LE PROCÈS WIMPFFEN

ET L’OUVRAGE DE M. DE MOLTKE
Au moment où paraîtront ces lignes, le procès intenté par M. le général de Wimpffen à M. Paul de Cassagnac sera commencé. On sait qu’à l’exemple de
M. le général Trochu, l’ancien commandant en chef de l’armée de Sedan veut soumettre sa conduite dans cette triste circonstance au jugement de ses conci
toyens. Mal conseillé d’abord, M. de Wimpffen a été débouté de son instance civile et s’est vu obligé, à la suite d’une déclaration d’incompétence, d’assigner son adversaire devant la cour d’assises de la Seine.
Dans une brochure parue à la fin de 1871 et intitulée : Le général de Wimpffen, réponse au général Ducrot, par un officier supérieur, l’ancien comman
dant en chef exprime (page 44) le désir de connaître « le jugement de l’éminent homme de guerre de la Confédération du Nord ». L’officier supérieur, qui a gardé l’anonyme, est M. le baron du Casse, chef d’escadron d’état-major en retraite, ami et camarade de promotion de M. de Wimpffen, auquel il a en quelque sorte servi de secrétaire et plus souvent de conseiller. M. du Casse a rédigé les mémoires pré
sentés par le général au sujet de la capitulation de Sedan, et l’on dirait que M. de Moltke a voulu ré
pondre à son appel, puisqu’il vient de faire paraître le septième fascicule (1) de son remarquable ouvrage sur la guerre de 1870. Le dernier chapitre est préci
sément consacré aux opérations et marches du 31
août, c’est-à-dire de la veille de Sedan, et l’analyse exacte et impartiale que nous allons en donner per
mettra au lecteur de connaître l’opinion du célèbre feld-maréchal sur le différend qui s est élevé entre les généraux Ducrot et Wimpffen.
(1) La Guerre de 1870, par le grand étal-major prussien, 7e fascicule, en vente chez Baër et C18, rue du Quatre-Septembre.
Au fond, il s’agit de savoir si le général de Wimpffen a eu tort de réclamer le commandement en chef, en
vertu d’une lettre de service du comte de Palikao, pour porter l’armée française vers Montmédy, quand le général Ducrot, désigné parle duc de Magenta blessé,
voulait au contraire se replier à tire-d’aile sur Mézières pour de là gagner le centre de la France.
Gela posé, nous laissons la parole au feld-maréchal de Moltke, en accompagnant ses explications d’une carte sur laquelle se trouvent mentionnées avec le soin le plus scrupuleux les positions occupées le 31 août au soir par les différents corps français et allemands.
Dès qu’on eut appris au quartier royal que les troupes saxonnes avaient pu occuper, dans la journée du 27, le passage de la Meuse à Stenay avant l’armée française, l’état-major général comprit, la situation périlleuse de cette armée, qui devait infailliblement
être refoulée en Belgique par un mouvement offensif vers le nord des deux armées des princes de Prusse et de Saxe.
Le comte de Bismark, prévenu de la probabilité de cet événement, avait envoyé, dans l’après-midi du 30, un télégramme au ministre de la Confédération du Nord à Bruxelles, pour l’inviter à prévenir le gouver
nement belge de la possibilité d’un internement de troupes françaises, et à le prier, le cas échéant, de prendre les mesures nécessaires pour leur désarmement.
Le 30, à onze heures du soir, M. de Moltke expédia l’ordre général suivant, que nous traduisons litté
ralement, car il exprime la pensée du chef d’état
major avec une grande netteté et prouve avec quelle sûreté il jugeait la situation désespérée de l’armée française dès l’avant-veille de son désastre.
« Buzancy, le 30 août 1870, 11 heures du soir
» Ordre général. — Quoique à l’heure actuelle il ne soit pas encore arrivé de renseignements sur les endroits précis où ont cessé les combats livrés par les corps détachés, il est néanmoins certain que partout l’ennemi a reculé ou a été battu.
» Il y a donc lieu de continuer le mouvement en avant demain aussi matin que possible et d’attaquer l’ennemi avec énergie partout où on le rencontrera sur cette rive de la Meuse (la gauche), afin de le re
fouler dans l’étroit espace compris entre ce fleuve et la frontière belge.
» L’armée de S. A. R. le prince de Saxe aura spécialement pour mission d’empêcher l’ennemi de s’é­
chapper par son aile gauche dans la direction de l’est. Dans ce but, il lui est recommandé de faire autant que possible avancer deux corps par la rive droite de la Meuse, et d’attaquer au besoin en flanc et à revers la position que l’ennemi pourrait prendre autour de Mouzon.
» En même temps, la 3e armée attaquera l’ennemi sur son front et sur son flanc droit. Elle occupera avec une artillerie aussi nombreuse que possible les hau
teurs de la rive gauche, de façon à gêner la marche ou le campement des colonnes ennemies dans la plaine qui s’étend sur la rive droite, à l’aval de Mouzon.
»Si l’ennemi devait passer sur le territoire belge, sans être sur-le-champ désarmé, il y sera poursuivi sans nouveaux ordres (so ist er ohne Weiteres dahin su verfolgen).
» Sa Majesté le roi se rendra à huit heures et demie du matin d’ici à Sommauthe, où lui seront adressées les dépêches des chefs d’armée. »
Sans nous arrêter à la manière dont cet ordre a été exécuté, nous allons indiquer de suite les posi
tions occupées par les différents corps le 31 août au soir :
Armée française. — Le 7e corps, Douay, sur les
hauteurs qui s’étendent au sud de Floing, jusqu’au Allemands : Q R, quartier royal; Q 3, quartier général de la 3e armée ; Q M, quartier général de l’armée de la Meuse. — Armée de la Meebe : A A, 12e corps rayon ; B B, garde royale ; C C, 4e corps — 3 Ai..
D D, l*r corps bavarois ; £ E, 2e corps bavarois ; F F, 11e corps; G G, 4e division de cavalerie ; IIII, 5° corps ; 11,2 division de cavalerie ; KK, division wurtembergeoise ; L L, b corps. Détachées nE la de la Meuse : MM, 6e division de cavalerie; N N, 5 division de cavalerie. .
Français ; a, cuirassiers Bonneraains; b b, 7e corps, Douai; c, division de cavalerie Margueritte; d d, 1er corps, Ducrot; e e, 12 corps, Lebrun; — 5 corps, Wimpften.
Carte des opérations militaires autour de Sedan.