NOS GRAVURES
La proclamation de don Alphonse
Le dessin que nous publions en têle de ce numéro représente la scène qui a suivi, à l’hôtel Basilewski,
l’arrivée de la dépêche officielle annonçant au prince des Asturies sa proclamation comme roi d’Espagne. Don Alphonse était à Paris depuis trois jours seule
ment. Il y était venu d’Angleterre, où il finissait ses
études militaires au collège de Sandhurst, pour passer en famille les fêtes du nouvel an.
La dépêche est arrivée le 31 décembre, à deux: heures de l’après-midi, et a été remise au jeune prince dans le grand salon de l’hôtel, sa mère, comme le montre notre dessin, étant à sa gauche et ayant à ses côtés la sœur du nouveau roi, la comtesse de Girgenti.
C’est M ’ Cristina Sorrondegui de Vassallo, dame d’honneur d’Isabelle II, qui a présenté la dépêche à don Alphonse. Derrière cette dame se tenait le chambellan de la reine, 31. Ysidro deLosa y delà Cruz.
Ces détails nous ont été donnés par un des familiers de l’hôtel Basilewski ; nous pouvons donc en garantir la rigoureuse exactitude.
Snauguration du nouvel Opéra le cortège du lord-maire
Parmi les personnages étrangers de distinction qui ont assisté, le 5 janvier, à l’inauguration du nouvel Opéra, il faut citer le lord-maire de Londres, qu’avait invité M. le ministre de l’instruction publique, et dont l’équipage, avec sa pompe bizarre, n’a pas été pour la population parisienne un mince sujet d’étonnement.
Déjà dans la journée, 31. Stone l’avait cependant promené à travers les rues, de l’hôtel de Bristol, oii il était descendu, au palais de l’Elysée, où il était allé rendre visite à 31. le président de la République. Mais, évidemment, à voir l’empressement de la foule qui se pressait, le soir, aux abords du théâtre, celte première promenade n’avait fait que la mettre en appétit de curiosité.
Le lord-maire est arrivé un instant après JL le maréchal de Mac-JIahon. Son cortège, débouchant de la rue de la Paix, était précédé d’un escadron de la garde de Paris; puis venait une première voiture, livrée cramoisie et or, dans laquelle se trouvait le.deuxième shériff. Dans la deuxième était le premier siiérifT, en robe noire et en claque noir, livrée verte et or. Der
rière, marchait un personnage vêtu d’une robe noire et portant cérémonieusement une sorte de main de justice à manche noir. Ensuite s’avançaient quatre hérauts vêtus de rouge, coiffés d’une toque noire et sonnant de la trompette ; finalement la voiture du lord-maire, à quatre chevaux, conduite par un cocher poudré à frimas, livrée velours gros bleu et or. Der
rière, trois domestiques, également poudrés, se tenant roides, leurs grandes cannes cà la main. Dans la voiture, le lord-maire et lady mayoress.
Arrivés devant le grand escalier de la façade, ces derniers mirent pied à terre. Au même instant le porte-glaive et le inassier vinrent se placer devant
eux et les précédèrent, un page soutenant le manteau du lord-maire, qui portait la longue robe brodée d’or
avec la perruque traditionnelle. Derrière, marchaient M. le shériff Ellis et Mmo Ellis, et 31. le shériff Shaw et M ° Shaw, tous les deux revêtus du costume et des insignes de shériff. Tandis que le cortège montait l’escalier, les hérauts d’armes sonnaient de la trompette.
Tels ont été l’ordre et la marche du cortège, avant comme après la représentation. Notre dessin repré
sente le lord-maire au moment où, sortant du nouvel Opéra, il descend les marches, précédé de son niassier et de ses hérauts d’armes. Un instant après il remontait en voiture, et le cortège, allant au pas et les hérauts sonnant de la trompette, reprenait sa marche dsns la direction de la rue de la Paix. Au même mo
ment, torche au poing, débouchait par la rue Auber un escadron de cuirassiers, précédant plusieurs voi
tures de gala. C’était le président de la République qui, à son tour, quittait le théâtre.
La salle du nouvel Opéra
Le public a éprouvé une véritable satisfaction en retrouvant au nouvel Opéra.les colonnes qui ornaient la salle incendiée en 4873. M. Debret, lorsqu il installa l’Opéra rue Le Peletier, avait utilisé les maté
riaux de la salle démolie après I assassinat du duc de Berry; les colonnes étaient les mêmes que celles qui
avaient été plantées par Louis dans son théâtre de la rue Richelieu. Quelques centenaires seuls pourraient se souvenir d’avoir vu une autre disposition de salle d’Opéra, car, depuis ! 794, ces colonnes ont supporté les larges voussures sous lesquelles a pris place le pu
blic de l’Académie tour à tour nationale, impériale ou royale de musique.
