et son éloge rêvé serait pour sûr regardé comme un paradoxe d’ornithologie et de cuisine. L’oie ne réussit pas à Paris. On n’en veut que chez les petits bourgeois et dans le peuple. Bien mieux, voilà qu’on parle de la remplacer par la grouse d’itcosse.
Ces jours-ci, cette dernière nous est arrivée par bourriches nombreuses. On signale des bateaux qui nous en apportent. Ce serait à faire croire que la patrie de Walter Scott en fabrique pour nous autant que du tartan rayé. Il y a des grouses vivantes au Jardin d’acclimatation ; il y en a de mortes, pendues par les pattes, à la devan
ture des marchands de comestibles. Prenez des grouses; c’est le gibier à la mode, nous dit-on. Charles Monselet a toujours tenu pour la vieille P’rance gastronomique. Je ne serais pas étonné,
qu’emporté par le mouvement,- il ne passât avec armes et bagage, couteaux et fourchettes, du côté des grouses d’Ecosse. Vous comprenez dès lors qu’il n’v a plus tant à s’étonner si l’oie na
tionale sèche de dépit et ne fait, celte année, que mince figure à l’exposition des volailles grasses.
L’Exposition actuelle, d’ailleurs fort brillante, roule aussi sur les animaux gras, sur les quadrupèdes, bœufs, vaches, moutons et porcs, la véritable richesse de notre agriculture. Di
manche matin, vers dix heures, le maréchal de Mac-Mahon s’est rendu au Palais de l’Industrie,
accompagné de ses aides de camp, afin de voir par lui-même où en sont les choses. Vous savez que la guerre avait ruiné nos campagnes et épuisé les races les plus précieuses; le chef de l’Etat a été à même de constater combien ces dé
sastres ont été vite et merveilleusement réparés. Bœuls, moutons, porcs sont refaits comme s’ils sortaient à nouveau du creuset de la création.
Les prix ont été distribués. Je ne vous dirai pas les noms des lauréats, ce serait une trop longue litanie. Je ne veux que m’arrêter à celui des individus de la race porcine qui a été le plus couronné.
Pour un beau cochon, celui-là peut se flatter d’être un beau cochon. Dix ou douze visiteurs en gants roses l’ont surnommé : Arthur. — Pour
quoi Arthur?— Est-ce parce que ce nom est toujours bien porté dans le pays Bréda et autres zones galantes?— Mais revenons à ce vainqueur. Ce jeune prix d’honneur e.-l un élève de l’hono
rable M. Poisson. Quand on va le voir, on le trouve presque toujours couché sur la paille comme le cynique d’Athènes dans son tonneau.
Il est gros comme quatre, il est stoïque comme dix. En voilà un qui se montre bien indifférent à toutes les choses pour lesquelles nous nous fai
sons, chaque jour, du sang noir! On lui crie : — « Monsieur Arthur, quelles sont vos opinions » politiques? » — et il dédaigne de répondre. On l’appelle pour le féliciter sur sa couronne, il ne bouge pas; on le lorgne avec intérêt, et il ouvre à grand’peine un petit œil rouge et bridé. Jamais l’insouciance philosophique ne s’est révé
lée avec autant de force chez un jeune porc,
comblé des plus grands honneurs et acclamé par tout un peuple.
r\r\r\r\ En dehors de ce qui se passe aux Champs- Elysées, ce qu’il y a déplus considérable c’est le bal de dimanche prochain. Il y a un mois, lorsqu’on a inauguré le nouvel Opéra, le public était ébloui par la profusion des magnificences qu’on
lui montrait. Les lorgnettes allaient du lustre aux draperies, des dorures sans nombre au pla
fond. — Que de dorures, disaient les uns. -— Trop de dorures! disaient les autres. — L’or étant passé Dieu, il faut bien qu’on nous le fasse adorer, répliquait ironiquement un philosophe. — Tout à coup un clubman se mit à dire, après un coup d’œil d’ensemble jeté sur l’enceinte. — « La belle salle de bal que cela » fera! » — Si celui-là ne fut pas lapidé sur l’heure, ce fut uniquement parce qu’on n’avait pas de cailloux sous la main. Ce lieu saint, une salle de bal ! ce temple de l’art un endroit où
l’on dansera la Tulipe orageuse! Ceux qui font de la musique une religion n’entendaient point qu’on poussât la profanation jusque-là! On en distinguait un, à l’orchestre, qui, pour donner plus d’allure encore aux invectives sacrées qui pressaient sa poitrine protestait par un cantique. Nous l’avons entendu fredonner un chœur redoutable des Huguenots.
