SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M Philibert Audebrand — Nos gravures : L’Exposition de Philadelphie de 1876: le palais des Beaux-Arts; — Le bateau Bessemer; — Le typhon du 20 août, au Japon; — Les Aztè
ques deSan Salvador; — Charles Garnier; — Le nouvel Opéra;
— Expériences d’optique faites entre l’Observatoire et la tour de Montlhéry. — Hiyotoko, nouvelle japonaise, par M. Peyremal (suite). — L’hiver à Monaco : la saison de 1875. — Sauvages et Civilisés, par Bertail. — Revue financière de la semaine. — Faits divers. — Le télégraphe multiple à fil unique.
Gravures : Le nouveau bateau Bessemer supprimant les effets du roulis : coupe du navire par le travers du grand salon. — Le typhon du 20 août au Japon : état des ruines de l’hôtel du gouverneur de Nangasaki, après la tempête; — L’hôtel du gou
verneur avant la tempête. — Les Aztèques : Maximo et Barthola.— L’Exposition universelle de 1876, à Philadelphie: plan général; — Le pavillon des Beaux-Arts. — Charles Gar
nier. - Le nouvel Opéra : bassin sous le grand escalier. — L’hiver à Monaco (7 gravures). — Expériences faites sur la vitesse de la lumière, au sommet de la tour de Montlhéry. — Sauvages et Civilisés, par Bertail (11) sujets). — L’appareil télégraphique Mayer permettant d’expédier simultanément plusieurs dépêches sur le même fil. — Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
Comme nous le disions dernièrement, l’ordonnance de non-lieu dans l’affaire du Comité de l’Appel au peuple devait faire du bruit et avoir des suites. D’abord, le 23 décembre, une interpellation a été déposée à ce sujet à l’Assemblée par M. Goblet ; puis le cinquième bureau, chargé de la vérification de l’élection de la Nièvre, ne pouvant obtenir du ministre de la justice communication du dossier de l instruction, prit, de son côté, la Chambre pour juge du différend. C’est M. Horace de Choiseul qui, comme rapporteur, a porté la parole.
On n’a pas oublié que, le 9 juin dernier, à l’occasion de l’élection de la Nièvre, un député, M. Girerd,
donnait lecture à la tribune de l’Assemblée d’une pièce très-curieuse paraissant révéler l’existence d’un Comité central, occulte et permanent, de l’Appel au peuple; et, qu’à la suite de cette communication une enquête judiciaire a^ait été ordonnée. C’est cette en
quête qui a été suivie d’une ordonnance de non-lieu, dont le ministre de la justice a fait connaître les termes au cinquième bureau, en même temps que les considérants qui 1’accompagnent.
Les poursuites comprenaient deux catégories de personnes : celles qui se trouvaient dans les condi
tions ordinaires, et celles que couvraient soit le grade occupé par elles dans la Légion d’honneur, soit les immunités parlementaires. Or, le 16 décembre, le procureur général ayant déclaré par lettre au procu
reur de la République qu’il ne croyait pas qu’il y eût lieu de poursuivre les secondes, le procureur de la République, vu cette lettre, conclut à une ordonnance de non-lieu en ce qui concernait les premières.
Le ministre, après avoir donné ces explications au cinquième bureau, refusa d’ailleurs, comme nous l’avons dit, de communiquer à la sous-commission le dossier complet de l’instruction. Par suite, « le cin
quième bureau, adilM. de Choiseul, s’est trouvé dans une situation fort délicate. M. de Rourgoing n’a dé
passé la majorité absolue que de 408 voix : la moindre manœuvre électorale un peu audacieuse et heureuse a pu amener son succès. N’étant pas suffisamment éclairé, le cinquième bureau ne peut donc proposer ni la validation ni l’invalidation de l’élection de M. de Bourgoing ». Et le rapport concluait à une enquête parlementaire qui pût jeter un peu plus de jour sur les faits ayant précédé et préparé l’élection de la Nièvre.
Ce rapport, écouté avec la plus grande attention, avait déjà fort ébranlé la Chambre; un discours de M. Ricard acheva de l’entraîner. M. Rouher lui-même, appelé à la tribune par ce dernier, ne put faire autre
ment que de-demander l’enquête, qui aura donc lieu.
Elle sera sans doute sérieuse et nous apprendra enfin si, oui ou non, le parti bonapartiste conspire. Quant à l’interpellation de M. Goblet, sur la demande de son auteur, elle a été ajournée jusqu’au moment où l’enquête sera terminée.
Cette discussion sur le rapport de M. de Choiseul avait été précédée de la deuxième délibération de la loi relative à la liberté de l’enseignement supérieur, et elle a été suivie de celle à laquelle a donné lieu le projet de loi autorisant la ville de Paris à emprunter 220 millions. Nous parlerons tout à l’heure de ce der
nier projet. Disons un mot d’abord de la première loi.
