LE COLONEL NICOLAÏEFF
Commandant le contingent rouméliote dans l’armée bulgare.
Photographie de M. Cavra, à Philippopoli
plus depuis une heure au moins. — On ne sait pas encore au juste. Toujours est-il que les débris projetés couvraient un espace énor
me, les maisons voisines avaient leurs murs lézardés, leurs charpentes arrachées.
Le sol des 4 à 5,000 mètres carrés renfermés dans l’en
ceinte de ce qui avait été l’arsenal était jonché d’étuis métalliques de cartouches et de projectiles d’artillerie dont beaucoup encore in
tacts. Des armes, des sabres et des fusils des modèles les plus divers,étaient restés en place, mais les bois avaient été soit totalement brûlés, soit réduits à un état plus ou moins avancé de carbonisation, tandis que les lames de sabre et les canons de fusil couverts d’une couche d’oxyde blan
châtre étaient parfois tordus et contournés comme s’ils eussent passés à la forge.
Bien rares étaient, dans toute la ville, les fenêtres dont les carreaux fussent restés intacts, et si l’on ajoute à cela que pendant la soirée du 26 et la journée
du 27, Pirot, placée entre deux feux, avait été d’abord le théâtre de véritables scènes de pillage, commencées pres
que aussitôt après l’explosion par les classes inférieures de la population, et continuées parles irréguliers macédo
niens, auxiliaires passablement indisciplinés de l’armée bulgare qui, les premiers, entrèrent dans la place envi
ron douze ou quinze heures avant l’armée régulière, on peut se faire une idée du spectacle de désolation que présentait la ville le 28 au matin, quand la retraite des derniers tirailleurs serbes de l’arrière-garde permit à l’état-major du prince et à votre correspondant d’y faire enfin leur entrée par des chemins et des rues recouvertes de plusieurs décimètres de boue liquide.
Mais n’anticipons point sur les événements. Le combat du 26 au soir n’avait point donné aux Bulgares la pos
session de Pirot et il fallut une bataille, qui dura toute la journée du 27, pour déterminer la retraite définitive de l’armée serbe, postée sur les hauteurs dominant la place de tous les côtés, excepté à l’Est. Cette bataille, dans laquelle 70 à 80,000 hommes se sont trouvés en présence, a été engagée sur une ligne de douze à quinze kilomètres, dont la ville de Pirot formait à peu près le centre droit,
par rapport aux positions bulgares. Combat d’artillerie sur le centre, où le feu des piècesbulgaresmisesen bat
terie dans la plaine répondait à celui des batteries serbes établies sur les premiers contreforts des montagnes,
combats d’infanterie sur les deux ailes, où les Serbes,
attaqués à la baïonnette par leurs adversaires, reculaient
de mamelons en mamelons sans pouvoir jamais repren
dre une position perdue,
telle fut, dans ses grandes lignes, la physionomie de cette journée, qui n’a pas coûté aux vainqueurs plus de six à sept cents hommes mis hors de combat.
A la tombée de la nuit, comme il ne paraissait pas encore prudent de s’aventu
rer dans les rues de Pirot que, depuis l’explosion de la veille, on supposait mi
nées, l’Etat- major et bon
nombre de personnes à la suite de l’armée cherchèrent un gîte dans les villages voi
sins. Voire correspondant et quelques uns de ses con
frères eurent l’honneur de partager l’abri d’une mo
deste maison du village de Bajna Polska avec le ministre des affaires étrangères
de la principauté bulgare, M. Tsanof.
Dans la pièce centrale, un foyer brûlant au milieu de la chambre et dont la fumée s’échappe par une ouverture pratiquée dans la toiture;
sur les côtés deux ou trois chambres à une seule fenê
tre plus ou moins garnie de
carreaux les uns en verre les autres en simple papier ;
pour Ut, du foin, sur lequel chacun étend comme il peut ses couvertures ou manteaux, voilà l’installation.
Vers quatre heures du matin, un cavalier vint prévenir le ministre qu’on signalait des avant-postes l’arri
vée du comte Khévenhuller, ministre d’Autriche à Belgrade. Le ministre bulgare se leva aussitôt pour aller conférer avec le prince Alex
andre et tous deux prirent le chemin de Pirot où le quar
tier-général fut installé dans une maison a un seul rezde-chaussée appartenant à un médecin de la ville.
A dix heures, le comte Khevenhuller arrivait à che
val en uniforme de capitaine de la landwehr autrichienne,
escorté par deux officiers de l’état-major particulier du prince Alexandre et par un peloton de cavaliers de l’es
cadron de hussards qui forme la garde particulière du prince. Aucun parlementaire serbe ne l’accompagnait. Après une conférence qui dura jusque vers deux heures de l’après-midi, il fut reconduit aux avant-postes serbes avec le même cérémonial. L’Autriche venait de pro
noncer son Quos ego et une suspension d’armes sans durée fixe arrêtait aussitôt les hostilités ouvertes le 14 novembre par l’entrée des troupes serbes en territoire bulgare et terminées le 28 du même mois au moment où les Bulgares, s’avançant sur la route de Pirot à Nisch, al
laient à leur tour menacer d’une invasion victorieuse la seconde capitale du royaume de Serbie.
Les pertes de toute cette campagne de quatorze jours ne paraissent pas avoir dépassé, pour l’armée bulgare, le chiffre de quatre à quatre mille cinq cents hommes, ce qui est encore fort considérable pour un effectif qui n’a jamais dépassé quarante mille présents sur le champ de bataille.Celle desSerbes ont été beaucoup plus fortes, le tilde leurs adversaires ayant été constamment beaucoup plus précis que le leur. Bulgares et étrangers ont rivalisé d efforts pour assurer aux blessés des deux armées,
transportés le plus souvent
àSophia faute d’autre moyen de transport dans des char
rettes à bœufs,qui mettaient une journée et plus pour parcourir une trentaine de kilomètres, tous les soins compatibles avec le peu de ressources dont on disposait au moment de l’ouverture des hostilités.
Terminons par quelques 1 es sur le colonel Nicolaleff et sur le dessin repré
sentant l’aspect de la route de Tsaribrod à Dragoman, dans le défilé de ce nom,
après le grand chasse-neige du 11 décembre. Soldats,
chevaux et mulets de bât,
charrettes de réquisition traînées par des buffles ou des bœufs et que condui
sent des paysans également réquisitionnés, tout cela se suit ou se croise sans trop
se bousculer dans l’étroit défilé et présente un spectacle des plus intéressants.
Le colonel Nicolaïeff, qui commande le contingent rouméliote est l’un des au
teurs de la révolution du 18 septembre. Il était lieu
tenant dans l’armée russe en 1877.
LE MINISTRE D’AUTRICHE
A BELGRADE SE RENDANT DE PIROT AUX AVANT-POSTES SERBES
L’ARSENAL DE PIROT APRÈS L’EXPLOSION