Nous ne connaissons pas encore les dispositions adoptées pour les bâtiments de la partie industrielle de l’Exposition, mais, dès aujourd’hui, nous pouvons mettre sous les yeux de nos lecteurs une vue du palais destiné aux beaux-arts.
Ce bâtiment, exclusivement construit en granit, fer et verre, sur les plans de M. Schwartzman, s’élève sur la partie culminante du plateau de Landsdowne, do
minant lui-même tout le parc. Il aura une longueur de 111 mètres sur une largeur de 64. La façade prin
cipale, celle du sud, regarde la ville ; elle se compose d’un pavillon central se reliant par des galeries à deux ailes extrêmes. Trois portes cintrées pratiquées sur la façade du pavillon central donnent accès dans le pa
lais qui reçoit le jour par ses toitures et par un dôme en fer et en verre s’élevant à 45 mètres de hauteur.
D’autres portes, qui s’ouvrent sur la façade du nord et sur celle des pavillons latéraux, portent le nombre des entrées à treize, nombre des colonies qui, à l’o­ rigine, formèrent les Etats-Unis.
Des emblèmes des sciences et des arts supportés par des groupes de colonnes, les statues des quatre parties du monde se dressant aux quatre angles de la base du dôme, et. au-dessus de celui-ci la statue co
lossale de l’Amérique, tels sont les principaux motifs décoratifs du futur palais des beaux-arts de Philadelphie.
A l’intérieur, règne une grande salle ou halle centrale d’exposition, à laquelle font suite des galeries larges, élevées, bien éclairées. Salles et galeries, des
tinées aux œuvres de la peinture et de la sculpture,
forment un ensemble de 87 mètres de long sur 26 de large, pouvant contenir à la fois huit mille personnes.
Des galeries de moindre importance et des salles éclairées par de hautes et larges fenêtres sont desti
nées à servir de cabinets d’étude ou seront réservées à des expositions particulières.
Tel est, dans ses données principales, l’édifice que Philadelphie va voir s’élever en l’honneur des beauxarts et que la ville se propose de conserver comme musée lorsque l’exposition sera terminée. P. L.
Le bateau Bessemer
Nous avons déjà parlé l’année dernière de ce bateau, dont nous avons alors expliqué le mécanisme. Il a pour but, on le sait, de supprimer le mal de mer en mettant les cabines des navires à l’abri des effets du roulis. Le procédé employé par M. Dessemer pour arriver à ce résultat consiste, nous l’avons dit, à sus
pendre le salon ou la cabine sur des pivots qui lui permettent de rester toujours dans une position verti
cale, quelle que soit celle de la coque du navire. C’est ce que fait clairement voir le dessin que nous donnons aujourd’hui.
Le bateau Bessemer a été lancé la semaine dernière. Des essais fai s dans ÏHumber ont permis de constater que sa marche atteint une vitesse de 22 ki
lomètres à l’heure, vitesse qui sera encore augmentée quand les machines auront été complétées, et permet
tra de faire en une heure environ la traversée du Pas-de-Calais.
Le typhon du 20 août, au Japon
Le 20 août dernier, un typhon d’une violence extraordinaire s’est abattu sur la ville de Nangasaki, dans l’ile de Kiou-Siou, et y a causé ainsi que dans toute la région les plus grands ravages.
Les sinistres ont été nombreux dans la rade, sur la côte occidentale particulièrement. Plus de trois cents embarcations, dont cent grosses jonques, étaient ve
nues s’y briser, entraînant la mort de deux cent quatre-vingt-dix personnes. Quatre vaisseaux de haut bord avaient également échoué, parmi lesquels le Madras, appartenant à la compagnie anglaise la Péninsulaire, et /’Azuma-Kan, monitor cuirassé japo
nais, l’ancien Stone-Wall, fabriqué à Bordeaux pour les Etats-Unis, pendant la guerre delà Sécession.
Le pont conduisant à l’îlotdeDeskima avait été rompu. ..Sur cet îlot, ancienne factorerie hollandaise, seul ? point de contact entre le Japon et le reste du monde depuis 1638 jusqu’à ces dernières années, plusieurs maisons européennes avaient été effondrées, et le bazar, où se vend surtout la porcelaine de Fizen, bouleversé.
Dans la ville de Nangasaki, les dommages n’avaient pas été moindres. Ce n’étaient partout que débris, toitures renversées, maisons rasées ou ayant leurs
façades arrachées. Le bâtiment de la douane était complètement détruit, ainsi que le palais du gouverneur, que l’on venait d’achever depuis quelques semaines seulement. Les dessins que nous donnons représentent ce palais avant et après le typhon, dont ils
feront comprendre toute la fureur qui a été telle que, dans une maison voisine de la concession européenne,
une embarcation de 15 mètres a été lancée de la rade par-dessus les arbres et le mur du jardin, et est venue tomber au beau milieu d’une pelouse !
