SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand. — Hiyotoko, nouvelle japonaise, par M. Peyremal (suite). — Nos gravures: Le grand escalier du
nouvel Opéra; — Le lustre; — Le verglas du 1 janvier à Paris et la fontaine du Cliàteau-d’Eau ; — L’infant don Alphonse; — L’accident de Shipton; —Le général Espartero;
— Le revolver photographique Jeanssen. — Les chiens à Paris; — Revue financière de la semaine.— Bulletin bibliographique. — Les rois de Dakar. — Faits divers. — Echecs.
Gravures : Inauguration du nouvel Opéra : le lustre; — Le grand escalier : vue prise de l’une des rampes latérales. — Le verglas du 1er janvier, à Paris. — S. M. Alphonse XII, roi d’Espagne.
— Le général Espartero. — L’accident de Shipton sur le chemin de fer Great-Western, en Angleterre. — Le revolver photographique de M. Jeanssen, employé dans la mission fran
çaise du Japon pour l’observation du passage de Vénus sur le Soleil. — Disposition du revolver photographique à l’observatoire de M. Jeanssen —Le nouveau roi de Dakar; — Tom
beau de l’ancien roi de Dakar. — L’hiver de 1875 à Paris: aspect de la fontaine du Château-d’Eau, le 31 décembre. — Rébus. — Le nouvel Opéra.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
Une lueur d’espérance, bien faible il est vrai, semble poindre à l’horizon. Va-t-on finir par s’entendre, d’une façon où de l’autre, sur l’organisation des pou
voirs ? Nous n’oserions dire oui, mais il y aurait aussi témérité à dire non.
Toujours est-il que, durant ces courtes vacances, un suprême effort a été tenté dans le sens d’un rappro
chement. Trois fois en deux jours et sur l’invitation du président de la République, les principaux mem
bres des groupes conservateurs de l’Assemblée se sont réunis à l’Elysée pour délibérer en présence du chef de l’Etat sur les questions constitutionnelles,
dont la mise à l’ordre du jour ne semble plus pouvoir être beaucoup reculée. Le 30 décembre, il y a eu deux entrevues et une troisième le 2 janvier. Avaient été convoqués ; MM. Buffet, président de l’Assemblée na
tionale, Decazes, ministre des affaires étrangères, de Chabiud Latour, ministre de l’intérieur, Casimir Périer, Dufaure et Léon Say, du centre gauche, d’Audiffret-Pasquier, Balbie, Rocher et de Broglie, du centre droit, de Kerdrel, Chesnelong, Depeyre, de la droite modérée, et Victor Hamille, du groupe bonapartiste.
Répondant à l’appel qui leur était adressé, chacun de ces députés a exposé ses idées avec la plus entière sincérité, et le maréchal de Mac-Mahon a pu ainsi atteindre le but qu’il s’était proposé, c’est-à-dire re
cueillir directement les avis et se rendre compte des dispositions de chacun. Trois opinions se sont trèsvite dégagées. La droite modérée s’est cantonnée sur le terrain du septennat personnel, refusant de régler la transmission des pouvoirs et n’admettant pas que le septennat pût survivre au maréchal ; le centre droit a maintenu le septennat impersonnel avec transmis
sion, en cas de démission ou de décès du président actuel, mais jusqu’en 1880 seulement; enfin, le centre gauche a soutenu la nécessité du gouvernement républicain avec le programme suivant : 1° Deux Cham
bres ; 2° transmission des pouvoirs pendant les six années comme à l’expiration des six années ; 3“ règle
ment du droit de dissolution ; 4 1 règlement du droit de révision.
De ces conférences, il a paru résulter que, s’il est possible de réunir pour une alliance nouvelle, soit une partie de la droite et le centre droit, soit le centre droit et le centre gauche, il y aurait impossibilité ab
solue à établir un accord pratique entre les trois groupes, ce qu’est venu confirmer d’ailleurs le langage de la presse monarchique, qui s’est montrée fort irritée de la décision prise par le maréchal de Mac-Mahon, en vue d’assurer une entente entre toutes les fractions modérées de l’Assemblée. Ce langage ne laisse aucun doute sur l’attitude que l’extrême droite et la majorité de la droite vont prendre dans les prochaines discus
sions. Si donc le maréchal de Mac-Mahon, comme sa tentative peut le donner à croire, est franchement ré
solu à constituer un gouvernement défini, il devra re
noncer à s’appuyer dans ce but sur cette portion de l’Assemblée. C’est vers les deux centres, unis pour une action déterminée, qu’il lui faudra incliner, chercher, et qui sait? trouver peut-être une majorité gou
vernementale capable, après l’avoir votée, de faire marcher la nouvelle machine constitutionnelle, ou tout au moins une majorité de raison, décidée à prépaffer et à mener à bonne fin, avec le moins de dan
ger possible, la seule solution que comporte, à défaut
de l’organisation des pouvoirs, la situation grosse de périls faite à la France par la rivalité des partis. Du reste, comme l’Assemblée a repris, le 5, le cours de ses séances, et que toutes ces questions brûlante,
vont être portées devant elle, nous ne pouvons tarder à savoir à quelle détermination se sera arrêté, après mûre délibération et. en parfaite connaissance de cause, M. le président de la République.
