couplet d’un vaudeville de Scribe qu’il adaptait à la situation du moment et si un officier lui disait :
— Au large! — le citoyen Lisbonne répondait, sur
On parle déjà du bal annuel de Mme la princesse de Sagan. Cette fête est toujours — pour parler la langue des courriéristes féminins — la plus séduisante des floraisons mondaines de l’hiver. Cette fois, la princesse de Sagan donnera une fête villa
geoise. Estelle et Némorin, le Champi et la petite Fadette, Nanette et Jobin, tous les types, tous les costumes, tout ce qu’on voudra, mais des paysans partout et une paysannerie complète, voilà le mot d’ordre. Et morguenne! et jarniyuél il n’est passi désagréable.
J’ai assisté, à Vienne, à des bals champêtres de ce genre. C’était fort joli. Les belles Autrichiennes aux
cheveux de cuivre, les Hongroises brunes comme la nuit, les demi-Orientales des bords du Danube se costumaient délicieusement en paysannes romaines, valaques ou moldaves. Le coup d’œil était charmant.
Ma parole, je crois me rappeler que M. de Beust lui-même, alors premier ministre, s’était enpaysanné comme les autres! Et l’on valsait! En avant le Da
nube bleu, les polkas de Fahrbach et les valses de Strauss! Que la fête projetée par la princesse de Sa
gan ait seulement le quart de la séduction de cette féerie autrichienne — vision de ma vingtième année — et je ne plaindrais pas ceux qui assisteront au bal champêtre, rural, paysannesque, comme on voudra.
Ainsi, c’est dit. On ne s’ennuiera pas, du moins pendant tout l’hiver, malgré la politique et les gibou
lées de neige. On dansera, on se travestira. La Patti
viendra chanter dans les profondeurs de l’Eden- Théàtre comme un rossignol perdu dans un bois ou un temple bouddhique. Le roi de Bavière semble s’être glissé incognito dans un hôtel de Paris, pour savoir de plus près si l’on va donner aux Parisiens la musique de son cher Wagner. M. de Brazza oublie, de banquets en banquets et d’ovations en ovations,
les solitudes et les épreuves du Congo. M. Gondinet donne le dernier coup de fer à son Parisien qu’il va nous présenter, frisé et pommadé, sur la scène de la Comédie-Française. Tout cela n’est point triste, en dépit des pessimistes et Paris n’est pas mort. Il a seulement des gaietés lugubres, par exemple lorsqu’il s’en va assister aux pièces aristophanesques données parle citoyen Lisbonne. Vous savez ce qui s’est passé : M. Maxime Lisbonne, qui, dans sa Taverne du Bagne, avait déjà habillé ses garçons en forçats a fait représenter, dans un café-concert, une revue de fin d’an
née, au titre alléchant et pacifique : En joue! Feu! et pour ajouter quelque piment à la représentation de cette œuvre, l’affiche annonçait que les garçons du café seraient costumés en rois de France : celuici en saint Louis, celui-là en François Ier, cet autre en
Louis XIV. L’idée de mettre la couronne de France sur la tète d’un serveur de bocks est peut-être d’une ironie fort ingénieuse, mais je n’en saisis pas très bien la partie spirituelle.
Oui, je veux bien, c’est extrêmement drôle d’entendre un buveur de cognac héler un garçon qui passe :
— Eh ! Louis XIV! Du feu, mon vieux Bourbon !
C’est ce qu’on appelle une bonne farce. Le public a protesté : il n’a pas eu tort. Ces mascarades, qui ne sont que l’exploitation de la badauderie publique méritent en passant un coup de sifflet.
M. Lisbonne se soucie d’ailleurs aussi peu des coups de sifflet que des coups de feu. C’est un type, ce comédien qui mit un jour le mélodrame en action. On m’-a conté que, durant les heures tragiques où il fut détenu, avec des milliers d’autres, dans les Chantiers, à Versailles, il continuait curieusement son personnage de théâtre devant les fusils chargés de ses surveillants. Tantôt il s’approchait, narquois,
des sentinelles et jetait à nos troupiers étonnés l’appel guttural de G asp ar do le Pêcheur :
— Archers du palais, veillez !
