Sur la route d’Espagne : M. Herriot arrivant à l’hôtel de ville de Poitiers avant de repartir pour Madrid. ÉDOUARD HERRIOT EN ESPAGNE
Le voyage entrepris en ce moment même en Espagne par M. Edouard Herriot survient a point nommé pour ^rendre visible au monde la possibilité spontanée d’une parfaite amitié entre deux
peuples; sans négociations préalables, sans labeur diplomatique, sans préméditations, sans inutiles engagements, sans arrière-pensées, sa. s détours.
Le pacifisme franco-espagnol est un fait en soi, une évidence qu’il ny a pas besoin d’analyser pour le comprendre. Il constitue un modèle de ce que devraient être les rapports entre les Etats. Vivre en paix, sans nulle embûche, à l’exclusion de toute idée d’antagonisme, mais rien n’est plus simple ! Que toutes les nations se comportent les unes envers les autres comme le font les deux nations séparées par les Pyrénées, alors la paix perpétuelle et universelle sera établie.
Chose fondamentale, il ne s’est jamais prolongé entre les Espagnols et les Français de rancunes historiques. Les luttes épiques du passé ne nous laissèrent jamais, de part-et d’autre, qu’un sou
venir de chevalerie. Le théâtre espagnol excita au dix-septième siècle l’admiration de l’Europe ; il inspira Corneille et nous donna le Cid devenu en quelque sorte un héros commun aux deux; peuplés. Quand, après s’être couverts d’une gloire inou
bliable, les fameux centos espagnols succombèrent enfin en 1643 à Rocroi, ce fut pour recevoir du plus inspiré des prédicateurs français, dans l’orai
son funèbre du prince de Condé, cet hommage superbe prononcé en l’église Notre-Dame de Paris, cet hommage que tant de Français savent par cœur ;
Restait cette redoutable infanterie de l’armée d Espagne...
Plus tard, l’invasion napoléonienne ne laissa point dans l’esprit du peuple espagnol un ressentiment proportionné aux souffrances qu’il avait sup
portées. Les malheurs endurés alors par lui furent au même degré déplorés par la population fran
çaise, désolée d’avoir à fournir ses enfants aux carnages d’une lutte fraticide.
Aujourd’hui, ceux des Français qui savent avoir eu des ancêtres étrangers cherchent plutôt à le cacher qu’à s’en faire gloire. Remarquez cette exception ; notre Flandre française, notre Artois mettent quelquefois leur coquetterie à rappeler que l’occupation espagnole a pu modifier un peu le type de leurs habitants. On est si « espagnolisant » dans le Nord et le Pas-de-Calais qu’on va jusqu’à voir des édifices « espagnols » en des lieux où il n’en existe pas. Il n’y a guère d’autre race européenne dont des Français voudraient bien reconnaître qu’ils ont pu, ataviquement, subir l’empreinte.
Jamais les malentendus passagers entre les gouvernements des deux pays ne furent adoptés par la conscience de leurs peuples. Quand, par exemple,
le 29 septembre 1883 le roi Alphonse XII fut mal accueilli à Paris parce qu’il arrivait en droite
ligne de Strasbourg, où il venait d’être nommé colonel honoraire d’un régiment allemand, toute l’Espagne sentit très bien que cet accès de nervo
sité, d’ailleurs blâmable, ne s’adressait pas à ellemême, mais à la fausse manœuvre, non préméditée, de son souverain. La guerre de 1870 était encore si récente !
Alphonse XIII, lui, avait su s’assurer les sympathies personnelles des Français et, quand il fut
détrôné le 13 avril 1931, nombreux furent ceux d’entre nous qui, sentimentalement, compatirent à son infortune. Mais, d’autre part, comment eussions-nous pu, sans nous montrer illogiques, blâmer nos voisins et amis d’avoir adopté un système politique dont nous nous satisfaisons nous-mêmes ? Nous agîmes donc comme il conve
nait en reconnaissant chaleureusement et sans hésiter le nouveau régime ; quand nous le fîmes, peu de gouvernements nous avaient devancés dans cette voie. Et cela fut d autant plus juste que, comme l’a péremptoirement démontré Madariaga, cette gauche intellectuelle et libérale qui arrivait au pouvoir était composée des mêmes hommes qui nous avaient le plus énergiquement soutenus durant la guerre mondiale.
Nos articles de L’Illustration, rédigés alors à Madrid et à Séville, donnèrent immédiatement à penser qu’en dépit des difficultés économiques, sociales et démographiques inhérentes à la situa
tion de l’Espagne contemporaine la république y était durablement fondée, une république capable de maintenir l’ordre et de reconstruire graduellement le pays. Sans nier l’importance du mouve
ment agraire d’Andalousie, nous ne fûmes pas de ceux qui voulurent à tout prix découvrir au sud de l’Espagne une conspiration bolchevique prête à éclater. Nous expliquâmes, dès le premier jour, que l’individualisme fondamental du tempérament espagnol s’oppose aux formations grégaires du vrai communisme. Nos prévisions ont été, jusqu’à pré
sent du moins, confirmées par les événements : il y a eu depuis le 13 avril 1931, en Espagne, des échauffourées, des accès sporadiques de frénésie, des complots avortés, mais point un seul événement de régression ou de subversion.
