SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Nos gravures: Paul Foucher; — Les Confetti, scène de carnaval à Rome; — Le baptême de Compesières (Suisse); — Le Thunderer, garde-côtes à tourelles de la flotte anglaise; — Les pompiers de Constantinople (Tur
quie); — Le royaume de Dakar; — La France pittoresque:
Chartres. — lliyotoko, nouvelle japonaise, par M. Peyremal (suite). — Chronique du Sport. — Les Théâtres. — Concours des animaux gras au palais de l’Industrie. — Revue financière de la semaine. — Revue comique du mois, par Bertall. — Faits divers. — Bulletin bibliographique. — Savfet pacha.
Gravures : Les Confetti, scène de carnaval à Rome. — Paul Foucher. — La crise religieuse en Suisse : le baptême de Compesières. — Le Thunderer, batterie flottante cuirassée anglaise. — La réorganisation des pompiers de Constantinople.
— Le royaume de Dakar : Mohammed Diop, ancien roi de Dakar; — Femmes yolof. — La France pittoresque: Chartres.
— Revue comique du mois, par Bertall (lü sujets). — Savfet pacha, nouveau ministre des affaires étrangères de Turquie — Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
La deuxième délibération sur les lois constitutionnelles et le projet Veutavon, revu par la commission des Trente, a commencé, et c’est autour d’un amen
dement de M. Laboulaye que le premier engagement sérieux a eu lieu.
Nous avons donné dans notre dernier numéro le nouveau texte du projet Yentavon. On sait que le pre
mier article en a été supprimé. Rappelons-en les termes : de maréchal de Mac-Mahon, président de la république, continue d’exercer avec ce titre le pou
voir exécutif, dont il est investi par la loi du 20 novembre 1873. » On comprend les motifs de cette sup
pression, qui avait moins encore pour objet de faire disparaître le titre officiel du maréchal que de rendre ultérieurement possible le changement de ce titre.
Aux yeux des gauches, c’était évidemment un pas en arrière qu elles ne pouvaient accepter, se proposant de leur côté d’en faire un en avant dans le sens de la ré
publique définitive, ce qu’elles ont en effet tenté de réaliser par l’amendement Laboulaye dès l’ouverlure de la discussion. Cet amendement au premier para
graphe de l’article 1, ancien article 2 du projet Ventavon, était ainsi conçu : « Le gouvernement de la république se compose de deux Chambres et d’un pré
sident de la république. » Fort éloquemment soutenu par son auteur, dont le discours avait vivement im
pressionné la Chambre, peut-êlre eût-il été voté séance tenante si, à propos de la position de la ques
tion, M. Louis Blanc, avec l’absence d’esprit politique qui le caractérise tout particulièrement, ne fût venu se jeter à la traverse.
M. Louis Blanc, cet apôtre de la république de droit divin, est un homme tout d’une pièce et qui ne tran
sige pas avec les principes. Il est de ceux qui disent : Tout ou rien! Voici ma Minerve, une perfection, c’est à prendre ou à laisser. Naturellement on laisse la Minerve de M. Louis Blanc. Même parmi ceux qui se
raient disposés à lui reconnaître certains charmes, on ne souffre pas tant et de si aveugles prétentions, qui ne seraient que ridicules si elles ne portaient pas préjudice à ceux qui préconisent quelque autre déesse du même Olympe, mais plus disposée à s’accommoder à la mode du jour.
C’est ce qui est arrivé pour la république deM. Laboulaye. M. Louis Blanc voulait bien voter que cette république serait le gouvernement de la France, mais il n’admettait pas que ce gouvernement se composât de deux Chambres et d’un président. Aussi demandait-il que l’amendement fût scindé, ce qui fit ren
voyer le vote au lendemain, au grand contentement de la droite, qui sut mettre à profit ce moment de répit inespéré. Le lendemain, en effet, l’amendement de M. Laboulaye était repoussé par 359 voix contre 336. Le plus curieux de l’affaire, c’est qu’au nombre des députés qui ont voté pour figure M. Louis Blanc, l’homme toujours à cheval sur les principes; ce qui, comme on voit, ne l’empêche pas d’aller à pied, à l’occasion.