Tantôt il retrouvait dans sa mémoire quelque vieux
l’air de J’en guette un petit de mon âge :
Ecoutez-moi, mon capitaine,
Je suis comme vous un soldat, Je n’ai ni masque ni mitaine,
Nous nous sommes vus au combat...
Tout cela n’allait pas sans bravoure. C’était à la fois un moyen de plaisanter et d’oublier le carcere duro. Mais, après tant d’années, la plaisanterie se fait vieille et l’idée du travestissement des garçons de café, coiffés hier du bonnet vert et armés du sceptre aujourd’hui, est une réclame qui commence à s’éventer.
Ah! la réclame ! Où ne va-t-elle pas se nicher? Je vois, l’autre matin, dans mon journal, ce titre d’art.icle : « Mort foudroyante de M. de Falloux ». Je lis et en toutes lettres voici ce que je trouve sous cette rubrique : « M. de Falloux, l’ancien ministre, a suc
combé aux suites d’un simple refroidissement. Avis aux personnes qui ont les bronches faibles et les poumons délicats. On ne saurait trop leur conseiller la pâte pectorale X... et les pastilles pharmaceutiques du Dr... rué... numéro... »
Voilà tout ce que contenait l’article sur la Mort de M. de Falloux ! Car M. le comte de Falloux est mort la semaine passée et les académiciens en expectative se demandent déjà si l’on ne va pas mettre aux
voix son fauteuil. C’était un gentilhomme de haute
intelligence et, s’il m’en souvient bien, de haute stature. Je ne l’ai pas vu, je l’ai entrevu. Visage fin, barbe longue et grise alors. Un peu de hauteur affec
tée, ce qui ne messied point à quelques uns. M. de Falloux, qui nous a fait connaître cette pieuse et touchante Mme Swetchine, laquelle privait son mari de sa montre d’or pour le mettre en pénitence, M. de Falloux, littérateur intermittent et homme po
litique en disponibilité, était encore et surtout peutêtre un orateur de race supérieure. A la tribune s’entend. Certains républicains de 1848 bondirent, un jour, qu’il leur cingla les reins de ce coup de fouet à la Guizot : « Le malheur de la gauche de cette assemblée est d’être composée de gens dont les uns ne sont capables de rien et dont les autres sont capables de tout! «Littérairement c’était fièrement dit; politiquement c’était brutal, mais on ne saurait nier la vigueur du sifllement do la lanière.
Tout cela date d’un temps que je n’ai point connu. Plus récemment, il m’a été donné d’ouvrir le dernier volume du noble comte. J’ai été, je l’avoue, sin
gulièrement désillusionné. Gentleman (armer, M. de Falloux, qui se livrait à des travaux de grande culture, se donnait aussi le plaisir do présider les con
grès ou concours agricoles. Ce fut dans un de ses discours de présidence qu’il fit pâmer d’aise tous les beaux esprits de l’Anjou, en parlant des abeilles
comme n’en avait point parlé l’auteur des Gém’giques lui-même.
Il les appela les confiseurs du pauvre !
O poète Virgile ! O philosophe Joseph Prudhomme! Depuis, je n’ai jamais pu voir le moindre rayon de miel de Narbonne sans songer avec attendrissement à cette parole du comte de Falloux. L’homme qui a trouvé ces confiseurs du pauvre mériterait de durer, n’eût-il inventé que cela en sa vie.
Il y a, depuis quinze jours, une exposition de peinture assez originale, c’est, celle des tableaux de Tassaert, Octave Tassaert, un peintre délicat dont la destinée fut tragique. Plus que sexagénaire, misé
rable et désolé, Tassaert s’asphyxia un beau soir, dans une petite chambre de faubourg. On ne le con
naissait, en son quartier, que sous le nom du père Oetcwe. On l’emporta obscurément au cimetière Montparnasse, et peut-être n’en eût-on jamais plus en
tendu parler si M. Dumas fils, qui aimait la peinture de Tassaert, ne se fut avisé de faire bâtir un tom
beau au pauvre oublié et de mettre les Tassaert à la mode.