Cette deuxième délibération, qui a duré deux jours, n’a cependant abouti qu’au vote d’un seul article, le premier, qui affirme le principe même de la loi :
« l’enseignement supérieur est libre. » Mais à propos de l’article 2, qui est la conséquence naturelle du premier, elle a été brusquement interrompue. Cet ar
ticle est ainsi conçu ; « Tout Français majeur, n’ayant encouru aucune des incapacités prévues par l’article 7 de la présente loi, les associations formées dans un dessein d’enseignement supérieur, conformément à l’article 9 ci-après, les départements et les communes pourront ouvrir librement des cours et des établisse
ments d’enseignement supérieur aux seules conditions prescrites par les articles suivants. »
A cet article, MM. Adnet, Buisson (de l’Aude) et Henri Fournier, membres de la droite, ont proposé l’amendement suivant : « Les établissements libres devront être administrés par trois personnes au moins.
Ils devront comprendre au moins une Faculté ayant le même nombre de chaires que l’une des facultés simi
laires de l’Etat ; les professeurs devront être pourvus du grade de docteur. » C’est sur cet amendement que la bataille s’est engagée.
On comprend sans peine quelle modification profonde l’adoption de cet amendement apporterait à la nouvelle loi. La liberté de l’enseignement supérieur ne serait plus la destruction d’un privilège, du mono
pole de l Elat, mais tout simplement l’extension de ce monopole aux associations et aux corporations. C’est un système. Il peut avoir sa raison d’être et très-bien se soutenir, mais à la condition de découler de son vrai principe, qui n’est pas celui que proclame la loi proposée. Le rapporteur, M. Laboulaye, a naturelle
ment combattu l’amendement. Il y a mis beaucoup cle vivacité et, ajoutons-le, de talent. « S’il était adopté, a-t-il dit en terminant, nous nous désintéresserions
d’une loi qui ne serait plus la nôtre, car il nous serait impossible d’y reconnaître nos intentions et nos prin
cipes. » Malgré cette déclaration, la Chambre n’en a pas moins renvoyé l’amendement à la commission par 350 voix contre 325. Ce renvoi devait suspendre et a suspendu la délibération, et il ne laisse pas que de nous inspirer quelque crainte sur le sort final réservé à la loi. En effet, la commission sera habile si elle parvient à faire un heureux mariage de l’article 2 et de l’amendement de M. Adnet !
L’interruption de la discussion de la loi sur la liberté de l’enseignement supérieur a permis à la Chambre de s’occuper du projet de loi autorisant la ville de Paris à emprunter, pour liquider sa situalion, 220 millions, chiffre auquel s’était arrêté le conseil municipal, nonobstant la demande du préfet, qui proposait d’élever la somme à 260 millions. La proposition de la commission des finances du conseil diffé
rait de celle du préfet en ce qu’elle demandait, en plus ; 500 000 francs pour rectification du montant de l’emprunt spécial de la Vanne, à convertir ; 2 millions à l’article des travaux d’architecture à achever ; 4 mil
lions à l’article des écoles ; — en moins : 20 millions sur la consolidation de la dette flottante ; 8 millions sur le déficit du budget; 2 500000 francs sur les égouts; 1500000 francs sur les travaux d’architecture à entreprendre; il millions et demi sur les opérations de voirie, et 3 millions sur les frais de l’emprunt.
Voici, d’autre part, la liste des opérations de voirie que l’emprunt va permettre de réaliser :
Il est accordé 255000 fr. pour le débouché delà rue de Turenne sur la rue Saint-Antoine ; — 5 mil
lions pour le boulevard Henri IV, de la place de la Bastille au nouveau pont Saint-Germain ; — 1 million pour l’acquisition des maisons de la rue Soufflot dont la Ville n’était pas encore propriétaire, et qu’elle va démolir ; — 8 millions pour continuer le boulevard Saint-Germain, de la rue Hautefeuille à la rue de l’Odéon, en dégageant l’Ecole-de-Médecine par der
rière ; — 2300000 fr. pour la rue du Four et la rue du Vieux-Colombier ; — 1 800000 fr. pour les abords de Saint-Germain-des-Prés ; — 560000 fr. pour les rues de l’Aqueduc, du Chaudron et de Ghâteau- Landon, dans le faubourg Saint-Martin;—2500000fr.
pour la rue de Tolbiac, entre la rue de la Glacière et l’avenue de Choisy; — 200000 fr. pour l’avenue de Montsouris ; —150000 fr. pour le chemin des Plantes ; — 420 000 fr. pour le prolongement de la rue Croix- Nivert;—100 000 fr. pour la rue Péclet;—300000 fr. pour les abords de l’église d’Auteuil;—400000 fr. pour la rue Legendre ; — 300000 fr. pour la rue Jessaint; — 300000 fr. pour la rue Danrémont; —
2 millions pour les rues Ordener, Caulaincourt, Championnet et le boulevard Chasseloup - Laubat ; — 300000 fr. pour la rue Curial ; — 1 million pour le prolongement et le raccordement de la rue des Cou
ronnes, à Ménilmontant; —400000 fr. pour la rue des Bois, à Belleville; — 1065000 fr. pour le déga
gement de Notre-Dame-de-la-Croix et d’autres travaux dans les environs; et 1 970000 fr. pour l’imprévu.
