L’Année 1874. — Ma sœur, approchez-vous, je ne vous cacherai rien. Ayez toujours présent à la mémoire le bouquet de sottises que je vais effeuiller devant vous et tâchez de ne pas en avoir un semblable à montrer à votre sœur future de 1876.
L’Année 1875. — Je vous écoute, mais allez-y rondement.
L’Année 1874. — Ayant faussement promis d’apaiser les consciences, je m’accuse d’avoir entretenu pendant douze mois la cacophonie politique la plus sotte qu’on puisse imaginer.
Le Temps, à part. — La coquine !
L’Année 1874. — A mon arrivée, j’avais dit aux Français : « Mettez toutes vos sottes querelles » au fond d’un sac et jetez pour toujours ce sac » au fond de la mer. » Vaine promesse, puisque je n’ai fait que favoriser les rixes et les conflits. Il y avait naguère quatre partis ; il y en a maintenant huit pour le moins.
Le Temps, à part. — La guenippe !
L’Année 1874. — En présence d’une France humiliée, appauvrie, mutilée, j’aurais dû, avant tout, raffermir l’esprit public, refaire les finances, créer des frontières, refondre l’armée, sauvegar
j’ai cherché à effeminer la nation le plus possible comme tant d’autres de mes aînées ; j’ai poussé les femmes à la dissipation, les jeunes gens à Mabille, les hommes à l’opérette, les masses à l’assoupissement et à la crapule.
Le Temps, à part. — La scélérate!
L’Année 1874. — En littérature, en matière de beaux-arts, en fait de théâtre, j’ai...
Le Temps, avec force. — Pardieu ! vous avez fait des chefs-d’œuvre dont il n’y a pas à se vanter.
L’Année 1874. — En diplomatie...
Le Temps. — Ma fille, je vous conseille de ne pas entamer ce chapitre-là ; vous n’avez plus que deux minutes.
L’Année 1874. — En fait de morale politique, je n’ai pas su même garder à Nouméa et à J’île Sainte-Marguerite des prisonniers qui avaient des forts à escalader et la mer à franchir.
Le Temps, à part. — La pendarde !
L’Année 1875. — En fait d’économie...
Le Temps. — Plus un mot ; d’abord, vous n’a vez rien de bon à dire là-dessus ; ensuite il ne vous reste plus que soixante secondes.
L’Année 1874 à l’Année 1875. — O ma sœur ! j’espère que le ciel vous préservera de tomber dans tant d’énormités ! Puisse la confession que vous aurez à faire à l’Année 1876 être moins lourde que celle que je viens de vous détailler.
Le T emps, poussant le ressort de son remontoir. — Minuit ! Assez, la vieille ! (Il la prend sous ses bras pour l’emporter. S’adressant ensuite à l’année 1875.) Et vous, jolie petite pécore, je vous attends dans trois cent soixante-cinq jours, à la saint Sylvestre. Vous avez douze mois devant vous ; les mettrez-vous à profit? Allons, adieu, jusque-là. Nous verrons, à l’époque dite, quelles litanies vous nous débiterez à votre tour.
II dit et s’envole sur ses ailes déplumées, emportant avec lui la vieille année qui vient de finir.
— Mil huit cent soixante-quinze, la nouvelle reine de l’almanach, reste en compagnie d’un cicerone, Mathieu Laënsberg, qui lui montre une grande abondance de jouets d’enfants et de crises ministérielles. La nouvelle débarquée s’en va vi
siter, en riant, la Foire aux Etrennes, sur les boulevards.
Mon Dieu, oui, l’année est finie; le Temps vient de l’emporter. Il est à peu près certain qu’il ne restera rien d’elle. Néanmoins gardonsnous de peindre les choses trop en noir. En dis
paraissant, cette année 1874 n’aura pas manqué d’allure. Pendant sa dernière semaine il se sera révélé plus d’un fait notable. On a fondé une so
ciété de tir comme il en existe une en Suisse.
