démocrates n’ont pas commis l’imprudence de reprendre à leur compte les idées aventureuses de Wilson sur la participation des Etats-Unis à la Société des Nations. La prohibition elle-même, qui est le terrain le plus mouvementé des divisions,
ne les sépare pas : l’un et l’autre approuvent sa suppression en tant que question constitutionnelle et entendent laisser à chacun des Etats la liberté d’édicter à son sujet une législation locale, de sorte qu’il n’y a pas à redouter les surprises de vote qui auraient pu se produire si l’un des candidats était « sec » et l’autre « humide ». Sur deux
points seulement il semble que les programmes divergent. D’une part, les démocrates demandent une ré
duction du tarif douanier actuel afin d’intensifier les exportations et d’of
frir aux pays débiteurs des Etats- Unis les moyens de régler leurs dettes, tandis que les républicains proclament l’intangibilité du tarif actuel, qu’ils jugent indispensable au maintien des hauts salaires et au retour de la prospérité. D’autre
part, les démocrates souhaitent un contrôle public plus sérieux des émissions étrangères, des opéra
tions des banques et du système de
la réserve fédérale, alors que les républicains sont partisans du statu quo.
Le vrai problème qui se pose aux électeurs est donc le suivant :
l’équipe dirigée par M. Hoover a-t-elle toujours la confiance du pays ou doit-elle être changée ?
Le président sortant a pour lui l’appui des milieux bancaires et
boursiers de New York qui, par principe, redoutent les innovations,
surtout en période critique. Il sera aussi soutenu, probablement, par la plupart des fonctionnaires fédéraux qui, n’ayant pas de statut personnel,
risquent de perdre leur place si le parti concurrent parvient au
pouvoir. Par contre, M. Hoover s’est créé un nombre considérable d’ennemis par sa manière d’être, par l’échec de sa politique de prospérité et par son système d’économie dirigée. Il a contre lui les vétérans, qui ne lui pardonnent pas son
refus constant d’autoriser le paiement anticipé d’une partie du bonus, ou prime que le Congrès leur a allouée, et qui gardent sur le cœur l’emploi récemment fait de la troupe pour débarrasser la capitale de 1’ « armée du bonus », venue y camper afin d’impressionner le Congrès. M. Roosevelt bénéficie auprès de certains d’être un homme nouveau, qui ne sait pas user du pouvoir. Sa modération bien connue et son nom populaire peuvent
rallier les Etats dissidents qui ont fait défection en 1928 à leur fidélité traditionnelle pour les démocrates. Il rassure le monde des affaires par la sympathie que lui témoignent des personna
lités marquantes de la grande industrie, comme M. Owen Young, président de la General Electric, ou de la banque, comme M. Melvin Traylor, pré
sident de la First National Bank of Chicago, la plus grande banque du Middle West. Mais surtout ses chances se sont fortement accrues depuis sa réconciliation avec M. Alfred Smith, qui est le chef du groupe irlandais et étranger des grands centres et l’homme de confiance de Tammany Hall. On sait quelle place occupe dans la politique des Etats-Unis cette camarilla de Tammany Hall, c’est-à-dire du conseil municipal de New Lork, où les scandales financiers sont si fréquents. L’un des derniers en date a eu pour regrettable héros le maire de New York, M. James Walker. En sa qualité de gouverneur de l’Etat, M. Roosevelt avait dû prendre parti contre lui, mais il a eu l’adresse diplomatique de ne point l’accabler et Alfred Smith lui-même, qui fut son concurrent malheureux à la convention démocrate de Chicago, a reçu des promesses de compensation qui, d’adversaire, en ont fait un allié.