J1 y a beaucoup de Tassaert à l’exposition Tassaert : il y en a même trop. Je ne m’imagine pas bien un auteur dont on avalerait, coup sur coup, tous les ou
vrages. Le procédé apparaîtrait bien vite et on en aurait facilement la nausée. Toujours et toujours du
pâté d’anguilles, on s’en lasse ! Toujours du Tassaert, on s’en fatigue. C’est pourtant aimable, coquet, fripon, digne des petits-maîtres du siècle dernier, ces tableautins féminins, aux tons gris ou roses. On di
rait un Chaplin du haillon. Cela sent la misère et la
séduction, la grisette et la déesse à la fois. La Vénus de Tassaert est faubourienne, mais c’est encore Vé
nus. C’est l’éternel féminin chanté dans un cabaret de barrière.
Un ami me disait en riant :
— Tassaert? c’est un Boucher chez le marchand de vin.
— J’avoue que je juge la peinture en homme du monde, en passant, et que je vais au Salon comme je vais au théâtre, pour mon plaisir. Je laisse l’esthé
tique aux critiques spéciaux dont je saute volon
tiers les grandes phrases quand je les rencontre dans mon journal.Tassaert m’adonc plu; mais—pas
sez-moi le mot, — il m’aurait plu plus si l’on m’en avait montré moins. C’est une question de dosage.
On ne devrait fréquenter ses amis, ne lire ses auteurs favoris et ne regarder ses peintres préférés qu’homœopathiquement. Ce serait le meilleur moyen de ne pas se brouiller avec les premiers, se lasser des seconds et de n’être pas tenté de vendre les troisièmes ! Ah ! l’homœopathie, en médecine cela
peut être parfaitement inutile, mais en matière d’art et d’amitié c’est absolument souverain. On ne trouvera jamais mieux.
Je disais, tout à l’heure, que le roi de Bavière le Roi Artiste, le Roi Vierge, celui que les dessina
teurs allemands montrent volontiers sous l’armure du Chevalier du Cygne, était venu à Paris savoir des nouvelles de Wagner. D’autres prétendent, au con
traire, qu’il n’a nullement quitté ses États et qu’il s’est retiré en un de ses châteaux, gouvernant incognito ses sujets et jouant ainsi royalement à cache-cache. A défaut de lui, nous aurons prochai
nement la visite de l empereur du Brésil, le plus af
fable et le plus français des souverains étrangers. Le roi des Belges, pourrait bien aussi, avant peu, nous faire visite, ne fût-ce que pour remercier le gouvernement français qui a autorisé l’émission d’une loterie de 20 millions de francs au bénéfice de la co
lonisation du Congo. Le roi Léopold a libéralement mis de ses deniers dans les sillons du Congo et il serait enchanté que l’argent français vint d’autant soulager sa cassette. Il est assez curieux de voir les rois emprunter de la sorte aux peuples. Le Congo est d’ailleurs la plus généreuse et la plus humani
taire des entreprises et, si les loteries n’étaient pas
aussi usées que les panoramas,je dirais que le succès de cette émission nouvelle ne sera point douteux.
Mais voilà une entreprise internationale où je ne m’y connais pas! Œuvre belge et loterie française : fraternisons.
C’est ce que gens de lettres et professeurs de français viennent de faire, à Londres, dans un congrès présidé par notre ambassadeur, M. Waddington. 11 y a eu discours en anglais et speechs en français.
Cela me rappelle le toast extraordinaire porté, dans une circonstance analogue, par un vénérable clergymart qui voulait nous montrer, à nous autres Fran
çais, sa science de gallicisant. Je l’ai noté, jadis, ce toast :
— Messieurs,jamais Shakespeare... jamais Milton.
jamais Anglais ne poué s’imaginer réunion plus... plus... plus chic... que les éminents... les distxnguished... les... enfin les hommes considérables... je dis bien, considérables... qui ont avalé avec nous
le présent dîner... Ils sont tout à fait chic... tout à fait... J’avale donc, moà, mon verre en leur honneur. llurrah!
Et avec quelle gravité le brave homme débitait son patois franco-saxon ! 11 avait l’air d’accomplir une mission. Je l’aurais embrassé. Chic serait-il pour les Anglais ce que Goddam était pour Figaro, le fond même de la langue?
Je ne le crois pas, puisque c’est précisément un Anglais, lord W. qui a défini ainsi cette qualité secondaire, )et retenez le mot, car il est charmant) :
— Le chic, c’est l’argot de la distinction.
Rastignac.
COURRIER DE PARIS