« .de son pays, pour être transmis au « gouvernement français,en indiquant,
« avec le plus de détails possibles, le « lieu, la date et les circonstances où « ce papier aura été retrouvé. »
Signé : Albert,
prince héréditaire de Monaco,
G. POUCI-IET,
professeur au Muséum de Paris. Cet avis est accompagné d’une ins
truction sommaire rédigée en russe, norvégien, danois, anglais, allemand, hollandais,espagnol, portugais et maugrabin.
Chaque imprimé, détaché d’un carnet à souches, porte un numéro d’or
dre et est enfermé dans un tube de verre soudé à la lampe, qui le conser
vera indéfiniment. Le papier est roulé sur lui-même, de telle sorte que sans briser le tube, on puisse lire son numéro et voir qu’il est polyglotte.
L’action des vents pouvant contrarier l’expérience, on devait chercher à soustraire autant que possible les flot
teurs à leur influence. L’idéal eût été un corps d’un poids spécifique peu supérieur à celui de l’eau de mer,
émergeant très peu à la surface. Mais il fallait compter sur une immersion de plusieurs mois, et il était à craindre que pendant ce temps, l’imbibition du
bois, les infiltrations possibles, les coquillages s’attachant aux parois, ne vinssent augmenter la densité des flotteurs au point de les faire couler.
On a cherché à tourner la difficulté en laissant aux sphères métalliques et aux barils un excès de force ascensionnelle, contrebalancé par un lest temporaire.
Les sphères ont été cousues dans un sac contenant au fond deux litres de sable. A la longue, le sac sera sans doute pourri, usé, et laissera alors les sphères en. liberté.
A chaque baril a été suspendu un poids en fonte de 17 à 20 kilogr., au moyen d’un fil de fer attaché à deux cerceaux de bois ; ceux-ci, au bout de quelques mois,
seront mangés par les tarets et laisseront échapper le lest. En outre, ces barils ont été remplis de balle d’avoine de manière à attirer sur leur contenu l’attention de ceux qui les repêcheront.
Le prince de Monaco prit la mer sur son yacht VHirondelle dans les premiers jours du mois de juillet dernier, emportant le matériel de l’expérience, et se dirigea sur les Açores où il fut obligé de relâcher quelques jours pour attendre un temps favorable. Le 27 juillet à 6 h. 15 du malin, il se trouvait à environ 110 milles dans le nord27 -ouest de Corvo,la dernière de ces îles du côté del’Amérique. C’est là que commença le jet à la mer d’une partie des bouteilles, en les espaçant de mille en mille. Puis on immergea successivement les barils et les sphères métalliques de 2 milles en 2 milles. On ter
mina par le jet des bouteilles restan
tes. Les 180 flotteurs ont été ainsi répandus sur une ligne qui court à peu près nord-14»-Ouest, longue de 170 milles. L’opération a duré 31 h. 1/2.
Le lieu choisi pour l’immersion des flotteurs est situé à peu près sur une ligne joignant le détroit de Floride,
par lequel le Gulf Stream se précipite dans l’Atlantique, et l’entrée du détroit de la Manche. Certaines épaves connues, comme la bouteille de l Himalaya et la bouteille du Herder, sem
blent indiquer une direction est ou nord-est. En outre, on admet généra
lement aujourd’hui une translation ouest-est des eaux de la surface portant vers notre côte des eaux rela
tivement chaudes. Toutefois, d’après les dernières cartes publiées sur les courants de l’Atlantique, les eaux su
perficielles paraissent se diriger de là vers le sud-est plutôt que vers l’est.
Jusqu’à ce jour, six flotteurs ont été signalés aux Açores et leurs documents envoyés en France. Les numé
ros 9, 133 et 136 sont allés sur la côte nord de l’ile San Miguel ; le numéro 22 sur la côte sud de l’ile Santa Maria;
le numéro 1 sur la côte nord de l’ile Pico; enfin le numéro 39 sur la côte de Tercère.
CARTE DES COURANTS DE L’ATLANTIQUE, D’APRÈS LES NOTIONS ACTUELLES
Il est évident que les flotteurs qui iront aborder les côtes occidentales de l’Europe ou de l’Afrique mettront nécessairement un temps beaucoup plus long pour y arriver.