L’élection qui a eu lieu le 3 janvier dans le département des Hautes-Pyrénées n’a pas donné de résul
tat. Quatre candidats, sur six qui s’étaient d’abord portés, restaient en présence : M. Alicot, septennaliste, ancien sous-préfet de Bagnères, ancien souschef de cabinet de M. Victor Lefranc, actuellement maire d’Argelès ; M. Brauhauban, républicain centre gauche, ancien élève de l’Ecole polytechnique et offi
cier supérieur d’artillerie en retraite; M. de Puységur, légitimiste, et M. Cazeaux, ancien magistrat de l’em
pire, substitut à Bordeaux, puis à Paris, bonapartiste. C’est ce dernier qui est arrivé en tête de la liste, avec 20 275 voix.M. Alicot en a obtenu 16412, et M. Brau
hauban 13158. Quant au candidat légitimiste, il n’a réuni que 1788 suffrages. Il y aura donc un scrutin de ballotage le 17 de ce mois. Si l’un des candidats li
béraux se retire devant l’autre, soit M. Brauhauban, qui a obtenu le moins de voix, devant M, Alicot, il n’y a pas lieu de douter que ce ne soit celui-ci qui l’em
porte, puisque à eux deux ils ont réuni près de 10000 suffrages de plus que le candidat bonapartiste; mais s’ils maintiennent l’un et l’autre leur candida
ture, il est certain que c’est M. Cazeaux qui succédera à M. de Goulard. Ce qu’il y a de particulièrement re
marquable dans le scrutin du 3 janvier, c’est le petit nombre de voix qui se sont portées sur le candidat légitimiste. Le 8 février 1871, dans le même département, M. de Franclieu avait obtenu 26139 voix.
En dehors du siège de M. de Goulard, qui sera occupé le 17, il y a encore huit sièges vacants à l’As
semblée nationale, dont celui de M. Ledru-Rollin, qui est mort le 31 décembre dernier, dans sa propriété de Fontenay-aux-Roses.
P. S. — Une crise ministérielle vient d’éclater.
Dans la séance du 6 janvier, après la lecture d’un message du président de la République, dans lequel le chef de l’Etat réclame avec insistance une seconde Chambre et repousse l’éventualité du règlement im
médiat de la transmission des pouvoirs en 1880, tout en laissant la Chambre libre de régler cette question dans l’hypothèse de sa mort avant celte date, M. Batbie est monté à la tribune pour demander la mise à l’ordre du jour, immédiatement après la loi des cadres, de la loi sur l’organisation du Sénat et de celle sur la transmission du pouvoir exécutif, en réclamant la priorité pour la première. M. de Chabaud-Lalour a vivement appuyé M. Batbie, mais malgré les instances du ministre de l’intérieur, l’Assemblée a repoussé la proposition à une forte majorité.
A la suite de ce vote, où les trois gauches, l’extrême droite et le groupe de l’appel au peuple se sont unis pour faire échec au ministère, celui-ci a, dit-on,
donné sa démission, et le bruit courait dans la soirée que le maréchal de Mac-Mahon avait chargé M. Du
faure de former un nouveau cabinet. Mais la nouvelle mérite confirmation.
ESPAGNE
Depuis notre dernier numéro, une nouvelle révolution militaire a eu lieu dans ce pays, et la république y a fait place à la monarchie constitutionnelle. Voici comment les choses se sont passées.
Le 28 décembre, le général Martinez Campos, qui avait été destitué à cause de ses sympathies alphonsistes, se souleva dans Sagunto, ville située à quatre lieues de Valence, et fit, à la tête de deux bataillons, un pronunciamento en faveur du fils de la reine Isa
belle, don Alphonse, prince des Asturies. Bientôt après, l’armée de Madrid et celle du Centre, qui avaient d’abord paru vouloir réprimer ce mouvement, y adhé
rèrent, ainsi que l’armée du Nord. Dès lors, il ne restait plus au ministère du maréchal Serrano qu’à se retirer, et MM. Primo de Rivera, capitaine général de Madrid, et Canovas del Castillo, chef du parti alphonsiste, définitivement maîtres de la situation, proclamèrent don Alphonse roi d’Espagne sous le nom d’Al
phonse XII, adressèrent une dépêche à la reine Isabelle, à Paris, pour l’informer de cet événement, et constituèrent un nouveau ministère, dont le télégraphe nous a apporté la composition, que voici :
Président du conseil : M. Canovas del Castillo, qui a dirigé l’éducation du prince Alphonse. — Finances : M. Salaverria, qui fut ministre sous O’Donnell, et com
mença les grands travaux publics en Espagne. — Marine ; le marquis de Molins, qui était ambassadeur à Londres lorsqu’éclata la révolution de 1868. —
Guerre ; le général Jovellar, qui commandait l’armée du Centre, et a été capitaine général de Cuba. — Co
lonies : M. Ayala, ministre dans le premier cabinet formé par le maréchal Serrano lorsqu’il était régent.