L’arquebuse passera de main en main de l’homme mûr au jeune homme, de l’éphèbe à l’enfant. Nous éprouvons le besoin de nous refaire au
point de vue des muscles ; l’exercice en question y aidera. A cette société se ramifieront tous les lycées de France, de manière à instituer des as
pirants au volontariat d’un an. Un bon point,
donc, en passant, aux cinq députés qui ont eu la patriotique pensée d’acclimater le tir chez nous, dans les dix mille principales communes de France.
II existe à Paris de riches colonies étrangères : l’anglaise, la russe, i’américaine-yankee,
l’espagnole, l’italienne. Toutes ont donné de grands dîners. Sous Louis XIV, une Allemande qui ne nous aimait pas, la princesse Palatine, mère du Régent, écrivait ironiquement à une al
tesse de sa famille : « Quand les Français ne se » battent pas, ils deviennent de grands cuisi» niers. — Heureusement pour l’Europe, » ré
pliquait le comte de Cobentzel. Un autre grand seigneur d’outre-Rhin, le prince de Kaunitz, a dit plus tard : « On ne dîne qu’à Paris. »
— Pardon ! veuillez y mettre un peu de bonne volonté, et vous conviendrez qu’on fait à Paris beaucoup d’autres choses qu’on ne s’entend pas aussi bien à faire ailleurs, fût-ce en Allemagne. « Sans Paris, pas de rayonnement sur le front de » l’artiste, » s’écriait Paganini. Et Rubini : « Com» ment se fait-il donc que je ne chante réelle
» ment bien qu’à Paris? » Christine Nilsson est probablement de l’opinion du grand ténor, puis
qu’elle vient de quitter Vienne pour venir à grande vitesse se préparer à l’ouverture du nouvel Opéra.
Ce qu’on fait encore à Paris, ce qu’on ne sait bien faire que là, c’est une vente d’objets d’art. Cent peintres de tous les pays le savent ; Carrier- Relieuse et Carpeaux, deux de nos sculpteurs, viennent de l’expérimenter à leur tour. Ce mou
rappelle les beaux vers que Voltaire adressait jadis à Barthe, qui avait écrit à l’auteur de Can
dide : « Vous le voyez, on vient de donner votre » nom à un vaisseau qui va sillonner toutes les » mers.—Soit, répondait le patriarche avec son » intarissable finesse, que mon nom parcoure le » monde entier; pour moi, je tiens à ne pas » quitter Paris. » C’est là ce que n’a manqué de dire à son tour l’excellent Corot, le maître du paysage.
Corot est toujours l’artiste qu’aiment tous les contemporains, sans en excepter un seul. On se le représente tel qu’il est dans son atelier de la rue de Paradis-Poissonnière, en vareuse, coiffé d’un bonnet de coton rayé, le bonnet des pein
tres; il a toujours le même sourire bienveillant, la même parole qui ne sait dire que des choses aimables ou gaies. Mais que voulez-vous? L’âge est venu. Un affaiblissement, qu’on espère ne
devoir être que momentané, s’est révélé chez cet artiste, dont les bonnes actions égalent en nom
bre les bons tableaux. Le docteur est appelé et il rédige une ordonnance d’un ton sévère : « Plus » de travail, plus de pipes. Rien que du repos,
» du moins jusqu’au soleil d’avril. » Ne pas peindre, ne pas fumer, double privation pour ce La Fontaine du paysage, et Corot de s’attrister. Mais, en même temps, pour servir de contre
poids aux prescriptions du médecin, les élèves et les amis se groupent; on fait une souscription à l’effet d’offrir un témoignage d’affection au char
on forme une médaille en or, le pendant de la croix de Corot ; on la lui offre dans une fête fra
ternelle, au Grand-Hôtel. Il est convenu, en outre, qu’il sera tiré une copie en bronze de la
dite médaille, et, par acclamation, il est décidé que ce second exemplaire sera déposé en un en
droit quelconque du pays natal du peintre, par exemple au musée Carnavalet.
