Il ne s’est point fait trop de sottises, cette semaine. Même deux satisfactions ont été données à la conscience des honnê
tes gens : l’exécution de M. Basly et la réhabilitation de M. le lieutenant-colonel
Herbinger.
Pour n’avoir été que purement morale l’exécution de M. Basly n’était pas moins complète et définitive.
Qui plus est, ce n’est, pas M. Basly seulement, et M. Camelinat avec lui — en y joignant M. Aristide Boyer — que l’opération a touchés. C’est toute une secte ou, pour mieux dire, tout un système de doc
trines — ou de rengaines; —c’est la théorie de « la Révolution par la violence » ; c’est toute cette fausse sentimentalité qui, poussant jusqu’à la dernière exa
gération les misères par trop réelles des populations ouvrières, a la prétention de légitimer même le meurtre par l’excuse de la souffrance.
C’est cette prétention que MM. Camelinat et Basly s’ôtaient permis d’afficher publiquement dans le meetingdu Château-d’Eau, meeting absolument anarchiste, où Louise Michel avait joué les Pythonisses.
Du coup, tout le monde, ou peu s’en faut, s’en est ému.
A la Chambre, ça été complet. Admonesté d’une façon aussi rude que digne par M. le président Floquet, M. Basly n’a trouvé que trois collègues pour l’applaudir : MM. Camelinat, Boyer et Clovis Hugues, les deux premiers, « députés-ouvriers » comme lui et le troisième, poète marseillais, ce qui le rend presque irresponsable.
Pendant ce temps, un conseil d’enquête examinait le cas de M. Herbinger et lui rendait justice. L’affaire, d’ailleurs, ne manquait pas de gravité, parce que la politique s’en était mêlée. C’est la retraite de Langson, — c’est-à-dire M. Herbinger — qui a tué le mi
nistère Ferry; et, naturellement, les partisans de M. Ferry ne pardonnent pas à M. Herbinger. Le voilà, maintenant, après un an d’épreuves et de souffrances, justifié, réhabilité. La justice a mis du temps à venir; bien heureux encore ceux qui ne l’attendent pas plus longtemps !
Ce jugement et le départ de M. P. Bert marquent une phase nouvelle dans l’affaire du Tonkin. L’aven
ture militaire est définitivement terminée. Il était juste temps, car là-bas, M. le général de Courcy, qui a la main lourde, paraît-il, procédait à des façons de petits coups d’étatcontre l’élément civil et prépa
rait des opérations militaires nouvelles ayant pour objectif le cours supérieur du Fleuve-Rouge et la ville de Lao-Kaï. Le télégraphe est venu l arrêter court dans ses préparatifs. Maintenant c’est aux civils qu’est remis le soin de faire diplomatiquement et administrativement la conquête de l’Indo-Chine. Nous allons voir comment ils s’en tireront.
Toujours est-il que ce changement de procédés paraît être fort apprécié des électeurs .Voilà que dans les élections motivées par l’invalidation des élus de l’Ardèche, des Landes, de la Corse, de la Lozère, un
revirement complet s’est produit. Dix-neuf élus sur vingt sont républicains. Cela fait une différence de trente-huit voix à la Chambre. Mais, surtout, c’est un échec moral des plus graves pour les partis monarchistes.
Il devient, en effet, évident que ce n’est pas pour l’amour de la monarchie qu’au mois d’octobre dernier certains départements ont élu des conservateurs. Ce n’était pas non plus en haine de la Répu
blique. Cela voulait dire tout bonnement qu’on avait assez du Tonkin et qu’on n’avait pas la moindre envie de donner, pour des expéditions lointaines,
son argent et ses enfants. Rien que les familles dont les enfants étaient au Tonkin ou craignaient d’y aller, suffisaient à changer la majorité électorale. Je vous l’ai dit plus d’une fois, alors. Et en voici maintenant la preuve.
C’est pour la paix qu’on a voté; pour la paix et pour l’économie. Et c’est là le caractère le plus rassurant, à coup sûr, du suffrage universel — bien qu’il ne soit pas non plus sans inconvénients— que, chacun tenant à son argent et à ses enfants, l’im
mense majorité des électeurs soit hostile à toute idée de guerre et de dépense.
L’effet de ces élections est, d’ailleurs, considérable ; elles nous donneront peut-être un peu de calme
parlementaire, qui menaçait de nous manquer. Les monarchistes, pour dire vrai, s’étaient emballés un peu vite et, s’attribuant exclusivement tout le béné
fice des élections du mois d’octobre, ils devenaient téméraires, exigeants et même vantards. De leur côté, les républicains, vexés et alarmés de ce mouvement violent de recul, devenaient hargneux, soupçonneux, aigres et menaçants. On parlait de « vigi
lance nécessaire » et de « sévérités légitimes ». La « question des princes » se soulevait et menaçait de devenir aigüe. A présent, on mettra, probablement, de part et d’autre, des sourdines. A droite, on sera moins exubérantet moins triomphant; on sera moins soupçonneux à gauche et plus débonnaire. La « question des princes », qui devait venir dans la quin
zaine et que M. de Freycinet essayait vainement d’écarter, perdra de son acuité, peut-être même se laissera-t-elle enterrer jusqu’à nouvel ordre.
