Voila le calme revenu. Sauf accident imprévu , nous en avons pour jusqu’aux environs de Pâques à demeurer à peu près tranquilles. A moins que quelque interpellation nouvelle ne surgisse, ce qui pourrait bien arriver, si j’en crois les bruits de couloir.
Aux premiers jours de la semaine, cela s’annonçait mal. Au dehors on pouvait craindre quelque coup de tête de la Grèce qui rouvrit encore une fois la question, toujours mal fermée, du partage de la Turquie. Au dedans, la grève de Decazeville éclatait d’un coup si tragique, avec des allures si farouches,
qu’on pouvait craindre des suites terribles. A la Chambre la question de l’amnistie et les interpella
tions à M. le ministre de la guerre pouvaient amener, non pas des accidents, mais tout au moins du bruit.
En moins de rien toutes ces menaces se sont évanouies. L’Europe, cette fois, a carrément déclaré qu’elle voulait être tranquille. Les guerres, aujour
d’hui, coûtent trop cher à tout le monde pour que personne s’en soucie. Et, quoi qu’elle en eût, devant cette injonction précise, à laquelle toutes les puis
sances s’associaient, la Grèce a dû rengainer sa
vaillance et remiser jusqu’à la prochaine occasion ses velléités guerrières.
A Decazeville, le drame a été terrible mais court. La politique, d’ailleurs, est étrangère à l’événement; c’est la misère, la souffrance, la brutalité de l’igno
rance, qui ont fait le coup. Dans ce pays perdu, l’un des plus sauvages et des plus arriérés de France,
la pauvreté grande donne à l’argent une valeur et au sentiment de la propriété une intensité qu’ils n’ont point ailleurs. On s’irrite pour quelques sous parce que ces quelques sous représentent une grosse somme de travail et, qu’en môme temps, ils sont absolument nécessaires pour vivre. Et, dans ces cervelles massives, dans ces esprits qui ne sont pas encore ouverts, quand la colère a pénétré, les violences ne sont pas loin.
Heureusement, c’est fini — et l’horreur du crime a du moins eu ce résultat que, dans aucun des centres miniers de la région, ce soulèvement n’a provoqué aucune manifestation.
Enfin, voici venue la fin de l’hiver, la saison plus clémente, le moment où le travail reprend. De sorte qu’on peut espérer que c’est bien fini, pour quelque temps, du moins.
A la Chambre, ça n a pas encore commencé. La Chambre a bien du mal à se mettre en train jusqu’à présent; sauf un petit bout de loi sur les associations syndicales, elle n’a guère travaillé qu’à la vérification deses pouvoirs. Mais les interpellations et les questions vont toujours leur petit train-train.
Cette semaine, c’était M. le ministre de la guerre quisse trouvait sur la sellette à propos du déplace
ment de deux régiments envoyés de Tours à Nantes et à Pontivy.
La question était passablement délicate, parce que, cette fois, la politique faisait toute l’importance de la question. C’est pour avoir fréquenté trop assi
dûment les châteaux du bord de la Loire — sous « le beau ciel de la Touraine » il ne manque pas de châteaux — et pour avoir un peu trop ouvertement arboré des cocardes qui n’étaient point aux couleurs do la République que ces deux régiments ont été déplacés. Mais M. le ministre de la guerre s’en est bien tiré. Ll est jeune, bien tourné, vif d’allures et a la langue bien pendue, ce qui est indispensable
à un ministre. De plus, il a de la crànerie et de la vigueur, ce qui sied bien à un ministre de la guerre.
Aussi a-t-il enlevé son affaire brillamment, au pas. de charge et avec tant de succès que tout d’abord la Chambre a commencé par lui offrir un ordre du jour de confiance pour lui tout seul, oubliant dans son enthousiasme qu’un ministre représente le gouvernement tout entier et que lorsqu’il s’agit de con
fiance, il n’est pas permis à un ministre de « faire Suisse » comme disent les troupiers, c’est-à-dire de se régaler tout seul sans en faire part aux autres.
Déjà M. de Freycinet luisait la grimace — d’autant plus qu’il y a entre M. de Freycinet et M. le général
Boulanger un germe de mésintelligence qui portera fruit un jour où l’autre — lorsque M. Ballue a cor
rigé son ordre du jour en y mettant le gouvernement tout entier à la place du général tout seul.
Sénat. — Séance du 26 janvier : Tirage au sort du département auquel serait attribué le siège de M. Foubert, sénateur inamovible décédé. Le sort a désigné le département de la Loire-Inférieure. — Fin de la deuxième délibération et adoption de la loi sur la liberté des inhu
mations. Les traités conclus avec l’entreprise des pompes funèbres à la date du 1er janvier 1886 resteront en vigueur jusqu’au 1er janvier 1888.