La rafale avait commencé à souffler vers neuf heures du soir. A minuit et demi, elle atteignait son maxi
mum d’intensité (le baromètre étant alors descendu à 719 millimètres), et c’est quelques secondes après celte heure que se fit sentir la courte accalmie qui sépare toujours la phase ascendante et la phase descendante du typhon.
Les Aztèques de San Salvador
Dans la dernière séance de la Société d’anthropologie on a examiné les deux microcéphales vivants, connus sous le nom d Aztèques. Ces phénomènes,
homme et femme, font leur seconde apparition dans la capitale ; ils furent déjà offerts à la curiosité pari
sienne en 1855; nous les retrouvons aujourd’hui âgés, grandis et dans un état mental voisin de l’idiotisme, l’intelligence ayant très-peu progressé chez eux depuis vingt ans.
On pense que l’Aztèquemasculin a trente-deux ans, il a nom Maximo, sa taille est de 1 mètre 35 centimètres; il jouit d’une bonne santé, malgré sa chétive appa
rence et l’extrême maigreur de ses jambes, dont la direction a été faussée dès son enfance par l’habitude de les maintenir dans une position bizarre, que des fanatiques avaient fait prendre à cet enfant disgracié delà nature. Les habitants de Guatemala et des environs de San Salvador adoraient, dit-on, ces malheureux comme des êtres surnaturels.
Maximo paraît être plus intelligent que sa femme; celle-ci se nomme Barthola, sa taille est de 1 mètre
30 centimètres ; elle est plus forte et mieux constituée que son mari : ses épaules sont larges, ses seins bien
formés et ses jambes droites. Chez les deux sujets, la teinte de la peau est plus foncée que celle des mulâ
tres; les pieds, quoique petits, laissent à désirer ainsi que les mains dont les doigts auriculaires sont trèscourts. Le mouvement des avant-bras est gêné. Leurs cheveux, frisés, très-fins et plantés près des sourcils, se hérissent en rayonnant autour de la tète, comme
une perruque ayant la forme arrondie d’une grosse éponge ; au toucher, cette masse est fine et souple.
On a dit que les Aztèques composaient une race humaine au Mexique. Je crois impossible d’admettre que ces microcéphales soient autre chose que des faits tératologiques; la science possède plus de soixante cas de ces êtres décrits à différentes époques, sans que cela puisse autoriser à dire qu’ils constituent une race ; leur procréation est accidentelle et paraît sur
tout provenir d’un croisement nègre et indien. Dans le cas présent le mâle a plus de l’indien; chez la femme, c’est le nègre qui domine. Leur vocabulaire se compose d’une quinzaine de mots, et leur cerveau n’est guère que le tiers de ce qu’il devrait être.
Maximo et Barthola furent mariés à Londres, en grande cérémonie et avec banquet, il y a environ dix
ans, sous le nom de Nunez. E. Ddhotjsset.
Charles Garnier
Quand on lui demande des renseignements pour sa biographie, cé qui, en ce moment, arrive presque tous les jours, Garnier répond invariablement: «Voyez Larousse. C’est exact. »
Le désir d’être original ne pouvant entraîner un biographe jusqu’à modifier à sa guise des dates ou des faits, nous répéterons avec le Grand Dictionnaire universel du xixe siècle que Garnier (Jean-Louis- Charles) est né à Paris, le 6 novembre 1825. Entré en 1842 à l’Ecole des beaux arts, il remporta à vingttrois ans le grand prix d’architecture. Pendant sa pé
riode de voyages en Italie et en Grèce, Garnier envoya à Paris de remarquables études, parmi lesquelles la restauration polychrome du temple de Jupiter pouvait faire deviner les tendances du futur architecte du nouvel Opéra. Garnier, revenu à Paris en 1854, était, depuis 1860, architecte de la ville pour deux arron
dissements, et encore inconnu du public, lorsqu’en 1861, le concours ouvert pour la construction du nou
vel Opéra le mit du jour au lendemain au rang qu’il était digne d’occuper.
Lors du Salon de 1863, il avait obtenu une médaille de première classe ; l’année suivante, il reçut la croix de la Légion d’honneur. A cela il faut ajouter que,
depuis le mois de mars 1874, Garnier est membre de l’Institut.