L’Espagne nouvelle a, trouvé des conducteurs : Azana, président du Conseil, une intelligence vive et assimilatrice, un homme de gouvernement, et le président de la République, Alcala Zamora, doué des plus généreuses facultés du cœur et de l’esprit. Ces chefs ont su composer intelligemment avec la Catalogne et réprimer avec vigueur en août 1932 le pronunciamiento du général Sanjurjo, acte de
dépit, acte de folie profondément déplorable commis par un grand soldat qui pourtant, en avril 1931, avait contribué à sa manière à la fondation de la république.
Assurément la tâche du gouvernement espagnol
est difficile. Il lui faut concilier le maintien de l’ordre avec les impatiences, les colères et aussi les réels besoins d’un peuple encore ignorant, orienté vers les idées avancées, et parmi lequel sont poursuivies des propagandes dont les origines sont souvent troubles. Le destin semble avoir voulu rapprocher davantage encore la France et l’Espagne en donnant pour chefs à celle-ci des démocrates profondément imbus des principes de la Révolution française, des idéalistes à l’âme élevée, des hommes qui peut-être, à 1 heure qu il est, aiment surtout en nous, et plus que nous, le souvenir de nos grands ancêtres.
Il n’existe point, on le sait, dans le vaste univers deux communautés limitrophes entre lesquelles ne surgisse jamais aucun sujet de dis
cussion. Dans plus d’un cas, le sejoiu sur le sol
français et l’établissement en Afrique du Nord de nombreux citoyens espagnols ont fourni des thèmes de conversation aux représentants des deux nations. Le labeur espagnol en France, en un temps où la crise économique complique tout, fait surgir cer
tains problèmes dont aucun, certes, n’est au-dessus de nos bonnes volontés réciproques. Les antécé
dents de ces controverses nous sont connus. On ne nous demandera pas de nous y attarder en ces heures où les deux grandes républiques se sentent animées par un égal désir de faire prédominer sur le reste tout ce qui peut fortifier leur amitié désintéressée. Aimons nos amis et prou\ ons-leui
que nous les aimons. C’est la plus habile et la plus prudente de toutes les politiques.
Ludovic Naudeau.
M. HERRIOT A POITIERS
Le président du Conseil a quitté ^ Paris le 29 octobre dans la soirée pour se rendre à Madrid, où il a été invité par le gouvernement républicain de l’Espagne. Il s’est d’abord arrêté à Poitiers où il a été l’objet d’un chaleureux accueil. Au ban
quet donné en son honneur, il a prononcé un grand discours politique. Après avoir rappelé l’œuvre accomplie déjà par son gouvernement, M. Herriot a défini la tâche qu’il restait immé
diatement à accomplir. A l’intérieur, l’équilibre budgétaire, qui exige des économies ou des amé
nagements de taxes en raison des 8 milliards de déficit à combler encore, le rétablissement de la situation économique dont certains symptômes heureux laissent déjà entrevoir l’amélioration, la défense agricole et la sauvegarde de notre produc
tion intérieure, tout en nous efforçant de conserver nos marchés extérieurs ; dans l’ordre internatio
nal, l’organisation de la paix par un désarmement
aussi large que possible, à condition qu’il ne porte pas atteinte à la sécurité. Aussitôt après le ban
quet, M. Herriot a repris son train pour Madrid, où il est arrivé lundi matin pour un séjour prévu jusqu’au mercredi 2 novembre au soir.
LA VOIE DE L’EMPIRE » A ROME
On trouvera, fin peu plus loin, deux vues de la voie triomphale percée à Rome, sur l’ordre de M. Mussolini, entre le Colisée et la place de Venise. Cette artère grandiose, dont nous avons exposé la genèse dans notre dernier numéro, a été inaugurée solennellement par le Duce le 28 octobre dernier ; quelques heures seulement auparavant — ainsi que nous l’avions indiqué — elle a reçu son nom définitif : via dell’Impero (la voie de l Empire), appellation magnifique, mais aussi sug
gestive — en ce dixième anniversaire de la « marche sur Rome ».
LA PACIFICATION MAROCAINE
Dans l’article que nous avons consacré le 15 octobre aux opérations marocaines de mai
septembre 1932, l’omission involontaire d’une ligne a privé quelques-unes de nos vaillantes troupes de l’hommage qui leur était dû. Il fallait lire ; « Le 20 mai, on entamait la réduction du pays Ait Isha. Trois colonnes, l’une par le nord-est (troupes du général de Loustal, de la région de
Tadla), une autre par le nord-ouest et la troisième par le sud (troupes du général Catroux, de la région de Marrakech), convergeaient sur Tillouguit n’Aït Isha, etc. » Ce sont, en effet, les troupes de la région de Marrakech — deux colonnes sur trois — qui ont réglé l’affaire d’Aït Isha en occupant le 31 mai Tillouguit, ainsi que le constate la citation élogieuse décernée à leur chef, le général Catroux, et publiée récem
ment par la presse. Elles y ont quelque mérite et il serait injuste de les oublier.