Séance du 28 : Commencement de la discussion du projet de loi sur l’organisation de l’enseignement primaire. Les sept premiers articles sont adoptés. — Ques
tion de M. Laeombe sur les événements de Decazeville. Il s’étonne que des mesures n’aient pas été prises et que les secours soient arrivés si tard. Le gouvernement ré
pond que les événements ont été inattendus et qu’une enquête est ouverte. Il a fait son devoir et pris les mesures nécessaires pour faire respecter l’ordre et la liberté du travail.
Séance du 30 : Question de H. de Itavignan au ministre de la justice sur les violences de la presse à l’occasion de la période électorale dans les Landes. M. Demôle répond que la presse monarchique a provoqué les violences des journaux républicains par le ton de sa polémique. La question, transformée en interpellation par M. Bozérian, est close par un ordre du jour de confiance. Le Sénat reprend ensuite la discussion en première lecture de la loi sur l’organisation de l’enseignement primaire. M. Le Provost de Launay, M. Chesnelong, M. Clavier combat
tent la loi. M. Goblet, ministre de l’instruction publique, répond et le Sénat s’arrête à l’art. 10.
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Chambre des députés. — 26 janvier. Pas de séance publique. Réunion dans les bureaux pour l’élection de diverses commissions, entre autres de celle qui doit examiner la proposition d’amnistie. Le résultat n’est pas favorable à la proposition de M. Rochefort. Sept membres lui sont absolument opposés: MM. Thomson, Guillaumou,
F. Faure, Monis, Bernard Lavergne, Turrel, de Labatut. Trois l’admettent partiellement : MM. Germain Casse, Laguerre et Millerand. Un seul l’admet pleine et entière :
Mgr Freppel. M. Rochefort, auteur de la proposition n’a pas été élu dans son bureau.
Séance du 28 : Question de M. Sevaistre, député de l’Eure, sur l’assassinat de M. Barrême. Il s’étonne que l’on n’ait encore rien découvert et accuse les lenteurs de la justice. Le ministre de la justice, celui des travaux publics et le sous-secrétaire d’Etat à l’intérieur ont ré
pondu. — Interpellation de M. Lejeune relativement au maintien du poste de secrétaire-général au ministère de la justice. Il voudrait que ces fonctions fussent remplies par un sous-secrétaire d’Etat. Ordre du jour. — Discus
sion générale sur une proposition de M. Nadaud relative aux travaux des villes. Il s’agit de faciliter aux associations syndicales l’entreprise des grands travaux.
Séance du lor février : Question transformée en interpellation sur le déplacement d’une brigade de cavalerie et l’introduction de la politique dans l’armée. Ordre du jour de confiance. — Suite de la discussion de la propo
sition de loi ayant pour objet de faciliter aux syndicats professionnels l’entreprise des travaux des villes. — Dépôt du traité do Madagascar.
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Décrets. — Publication au Journal officiel du 28 janvier du décret concernant l’organisation du protectoiat de 1’Annam et du Tonkin.
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Lettre de MM. les archevêques de Paris, de Lyon et de Toulouse, protestant « contre les inculpations immé
ritée» que la Déclaration ministérielle fait peser sur le clergé de France ». Il est dit dans cette lettre que si quelques ecclésiastiques ont pu, dans la lutte électorale, oublier la mesure que le caractère et la nature de leurs
fonctions devaient leur imposer ce sont de rares exceptions, et qu on ne saurait avec justice, faire porter la responsabilité d’actes isolés sur le clergé tout entier, pas plus que le gouvernement lui-même ne peut prendre la responsabilité des procédés de tous ses agents.
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Elections. — Sénatoriale. Département de la Somme : M. Petit, maire d’Amiens, candidat républicain. Il s’agissait de remplacer M. Labitte, décédé.
Municipales de Paris. Des dix élections qui ont eu lieu dimanche dernier, une seule a donné un résultat définitif. M. Hovelacque a été élu dans le quartier de la Salpétrière. Dans les neuf autres quartiers, il y a ballottage.
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Affaires d’orient. — La Porte a adressé aux puissances une circulaire relative à l’attitude de la Grèce, qui ne tient aucun compte de leur dernière note collective relative au désarmement. La Porte dit que, en pré
sence de la gravité de la situation, elle ne peut s’empêcher de déclarer qu’elle se verra obligée de relever, à son regret, le défi de la Grèce et qu’à la moindre provoca
tion de sa part elle ne saurait plus se soustraire aux devoirs que l’honneur et la dignité de l’empire lui impo
sent et, dès lors, à l’obligation de rendre le gouvernement grec responsable de toutes les conséquences du conflit qui viendrait malheureusement à éclater; que, toutefois, avant de recourir à ces mesures extrêmes, elle considère comme un devoir de faire, encore une fois, appel aux puissances en les priant de vouloir bien inviter, d’une manière catégorique, le gouvernement du roi Georges à
procéder au désarmement de la Grèce dans le plus bref délai.