— Travaux publics ; le marquis Orovio, ministre sous Narvaez. -— Intérieur : M. Romero Robledo, membre de l’Union libérale, ministre sous le roi Amédée. — Affaires étrangères : M. Castro, ancien ministre sous Narvaez et ancien ambassadeur à Rome.
Les avis d’Espagne constatent que la proclamation d’Alphonse XII n’a rencontré nulle part de résistance.
Toutefois il convient d’ajouter que la municipalité de Madrid a été dissoute, et toutes les feuilles de l’oppo
sition supprimées. A la réception de ces nouvelles, le jeune et nouveau souverain, qui faisait son éducation dans un collège militaire d’Angleterre, partit aussitôt
pour Paris, d’où il vient de se mettre en route pour l’Espagne. On prétend, et c’est assez vraisemblable, que sa mère ne le suivra pas, au moins de sitôt. On annonce que le roi débarquera à Barcelone et se rendra de là à Valence et à Madrid, où la nouvelle municipalité se prépare à lui faire une réception splendide.
Quant au maréchal Serrano, dont l’attitude en toute cette affaire ne semble pas très-correcte, après s’être démis de ses fonctions officielles et de son comman
dement militaire, il a gagné le territoire français. Le 3, d’après les derniers télégrammes, il traversait Oloron, arrivait à Bayonne le 4, d’où il repartait presque aussitôt pour Biarritz, où il doit, dit-on, séjourner quelque temps.


COURRIER DE PARIS


Est-il quelque part, sous la lune, une situation plus bizarre que celle d’ambassadeur d’Espagne à Paris? Rien de si mobile. Un mi
nistre qui descend des Pyrénées pour venir faire de la diplomatie chez nous ne fournirait pas mal l’idée de l’oiseau sur la branche. Ce serait encore, si vous voulez, une ombre chinoise qui paraît,
brille une seconde et s’enfonce pour toujours dans les coulisses. Quand il se lève, le matin, à l’heure du chocolat, il n’est jamais sûr de se re
trouver dans le même hôtel, le soir, à l’heure du
lait de poule. Que d’ambassadeurs la péninsule Ibérique nous a envoyés. Depuis 1830, on en compterait 100 pour le moins !
Vous rappelez-vous M. de Toreno, le grand historien? Peu après lui, nous avons eu le divin Arguelles. Après celui-là, ça été l’illustre Mortimer de la Rosa, homme d’Etat et auteur dramatique, Il y a eu aussi, entre autres, le maréchal Serrano, puis M. Mon, puis le senor don Sallustiano de Olozaga, puis un autre, puis le dernier,
qui est un parfait hidalgo, fort bien venu de tout le grand monde.
A la veille du jour de l’an, M. l’ambassadeur s’occupait de donner une fête. Il s’agissait d’un dîner de gala, d’un bal avec cotillon, d’un raout,
n’importe. Tout à coup le fil électrique apprit à Son Excellence qu’une révolution venait d’éclater à Madrid. Ah ! c’était un mouvement des plus bénins. On n’y signalait ni un coup de fusil ni une goutte de sang. Un général venait de restaurer la monarchie en cinq minutes avec la dexté
rité qu’un autre général avait mise, il y a deux ans, à proclamer la république. Le tout finissait par une grande illumination et des guitares. A cette nouvelle, M. l’ambassadeur laissa là sa fête pour aller à son bureau ; il y écrivit trois lignes. Ces trois lignes étaient sa démission.
Voilà un flegme héroïque, j’espère, un acte de sang-froid dont les Français ne seraient certainement pas capables.
J’ai cité tout à l’heure le nom de Martinez de la Rosa.
Ce digne homme aussi a été un excellent ambassadeur d’Espagne.
Un soir, à la cour des Tuileries, où il y avait réception, il montrait à la princesse Clémentine une noix de coco dont il avait fait un fort joli vide-poches rien qu’avec la lame de son canif.
Louis-Philippe s’approcha et ne manqua pas de tomber en extase devant ce chef-d’œuvre de sculpture.