La Chambre a autorisé la ville de Paris à contracter
l’emprunt dont il s’agit, après avoir repoussé un amendement de M. de Durfort de Civrac, qui demandait qu’il fut réduit des 12 millions destinés à la créa
tion du cimetière de Méry-sur-Oise. M. de Durfort a reproduit tous les arguments qu’avaient déjà fait valoir, mais en vain, contre la création de ce cimetière, la minorité du conseil municipal. Ces arguments n’ont pas touché la Chambre. Elle n’avait pas d’ailleurs à se prononcer sur les détails de l’emploi de l’argent à emprunter. Il s’agissait pour elle, non de voter la création d’un cimetière à Méry-sur-Oise, mais d’auto
riser Paris à emprunter sur une somme totale de
220 millions, 12 millions pour les cimetières. Y avaitil lieu de lui refuser ces 12 millions? C’était sur ce point seulement que la Chambre devait se prononcer,
et elle l’a fait, comme nous l’avons dit, en repoussant l’amendement de M. de Durfort par 441 voix contre 197, après quoi elle s’est ajournée au 5 janvier pro
chain. Espérons que les députés auront employé le congé qu’ils se sont octroyé pour préparer, de façon qu’elle puisse aboutir, la discussion des lois consti
tutionnelles, ou tout au moins une résolution qui sorte enfin le pays de la triste situation dans laquelle le maintient la trop longue impuissance de sa représentation.
ITALIE
Dans le consistoire tenu le 21 décembre dernier, le Pape a préconisé une vingtaine d’évêques, parmi lesquels le nouvel évêque de Tarbes, M. Jourdan. En recevant ce dernier, S. S. a exprimé avec émotion ses vœux pour le bonheur de la France.
Le Pape a reçu ensuite les hommages des cardinaux à l’occasion drs fêtes de Noël, et il a répondu à l’allo
cution du cardinal Patrizzi par des paroles témoignant avec énergie de son espérance dans l’avenir.
SUISSE
L’Assemblée fédérale, siégeant les deux Chambres réunies, a procédé le 17 décembre à l’élection du pré
sident et du vice-président de la Confédération pour 1875. Elle a élu M. Schérer, du canton de Zurich,
président, et M. Borel, du canton de Neufchâtel, viceprésident.
M. Welti, vice-président actuel, a décliné toute candidature à la présidence afin de rester au poste du département militaire et de consacrer ses soins à la mise à exécution de la nouvelle loi militaire.
En historien des petites choses de la semaine, j’ai dû tenir bonne note d’une scène qui s’est passée, cette nuit même, dans Paris. Ne prenez pas ce que je raconte à ce sujet pour un conte bleu. Rien de plus réel que ce récit qui a, du reste, été fixé sur mon papier par les pro
cédés de la sténographie. — Onze heures et demie venaient de sonner à l’Observatoire. Un vieillard,
nu, ridé, chauve, emmanché de grandes ailes, se tenait de planton, une faux à la main, près de la porte d’Enfer. Au moment où il souillait dans ses doigts pour se réchauffer, on gratta vivement. A ce bruit, le vieillard dressa l’oreille.
Une voix, au dehors. — Eh ! père de toutes choses, ouvrez donc !
Le Temps. — Qui est là?
L’Année 1875. — Moi, votre dix-huit cent soixante-quinzième fille, depuis la naissance du Christ.
Le Temps, tirant sa montre. — Vous êtes en avance, la belle.
L’Année 1875. — C’est que j’ai voulu causer un peu avec ma sœur avant que vous ne l’emportiez aux cinq cent mille diables.
Le Temps, ouvrant.—Allons, ne m’exposez pas trop à être entre deux airs ; passez vite. (Se tournant vers l’année 1871.) Et vous, ma fille, dépê
chez-vous ; vous n’avez plus qu’un quart d’heure à vivre.
L’Année 187A. —Encore un petit moment que je confesse mes iniquités à ma sœur.
Le Temps. — Bon ! le chapelet sera longcomme d’ici à Pontoise !
L’Année 1875. — Si elle dit tout, je vais en entendre de belles.
Courrier de Paris