En réponse à celte circulaire, les représentants de toutes les grandes puissances à Constantinople ont ins
tamment conseillé aux ministres du sultan de faire en sorte que la Turquie ne frappe pas le premier coup, en cas de conflit avec la Grèce, faisant remarquer que les puissances ayant empêché une agression de la Grèce par mer et la Turquie étant plus forte sur terre, celle-ci peut se permettre d’attendre et d’ignorer toute provocation qui ne serait pas une attaque officielle.
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Grande-Bretagne. — Le gouvernement a été mis en minorité dans le cours de la discussion de l’Adresse.
C’est sur une motion de M. Jesse Collings que le fait s’est produit. M. Josse Collings proposait d’exprimer dans l’Adresse le regret que le discours du Trône n’eût pas annoncé « la présentation de mesures propres à faciliter aux paysans l’obtention de petites fermes et d’allotments dans des conditions avantageuses de fermage et de sécu
rité pour la jouissance ». C’était une réponse à l’annonce que le gouveinement venait de faire de la présentation de deux Hills dont l’un avait pour objet de supprimer la Ligue nationale et diverses autres associations irlan
daises, et dont l’autre se rapportait à la question foncière et à l’extension de la loi de rachat des fermes. M. Giadstone soutenait la motion de M. Jesse Collings qui, grâce
au concours des parnellistes, a été votée à une majorité de 321) voix contre 250. A la suite de ce vote, le cabinet conservateur a donné sa démission, qui a été acceptée par la reine. M. Gladstone a été chargé de former le nouveau cabinet.
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Danemark. — Nous avons parlé plusieurs fois de l’état d’hostilité qui règne depuis des années entre la Chambre des députés et le ministère Estrup, soutenu par le roi et le Sénat. Les choses vont sans cesse s’aggravant. Le gou
vernement ne pourvoit plus aux dépenses que par dé
crets. A la fin de l’année dernière, il avait pris diverses mesures exceptionnelles restrictives de la liberté de la presse et du droit de réunion, et leur avait donné force de loi sans l’assentiment des Chambres. Ces mesures viennent d’être soumises au Folkething, qui les a reje
tées. Le gouvernement ne continue pas moins de les appliquer. Enfin il vient de faire arrêter M. Berg, président du Folkething, qui avait été condamné dernière
ment à six mois de prison pour avoir expulsé d’une réu
nion publique un de ses agents. Invité à se constituer prisonnier, M. Berg avait protesté, aucun député ne pouvant être arrêté au cours d’une session sans l’autorisa
tion de la Chambre. Protestation vaine, comme on voit. Le peuple danois a beau être le plus pacifique des peu
ples, le gouvernement ferait peut-être prudemment do ne point tant tabler sur son amour de la paix et son attachement au roi et à la famille royale.
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Nécrologie. — M. Dogue*, sénateur des Deux-Sèvres, maire de Saint-Maixent, conseiller général. Né en 1830.
M. Bonnerot, député de l’Yonne, avoué et maire de Joigny. Né en 1838.
M. Telhez-Bethune, député monarchiste de la i.e circonscription de Cambrai de 1877 à 1881. Né en 1818.
Lord Stradbroke, doyen de la Chambre des lords. Né en 1794.
M. Catien-Arnoult, ancien professeur à la Faculté des lettres de Toulouse, ancien maire de cette ville, ancien représentant à l’Assemblée constituante de 1848, ancien
député à l’Assemblée nationale de 1871, où il siégea à la gauche républicaine. Né en 1800-
HISTOIRE DE LA SEMAINE
En même temps, se faisaient sans grand bruit les quelques élections municipales que nécessitent, à Paris, les vacances faites par les élections législatives. Par-ci, par-là, dans quelques réunions excentriques on a quelque peu braillé; mais les anar
chistes, décidément, ont disparu d’une façon presque complète. Partout — sauf sur un seul point — les radicaux tiennent la corde; mais nulle part les anar
chistes n’arrivent à réunir assez de voix pour faire preuve d’existence. La mode en est, paraît-il, irré
vocablement passée. Et ce n’est pas dommage, en vérité.
Enfin, les nouvelles du Tonkin sont meilleures et celles de l’Annam moins mauvaises, sans être encore bien bonnes, toutefois. Il n’y a que le Cambodge où le retrait des hautes eaux amène une re
crudescence de l’insurrection. Mais on compte sur M. Paul Bert pour arranger tout cela. Je lui souhaite bien du plaisir; mais M. P. Bert, qui est un vivisec
teur distingué et très ferré sur les mystères de la nervosité, fera bien de se rappeler que les Orientaux ne sont pas faits comme nous et que leur système nerveux, pour être moins sensible que le nôtre, n’en est pas pour cela plus facile à manier.