Trouveriez-vous donc l’équivalent de ce fait ailleurs qu’à Paris ?
On s’est fort préoccupé et Ton parle encore un peu de la loi sur l’instruction supérieure, sorte de tapisserie de Pénélope, faite, défaite,
refaite et qui sera, peut-être, en fin de compte, terminée un jour ou l’autre. Que l’enseignement supérieur s’étende sur la France entière, rien de mieux ; néanmoins, un homme de sens (il y en a, par hasard, quelques-uns à l’Assemblée natio
nale) faisait tout haut une réflexion au sujet de ce merveilleux projet.
En 1880, lors de l’avénement de Louis-Philippe, trois hommes illustres s’occupaient de dé
crasser la France intellectuellement; nommons MM. Cousin, Villemain et Guizot. Tous trois rê
Et ils y ont presque réussi. A l’heure qu’il est les bacheliers ès lettres sont un peu partout, dans les administrations publiques, mais il y en a aussi bon nombre sur le pavé. Pour ceux-là, on en compte 25 000, au bas mot.
— Voulez-vous donc en faire 100000 autres? disait l’homme de bon sens dont je vous ai parlé.
Il voulait et il veut qu’on fasse de préférence des agronomes, des forestiers, des laboureurs, des gens sachant ce que c’est que la main-d’œuvre.
A l’appui de son opinion, ce député un peu âpre racontait l’anecdote suivante, dont il affirme avoir été le témoin.
La scène se passait à la Sorbonne.
M. Saint-Marc Girardin, professeur d’histoire, adressait la question suivante à un candidat au baccalauréat.
— Socrate est mort, monsieur...
— Oui, nous nous en doutons ; mais comment ?
Un camarade du patient eut pitié de lui; il lui siffla tout bas : — La ciguë !
— Socrate est mort de lassitude, répondit enfin le candidat avec aplomb.
— Très-bien, répliqua le professeur. Puisque vous êtes si fort en histoire ancienne, vous devez l’être bien plus en histoire moderne. Le nom de la mère de Henri IV est-il venu jusqu’à vous ?
— Je le connais, monsieur, c’est...
Même hésitation. Le siffleur siffla cette fois à demi-voix :
— Jeanne d’Albret.
— La mère de Henri IV, monsieur, dit avec fermeté le candidat, c’est Jeanne d’Arc.
— Gomment ! la pucelle d’Orléans ? — Oui, monsieur.
— Parfait. Allez vous asseoir.
— Atténdez, riposta un autre examinateur (M. Lefébure de Fourcy). Il ne faut pas effarou
cher ce garçon. Je parie qu’en l’interrogeant avec douceur on obtiendra de lui d’excellentes réponses. Revenez, mon ami, et ne vous troublez pas. D’où êtes-vous?
— Je suis de Chollet, monsieur.
— Oui, monsieur; il y a des rivières, des prairies; l’air y est très-bon.
— De mieux en mieux. Que fait monsieur votre père?
— Il fabrique de la toile, monsieur, des draps, des serviettes, des mouchoirs surtout. Nous en expédions dans toute la France et même en Amérique.
—C’est tout à fait bien. Vous voyez, ajouta M. Lefébure de Fourcy, en se tournant vers ses collègues ; quand on lui demande des choses qu’il sait, ce jeune homme répond comme un ange. Retournez à Chollet, mon ami, faites de la toile, et mes compliments à M. votre père.
Or, ajouta le narrateur, il a été refusé. S’il eût été reçu, il serait sans doute devenu un mauvais avocat, un mauvais médecin, ou même un mauvais homme de lettres. Au lieu de ça il est millionnaire et fort considéré.
— Vous le connaissez donc?
— Si je le connais? Je crois bien, puisque c’est moi-même.
Philibert Audebran
L’Année 1875. — Je vous écoute, mais allez-y rondement.
