Voila qui est bien débuté! Pour entrée de jeu le gouvernement se fait battre ! Et par M. Rochefort, encore !
Ce n’était pourtant pas difficile à pré
voir et vous voudrez bien vous rappeler que je vous l’annonçais la semaine dernière. Il était clair, en effet que, sur cette question ridicule de l’amnistie, l’exlrême-gauche ne pouvait pas céder; et, d’autre part, on savait bien que la droite pren
drait la balle au bond et volerait avec ensemble contre le gouvernement, quelle que fût sa thèse.
Et ce n’est pas fini. C’est sur l’urgence qu’on a voté, la quesLion va donc revenir devant la Chambre et, dans la discussion du fond, un échec serait encore plus grave.
Or cet échec est parfaitement possible si la droite le veut bien, ce qui n’est pas improbable.
Il est vrai qu’à l’extrême-gauche, où l’on est ministériel approximativement, on a pris quelques précautiens pour arriver à voter contre le ministère sans le renverser. On ne peut pas ne pas voter l’am
nistie, c’est convenu ; mais on ne tient pas tant que cela à l’obtenir. Et surtout on ne veut pas que le gouvernement soit renversé sur cette question par une coalition de droite et d’extrême-gauche.
Alors, on a fait l’inverse de ce qu’avait fait M. Rochefort. Celui-ci, pour décider la droite à voter avec
lui, avait compris dans sa proposition d amnistie tous les délits électoraux; et, comme ces délits ont surtout été commis par des amis de la droite — beaucoup de prêtres, entre autres, sont sous le coup de poursuites ou de mesures administratives — la droite, naturellement, avait intérêt à voter celte amnistie. Maintenant, la gauche radicale a modifié la proposition et limité l’amnistie aux seuls délits poli
tiques; on espère que la droite, n’y trouvant plus aucun intérêt et ne professant d’ailleurs qu’une mé
diocre tendresse pour les anarchistes changera son vote,
Mais rien n’est moins sûr. La droite qui vient de s’organiser en «union conservatrice », sous la direction de M. P. de Cassagnac, — M. de Cassagnac de
venant homme d’état! qui l’eût cru? — la droite est décidée à toutes les manoeuvres qui pourront ren
verser le gouvernement. Elle votera tout ce qu’il faudra voter pour faire du gâchis ; et, pour peu que l’occasion se présente de jeter par terre le gouvernement de M. de Freycinet, elle n’y faillira pas.
Voilà comment quand il y a toutes sortes de besognes à faire, utiles et même nécessaires, les gouver
nements et les chambres passent leur temps à s’entre-démolir réciproquement sur des questions absurdes et sans le moindre intérêt.
Il est vrai que, si l’on en croit l’ordre du jour officiel, la Chambre n’a rien à faire. Et c’est inévitable,
en effet, étant donné que tout le bagage législatif d’une assemblée disparait avec elle, je veux dire que tous les projets de loi qui ne sont pas terminés, votés, adoptés par le Sénat, disparaissent et deviennent caducs à la fin de la législature. Si bien que si l’on mettait en un tas tous les projets, rapports,
amendements, etc. qui sont tombés au panier de cette façon, cela ferait une montagne d’imprimés à peu près aussi haute que le Panthéon. Et j’estime qu’en moins de dix ans, on a payé plus de vingt millions pour l’impression de ces projets et rapports morts-nés.
Or, le gouvernement n’ayant aucun projet tout prêt à présenter aux Chambres et s’en étant remis à « l’initiative parlementaire » il faut laissera l’initiative parlementaire le temps d’accoucher. Dans quel
ques mois, les projets arriveront par douzaines. Il y en aura, gardez-vous d’en douter, de quoi discuter pendant dix ans, si jamais on les discutait. On dépensera trois ou quatre millions à imprimer les pro
jets, les amendements, les rapports; on les mettra même à l’ordre du jour; il y en aura deux ou trois — ceux auxquels le gouvernement s’intéressera —
qui viendront jusqu’à la séance publique. Mais les quatre-vingt-dix-neuf centièmes resteront dans les limbes et disparaîtront sans avoir paru, Je 18 octobre 1889.
Et voilà comment une Chambre disposée à bien travailler, se donne beaucoup de mal pour arriver à ne rien faire.
Il est vrai que c’est là, pour les gouvernements — et aussi pour les députés — une garantie de repos et de sécurité. Quand un gouvernement ne veut rien faire, il n’a qu’à s’en rapporter à l’initiative parle
mentaire. Et c’est ce qu’a fait M. de Freycinet.
N’ayant d’autre programme que le désir de vivre et ne voulant pas se risquer à formuler un projet quel
conque, qui fatalement déplairait à quelqu’un, il s’en est remis à la Chambre du soin de savoir ce qu’elle doit faire et si elle doit faire quelque chose. Si, dans le tas des projets qui vont surgir, il s’en trouve un qui plaise au gouvernement, eh bien, on le poussera et on le fera venir en discussion. Et s’il y en a qui déplaisent, rien n’est plus facile que de les enterrer: il n’y a qu’à laisser faire.