Glaives pieux, saintes épées,
Qui, clans un sang impur, serez bientôt trempées, Vous par qui le Très-Haut frappe ses. ennemis,
Poignards sacrés, soyez bénis !
Un mois s’est écoulé et voilà qu’on se montre moins sévère, Dieu merci ! Le nouvel Opéra va se changer en salle de bal. Rassurez-vous, ce sera pour une nuit seulement. Encore y a-t-il une circonstance atténuante : ce bal paré et masqué se donnera au profit des pauvres. Si la majesté du temple est violée, c’est pour un motif qui purifie tout.
— Et d’ailleurs, a répliqué un des organisateurs de la fêle, pour cadrer avec la mise en scène, au besoin les costumes des masques seront dorés.
L’hyménée est dans l’air. Depuis trois ! semaines, on s’est beaucoup épousé. Il serait donc facile de dresser une longue liste de bril
lants mariages qui viennent d’avoir lieu du haut en bas de l’échelle sociale. Il y en a eu dans le monde aristocratique. Il y en a eu chez les gens de finance non moins recherchés de nos jours qu’ils l’ont été du temps de Law. Il y en a eu aussi dans le monde des lettres et de l’art. On explique cet empressement à se présenter à l’au
tel à la veille des jours gras par deux motifs : le premier, c’est qu’on trouve dans cette coïncidence une double raison de se réjouir; le se
cond, c’est que, sauf les cas réservés, on ne se marie pas en carême. — Il y a bien assez d’autres genres de pénitence sans ça.
Une autre particularité à noter est celle-ci : Jadis, il était de mode de n’être entouré à la cérémonie nuptiale que d’un très-petit nombre de per
sonnes. On invitait les deux familles, plus une élite d’amis. De nos jours, on appelle tous ceux qu’on connaît. C’est presque un succès que d’ar
river à remplir les trois nefs d’une église. Nous voilà bien loin du temps où le marquis de *** recommandait sous ce rapport une modestie rigide à son fils.
— Monsieur le comte, vous n’aurez à la bénédiction des anneaux que des alliés et pas un curieux. Je l’entends de cette façon parce qu’il me paraît convenable que les premiers regards de votre femme ne puissent s’arrêter que sur vous-même.
Autre temps, autres manières d’agir. — Il n’y avait, sur ce chapitre délicat, qu’à noter la différence et c’est ce que nous nous bornons à faire.
r\s\r\s\ On raconte que les marmottes du mont Cenis commencent à se réveiller du long sommeil de l’hiver. Il en est de même pour l’Académie française. .M. Alexandre Dumas vient de remettre son discours de réception à une commission ad hoc, discours expurgé, bien entendu. Ce discours va être l’objet d’une réplique, composée par compas et mesure. Quand les deux choses auront été ajustées comme deux flûtes qui ont à moduler le même air, on les prononcera en séance pu
blique, et ce sera fini. Ce jour-là, M. Alexandre Dumas sera enfin et, pour tout de bon, sacré immortel.
Simple question. — Ne serait-il pas bientôt temps d’en finir avec cet éternel procédé d’un panégyrique en l honneur de l’académicien mort et d’un éloge sans mesure prononcé à bout por
tant en présence de l’académicien qui va occuper le fauteuil du défunt? Comment, messieurs, tou
jours le berger Tytire et toujours le berger Mélibée ! Mérv entrait dans une rage sans frein toutes les fois qu’on lui montrait ce spectacle.
