SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Hivotoko, nouvelle japonaise, par
M. Pcyremal (suit2). — Les Théâtres. — Revue financière de la semaine. — Nos gravures : J -F. Millet ; — Evénements d’Espagne : Entrée du roi à Barcelone et à Madrid ; — Consécration du chœur de la cathédrale de Montpellier ; — Le royaume de Dakar : — Le château et le camp de Meudon ; —
Saint Vincent de Paul recevant l’extrême-onction, lableau de M. Louis Roux. —Le projet de tu nmd sous-marin entre la France et l’Angleterre : Anciens projets. — Faits divers. — BuJetin bibliographique.— La France pittoresque : Barcelonnette, la Condamine et le fort Tournoux.
Gravures : L’entrée du roi Alphonse XII à Madrid : Are de triomphe élevé dans la rue d’Alcala. — Arrivée du roi -Al
phonse XII à Barcelone. — Cérémonie d’inauguration de la cathédrale de Montpellier, restaurée. L’appareil perforateur destiné à creuser le tunnel de la Manche. — J-F. Millet; — La maison de Millet, à Barbison. — Le royaume de Dakar : cases sénégalaises ; — Une rue d’un village yolof. — Les rui
nes du château de Meudon. —Saint Vincent de Paul recevant T extrême-onction, tableau de M. Louis Roux. — La France pittoresque (3 gravures). — Échecs. —Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
La première délibération de la loi surlatrnnsmis.-ion des pouvoirs, qui vient d’avoir lieu, a prouvé une fois de plus l’impossibilité où l’on est de s’entendreà l’As
semblée. C’est M. deVentavon, auteur du projet de loi
qui, naturellement, est monté le premier à la tribune pour le défendre et fixer le terrain de la discussion.
M. de Ventavon a rappelé qu’à la fin de 1873 la réconciliation des deux branches de la maison de Bourbon avait fait un instant croire au rétablissement de la monarchie ; mais que cet événement n’ayant pas eu lieu, la majorité, forcée d’ajourner ses espérances, avait alors confié le pays « à l’épée du maréchal de Mac-Mahon ». Telle fut i’origine de la loi du 20 no
vembre, dont le caractère constitutionnel a été établi par plusieurs décisions de la Chambre. Étant constitutionnelle, la loi du 20 novembre est donc irrévo
cable. Elle crée un pouvoir intérimaire que l’Assemblée est tenue de respecter et qu’elle a pris l’engagement d’organiser.
Trois solutions ont déjà été repoussées : l’appel au peuple, la République définitive, la monarchie pro
posée parM. de La Rochefoucauld. Tout récemment, dans des conférences tenues à 1 Élysée, on a essayé, mais en vain, de s’entendre sur un terrain nouveau, car il est difficile, dans l’état de division où se trou
vent les esprits, de fonder un gouvernement définitif.
C’est donc dans le provisoire qu’il faut chercher ce terrain de conciliation, c’est le provisoire qu’il faut organiser, et tel est l’objet du projet soumis aux délibérations de la Chambre.
L’article 1er maintient au maréchal le titre de président de la République de fait qui existe depuis la trêve de Bordeaux ; l’article 2 l’affranchit, sauf le cas de haute trahison, de toute responsabilité, condition in
dispensable de la durée de ses pouvoirs, et consacre la responsabilité collective et individuelle du minis
tère ; l’article 3 établit deux Chambres; l’article 4 accorde le droit de dissolution au président; enfin l’article 5 prévoit le cas de la vacance du pouvoir, car le maréchal peut terminer brusquement sa glorieuse carrière. On a parlé de septennat personnel et de septennat impersonnel. .11 suffit de se reporter au texte et à la discussion du 20 novembre pour se con
vaincre que le pouvoir est attaché à la personne du maréchal. L’article 5 est donc, comme les précédents, la conséquence de la loi du 20 novembre, et c’est un devoir pour l’Assemblée, en volant le projet en discus
sion, de la compléter, de donner au maréchal les moyens de gouverner le pays. Les lui refuser, ce serait préparer sa chute, en même temps que rendre inévi
table la dissolution de l’Assemblée, double péril que
l’on ne peut éviter qu’en cessant pour un moment toute lutte politique. « Que l’avenir soit réservé, que chacun garde ses espérances et sa foi et descendons tous sur le terrain neutre des pouvoirs du maréchal.
