Nous approchons des vacances de Pâques, période de calme et de sécurité relative pour les gouvernements. Plus heureux que les lièvres et les perdrix, les ministres bénéficient, deux fois par an de la « fermeture de la chasse. »
Il est clair, en effet que, sauf exception rare, les gouvernements sont tranquilles aussitôt que les Chambres n’y sont plus. Comment un cabinet tomberait-il quand il n’y a personne pour le renverser?
Toutefois, il ne faut jamais jurer de rien et M. de Freycinet lui-même a fourni l’exemple d’un cas fort étrange, lui qui trouva le moyen, en 1880, de faire, à lui tout seul, une crise ministérielle en pleines vacances et de tomber sans que personne le renversât, dans le plus calme des mois, en septembre.
Aujourd’hui, cependant, il est probable que si le gouvernement peut attendre le jour des vacances sans trop subir d’avaries, il a bien des chances de
durer jusqu’à la rentrée, tout au moins. Mais gare la rentrée : les rentrées sont toujours dangereuses pour les ministres, comme l’ouverture de la chasse pour le gibier.
Mais le ministère n’aura-t-il pas quelque grosse avarie à subir d’ici-là?
Pour dire vrai, je ne le crois pas. Qu’il reçoive par-ci par-là quelques petites atteintes, je n’en doute pas. Mais toutes les meurtrissures ne sont pas des blessures dangereuses. Il en faut beau
coup pour que cela devienne mortel. Des coups d’épingle, des « pichenettes », le gouvernement en aura sa part, gardez-vous d’en douter. Mais des coups de poing sérieux, il n’en a à craindre que de deux côtés ? la question des princes, la question de Madagascar.
Dans la question des princes, M. de Freycinet s’est montré fort habile. Posant la question de con
fiance dès le premier mot — ce qui lui donnait un air de crânerie fort prestigieux — il a désarmé ses adversaires en leur promettant tout ce qu’ils demandaient et môme quelque chose déplus : « Gomment!
« vous voulez mettre les princes à la porte, le jour « où ils deviendront dangereux? Mais à quoi bon « prendre cette peine vous-mêmes. C’est moi seul « que cela regarde et je m’en charge, croyez-le bien.
« Même, non content de les mettre dehors, au be« soin je les mettrai dedans ». « Fort bien » ont ré
pondu les amis du ministère; et ils ont rédigé la proposition Rivet qui « précise et fortifie les droits « du gouvernement en matière d expulsions prin« cières ».
Il est vrai que, d’une part, le prince Jérôme Napoléon , toujours prêt à jouer un mauvais tour aux princes d’Orléans, publie une lettre dans la
quelle il demande qu’on expulse, si l’on veut, ces conspirateurs royalistes, pourvu qu’on le laisse tranquille, lui, le prince républicain; d’autre part, M. Clémenceau — le protecteur nécessaire du mi
nistère Freycinet, — prend assez mal la proposition de M. Rivet et la fait critiquer sévèrement dans la Justice. Mais tout cela n’est pas encore bien grave et il est à croire que l’affaire s’arrangera.
Plus dangereuse peut-être, sous une apparence moins farouche, la question de Madagascar com
mence à s’aigrir. La commission qui vient de faire son rapport sur le traité conclu avec les Ilovas n’en paraît que médiocrement satisfaite. Il est certain que le traité n’est pas brillant et que notre plénipoten
tiaire a fait passablement de concessions. Ce ne serait pas bien grave si les ferrystes d’un côté, l’ex
trême gauche de l’autre — et peut-être aussi une partie de la droite ne trouvaient l’occasion excellente pour dauber sur M. de Freycinet. C’est là qu’est, pour le moment, le plus gros « point noir ».
C’est qu’aussiM. de Freycinet est peut-être un peu trop habile. Les habiletés qui réussissent momentanément ont le désavantage de n’aplanir qu’une dif
ficulté et d’en faire surgir plusieurs. Ça été un fort joli coup d’adresse parlementaire que d’envoyer en Cochinchine M. Paul Bert, dont la verve anticléricale devenait menaçante pour un ministre qui veut être conciliant avec le clergé. Mais l’exemple de M. Paul Bert a fait naître aussi bien des rêves et réveille bien des ambitions que M. de Freycinet ne peut point
toutes contenter. Qui donc ira à Madagascar, par exemple? Les candidats abondent, et précisément il arrive que ceux à qui on offre la Résidence n’en veulent pas. Que de mécontents pour une seule place !