De sorte que, pour le moment, la seule question irritante qui subsiste, c’est la question économique, la question des tarifs de douane.
Il est certain que « l’agriculture » et « les sucres » s’agitent furieusement. Seulement, il convient de définir ces deux choses : L’agriculture parlemen
taire n’est pas la même chose, tant s’en faut, que l’agriculture agricole. C’est tout bonnement « l’agri
culture électorale », c’est-à-dire le quantum de voix que peut rallier à tel ou tel parti l’octroi ou le refus
d’un tarif de douane. De même pour les sucres. Et les sucres sont peut-être encore plus « électoraux » que l’agriculture car les quatre cents fabricants dont
se compose ce qu’on appelle « les sucres » se sont organisés surtout en puissance électorale, sachant parfaitement que là seulement se trouvait la solution des questions économiques : « Dis-moi de combien de « voix tu disposes et je te dirai si tu as tort ou raison. »
Seulement, il ne suffit pas d’avoir raison devant la Chambre pour avoir raison dans la bataille écono
mique. Les sucres ont obtenu, il y a deux ans, une protection de 8 fr. aux 100 kil. qui devait faire mon
ter leur marchandise d’au moins 6 francs. Et il se trouve que, tout au contraire, elle a baissé de 6 fr.
Ah ! c’est qu’on ne fait pas la loi si aisément aux phénomènes économiques. L’argent, les affaires, le crédit, la valeur des choses ne se laissent point gou
verner par décret, au caprice du législateur; et ce qu’il y a de plus grave c’est que les lois mal conçues,
les fausses mesures, retombent toujours — et de la façon la plus lourde — sur ceux qui en espéraient le bénéfice.
Avis aux amateurs de protection !
Sénat. — Séance du 9 février : Suite de la discussion et adoption des articles 13 et 14 de la loi sur l’organisation de l’enseignement primaire.
Séance du 13 : Suite de la même discussion.
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Chambre des députés. — Séance du 9 février : Prise en considération de diverses propositions parmi les
quelles celle qui concerne la taxe sur les étrangers et celle de M. Martin Nadaud sur les heures de travail.
Séance du ! I : Discussion de l’interpellation de M. Basly sur l’émeute de Decazeville. Après un débat auquel pren
nent part MM. Baïhaut, ministre des travaux publics, Sarrien, ministre de l’intérieur, Boulanger, ministre de la guerre, et de Freycinet, président du conseil, la Chambre adopte par 301 voix contre 188, un ordre du jour de confiance présenté par M. Laur.
Séance du 16 : Discussion de la proposition relative à la liberté des funérailles, précédemment adoptée par le Sénat. Cette proposition, qui tend à assurer l’exécution de la volonté individuelle, relativement aux funérailles, volonté qui n’est pas toujours en harmonie avec celle de la famille, est combattue par la droite. MM. Freppel et Jules Roche ayant demandé une modification du texte à l’article 1er, cet article est renvoyé à la commission. — Prise en considération d’une proposition de M. Maurice Faure ayant pour objet la nomination d’une commission d’enquête concernant la réforme administrative.
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Elections..— Sénatoriale. Département du Pas-de- Calais : M. d’Havrincourt, conservateur. Il s’agissait de remplacer M. Hnmille, sénateur conservateur, décédé.
Législatives. Département de l’Ardèche: MM. Fougeirol, Vieilfaure, Clauzel, Boissy-d’Anglas, Saint-Prix, Deguilhem, républicains, en remplacement de MM. de Montgolfier, Blachère, Morin-Latour, Vernet, de Bernis, Henri Chevreau, conservateurs, invalidés.
Corse : MM. Emm. Arène, Astima, Ceccaldi, républicains, en remplacement de MM. de Montera, Abbatucci, de Multado, conservateurs, invalidés. M. Gavini, conservateur, invalidé, est réélu.
Ille-et-Vilaine : M. Le Hérissé, républicain, en remplacement de M. de Lariboisière, démissionnaire.
Landes : MM. Léglise, Boucau, Jumel, Sourigues, Loustalot, républicains, en remplacement de MM. Lambert de
Sainte-Croix, de Guilloutet, Gieure, de Cardenau, de Favernay, conservateurs, invalidés.
Lozère : MM. Pelisse, Jourdan, Bourillon, républicains, en remplacement de MM. Monteils, de Colombet, Joly, conservateurs, invalidés.
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Publication au Journal officiel de la situation définitive de l’exercice 1885 pour les impôts et contributions. Pour les impôts indirects, les recouvrements ont été de 2,311,957,500 francs. Ils sont inférieurs de 36,832,500 francs aux évaluations budgétaires et de 6,555,600 aux recouvrements de 1884. Mais cette dernière année était bis
sextile, et en défalquant les produits du 29 février 1884, l’infériorité réelle ressort à 860,200 francs.