L’Année 1874. — Ayant faussement promis d’apaiser les consciences, je m’accuse d’avoir entretenu pendant douze mois la cacophonie politique la plus sotte qu’on puisse imaginer.
Le Temps, à part. — La coquine !
L’Année 1874. — A mon arrivée, j’avais dit aux Français : « Mettez toutes vos sottes querelles » au fond d’un sac et jetez pour toujours ce sac » au fond de la mer. » Vaine promesse, puisque je n’ai fait que favoriser les rixes et les conflits. Il y avait naguère quatre partis ; il y en a maintenant huit pour le moins.
Le Temps, à part. — La guenippe !
L’Année 1874. — En présence d’une France humiliée, appauvrie, mutilée, j’aurais dû, avant tout, raffermir l’esprit public, refaire les finances, créer des frontières, refondre l’armée, sauvegar
der l’avenir. Au lieu de ce labeur patriotique,
j’ai cherché à effeminer la nation le plus possible comme tant d’autres de mes aînées ; j’ai poussé les femmes à la dissipation, les jeunes gens à Mabille, les hommes à l’opérette, les masses à l’assoupissement et à la crapule.
Le Temps, à part. — La scélérate!
L’Année 1874. — En littérature, en matière de beaux-arts, en fait de théâtre, j’ai...
Le Temps, avec force. — Pardieu ! vous avez fait des chefs-d’œuvre dont il n’y a pas à se vanter.
L’Année 1874. — En diplomatie...
Le Temps. — Ma fille, je vous conseille de ne pas entamer ce chapitre-là ; vous n’avez plus que deux minutes.
L’Année 1874. — En fait de morale politique, je n’ai pas su même garder à Nouméa et à J’île Sainte-Marguerite des prisonniers qui avaient des forts à escalader et la mer à franchir.
Le Temps, à part. — La pendarde !
L’Année 1875. — En fait d’économie...
Le Temps. — Plus un mot ; d’abord, vous n’a vez rien de bon à dire là-dessus ; ensuite il ne vous reste plus que soixante secondes.
L’Année 1874 à l’Année 1875. — O ma sœur ! j’espère que le ciel vous préservera de tomber dans tant d’énormités ! Puisse la confession que vous aurez à faire à l’Année 1876 être moins lourde que celle que je viens de vous détailler.
Le T emps, poussant le ressort de son remontoir. — Minuit ! Assez, la vieille ! (Il la prend sous ses bras pour l’emporter. S’adressant ensuite à l’année 1875.) Et vous, jolie petite pécore, je vous attends dans trois cent soixante-cinq jours, à la saint Sylvestre. Vous avez douze mois devant vous ; les mettrez-vous à profit? Allons, adieu, jusque-là. Nous verrons, à l’époque dite, quelles litanies vous nous débiterez à votre tour.
II dit et s’envole sur ses ailes déplumées, emportant avec lui la vieille année qui vient de finir.
— Mil huit cent soixante-quinze, la nouvelle reine de l’almanach, reste en compagnie d’un cicerone, Mathieu Laënsberg, qui lui montre une grande abondance de jouets d’enfants et de crises ministérielles. La nouvelle débarquée s’en va vi
siter, en riant, la Foire aux Etrennes, sur les boulevards.
Mon Dieu, oui, l’année est finie; le Temps vient de l’emporter. Il est à peu près certain qu’il ne restera rien d’elle. Néanmoins gardonsnous de peindre les choses trop en noir. En dis
paraissant, cette année 1874 n’aura pas manqué d’allure. Pendant sa dernière semaine il se sera révélé plus d’un fait notable. On a fondé une so
ciété de tir comme il en existe une en Suisse.
L’arquebuse passera de main en main de l’homme mûr au jeune homme, de l’éphèbe à l’enfant. Nous éprouvons le besoin de nous refaire au
point de vue des muscles ; l’exercice en question y aidera. A cette société se ramifieront tous les lycées de France, de manière à instituer des as
pirants au volontariat d’un an. Un bon point,
donc, en passant, aux cinq députés qui ont eu la patriotique pensée d’acclimater le tir chez nous, dans les dix mille principales communes de France.