De même pour un député qui a promis la lune à ses électeurs, l’initiative parlementaire ollre le moyen honnête de ne pas la donner et de n’en avoir que plus de popularité. C’est l’affaire d’une proposition de loi qui ne sortira jamais des couloirs de la com
mission — ce qui permet au député de se poser en victime, opprimée par une intolérante majorité.
Donc, dès maintenant, il est facile de prédire que — du moins sous le ministère actuel — la Chambre no fera pas grand chose, M. de Freycinet ayant déclaré qu’il s’en remettait à l’initiative parlementaire.
C’est de la prudence si l’on veut. M. de Freycinet, d’ailleurs, joue la prudence et même la finesse. Il soigne les groupes et se préoccupe des individus. Autant que possible, il désarme ou éloigne les per
sonnalités marquantes qui pourraient le gêner.C’est ainsi que M. Paul Bert, dont on n’a pas voulu faire un ministre, est envoyé tout droit à Iluê, comme ré
sident-général. M. Rouvier, dont la présence est inquiétante pour le ministre des finances et qu’on craindrait de voir nommer président de la commis
sion du budget, est envoyé à Rome en mission extraordinaire — pour cause de traités de commerce. Et même on disait, il y a deux jours, que la « résidence
générale » de France à Tamatave avait été offerte à M. Constans.
Ceci, j’ai peine à le croire ; la finesse serait par trop maladroite. Le poste de Tamatave ne saurait être offert sans injure à un personnage de l’impor
tance de M. Constans, qui, d’ailleurs, n’est pas
homme à se laisser déporter bénévolement en pays sauvage. Si vraiment M. de Freycinet a fait faire cette offre, il est à croire qu’il aura quelque jour
occasion de s’en repentir. L’autre a la main longue et la dent dure. Il ne fait pas beaucoup de bruit, mais il démolit bien ! Et le cabinet n’aurait pas besoin d’être sapé longtemps pour être bientôt ébranlé.
Sénat. —Séance du 21 janvier : Discussion en deuxième lecture de la proposition de loi supprimant le monopole des inhumations. M. Georges Martin présente un contreprojet tendant à transférer le monopole des fabriques aux communes. Ce contre-projet est rejeté. — Adoption en première lecture de la proposition de loi de M. Bardoux sur les fraudes artistiques.
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Chambre des disputés. — Séance du 21 janvier : Dépôt par M. Rochefort d’une proposition d’amnistie, avec demande d’urgence. Combattue par le ministre de l’ins
truction publique, l’urgence est adoptée par 251 voix contre 248. — Commencement de la discussion de l’interpellation de M. Dufour sur les agissements de l’adminis
tration dans le département du Lot, pendant la période électorale.
Séance du 23 : Suite de la même discussion, qui se termine par le vote d’un ordre du jour de confiance invi
tant le gouvernement « à faire respecter les institutions républicaines. » — M. Delafosse adresse ensuite au mi
nistre de l’intérieur une question sur la révocation de deux maires conservateurs du Calvados. — Validation des six élections complémentaires du département de la Seine.
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Réception, le 22 janvier, par M. le président de la République, de M. do Albareda, le nouvel ambassadeur d’Espagne à Paris, qui lui a remis ses lettres de créance,
et du prince héritier de Portugal, le duc de Bragance, qui lui a été présenté par le ministre plénipotentiaire du Portugal en France; le 26, du prince régnant de Monténégro, en ce moment à Paris.
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Nominations. — Sont nommés : M. Bernard, député du Doubs, sous-secrétaire d’Etat au ministère de l’intérieur; — M. Rouvier, député, second plénipotentiaire, pour re
présenter, avec l ambassadeur de France à Rome, le gouvernement français dans les négociations relatives à la conclusion d’un traité de navigation avec l’Italie; — M. Lâferrière, président de section au Conseil d’Etat, vice-président de ce conseil, en remplacement de M. Ballot, décédé.
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Circulaire ministérielle. — Circulaire du ministre des travaux publics adressée aux fonctionnaires de son
département au sujet des obligations qu’ils ont à remplir envers le gouvernement et du concours qu’ils doivent apporter à l’autorité préfectorale. « C’est à ce prix que l’unité d’action peut être assurée dans l’administration de la manière la plus conforme aux intérêts du pays. »
Le ministre termine en disant que, quelque regret qu’il
dût en éprouver, il n’hésiterait pas « à prendre vis-à-vis des fonctionnaires qui se déroberaient à ce devoir telles mesures que comporteraient les circonstances. »
Le ministre de l’instruction publique a adressé aux recteurs une circulaire analogue.