Pour l’Algérie, les recouvrements se sont élevés à 23,367,600 fr., inférieurs de 1,135,400 fr. aux évaluations budgétaires et supérieurs de 343,500 fr. aux recettes de 1884. En tenant compte de la bissextilité de 1884, l’augmentation réelle est de 394,500 fr.
L’impôt sur les revenus de valeurs mobilières a fourni une recette de 46.116,000 francs, inférieure de 2,972,000 fr. aux évaluations budgétaires et de 898,000 fr. aux produits de 1884,
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Le CAS DU LIEUTENANT-COLONEL IlERBINGEIL — On sait qu’à la suite de certaines dépositions faites devant la commission du Tonkin, un conseil d’enquête avait été nommé pour donner son avis sur les accusations portées contre le colonel. Le conseil s’est réuni à Saint-Malo et l’enquête a été favorable à l’accusé. *
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Annam et Tonkin. — L’organisation du protectorat du Tonkin comprend : un résident général, M. Paul Bert,
et deux résidents supérieurs, l’un à Hanoï, M. Paulin Vial, l’autre à Hué, M. Dillon.
Au-dessous des résidents supérieurs,la hiérarchie comprend des résidents de lre classe et de 2° classe, des vicerésidents de lre et de 2» classe, des chanceliers de rési
dence, des commis de résidence. Des interprètes, lettrés indigènes, interprètes chinois sont attachés aux résidences et vice-résidences.
Les émoluments du personnel ont été fixés ainsi qu’il suit : Président général. — Solde 150,000 fr.; frais de service, de représentation et de déplacement, 50,000 fr. Ré
sidents supérieurs. — Solde 40,000 fr.; frais de service,
etc., 10,000 fr. Résidents de lreclasse. — Solde, 24,000 fr.; frais de service, etc., 6,000 fr. Résidents de 2e classe. — Solde, 20,000 fr.; frais de service, etc., 5,000 fr. Vice-ré
sidents de lre classe. — Solde 15,000 fr. Vice-résident de 2e classe. — Solde, 12,000 francs. Chanceliers. — Solde, 9,000 fr. Commis. — Solde, 4 à 6,000 fr. Les interprètes et lettrés auront des soldes variant de 1,500 à 2,000 fr. Enfin, les vice-résidents et chefs de poste recevront une indemnité de 3,000 fr. pour dépenses accessoires.
Pour faire face aux besoins de cette organisation, il est prévu, en plus du résident général et des deux rési
dents supérieurs, 6 résidents, 20 vice-résidents, 8 chanceliers, 40 commis, 50 interprètes annamites, 45 lettrés et 7 interprètes chinois; soit en tout 179agents, dont 81 Européens seulement.
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Les affaires d’orient. — La situation ne s’est pas modifiée de ce côté, et reste toujours très tendue. Les négociations pour la paix n’ont pas commencé à Buca
rest par suite de difficultés soulevées par la Turquie qui
exige de son représentant Madjid pacha le texte des conditions de paix arrêtées entre lui et le délégué bul
gare et lui enjoint de n’entamer les conférences qu’après avoir reçu l’avis du Divan sur ces conditions.
D’autre part, la Russie semble s’obstiner dans son refus de sanctionner l’arrangement turco-bulgare; le jour
nal le Nord soutient que cet arrangement n’est point une solution et « qu’il peut justifier les réclamations des autres Etats de l’Orient, pour lesquels il est nécessaire de créer un ordre de choses équitable ». Cette obstina
tion de la Russie, qui a certainement une arrière-pensée, n’est pas faite, on l’avouera, pour faire tomber les armes des mains de la Serbie et de la Grèce.
Grande-Bretagne. — Les émeutes. Nous avons mentionné dans notre dernier bulletin les désordres de Lon
dres, où les socialistes ont essayé de renouveler leurs exploits ; mais la police à cheval en a eu raison et a dis
sipé sans trop de peine un meeting qui s’était réuni dans Hyde-Parc et dont le principal meneur a été arrêté. Des désordres ont également eu lieu dans quelques villes de province, notamment à Jarrow et à Leicester, à l’occasion de la grève des cordonniers. Il y a eu force fenêtres brisées dans les différentes fabriques de chaus
sures, et l’on a dû recourir à l’assistance des citoyens pour aider l’autorité à rétablir l’ordre, mais ce résultat n’a pu être obtenu sans une véritable bataille dans laquelle il y a eu des tués et des blessés.
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Nécrologie.— M. le comte de Cornulier de la Lande, sénateur du département de la Vendée. Il siégeait à droite. Soixante-quatorze ans.
Mgr de Langalerie, archevêque d’Auch. Né en 1810.
M. le général de brigade Beaugeois, chef d’état-major du 7e corps d’armée. Sorti de Saint-Cyr en 1847. Né en 1825.
M. Horatio Seymour, ancien gouverneur de l’Etat de
New-York. Né en 1810.
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