Les grands journaux des Etats-Unis ont l’habitude, quelque temps avant les élections présidentielles, d’instituer panni leurs lecteurs des referendums qui sont comme autant de sondages de l’opinion publique. On ne saurait évidemment attribuer à ces consultations une valeur absolue et elles présentent surtout un intérêt de curiosité. Néanmoins, cette année, chacune de ces expé
riences a nettement tourné à l’avantage de M. Roosevelt.-Voici, à ce sujet, quelques chiffres caractéristiques :
Referendum national de la presse Hearst : Roosevelt, 162.973 voix, Hoover, 116.239 ; referen
dum national du Literary Digest : Roosevelt, 87.275 voix, Hoover, 67.906 ; referendum de la presse Scripps-Howards, de l’Ohio, où, en 1928, M. Hoover avait obtenu les deux tiers des suffrages : Roosevelt, 55.287 voix, Hoover, 16.084 ; referendum de la Dépêche de Colombus, égale
ment dans l’Ohio : Roosevelt, 3.294 voix, Hoover, 1.873 ; referendum des New York News : Roosevelt, 7.271 voix, Hoover, 5.922 ; referendum du Wichita Beacon, dans le Kansas, Etat habi
tuellement douteux : Roosevelt, 9.157, Hoover, 5.561 ; referendum du Min
neapolis Star, dans le Minnesota, Etat n’ayant jamais voté encore pour un démocrate : Roosevelt, 10.697 voix, Hoover, 4.826.
En définitive, même à quelques jours des élections, l’issue de la lutte demeure incertaine, car la victoire des démocrates suppose le retournement de la majorité absolue dans quelques gros Etats comme ceux de New York, de la Californie et de l’Illinois. D’autre part, comme les républicains n’ont pas de candidat dissident, on ne peut escompter qu’un revirement se produise au sein du collège élec
toral du second degré comme, en 1912, au profit de Wilson. La curiosité avec laquelle l’étranger attend le verdict populaire du 8 novembre ne doit pas donner d’illusion sur les possibilités qu’il
y aurait de modifier foncièrement les directives de la politique étrangère et économique des Etats-Unis. Que les républicains conservent le pouvoir ou que les démocrates les supplantent, l’atti
tude du gouvernement américain à 1 égard des problèmes européens restera empreinte de la même réserve. Tout ce qu on peut dire, c’est que le gouvernement nouveau, quel qu’il soit, se trou
vera délivré pour quelque temps de la crainte de l’électeur et de surenchères démagogiques. Il pourra donc envisager avec plus de liberté d’esprit certaines questions primordiales qui conditionnent la vie du monde, comme celle des dettes. Mais le changement d’attitude qu’il est possible, sur ce point, d’attendre des Etats-Unis est indépendant de la victoire de l’un ou de l’autre parti.
Le train électoral du gouverneur Roosevelt avec son haut-parleur.
Robert Lambel.
Le président Hoover et la présidente sur la plate-forme
de leur train spécial.
ne les sépare pas : l’un et l’autre approuvent sa suppression en tant que question constitutionnelle et entendent laisser à chacun des Etats la liberté d’édicter à son sujet une législation locale, de sorte qu’il n’y a pas à redouter les surprises de vote qui auraient pu se produire si l’un des candidats était « sec » et l’autre « humide ». Sur deux
points seulement il semble que les programmes divergent. D’une part, les démocrates demandent une ré
duction du tarif douanier actuel afin d’intensifier les exportations et d’of
frir aux pays débiteurs des Etats- Unis les moyens de régler leurs dettes, tandis que les républicains proclament l’intangibilité du tarif actuel, qu’ils jugent indispensable au maintien des hauts salaires et au retour de la prospérité. D’autre
part, les démocrates souhaitent un contrôle public plus sérieux des émissions étrangères, des opéra
tions des banques et du système de
la réserve fédérale, alors que les républicains sont partisans du statu quo.
Le vrai problème qui se pose aux électeurs est donc le suivant :
l’équipe dirigée par M. Hoover a-t-elle toujours la confiance du pays ou doit-elle être changée ?