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Annam et Tonkin. — Le général de Courcy est rappelé. Il a été invité à remettre à titre intérimaire le com
mandement du corps du Tonkin au général Warnet, chef d’état-major, chargé de ramener la composition et l’ef
fectif do ce corps de deux divisions à une, et de 22,000 hommes de troupes européennes ou d’Afrique, à 10,000 hommes, infanterie et artillerie de marine comprises. Le colonel Mourlan, ancien chef de cabinet du général Campenon, qui commande depuis dix mois les quatre batail
lons de tirailleurs algériens, prendra les fonctions de chef d’état-major. Le mouvement de rapatriement des troupes commencera en février.
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Grande-Bretagne. — Ouverture du Parlement par la reine. Le discours du trône passe en revue toutes les af
faires de politique extérieure et intérieure. En ce qui
concerne les premières, le différend avec la Russie dans l’Afghanistan est aplani. Dans les Balkans l’Angleterre
s’est proposé, tout en maintenant les droits du sultan, de placer la Roumélie Orientale sous l’administration du prince de Bulgarie. Rien de l’Egypte ou autant dire. Avec la France, il y a eu accord relativement aux droits de celle-ci sur les côtes de Terre-Neuve. Quant à la Bir
manie, ce n’est qu’à la suite de provocations sans nombre que l Angleterre s’est résignée à la guerre, et si elle a annexé le pays à son empire, ce n’est qu’aprês s’être convaincue qu’il n’y avait pas d’autre moyen d’y rétablir l’ordre et la paix.
Relativement à la politique intérieure, une question domine toutes les autres dans le discours royal, celle de l’Irlande. Le gouvernement est décidé à ne faire aucune concession aux parnellistes; les auteurs des crimes
agraires seront recherchés; la liberté individuelle sera protégée, et les pouvoirs nécessaires pour mettre un
terme aux maux qui affligent l’Irlande seront demandés au Parlement.
Les parnellistes n’oublieront certainement pas cette déclaration.
Mentionnons les bruits qui ont couru relativement à la découverte d’un attentat projeté contre le fprince de Galles, pendant le trajet de Londres à Laton-IIall, rési
dence du duc de Westminster, chez lequel il se rendait en visite.
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Egypte et Soudan. — Moukhtar pacha, le commissaire ottoman, et sir Drummond Wollî, le commissaire anglais, qui ont pour mission d’étudier de concert les moyens de pacifier le Soudan et de rétablir l’ordre en
Egypte, se sont déjà réunis deux fois en conférence à ce sujet avec le Khédive. Mais ces deux réunions n’ont pas
donné de résultat. Pendant ce temps les choses vont de mal en pis au Soudan. Le général Stephenson qui avait,
selon les télégrammes anglais, battu si complètement les Soudanais le mois dernier, s’est replié après cette vic
toire et vient d’être appelé à Londres, et les insurgés, ayant repris leur marche vers le Nord, menacent plus que jamais aujourd’hui la llaute-Egypte.
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Les affaires d’Orient. — On sait que les grandes puissances ont adressé, à Belgrade, à Sophia et à Athènes, au commencement de ce mois, une note invitant la Bul
garie, la Serbie et la Grèce à désarmer. La réponse de ces trois états a été négative. En présence de ce résultat la Russie a proposé aux puissances une nouvelle dé
marche collective plus énergique que la première, avec menace d’intervention, s’il n’y était point fait droit, la Russie devant intervenir en Bulgarie, l’Autriche en Serbie et l’Angleterre en Grèce. Cette question d’intervention en ce qui concerne la Serbie et la Bulgarie pré
sente plus d’une difficulté, vu les défiances réciproques des deux grandes puissances qui doivent y jouer le principal rôle.
Quant à l’Angleterre, sans attendre la décision des autres puissances, elle a fait signifier à M. Delyanni que si la Grèce attaquait sans motif la Turquie, elle prendrait parti pour celle-ci. Cette ingérence du gouvernement britannique a profondément blessé le président du conseil des ministres à Athènes et soulevé les protestations de la population. Bien que les autres puissances aient appuyé depuis lors la note comminatoire de l’Angleterre, le gou
vernement grec ne paraît nullement disposé à en tenir compte.
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Nécrologie. — M. Foubert, sénateur inamovible. Né en 1821. Avocat. B était entré dans la vie publique en 1871, comme député à l’Assemblée nationale. Rallié à la République après le 21 mai. Elu sénateur inamovible par les gauches après le vote des lois constitutionnelles.
M. Villain, député de l’Aisne. Ancien notaire; fabricant de sucre. Député à l’Assemblée de 1871, il représenta de
puis, à la Chambre des députés, le lor arrondissement de Saint-Quentin, qui ne cessa de le réélire. No en 1819.
HISTOIRE DE LA SEMAINE