II existe à Paris de riches colonies étrangères : l’anglaise, la russe, i’américaine-yankee,
l’espagnole, l’italienne. Toutes ont donné de grands dîners. Sous Louis XIV, une Allemande qui ne nous aimait pas, la princesse Palatine, mère du Régent, écrivait ironiquement à une al
tesse de sa famille : « Quand les Français ne se » battent pas, ils deviennent de grands cuisi» niers. — Heureusement pour l’Europe, » ré
pliquait le comte de Cobentzel. Un autre grand seigneur d’outre-Rhin, le prince de Kaunitz, a dit plus tard : « On ne dîne qu’à Paris. »
— Pardon ! veuillez y mettre un peu de bonne volonté, et vous conviendrez qu’on fait à Paris beaucoup d’autres choses qu’on ne s’entend pas aussi bien à faire ailleurs, fût-ce en Allemagne. « Sans Paris, pas de rayonnement sur le front de » l’artiste, » s’écriait Paganini. Et Rubini : « Com» ment se fait-il donc que je ne chante réelle
» ment bien qu’à Paris? » Christine Nilsson est probablement de l’opinion du grand ténor, puis
qu’elle vient de quitter Vienne pour venir à grande vitesse se préparer à l’ouverture du nouvel Opéra.
Ce qu’on fait encore à Paris, ce qu’on ne sait bien faire que là, c’est une vente d’objets d’art. Cent peintres de tous les pays le savent ; Carrier- Relieuse et Carpeaux, deux de nos sculpteurs, viennent de l’expérimenter à leur tour. Ce mou
vement sans pareil qui se fait sans cesse à Paris
rappelle les beaux vers que Voltaire adressait jadis à Barthe, qui avait écrit à l’auteur de Can
dide : « Vous le voyez, on vient de donner votre » nom à un vaisseau qui va sillonner toutes les » mers.—Soit, répondait le patriarche avec son » intarissable finesse, que mon nom parcoure le » monde entier; pour moi, je tiens à ne pas » quitter Paris. » C’est là ce que n’a manqué de dire à son tour l’excellent Corot, le maître du paysage.
Corot est toujours l’artiste qu’aiment tous les contemporains, sans en excepter un seul. On se le représente tel qu’il est dans son atelier de la rue de Paradis-Poissonnière, en vareuse, coiffé d’un bonnet de coton rayé, le bonnet des pein
tres; il a toujours le même sourire bienveillant, la même parole qui ne sait dire que des choses aimables ou gaies. Mais que voulez-vous? L’âge est venu. Un affaiblissement, qu’on espère ne
devoir être que momentané, s’est révélé chez cet artiste, dont les bonnes actions égalent en nom
bre les bons tableaux. Le docteur est appelé et il rédige une ordonnance d’un ton sévère : « Plus » de travail, plus de pipes. Rien que du repos,
» du moins jusqu’au soleil d’avril. » Ne pas peindre, ne pas fumer, double privation pour ce La Fontaine du paysage, et Corot de s’attrister. Mais, en même temps, pour servir de contre
poids aux prescriptions du médecin, les élèves et les amis se groupent; on fait une souscription à l’effet d’offrir un témoignage d’affection au char
mant vieillard. Cette collecte a pu réunir, en quelques jours, 4500 francs. Avec cette somme,
on forme une médaille en or, le pendant de la croix de Corot ; on la lui offre dans une fête fra
ternelle, au Grand-Hôtel. Il est convenu, en outre, qu’il sera tiré une copie en bronze de la
dite médaille, et, par acclamation, il est décidé que ce second exemplaire sera déposé en un en
droit quelconque du pays natal du peintre, par exemple au musée Carnavalet.
Trouveriez-vous donc l’équivalent de ce fait ailleurs qu’à Paris ?