Ce n’est pas le terrain qui nous divise le moins, c’est celui qui peut et doit nous rapprocher le plus. »
Ainsi a parlé M. de Ventavon, avec autant d’élégance et d’esprit que d’insuccès, car chaque parti avait sou siège fait d’avancé. C’est la gauche, dans la per
sonne de M. Lenoël, qui a commencé l attaque. R a repoussé le provisoire comme un danger permanent. Ce que la France demande, selon lui, c’est un gouvernement définitif, qu’ont,réclamé tour à tour, à diffé
rentes époques, la droite et le centré droit. « De ce que ce définitif ne peut plus être la monarchie, a-t-il ajouté, est-ce une raison pour condamner la France à l’incertitude et à l’inconnu?» M. de Lacombe, du centre droit, est venu au secours de M. deVentavon, dont il a soutenu le projet, mais en insistant un peu
trop, semble-t-il, sur les résultats qu’en espèrent les partisans de la monarchie constitutionnelle. Puis M. de Carayon-Latour est moulé à la tribune au nom de l’extrême droite. La déclaration de ce groupe politique était attendue avec impatience. En effet, de l’at
titude qu’il allait prendre dépendait le sort de la loi. « Nous ne voulons pas voler le projet présenté, » a dit tout d’abord M. de Carayon. Si l extrême droite veut bien donner au maréchal de Mac-Mahon les moyens de maintenir l’ordre, elle entend lui refuser toute or
ganisation propre à gêner le relour de la monarchie.
Cette déclaration, disons-le, qui est l’arrêt de mort du septennat personnel, n’a point paru déplaire à la majorité des membres de l’Assemblée ; et, de tous les orateurs qui ont pris part à la discussion, M. de Ca
rayon-Latour est certainement celui qui a reçu d’elle les plus grands témoignages de sympathie. Toutefois, l’honorable orateur a peut-être eu le lort de faire avec trop d’âpreté le procès de la République et des répu
blicains. La violence appelle la violence. En effet, le lendemain, après un discours de M. de Meaux, qui n’a été que la répétition de celui de M. de Lacombe: uu aulrc discours où M. Lucien Brun qui a repris le thème de M. de Carayon ; quelques paroles dans lesquelles M. de Broglic a déclaré que la sincérité de ceux qui ont proposé ia loi du 20 novembre est au-dessus de tout soupçon, el une vigoureuse sortie de M. Du Temple contre M. le maréchal de Mac-Mahon et M. Decazes, sorlie qui a valu à son auteur un rappel à l’ordre,
M. .Iules Favre, irrité des attaques de* 11. Carayon- Latour, est monté à la tribune pour prendre la contre
partie du discours de ce dernier, et metire à son tour la monarchie sur la sellette, ce qu’il a fait avec un tel emportement, que le gouvernement s’est cru obligé de protester par la bouche de M. Baragnon et le centre droit par celle de son président, M. Bocher.
C’est au milieu de ce trouble et de ces émotions que la discussion a été close, et que l’on a voté sur la question de savoir si l’on passerait à une deuxième lecture du projet. 557 membres contre 145, sur 702 votants, se sont prononcés pour l’affirmative. Ces 145 opposants se composent de 50 légitimistes, 00 répu
blicains, 19 bonapartistes et 4 députés ne faisant partie d’aucune réunion.
La forte majorité qui s’est prononcée pour la deuxième lecture du projet Ventavon n’est pas ac
quise pour cela, bien entendu, à ce projet. Parmi les groupes qui l’ont formée, il n’en est qu’un seul qui n’ait pas fait de réserves : on sait lequel. Le centre gauche a fait les siennes, que depuis longtemps on connaît. La gauche vient de déclarer, d’autre part, qu’elle ne pouvait accepter quoi que ce soit du projet Ventavon, mais que, fidèle à son programme : république ou dissolution, elle voulait « très-respectueu
sement mettre l’Assemblée en demeure de conclure elle-même celui des termes du dilemme qu’elle pourra préférer. Enfin, la Gazette de France publie une dé
claration que M. de Belcastel devait lire à la tribune au nom de plusieurs de scs collègues de la droite, ce que la marche de la discussion ne lui a pas permis de faire. Il résulte de cette déclaration que M. de Belcastel et ses commettants partagent les convictions de M. de Carayon el que, bien qu’ayant voté pour la deuxième lecture du projet Ventavon, ils n’ont pas pris pour cela l’engagement d’adopter les lois consti
tutionnelles, mais seulement de les étudier avec loyauté, se réservant sur chacun des articles une liberté entière.
Ainsi, après comme avant l’importante délibération qui vient d’avoir lieu, la situation reste la même. Il en
est seulement résulté ceci : c’est, que 557 députés ont reconnu en principe la nécessité pour l’Assemblée d’organiser un gouvernement, mais rien de plus. Que la même majorité passe à la forme de ce gouvernement, aussitôt elle s’émiette. Aussi très-vraisembla
blement sur cette question la représentation actuelle n’arrivera-t-elle jamais à s’entendre.