— Ecoutez-les, s’écriait-1 il. Aies entendre, la France est changeante. Us la comparent à une
jeune tête folle qui cueille une rose, la respire à peine et la foule ensuite sous ses pieds. Depuis le cardinal de Richelieu jusqu’à hier au soir,
trente-sept générations d’académiciens se sont succédé en maintenant la même chanson. Il y a révolutions sur révolutions, 89, 93, le 18 Bru
maire, les Bourbons, 1830, 1818, le second empire, il y a le diable et son train ; la mode varie,
le climat se modifie; on n’a plus ni les mêmes chapeaux, ni le même langage, ni les mêmes maisons. Eux, ils ont le privilège d’.être immuables. Us se disent publiquement les uns aux au
tres ce qu’ils n’oseraient pas se dire à voix basse dans un salon : Tu es un grand homme. Le jour où l’ange viendra avec une grande trompette an
noncer la fin du monde, il y aura à l’institut une réception académique. On verra un illustre dire
à un autre illustre : Tu es un grand homme, sans qu’il en pense un traître mot. Le même jour aussi, Paris s’écriera: « Ah ! voyez-vous, notre )> France est changeante ! »
Voilà dix ans qu’est mort celui qui nous disait ces choses si vraies; et ça été peine perdue, et la vieille chinoiserie du Palais-Mazarin persis
tera; M. Alexandre Dumas fera l’éloge de feu Pierre Lebrun qu’il n’a lu que dans ces derniers
temps, et M. d’Haussonville fera l’éloge de M. Alexandre Dumas, qu’il ne connaît peut-être encore que par ouï-dire.
Ventes sur ventes à l’hôtel des commissaires-priseurs. — On signale une sorte de baisse dans le prix des grandes œuvres. La fameuse ga
lerie Salamanca a produit beaucoup moins qu’on ne l’espérait. Plusieurs Murillo n’ont pas dépassé 2000 francs; les Velasquez, tant courus naguère, n’ont pas été adjugés à un chiffre beaucoup plus
élevé. Peut-être comprend-on à la fin qu’on a trop exagéré la valeur des tableaux et cherchet-on à réagir contre cet engouement. — U y aura,
du reste, une dizaine de ventes durant le mois de février.


Paul Foucher, qui vient de mourir, regretté de tous ceux qui l’ont connu, était certai


nement l’homme du temps qui connaissait le mieux la petite histoire des temps romantiques. Quand on le mettait sur ce chapitre, il était iné
puisable. Les anecdotes, les traits piquants tombaient à tout instant de ses lèvres.
Voici un des épisodes que nous lui avons entendu raconter :
Vers ISZiO, H. de Balzac était déjà fatigué d’é­ crire des romans. Les nombreux succès qu’il avait obtenus ne l’ayant pas enrichi, il songeait à se tourner du côté du théâtre qu’on lui représentait comme une mine d’or.
U médita et songea à faire un drame sous ce titre bizarre : Richard- cœur-dUéponge.
A quelque temps de là, un soir, au loyer de la Porte-Saint-Martin, pendant un enlr’acte, un groupe d’écrivains causait de la décadence de l’art dramatique.
L’auteur d Eugénie Grandet se trouvait là presque côte à côte avec l’auteur d Antony, bien qu’ils n’eussent aucun goût l’un pour l’autre.
A tout moment ils cherchaient à s’entreprendre.
Ce fut Balzac qui ouvrit le feu.
— Allons, dit-il, quand je serai usé, je ferai des drames ?
— Commencez donc tout de suite, répliqua vivement Alexandre Dumas.
Les rires approbatifs dont celte répartie fut accompagnée avaient tout à fait désarçonné Balzac
Il affirma le lendemain qu’en rentrant chez lui il avait jeté au feu ce qu’il avait déjà écrit de Richard-cœur - d’éponge.
Paul Foucher a laissé, du reste, beaucoup de confidences dans deux livres : Entre cour et jardin et les Coulisses du passé.
Philibert Audebrand.