Garnier a toujours déclaré qu’il considérait comme une oeuvre de génie le parti inventé par Louis, et il a tenu à le reproduire, en modifiant toutefois, ainsi qu’il est facile de le voir, les détails de l’ornementation qui ont tous l’unité et le cachet propres à la décoration du nouvel Opéra.
Ce qui n’existait pas rueLePeletier, c’est ce magnifique entablement qui couronne si heureusement la nouvelle salle ; ces tympans, œuvre MM. Iliolle, Bar
thélemy, Samson et Mercier ; cet arc doubleau dont les têtes ont été modelées par JL Ohabaud ; ces loges
d’avant-scène, entourées des cariatides de 31M. Crauck et Lepère, et surmontées des groupes d’enfants de M. Duchoiseuil ; ces balcons où, sur les dessins de Garnier, M. Corboz a pro ligué tant d’ornements élégants et ingénieux. Les voussures au-dessus des cin
quièmes loges ont été très-habilement décorées par MM. liubé et Chaperon; les tètes des œils-de-bœuf de
l’entablement ont été sculptées pur MM. Valler et Bourgeois. Enfin, le plafond, comme chacun le sait, est l’œuvre de JL Lenepveu.
Cette vaste composition, tout à fait digne du talent du directeur actuel de notre Ecole de Rome, repré
sente les heures du jour et de la nuit. Au-dessus de
la scène apparaît le char d’Apollon, d’où rayonne toute la lumière qui éclaire l’ensemble. — Ce plafond a été exécuté sur vingt-quatre segments de cuivre, réunis par des boulons, l’architecte a peiné que celle disposition nouvelle assurerait une plus longue con
servation à une peinture exposée nécessairement à la chaleur et à la fumée de nombreux becs de gaz.
De même que les colonnes, l amphi héâ re a été conservé. Cette disposition, du reste, remonte .au temps de l.ully. Ces fauteuils sont très-recherchés du public qui ne peut trouver place aux loges du premier étage, appartenant aux abonnés. On y voit à mer
veille et on y est. bien en vue. C’est pour cette raison qu’un ancien règlement relatif aux entrées des auteurs prescrivait de les placer à l’amphithéâtre, afin qu’aux premières représentations ils ne pussent cabaler con
tre leurs confrères en se cachant dans les rangs du parterre alors debout.
Dans ce parterre où les spectateurs sont assis depuis 1794, mais ont trouvé seulement en 1875 des sièges commodes et convenablement espacés, deux couloirs
dégagés de tous strapontins rendent la circulation facile. Une autre innovation, réalisée au dernier mo
ment, consiste dans l’établissement d’un amphithéâtre derrière les quatrièmes ioges de côté.
L’éclairage a été modifie dans la nouvelle salle. On a supprimé les girandoles qui gênaient singulière
ment les spectateurs des loges situées au-dessus. Lors des premiers essais d’éclairage, pour lesquels des in
vitations avaient été faites, on a trouvé que la lumière était insuffisante. Ces essais avaient précisément pour but de modifier et de compléter ce qui pouvait pa
raître imparfait. Depuis, le lustre a été baissé, ou a remplacé un certain nombre de globes dépolis par des becs brûlant à découvert ; le nombre des lumières qui était de 340 a été porté à 460, et le dessin donné dans le dernier numéro de Y Illustration n’était déjà plus exact vendredi dernier, lors de la première représentation de la reprise de la Juive. — A cette représen
tation, la salle inondée de lumière par le lustre et par l’éclairage circulaire que Garnier a imaginé pour la coupole, a été trouvée parfaitement claire, et les toilettes brillaient dans tout leur éclat.
Ajoutons aussi qu’à cette représentation la sonorité de la salle a été reconnue parfaite. Garnier a eu beau déclarer depuis longtemps que les lois de l’acoustique n’étaient pas rigoureusement connues, et qu’il appli
quait tous les principes qu’il croyait exacts sans répondre du résultat, ce serait maintenant un concert una
nime d’imprécations si, en retrouvant au milieu de tant de splendeurs nouvelles, les dispositions archi
tecturales de l’ancienne salle, ou en avait été réduit à regretter son admirable sonorité ! — Souftlot eut moins de succès en 1764 : la salle d’Opéra édifiée par lui aux Tuileries était sourde; sur quoi l’abbé Galiani s’écriait : Elle est bien heureuse !
Le nombre des places qui, rue Le Peletier, était de 1771, a été porté dans la nouvelle salle à 2156. Voici de plus le tableau comparatif de la surface réservée à ces places.
LARGEUR D’UNE PLACE
Ancien Opéra. Nouvel Opéra. Parterre...................... 0”50. 0*539. Orchestre.................... Üra5.j6. 0m555. Amphithéâtre.............. 0ra538. ü n0Ü.