Ce vote, qui semblait bien être l’enterrement définitif de la république, fut salué, et cela se comprend, par les cris de joie de tous les journaux de la droite. Enfin, justice était donc faite, et l’on n’en parlerait plus! Ëhbien! si, on en devait parler encore, et c’est là une surprise à laquelle personne ne se serait at
tendu. Un vote avait tué la république, un autre vote allait la faire revivre, et cela du jour au lendemain. Ce vote s’est produit sur un article additionnel pro
posé par M. Wallon, du centre droit, à l’article lY du projet Ventavon, qui venait d’être adopté. Voici le texte de cet article additionnel, qui a été voté à la majorité d’une voix : « Le président de la république est élu à la pluralité des suffrages par le Sénat et par la Chambre des députés réunis en Assemblée natio
nale. Il est nommé pour sent ans. Il est rééligible. -» Ce vote est très-important, et si l’article additionnel de M. Wallon n’a pas toute la netteté qu’avait l’amen
dement Laboulaye, dont au fond il ne diffère que par les termes, on peut dire qu’en établissant d’une ma
nière générale les conditions de l’élection du président et le principe de la rééligibilité, il ouvre réelle
ment les portes de l’avenir à la république, si, bien entendu, car il faut tout prévoir, quelque vote contraire n’en vient pas ultérieurement détruire les effets.
Mais à mesure que le temps par se, cette éventualité semble devenir moins probable. La politique de M. de Broglie a éprouvé, par le rejet de l’amendement Des
jardins, un échec qui paraît devoir être décisif. Il n’est plus question aujourd’hui à la Chambre d’orga
niser le pouvoir personnel d’un homme, mais le gouvernement républicain. C’est ce que M. Dufaure a pu dire, ou à peu près, dans la séance du lor février sans soulever de protestations, ce qui est significatif. « L’amendement adopté hier, a-t-il dit, a complète
ment modifié le projet de la commission; elle faisait une loi personnelle, et on lui demande une loi géné
rale. Le temps lui a manqué pour se faire à ce nou
veau rôle et à cette tâche inattendue, et elle n’a pu encore se prononcer sur l’article 2 de l’amendement Wallon. » Cet amendement avait été déposé à propos de l’article 2 du projet Ventavon, donnant au maré
chal-président de la république, seul, le droit de dissoudre la Chambre des députés, avec obligation de faire procéder à l’élection d’une nouvelle Chambre dans le délai de six mois. M. Wallon accordait, lui,
ce droit, non pas au maréchal-président, mais au président de la république, et seulement sur l’avis conforme du sénat; de plus il réduisait à trois mois le délai pour la convocation des électeurs. C’est à lui que la Chambre a donné gain de cause, et cela à une majorité dont cette fois il n’est plus possible de rire.
En effet, d’une voix, cette majorité s’est élevée à deux cents. Les timides avaient pris parti; le ruisseau s’é­
tait fait torrent, et avait emporté le centre droit à gauche. Il est vraisemblable qu’il y restera. Non pas seulement qu’il y soit retenu par la force du courant,
mais il y a à cela un autre motif, auquel M. Dufaure qui a défendu l’amendement Wallon, a très-habile
ment fait allusion dans son discours. « Il ne faut pas oublier, s’est-il écrié, parlant au centre droit, que nous sommes entourés des intrigues les plus auda
cieuses et que ces intrigues mettent la société en péril. » Les bonapartistes ! ce sont eux sans doute qui maintenant vont payer les frais de l’alliance nouvelle,
si tant est qu’elle se consolide et dure. Tout, plutôt qu’eux, même la république! Ainsi auraient raisonné les orléanistes qui sont payés pour craindre le retour del’empire; et, s’il faut s’en rapporter aux feuilles les
mieux en position d’être biên renseignées, c’est au galop qu’il nous revenait, grâce au comité de l’Appel au peuple qui, assure-t-on, constitue décidément dans l’Etat un véritable Etat, ayant son administra
tion, scs finances, sa police. Pour nous, nous n’en savons rien, mais il ne nous déplaît pas qu’on le croie, si celte persuasion doit avoir pour effet de grouper et de retenir autour d’un programme com
mun cette majorité de gouvernement après laquelle nous soupirons en vain depuis si longtemps.
La tenons-nous enfin? Il y a quelque apparence. Des deux adversaires en présence, l’un semble déci1 ment plier. Hector a tout d’abord percé de sa longue javeline la huitième lame du formidable bouclier
d’Ajax; mais tout aussitôt le héros Ajax, de la sienne, non-seulement a traversé le bouclier arrondi du fils de Priam, mais encore il a entamé la cuirasse. Hector recule donc, et voilà où nous en sommes; mais un retour offensif n’est pas encore impossible. Espérons cependant que le combat finira autrement que dans le poème clu vieil Homère, et que, cette fois du moins, le dieu puissant qui règne du haut de l’Ida n’accor
dera pas aux deux combattants « une égale force et une égale gloire ». Blanche ou rose, il nous faut,
à nous aussi, notre belle Hélène, c’est-à-dire une Gonstilution qui nous rende la paix. Qu’on nous la donne donc.