Et maintenant, si l’on voulait raconter en détail la vie de Garnier, il faudrait faire l’historique de la con
struction du nouvel Opéra. Sa vie depuis quatorze ans a été ce labeur incessant compliqué de difficultés tou
jours nouvelles, de responsabilités toujours menaçantes. A côté des questions artistiques, qui sont af
faire de goût et d’imagination, il y a les questions de métier, si délicates quand il s’agit de construire, dans les proportions inusitées du nouvel Opéra, un théâtre, un immense vaisseau où les points d’appui sont for
cément distants les uns des autres. Sur un chantier d’un hectare, la surveillance nécessaire à chaque in
stant peut parfois se trouver en défaut ; l’erreur de l’entrepreneur retombe alors sur l’archilecte, qui doit la subir ou la réparer. On se souvient par exemple qu’il y a quelques années une fissure se manifesta sur un point des façades latérales. Cet accident, sans gra
vité du reste, pouvait s’expliquer par les tassements inévitables et naturellement inégaux dans des parties du bâtiment d’une inégale hauteur. On vérifia cepen
dant : plusieurs boulons devant fixer une poutre de
fer avaient été oubliés ; la poutre avait fléchi, de là venait le mal, qui fut promptement réparé.
Combien d’erreurs du même genre ont rempli de pénibles cauchemars les nuits de l’architecte ! Dans ces circonstances difficiles, les collaborateurs de Gar
nier ont toujours admiré la rapidité de son coup d’œil, la promptitude avec laquelle il prend partiet l’énergie avec laquelle il fait exécuter ce qu’il a conçu.
Garnier, qui dans le grand foyer a personnifié dans des statues les qualités nécessaires à l’artiste, n’a eu garde d’oublier la volonté. Elle ne lui a jamais fait défaut, aussi bien pour imposer sa manière aux ar
tistes qui travaillaient sous sa direction que pour faire accepter ses idées par l’administration, et pour défendre avec énergie ce qui lui paraissait bon.
Il ne faudrait pas pour cela se représenter l’architecte du nouvel Opéra comme un personnage roide et guindé. Dans le dernier numéro de la Chronique mu
sicale, M. de Saint-Arroman a décrit Garnier : « Un homme négligé, rempli d’angles, portant un veston couvert de platras, un chapeau mou décoré de toiles d’araignées, des souliers réduits à l’état de galoches; une canne à la main, cet homme, plus petit que grand,
sec, nerveux, passant tour à tour du menuisier au sculpteur, du décorateur au machiniste, d’un corps de métier à un autre, donnant un ordre ici, faisant une observation là-bas, le tout doucement, sans en avoir l’air, avait simplement la tournure du plus humble des contre-maîtres. La poussière avait noirci le ruban rouge attaché à sa boutonnière... C’était Garnier. »
Ce portrait, un peu chargé dans quelques détails et dont on pourrait enlever les toiles d’araignées, repré
sente assez fidèlement l’architecte du nouvel Opéra
en tenue de travail, sur le tas, comme on dit. U est inutile d’ajouter que Garnier, assidu aux premières représentations, ne s’y présente pas dans ce costume. Mais il faut bien le reconnaître, même correctement
vêtu de noir, Garnier n’est pas solennel et ne tient nullement à l’être.
Ce qui nous touche le plus dans la description un peu fantaisiste que nous venons de citer, c’est ce qui laisse deviner la bonté de Garnier. Quand le mois dernier les ouvriers .du nouvel Opéra lui ont offert une médaille, pour laquelle les plus humbles avaient ap
porté leur cotisation, ce n’était pas une démarche de banale politesse. Depuis quatorze ans qu’il vit au mi
lieu de ce monde de travailleurs, Garnier a su s’en faire aimer, et le mot de La Fontaine, « notre ennemi c’est notre maître », n’eût jamais été inventé au nouvel Opéra.
Quand on est admis dans l’intimité de Garnier, il est impossible de ne pas être frappé de son activité in
cessante, de son extrême vivacité d’imagination. C’est un cerveau toujours en travail, que rien ne fatigue, si ce n’est le repos ; c’est une exubérance de forces qui cherche à se dépenser de mille façons. Tout en songeant à ses affaires, Garnier a l’habitude, en chemin, de compter les voitures ou les passants qu’il rencontre.
Entrez quelque part avec lui, si Ton vous fait attendre un moment, tout en causant, il fera le compte des carreaux dont le sol est dallé. Une autre fois il s’amusera à garder par centaines les numéros des voi
tures qu’il prend dans son trajet journalier du boule
vard Saint-Germain au nouvel Opéra; il établira sur
les chiffres des calculs de probabilités ; il se livrera à des combinaisons mathématiques, jusqu’au jour où un cocher le priant de lui rendre son numéro, — le dernier qui lui reste, — Garnier déposera toute sa collection dans la main du brave homme ébahi.
Improvisant en cachette une opérette d’une folle gaieté, ne redoutant pas le calembourg, au courant de la plume, il jette sur le papier une chanson en cin
quante couplets, ou des quatrains du genre de celui-ci :
Mon poêle ne me chauffe pas,
Mon foyer ne me chauffe guère ; Je suis dans un grand embarras...
Pour me chauffer, qu’alors ij faire?