On s’est fort préoccupé et Ton parle encore un peu de la loi sur l’instruction supérieure, sorte de tapisserie de Pénélope, faite, défaite,
refaite et qui sera, peut-être, en fin de compte, terminée un jour ou l’autre. Que l’enseignement supérieur s’étende sur la France entière, rien de mieux ; néanmoins, un homme de sens (il y en a, par hasard, quelques-uns à l’Assemblée natio
nale) faisait tout haut une réflexion au sujet de ce merveilleux projet.
En 1880, lors de l’avénement de Louis-Philippe, trois hommes illustres s’occupaient de dé
crasser la France intellectuellement; nommons MM. Cousin, Villemain et Guizot. Tous trois rê
vaient de couvrir le sol de bacheliers ès lettres.
Et ils y ont presque réussi. A l’heure qu’il est les bacheliers ès lettres sont un peu partout, dans les administrations publiques, mais il y en a aussi bon nombre sur le pavé. Pour ceux-là, on en compte 25 000, au bas mot.
— Voulez-vous donc en faire 100000 autres? disait l’homme de bon sens dont je vous ai parlé.
Il voulait et il veut qu’on fasse de préférence des agronomes, des forestiers, des laboureurs, des gens sachant ce que c’est que la main-d’œuvre.
A l’appui de son opinion, ce député un peu âpre racontait l’anecdote suivante, dont il affirme avoir été le témoin.
La scène se passait à la Sorbonne.
M. Saint-Marc Girardin, professeur d’histoire, adressait la question suivante à un candidat au baccalauréat.
— Dites-moi, monsieur, à quel genre de mort a succombé Socrate?
Le jeune homme hésitait.
— Socrate est mort, monsieur...
— Oui, nous nous en doutons ; mais comment ?
Un camarade du patient eut pitié de lui; il lui siffla tout bas : — La ciguë !
— Socrate est mort de lassitude, répondit enfin le candidat avec aplomb.
— Très-bien, répliqua le professeur. Puisque vous êtes si fort en histoire ancienne, vous devez l’être bien plus en histoire moderne. Le nom de la mère de Henri IV est-il venu jusqu’à vous ?
— Je le connais, monsieur, c’est...
Même hésitation. Le siffleur siffla cette fois à demi-voix :
— Jeanne d’Albret.
— La mère de Henri IV, monsieur, dit avec fermeté le candidat, c’est Jeanne d’Arc.
— Gomment ! la pucelle d’Orléans ? — Oui, monsieur.
— Parfait. Allez vous asseoir.
— Atténdez, riposta un autre examinateur (M. Lefébure de Fourcy). Il ne faut pas effarou
cher ce garçon. Je parie qu’en l’interrogeant avec douceur on obtiendra de lui d’excellentes réponses. Revenez, mon ami, et ne vous troublez pas. D’où êtes-vous?
— Je suis de Chollet, monsieur.
— Très-bien. Est-ce un beau pays?
— Oui, monsieur; il y a des rivières, des prairies; l’air y est très-bon.
— De mieux en mieux. Que fait monsieur votre père?
— Il fabrique de la toile, monsieur, des draps, des serviettes, des mouchoirs surtout. Nous en expédions dans toute la France et même en Amérique.
—C’est tout à fait bien. Vous voyez, ajouta M. Lefébure de Fourcy, en se tournant vers ses collègues ; quand on lui demande des choses qu’il sait, ce jeune homme répond comme un ange. Retournez à Chollet, mon ami, faites de la toile, et mes compliments à M. votre père.
Or, ajouta le narrateur, il a été refusé. S’il eût été reçu, il serait sans doute devenu un mauvais avocat, un mauvais médecin, ou même un mauvais homme de lettres. Au lieu de ça il est millionnaire et fort considéré.
— Vous le connaissez donc?
— Si je le connais? Je crois bien, puisque c’est moi-même.
Philibert Audebran