Et puis, ce n’est pas tout. Ce procédé, si commode en apparence, qui consiste à éloigner quiconque peut être dangereux, n’est pas sans avoir ses mé
comptes. C’est ainsi que, depuis quelques semaines, on cherche à expédier le plus loin possible M. Constans, dont l’hostilité possible serait une grosse me
nace pour le cabinet. Il y a quinze jours, le Paris envoyait M. Constans à Tunis ; trois semaines aupa
ravant, c’est en Algérie qu’on l’internait; puis je ne sais plus quel journal officieux le déportait à Mada
gascar, ce qui touchait à la dérision et à l’injure. Depuis trois ou quatre jours, c’est à Pékin qu’on pré
tend l’exiler. Le malheur est que M. Constans n’a point l’air de mordre aux avances dont le bombar
dent les feuilles officieuses et ne paraît pas vouloir se laisser déporter, comme un simple récidiviste,
dans des pays d’où l’on ne revient pas comme on veut. M. Constans se dit probablement ce que disait autrefois M. le duc de Broglie : « Qu’un homme politique ne doit jamais s’éloigner à plus de trois journées de Paris. »
Vous voyez que le gouvernement n’est point absoment sur un lit de roses, d’autant qu’on annonce toujours comme possible la retraite de M. Sarrien
pour cause de santé et celle de M. Sadi-Carnot pour cause de dissentiments accentués avec ses collègues sur certaines questions budgétaires et sur la question bien autrement délicate de l’épuration du personnel.
Pourtant, jusqu’à présent, il ne s’est pas produit d’à-coup dans la marche du cabinet. Le choc qu’on pouvait prévoir entre M. de Freycinet et M. le
général Boulanger à propos des affaires tunisiennes a pu, jusqu’à présent, être évité. Peut-être la poigne vigoureuse et même un peu rude dont a fait preuve M. le ministre de la guerre a-t-elle contribué à faire écarter pour le moment cette question épineuse.
Tout cela c’est de la provision de difficultés et de la graine de conflits pour l’avenir, mais, en attendant, jouissons du présent et profitons des quelques se
maines de repos que les vacances vont nous donner.
Nous sommes, à ce point de vue, plus favorisés que nos voisins d’Outre-Manche. Chez nous, an moins, les meetings anarchistes se bornent à n’être que ridicules; même parfois ils ne sont pas sans avoir quelque chose d’amusant, comme par exemple la dernière réunion du Château-d’Eau dont les organisateurs radicaux ont payé les frais et que les anar
chistes ont confisquée à leur profit. Mais cela n’a rien de grave parce que, chez nous, le bon sens na
turel de l’ouvrier français l’empêche de mordre à ces inepties odieuses et que, d’ailleurs, malgré la dureté des temps, la misère n’est jamais assez atroce en France pour y faire, comme à Londres, des milliers et des milliers de désespérés.
Sénat. — Séance du 16 février : Suite de la discussion en première lecture de la loi sur l’organisation de l’ins
truction primaire. Sur l’article 21, qui attribue aux pré
fets la nomination des instituteurs, un amendement de
M. Bardoux, tendant à conférer cette nomination aux recteurs, est repoussé. — Adoption en deuxième lecture de la proposition de loi de MM. Bardoux et Humbert sur les fraudes artistiques. — Séances du 18 et du 20 : Suite de la discussion de la loi sur l’organisation de l’enseignement primaire.
*
* *
Chambre des députés. — Séance du 18 février : Fin de la discussion en première lecture de la loi sur la liberté des funérailles.
Séance du 20 : Discussion de la proposition relative aux élections partielles. En vertu de cette proposition, les électeurs n’eussent été convoqués, dans les départements ayant plus de quatre députés, qu’en cas de va
cance de deux sièges. Repoussée. — Repoussée égale
ment une propostion de M. d’Aillières tendant à nommer une commission de vingt-deux membres chargée de faire une enquête sur la situation financière de la France.
Séance du 22 : Commencement de la discussion d’une interpellation de M. Thévenet sur l’homologation des nouveaux tarifs de chemins de fer. — Lecture du rap
port de M. de Lanessan sur le projet de loi approuvant le traité de Madagascar, dont la discussion est fixée au 25.
* *
Nominations. - M. le capitaine J.-.L Moinier du 36e régiment d’infanterie, est nommé officier d’ordonnance du président de la République.