P. S. — L’Assemblée a terminé, dans l’esprit nouveau qui l’anime actuellement et qui a fini par souffler sur la commission des Trente elle-même, la deuxième délibération de la loi sur les pouvoirs publics. Elle a successivement adopté, dans la même séance ; l’ar
ticle 4, relatif à la responsabilité des ministres, et,
en cas de trahison, du président de la république, et non plus du maréchal de Mac-Mahon, président de la république; l’article 5, qui décide qu’en cas de va
cance du pouvoir par décès ou tout autre cause, le conseil des ministres sera investi du pouvoir exécutif,
et que les deux chambres procéderont immédiatement à l’élection «d’un nouveau président de la république »; l’article 6, en vertu duquel les deux cham
bres auront le droit « par délibérations séparées prises dans chacune à la majorité absolue des voix, soit spontanément, soit, sur la demande du président
de la république, de déclarer qu il y a lieu de réviser les lois constitutionnelles », après quoi, réunies en assemblée nationale, elles procéderont à cette révi
sion, où toutes les décisions seront également prises à la majorité absolue des membres composant l’assemblée, article réservant néanmoins toute initiative à cet égard au président actuel de la république jusqu’en 1880 ; et deux dispositions additionnelles : l’une fixant à Versailles la résidence du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif; l’autre portant que la loi sur les pouvoirs publics ne sera promulguée qu’après le vote définitif de la loi sur le Sénat.
L’Assemblée a ensuite décidé, à la majorité de 521 voix contre 181, sur 702 votants, qu’elle passerait à une troisième délibération de la loi sur les pouvoirs publics, et que la deuxième délibération de la loi sur le Sénat aurait lieu le 11 février.
ESPAGNE
Tous les gouvernements européens, sans en excepter la Russie qui s’était montrée si sévère pour le maréchal Serrano, paraissent disposés à reconnaître Alphonse XII. Le jeune roi, accueilli avec enthou
siasme par un peuple dégoûté de la révolution, ne rencontrera pas de difficultés sérieuses en Europe.
II ne lui reste qu’à vaincre les carlistes; il est vrai que c’est la partie la plus difficile de sa tâche! Le té
légraphe nous annonce sans cesse des mouvements de troupes, mais la bataille ne vient pas. C’est beau
coup d’être acclamé à Madrid et reconnu eu Europe; mais il faudrait encore être vainqueur en Navarre !
Pour le coup, voici un fait qui est du goût de tout le monde. Exposition des volailles grasses, disent les affiches. On a jugé qu’il n’y avait pas de meilleure préface à donner au car
naval. La foule y court. J’ai vu aux portes du Palais de l’Industrie une longue file de huit-ressorts. 11 en descendait de grandes dames, des
marquises, des duchesses, mieux encore, des femmes de gros banquiers. Les cols-cassés mani
festent le même empressement. — Comment, pour des oiseaux de basse-cour? — Mon Dieu, oui. On laisse là les Premiers Lundis de Sainte
Beuve, pourtant si curieux, les grands discours de Versailles, si chargés de salpêtre, la musique du Conservatoire, exécutée avec tant d’art, et l’on va admirer les poulardes du Mans.
Un fils d’Alceste vous dira qu’il y a décadence marquée dans l’homme. Tout au contraire, il y a progrès chez les gallinacés. La poularde de 1875 est incomparable, si l’on veut la mettre en paral
lèle avec celle du passé. On ne dit non plus rien que de flatteur des dindes de l’Anjou. En voilà donc encore qui n’ont que des adhérents ; qu’on
les associe à la truffe du Périgord, et je ne serais pas étonné qu’il y eût des soulèvements en leur honneur. Evidemment les canards comptent aussi des amis, mais en petit nombre. Mais que dire
du discrédit dans lequel est tombée l’oie? Mon Dieu! l’oie e;t une sorte de muse méconnue.
MM. Feu Romieu, ce grand homme de table, se révoltait au spectacle de cette déchéance im
méritée. II avait médité un chef-d’œuvre en
trente pages : Panégyrique de l’oie, que la mort jalouse ne lui a pas permis de finir. Quel beau début! Il y racontait la gloire historique du su
jet, les oies arrêtant Brennus au Capitole; il les montrait fournissant des plumes pendant cinq siècles aux plus beaux génies littéraires. Il n’o­
mettait pas de narrer que l’une d’elles a sauvé la vie au grand Turenne et l’honneur à la France en se mettant presque d’elle-même à la broche pour le souper de l’illustre maréchal, la veille d’une victoire. Et par un tour d’ironie tout à fait français, se moquant des cruels ou inutiles oiseaux héraldiques dont nous nous sommes affolés, le panégyriste s’écriait ;
— « Pourquoi n’a-t-on pas de préférence » brodé une oie sur nos drapeaux? »
Mais que voulez-vous que je dise? Si Romieu vivait encore, il serait traité d’extatique


COURRIER DE PARIS