Disons pour en finir que l’Assemblée a également décidé, à une très-forte majorité, et après l’avoir attaquée comme la précédente dans lous ses détails, que la loi sur le Sénat serait entendue en se
conde lecture. La discussion a d’ailleurs été courte et peu animée. C’était une façon d’amuser le lapis eu attendant le jour prochain où reviendra e.n deuxième
délibération le projet Ventavon, c’est-à-dire le jour de la lutte décisive. Mais le projet ne reparaîtra pas in
tact devant l’Assemblée. La commission des Trente vient, en effet, d’en remanier complètement le dispo
sitif et d’en supprimer l’article premier. Eu voici la rédaction définitive :
Art. 1 . Le pouvoir législatif s’exerce par deux assemblées : la Chambre des députés et le Sénat.
La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel dans les conditions déterminées par la loi électorale.
Le Sénat se compose de membres élus dans les proportions et aux conditions qui seront réglées par une loi spéciale.
Art. 2: Le maréchal-président de la République est investi du droit de dissoudre la Chambre des députés. Il sera procédé, en ce cas, à l’élection d’une nouvelle Chambre dans le délai de six mois.
Art. 3. Il n’est responsable que dans le cas de haute trahison. Les ministres sont solidairement responsa
bles, devant les Chambres, de la politique générale du gouvernement, et individuellement, de leurs actes personnels.
Art. 4. A l’expiration du terme fixé par la loi du 20 novembre 1873, comme en cas de vacance du pou
voir présidentiel, le conseil des ministres convoque immédiatement les deux assemblées, qui, réunies en congrès, statuent sur les résolutions à prendre.
Ce remaniement est sans doute une satisfaction donnée aux droites, mais nous doutons fort qu’il suffise à sauver le projet.
ALLEMAGNE.
Le Reichstag, dans une de ses.dernières séances, a adopté définitivement deux lois importantes, celle sur la landsturm et celle relative au mariage civil. Un article additionnel de cette dernière loi autorise les gouvernements fédéraux à introduire, soit en totalité, soit partiellement, la loi nouvelle dans leurs Etals respectifs avant l’expiration du délai prescrit.
ESPAGNE.
Le roi Alphonse vient d’adresser aux habitants des provinces basques etde la Navarre une allocution dans laquelle il les invite à déposer les armes, leur pro
mettant de respecter leurs fueros; comme l’avait fait sa mère.
Alphonse XII ne pouvait manquer de parler à ces populations des libertés et des privilèges auxquels elles sont invinciblement attachées, et qui fout de leur pays une sorte d’Etat dans l’Etat. Il serait à sou
haiter que cet appel à la conciliation et à la paix lut entendu de ceux à qui il s’adresse.


COURRIER DE PARIS


Grand raoût, rue François i r, chez l’un des citoyens les plus considérables des Etats-Unis, le général Théodore Robins.’ — Grand bal chez
M. Gunzburg, en son magnifique hôtel de l’aveniie de Tilsitt.
Des dix ou douze colonies étrangères qui se sont implantées sur notre sol, il en est deux qui ont tout à fait pris au sérieux leur séjour àParis. Vous les connaissez. C’est l’Améiicaine du Nord, c’est la Russe. Rien n’entame la puissance de leur conviction. Elles ont le globe entier à leur dévo
tion ; ne leur parlez que de Paris. L’invasion nous a serrés à la gorge ; elles ont voulu manger avec nous du boudin de cheval. Le choléra a jugé à propos de reparaître; elles ne s’en sont pas souciées. La plus cruelle des guerres civiles a pro
mené l’incendie à travers nos rues; peu importe ;
elles sont restées. Moscovites et Yankees tant qu’il vous plaira, les hommes sont Parisiens de
puis la pantoufle jusqu’à la cravate. Quant aux femmes, chacune d’elles se flatte d elre une Parisienne et demie. Au reste, à voir l’héroïque ardeur qu’elles mettent à adopter nos modes, à fré
quenter nos théâtres, à figurer dans les bals, à se montrer toujours sur la brèche un jour de course ou un jour de revue, il n’y a pas moyen de leur refuser ce tilre.
Au début, le présent carnaval marchait, mais avec quelque hésitation. Les deux colonies ont pense sans doute que c’était à elles de lui donner l’animation qui lui manquait. En tète de cette causerie, j’ai indiqué deux fêtes; il eût été facile d’en signaler vingt. Du reste, les deux colonies ont cela de bon qu’en fait de haute vie elles sont à même de mener les choses rondement. Pour vivre aujourd’hui à Paris, la première condition est de ne pas regarder à l’argent. Eh bien, toutes deux ont assez de roubles et assez de dollars pour faire des louis; toutes deux ont l’imagina
tion assez française pour jeter ces louis par la fenêtre.
Mais attendez un peu, s’il vous plaît. Tout ce