Allemagne. — Deux questions importantes ont occupé le Parlement cette semaine. La première était relative à l’indemnité aux députés. M. Hesenclever, au
teur de la proposition et l’un des députés socialistes poursuivis par le fisc pour avoir touché des indemnités de leurs commettants, l’a soutenue avec habileté et a gagné sa cause. La motion a été adoptée à une majorité considérable. C’est un échec pour M. de Bismarck ; mais le conseil fédéral n’a pas dit son mot. — L’autre ques
tion avait pour objet le projet de loi relatif à la proro
gation pour cinq ans de la loi contre les socialistes. Le projet de loi a été renvoyé à une commission après une discussion assez agitée. Adoption en deuxième lecture,
le 20 février des articles 1, 2 et 4 du projet de loi relatif au canal de la mer du Nord à la mer Baltique.
Adoption par le Conseil fédéral de l’empire du projet de loi sur le monopole de l’eau-de-vie.
*
* *
Grande-Bretagne. — Réouverture, le 18 février, du Parlement anglais. Entre autres déclarations, M. Glads
tone a dit, en ce qui concerne l’Irlande, que le ministère n’a pas l’intention de demander le renouvellement des lois répressives ; et, en ce qui concerne les affaires d’Orient et la Grèce, qu il suivra « sans aucune déviation » la politique du précédent cabinet.
Dans la séance du 19, à la Chambre des communes et à celle des lords, des questions ont été posées au gou
vernement sur ies troubles de Londres. M. Childers, ministre de l’intérieur, a annoncé qu’il présenterait le 22, la première partie du rapport du comité d’enquête, dont
il est président ; il a afnrmé, en outre, que les mesures prises préviendront le renouvellement des désordres et a blâmé le manque d’énergie de la police. — L’adresse est adoptée. — Est adopté également, en deuxième lec
ture, le bill accordant le droit de suffrage aux femmes qui sont à la tête d’un établissement industriel agricole.
Nouveaux troubles à Londres. — Le meeting tenu dimanche dernier, à Hyde-Park, a de nouveau, comme le précédent, dégénéré en émeute. Mais, cette lois, ta police a agi avec vigueur et a chargé la foule qui lançait des pierres et brisait les vitres. Une véritable bataille s’en est suivie dans laquelle il y a eu beaucoup de morts et de blessés. La victoire est heureusement restée à l’autorité.
*
* *
Portugal. — Une certaine effervescence régnait depuis quelque temps dans le pays par suite des projets financiers présentés par le gouvernement et augmentant les impôts. Des meetings étaient préparés à ce propos par les oppositions progressiste et républicaine. A la Chambre, le 18, à la suite de scènes de violence, le président avait dû lever la séance. En présence d’un pareil état de choses, le cabinet donna sa démission, et le chef des progres
sistes fut chargé de former un nouveau ministère, qui est ainsi composé :
Intérieur et présidence du conseil, M. Luciano y Castro; — justice, M. Beirao; — travaux publics, M. Navarro; — Finances, M. Mariano Carvalho; — Marine,
M. Henri Macedo; — Affaires étrangères, M. Barros Gomez; — Guerre, M. le vicomte San Januario.
*
* *
Birmanie. — L’annexion de la Birmanie à l’empire des Indes ne va pas toute seule. La résistance des Dacoïts et des princes de la maison royale d’Alompra est telle, que lord Dufferin a dû ordonner d’élever l’effectif du corps expéditionnaire anglais à 16,000 hommes, que commandera le général Prendergast.
D’autre part la Chine, à laquelle l’Angleterre vient d’accorder le paiement d’un tribut annuel qu’elle réclamait comme puissance suzeraine du pays birman, demande actuellement une rectification de frontières, équivalant au partage de la Birmanie.
Comme on voit, les difficultés naissent sous les pas de l’Angleterre.
*
Nécrologie. — M. le baron Cottu, ancien préfet, officier de la Légion d’honneur.
Lord Edouard Cardwell, qui participa à la réorganisation de l’armée anglaise. Un des exécuteurs testamen
taires de sir Robert Peel. Elevé à la pairie avec le titre de vicomte en 1874.
M. le comte de Tréville, sénateur inamovible. Capitaine de dragons sous la Restauration, démissionnaire en 1831). Entré dans la vie politique en 1871. Né en 1802.
M. Prosper Giquel, officier de marine. Il avait été autorisé en 1860 à entrer au service de la Chine, où il cons
truisit l’arsenal de Fou-Tchéou, détruit par l’amiral Courbet. Il était rentré en France en 1877 comme directeur de la mission de jeunes Chinois qui venaient compléter leurs études en France.
Le prince Ypsilanti, ancien minisire de Grèce à Vienne
de 1867 à 1876 et à Paris de 1876 à 1880.
HISTOIRE DE LA SEMAINE