picquet, battant pavillon du vice-amiral Drujon, commandant la 2“ escadre, était venu de Brest pour saluer le chef de l’Etat.
Aux premières heures du jour, les chefs d’équipe, sous les ordres des ingénieurs, avaient procédé à une sorte de répétition générale du lancement dont nous avons décrit la préparation et les opérations suc
cessives dans le précédent numéro. Les accores avaient été abattues en grand nombre, on n’en avait con
servé que tout juste ce qu’il fallait pour ^ étayer la coque jusqu’à la dernière minute. Les empilements de bois qui avaient maintenu jus
que là l’énorme construction audessus des chemins de glissement suiffés ayant été enlevés, la masse tout entière faisant corps avec son
berceau reposait maintenant sur . l’épaisse couche de suif.
Mais l’opération ne pouvait être
Le navire dresse si haut ses rilurailles qu’il faut lever la tête pour en apercevoir le sommet : les ouvriers qui vont abattre la dernière accore ceux qui sous ses flancs vont enlever les clés ou faire disparaître les tins secs sont là ; plus près de nous, la marraine, du haut d’une estrade s’apprête à briser sur l’étrave de son filleul la traditionnelle bouteille de champagne. Ce geste symbolique est accompli à l’instant même où les verrous effacés libèrent l’énorme masse ; on voit ici au pied du berceau de ux des vérins de poussée qui n’ont même pas été utilisés cette fors.
La minute du lancement. — Phot. Sebille-clair-Guyot.
LE PLUS GRAND PAQUEBOT
DU MONDE
Le vent, qui soufflait en tempête depuis deux jours sur la région nazairienne, s’était apaisé le .matin, le ciel se- débarbouilla de nuages et, lorsqu’une myriade d’humains minuscules vinrent grouiller autour — mais à distance — du géant, inerte sur sa cale inclinée, une clarté légère auréola toute la scène.
On a exprimé déjà l’émotion que dégage la cérémonie d’un lancement de navire ; elle n’a pas d équivalence. Elle s’amplifie avec les dimensions du bâtiment, et pourtant, lorsque les lignes sont
aussi justement ordonnées que celles de la Normandie, l’impression dominante est moins d énor
mité que d’harmonie. Cette construction de fer éveille le même sentiment de beauté que les palais de pierre et, sur ces assises qu’on pourrait croire immuables, l’architecte naval s’égale à l’architecte terrien. Devant les courbes heureuses do cette masse, placée si puissamment sur sa base qu’elle semble fixée là pour l’éternité, on ouvre les mêmes yeux émerveillés que devant les plus authentiques chefs-d’œuvre de l’architecture la plus consacrée : le Parthénon, les pyramides, les cathédrales gothiques, le palais de Versailles, ou devant les
plus réussis des buildings newyorkais qui, dépassent aussi, et de peu — verticalement — les mêmes fatidiques 300 mètres.
Mais quelques centaines de myrmidons, esclaves d’un génie méthodique et calculateur, s’agitent sous ses flancs sans qu’on les remarque si l’on n’est pas aux premiers rangs des spectateurs ; leurs manœuvres, rapides, précises, minutées, délivrent le géant de ses liens, un à un, sur sa double voie glissante. Et à l’heure déterminée par la marée, à l’instant même voulu par le grand
maître de l’opération, l’ingénieur responsable, les derniers verrous de retenue tirés, l’immense nef, comme sous un souffle invisible, bouge impercep
tiblement, semble hésiter, glisse lentement, puis accélère. En s’animant, en se déplaçant soudain avec une puissance irrésistible, cette grandeur immobile s’apparente à une force de la nature. Elle entre dans les eaux, qu’elle divise, rebrousse,
fait écumer, et va s’installer
dans l’horizon avec une majesté presque aérienne.
Ainsi, ce 29 octobre, à 15 heures, la coque du paquebot Normandie — plus de 300 mètres de lon
gueur, sur plus de 30 mètres de hauteur et plus de 30 mètres de largeur, pesant plus de 30 millions de kilos : la plus volumi
neuse et la plus lourde masse qui ait jamais été mue directement par la volonté de l’homme — quitta la terre et prit la mer, où elle va régner. — G. S.
C’est en présence du Président de la République et de MM. Léon Meyer, ministre de la Marine mar
chande, Georges Leygues, ministre de la Marine nationale, des directeurs du chantier et de la Com
pagnie transatlantique et d’un grand nombre de personnalités politiques, maritimes et commerciales que le nouveau paquebot de la Compagnie générale transatlantique Nor
mandie a été lancé de la grande cale du chantier de Saint-Nazairc
Penhoët, spécialement édifiée pour sa construction. Le croiseur La Motte-Picquet, battant pavillon du vice-amiral Drujon, commandant la 2“ escadre, était venu de Brest pour saluer le chef de l’Etat.
Aux premières heures du jour, les chefs d’équipe, sous les ordres des ingénieurs, avaient procédé à une sorte de répétition générale du lancement dont nous avons décrit la préparation et les opérations suc
cessives dans le précédent numéro. Les accores avaient été abattues en grand nombre, on n’en avait con
servé que tout juste ce qu’il fallait pour ^ étayer la coque jusqu’à la dernière minute. Les empilements de bois qui avaient maintenu jus
que là l’énorme construction audessus des chemins de glissement suiffés ayant été enlevés, la masse tout entière faisant corps avec son
berceau reposait maintenant sur . l’épaisse couche de suif.
Mais l’opération ne pouvait être
Le navire dresse si haut ses rilurailles qu’il faut lever la tête pour en apercevoir le sommet : les ouvriers qui vont abattre la dernière accore ceux qui sous ses flancs vont enlever les clés ou faire disparaître les tins secs sont là ; plus près de nous, la marraine, du haut d’une estrade s’apprête à briser sur l’étrave de son filleul la traditionnelle bouteille de champagne. Ce geste symbolique est accompli à l’instant même où les verrous effacés libèrent l’énorme masse ; on voit ici au pied du berceau de ux des vérins de poussée qui n’ont même pas été utilisés cette fors.
La minute du lancement. — Phot. Sebille-clair-Guyot.