Le président sortant a pour lui l’appui des milieux bancaires et
boursiers de New York qui, par principe, redoutent les innovations,
surtout en période critique. Il sera aussi soutenu, probablement, par la plupart des fonctionnaires fédéraux qui, n’ayant pas de statut personnel,
risquent de perdre leur place si le parti concurrent parvient au
pouvoir. Par contre, M. Hoover s’est créé un nombre considérable d’ennemis par sa manière d’être, par l’échec de sa politique de prospérité et par son système d’économie dirigée. Il a contre lui les vétérans, qui ne lui pardonnent pas son
refus constant d’autoriser le paiement anticipé d’une partie du bonus, ou prime que le Congrès leur a allouée, et qui gardent sur le cœur l’emploi récemment fait de la troupe pour débarrasser la capitale de 1’ « armée du bonus », venue y camper afin d’impressionner le Congrès. M. Roosevelt bénéficie auprès de certains d’être un homme nouveau, qui ne sait pas user du pouvoir. Sa modération bien connue et son nom populaire peuvent
rallier les Etats dissidents qui ont fait défection en 1928 à leur fidélité traditionnelle pour les démocrates. Il rassure le monde des affaires par la sympathie que lui témoignent des personna
lités marquantes de la grande industrie, comme M. Owen Young, président de la General Electric, ou de la banque, comme M. Melvin Traylor, pré
sident de la First National Bank of Chicago, la plus grande banque du Middle West. Mais surtout ses chances se sont fortement accrues depuis sa réconciliation avec M. Alfred Smith, qui est le chef du groupe irlandais et étranger des grands centres et l’homme de confiance de Tammany Hall. On sait quelle place occupe dans la politique des Etats-Unis cette camarilla de Tammany Hall, c’est-à-dire du conseil municipal de New Lork, où les scandales financiers sont si fréquents. L’un des derniers en date a eu pour regrettable héros le maire de New York, M. James Walker. En sa qualité de gouverneur de l’Etat, M. Roosevelt avait dû prendre parti contre lui, mais il a eu l’adresse diplomatique de ne point l’accabler et Alfred Smith lui-même, qui fut son concurrent malheureux à la convention démocrate de Chicago, a reçu des promesses de compensation qui, d’adversaire, en ont fait un allié.
Les grands journaux des Etats-Unis ont l’habitude, quelque temps avant les élections présidentielles, d’instituer panni leurs lecteurs des referendums qui sont comme autant de sondages de l’opinion publique. On ne saurait évidemment attribuer à ces consultations une valeur absolue et elles présentent surtout un intérêt de curiosité. Néanmoins, cette année, chacune de ces expé
riences a nettement tourné à l’avantage de M. Roosevelt.-Voici, à ce sujet, quelques chiffres caractéristiques :
Referendum national de la presse Hearst : Roosevelt, 162.973 voix, Hoover, 116.239 ; referen
dum national du Literary Digest : Roosevelt, 87.275 voix, Hoover, 67.906 ; referendum de la presse Scripps-Howards, de l’Ohio, où, en 1928, M. Hoover avait obtenu les deux tiers des suffrages : Roosevelt, 55.287 voix, Hoover, 16.084 ; referendum de la Dépêche de Colombus, égale
ment dans l’Ohio : Roosevelt, 3.294 voix, Hoover, 1.873 ; referendum des New York News : Roosevelt, 7.271 voix, Hoover, 5.922 ; referendum du Wichita Beacon, dans le Kansas, Etat habi
tuellement douteux : Roosevelt, 9.157, Hoover, 5.561 ; referendum du Min
neapolis Star, dans le Minnesota, Etat n’ayant jamais voté encore pour un démocrate : Roosevelt, 10.697 voix, Hoover, 4.826.
En définitive, même à quelques jours des élections, l’issue de la lutte demeure incertaine, car la victoire des démocrates suppose le retournement de la majorité absolue dans quelques gros Etats comme ceux de New York, de la Californie et de l’Illinois. D’autre part, comme les républicains n’ont pas de candidat dissident, on ne peut escompter qu’un revirement se produise au sein du collège élec
toral du second degré comme, en 1912, au profit de Wilson. La curiosité avec laquelle l’étranger attend le verdict populaire du 8 novembre ne doit pas donner d’illusion sur les possibilités qu’il
y aurait de modifier foncièrement les directives de la politique étrangère et économique des Etats-Unis. Que les républicains conservent le pouvoir ou que les démocrates les supplantent, l’atti
tude du gouvernement américain à 1 égard des problèmes européens restera empreinte de la même réserve. Tout ce qu on peut dire, c’est que le gouvernement nouveau, quel qu’il soit, se trou
vera délivré pour quelque temps de la crainte de l’électeur et de surenchères démagogiques. Il pourra donc envisager avec plus de liberté d’esprit certaines questions primordiales qui conditionnent la vie du monde, comme celle des dettes. Mais le changement d’attitude qu’il est possible, sur ce point, d’attendre des Etats-Unis est indépendant de la victoire de l’un ou de l’autre parti.
Le train électoral du gouverneur Roosevelt avec son haut-parleur.
Robert Lambel.
Le président Hoover et la présidente sur la plate-forme
de leur train spécial.