Si l’on compare les dates, les points d’arrivée, l’ordre des apparitions, il sera aisé de voir que les flotteurs dont le point de départ était le plus rapproché des Açores ont été portés les premiers vers le centre de ce groupe d’iles,
que d’autres lancés un peu plus haut en latitude sont
venus avec un retard disproportionné dans la même région et qu’enfin le numéro 1, parti de plus haut encore, a été trouvé dans la partie occidentale de l’Archipel,
après avoir fait, en apparence, le moins de chemin dans le plus grand espace de temps. Il serait même possible de concevoir un tourbillonnement, à diamètre court, des eaux du Gulf Stream, au moins jusqu’au 45° degré de latitude, autour des Açores ; sinon, les flotteurs nu
méros 1 et 30 auraient coupé la route des autres, ce qui semble peu explicable.
D’après les routes suivies par les numéros retrouvés, on peut déjà établir que le Gulf Stream ne présente, jusqu’à 300 milles dans le nord-nord-ouest des Açores,
CARTE INDIQUANT LE LIEU DE L EXPERIENCE ET LES POINTS D’ATTERRISSEMENT DES FLOTTEURS RETROUVÉS JUSQU’A CE JOUR
aucune tendance à marcher vers le nord-est ni même bien nettement vers l’est. La direction est plutôt sud40°-est, et même sud-35°-est.
Un point qui semble désormais bien acquis, c’est que de la latitude où ont été jetés les flotteurs, c’est-à-dire par le travers du cap Finistère, pas une goutte d’eau de la surface de l’Atlan
tique n’arrive sur les côtes de France. Si on admet qu’il existe un. courant ou. simplement une translation d’eaux plus chaudes de l’ouest vers l’est au niveau de nos côtes,c’est donc au nord du 42e
parallèle qu’il faut chercher l’origine de réchauffement de ces eaux, et tout le monde parait aujourd’hui d’accord pour admettre que le courant du golfe du Mexique ne fait plus sentir son influence au-de la du 40e degré de latitude.
M. G. Pouchet est porté à croire qu’en dehors de la sphère d’action bien définie du Gulf Stream, le mou
vement des eaux superficielles de l’Atlantique entre les Açores, les îles du Cap-Vert et les Antilles, doit être principalement fonction des mouve
ments de l’atmosphère. En comparant la marche des flotteurs à la carte des vents pour les mois de juillet,
août et septembre, on constate, en effet, que la direction des courants atmosphériques s’accorde assez sen
siblement avec celle des courants ma rins.
D’un autre côté, comme le faisait remarquer S. A. le prince de Monaco dans son intéressante conférence à la Société de Géographie, il est probable que si l’action di
recte du Gulf Stream sur la côte française n’existe pas, son influence n’en est pas moins très grande. Des cas de flottage vers l’est, ou même l’est-nord-est, peuvent se
présenter par l’effet des vents dominants qui entraînent, dans cette direction une nappe d’eau toute superficielle. Celle-ci, maintenue à une température élevée par ses échanges avec les vents en question, répand, de concert avec eux et jusque sur nos côtes, une chaleur humide capable, aux îles Sorlingues par exemple, de faire vivre certains palmiers et fleurir des aloès.
Présenté de cette manière, le Gulf Stream agit fortement sur notre climat, et ses fluctuations, soumises à des lois que la physique du globe recherchera tôt ou tard, ont peut-être déterminé la période glaciaire dont l’action s’est fait sentir sur une partie do l Europe centrale.
Les auteurs de cette première tentative, qui a été si habilement dirigée et menée à bonne fin, espèrent que de nouveaux et puissants moyens d’action seront bientôt
mis à leur disposition et qu’ils pourront ainsi recommencer leurs recherches avec une rigueur scientifique
qu’ils n’avaient pas pu réaliser pour une expérience en quelque sorte improvisée.
Ce sujet mérite à coup sûr l’attention et la sympathie de tous ; car,
ainsi que l’a justement fait observer S. A. le prince de Monaco, il n’est peut-être aucun lieu de notre domaine scientifique qu’il ne puisse féconder. La connaissance exacte des courants de l’Océan intéresse à la fois la phy
sique générale du globe, la géographie zoologique, l’anthropologie, la bota
nique, la géologie, la paléontologie et la météorologie. Les navigateurs y trouveront des éléments nouveaux de rapidité et de sécurité. Nombre de navires, faute d’indications précises sur les courants dont ils pouvaient profiter ou sur ceux qu’ils devaient contourner, mettent en effet beau
coup plus de temps à effectuer un trajet sur mer, ce qui augmente pour eux les chances d’accident.
Avec la collaboration de marins i nteligents, avec l’aide aussi de la météorologie qui a fait de si grands et rapi
des progrès, des études semblables aboutiront sans doute à déterminer les lois hydrographiques des courants de la mer et rendront, par là; de grands services à la science et à la navigation.
Ch. Talansier.