ESPACEMENT DE DOSSIER A DOSSIER
Ancien Opéra. Nouvel Opéra. Parterre...... ............ 0m635. 0m70.
Orchestre.................... 0 “68. 0m*4. Amphithéâtre........... O1175. 0m,J7.
Ch. NUTTER.
L҆ ineendie du Cospalrick
Un des plus terribles drames de mer qui ait eu lieu depuis longtemps.
Le Cospatriek était un navire de 1200 tonnes, construit à Moulmain en 1856. Sous le commandement du capitaine Jflmslie, il transportait à Auckland (Nouvelle-Zélande) un convoi de 400 émigrants. 11 avait 41 hommes d’équipage et était parti de Gravesend le 11 septembre.
Tout alla bien à bord jusqu’au 17. Mais ce jour-là, vers minuit, tout à coup un cri éclate : au feu ! Un incendie venait, en effet, de se déclarer, et une demiheure ne s’était pas écoulée que déjà le pont était couvert de flammes et présentait un horrible spec
tacle. Les passagers, hommes, femmes et enfants, se précipitaient en désordre vers les embarcations en poussant de grands cris, et, pour éviter le feu, se je
taient dans les flots, où ils disparaissaient sans qu’on put. rien entreprendre pour les sauver.
Jusqu’au dernier moment, le capitaine Elmslie, sa femme, son enfant et le médecin, restèrent sur le pont du navire. Quand, d’après le rapport du lieute
nant Jlac-Donald, le feu fut près de les atteindre,
M. Elmslie jeta sa femme par-dessus bord et s’y jeta après elle, ainsi que le médecin, qui tenait dans ses bras le fils du capitaine, et ces malheureux furent im
médiatement engloutis sous les yeux des témoins de celte scène affreuse.
Cependant on avait réussi à mettre deux canots à l’eau après y avoir fait entrer un certain nombre de personnes, toutes les autres embarcations ayant été ou atteintes par les flammes, ou, par suite de la rup
ture des amarres, avant d’avoir été descendues à la mer, engloulies avec les passagers qui s’y étaient empilés.
De ces deux canots, l’un, que commandait le premier officier, fut séparé de l’aulre par un coup de vent et disparut. Depuis, on n’en a reçu aucune nou
velle. Le second, après avoir vu le Cospatriek couler,
ce qui arriva le 18, à cinq heures du soir, prit la di - rection du cap de Bonne-Espérance. Il était conduit par le lieutenant Jlac-Donald et contenait vingt-cinq personnes, parmi lesquelles le boulanger et un cuisi
nier. Il n’avait ni mâts ni voiles. Le lieutenant réussit cependant à en faire une avec le jupon d’une passagère. Niais l’eau manquait absolument, et les malheu
reux naufragés ne tardèrent pas à souffrir cruellement de la soif et de la faim.
Plusieurs moururent, elles survivants, pour prolonger leur existence, en furent bientôt réduits « à sucer le sang et à manger le foie » de ceux qui succom
baient. Celte horrible situation dura dix longs jours.
Le matin du dernier, ils n’étaient plus que six, dont un mourant, qui ne larda pas à succomber. Les autres,
exténués, après avoir incisé le cadavre, sucèrent encore son sang, puis ils essayèrent, mais en vain, de le jeter à la mer. N’ayant pu y réussir, tellement ils étaient faibles, ils le laissèrent au fond du canot, où ils finirent par se coucher eux-mêmes à ses côtés, en proie à un découragement morne.
« J’en sue encore d’horreur ! » disait au correspondant de Y Illustration, en Angleterre, un de ces in
fortunés, en lui racontant les détails de celte horrible scène, que représente l’une de nos gravures. Tout y est exact. Le bateau a ôté dessiné d’après nature, a Liverpool, où le lieutenant Mac-Donald Ta rapporté.
On y voit encore le jupon de femme qui a servi de de voile, et le morceau de bois dont on avait fait une dérive. La scène même ne doit rien à l imagination de notre dessinateur qui Ta retracée d’après les indi
cations de l’un des acteurs de ce drame qui, heureu
sement, touchait alors à sa fin. En effet, bientôt après, ils tombaient tous dans une sorte d’engourdissement léthargique. Tout à coup le lieutenant se réveille sous le coup d’une douleur violente Un dé ses compa
gnons devenu fou, le mordait au talon. Au même instant il aperçoit un grand navire qui faisait route sur son canot. C’était le trois-mâts anglais British-Sceplre, de Liverpool, allant de Calcutta à Dundee... On devine le reste.
Ce navire les recueillit à son bord, ou ils reçurent tous les soins que réclamait leur triste position, et où deux d’entre eux succombèrent encore. Les trois autres survivants de ce désastre furent débarqués à Sainte-Hélène, où les prit le Nyanza, qui vient de les ramener en Angleterre.