SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Nos gravures : Achille Ricourt; —
Installation provisoire; — Le royaume de Dakar; — Dom Guéranger; — L’enterrement d’un suicidé militaire; — Les marchés aux fleurs de Paris; — Le pigeonnier militaire du Jardin d’acclimatation. — Hivotoko, nouvelle japonaise, par M. Peyremal (suite). — Les Théâtres. — Revue financière de
la semaine. — Nouveaux Chants du soldat, par M. Déroulède.
— Faits divers. — Le capitaine Letourneur-Hugon. — Le banquier Fenzi. — Echecs.
Gravures : Installation provisoire, d’après le tableau de M. E. Lambert. — Achille Ricourt. — Le royaume de Dakar : petits marabouts apprenant à lire le Coran; — La mosquée de Dakar; — Pirogues yolof dans la baie de Dakar. — Dom Guéranger, abbé de Solesmes, à son lit de mort ; — Vue géné
rale de l’abbaye de Solesmes; — Entrée de l’abbaye; — Vue intérieure de l’église; — Le cloître de l’abbaye de Solesmes.
— L’enterrement d’un suicidé militaire. — Les marchés aux fleurs de Paris. — Le pigeonnier militaire du Jardin d’accli
matation. — Le capitaine Letourneur-Hugon. — M. Fenzi. — Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
On voit, que nous n avions pas tort de douter. Voilà les lois constitutionnelles à vau-l’eau. Le moment venu de mettre le doigt sur le point seusible : la composition du Sénat, chacun a tiré de son côté, et l’édi
fice s’est effondré. Racontons comment les choses se sont passées :
C’est un amendement ou plutôt un contre-projet de M. de Douhet qui a servi de prologue au drame.
M. de Douhet proposait la création de trois Chambres, — rien que cela, — à cette Chambre fort en peine déjà d’en enfanter deux. Aussi l’a-t-on laissé, sans le contredire, développer son contre-projet, puis, lors
qu’il est descendu de la tribune, M. le président de l’Assemblée a tout aussitôt donné lecture de l’article 1er du projet de la commission. L’action sérieuse allait s’engager.
Cet article de la commission était ainsi conçu : « Le Sénat est composé : 1° de sénateurs de droit ; 2° de sénateurs nommés par décret du président de la Ré
publique ; 3° de sénateurs élus par les départements et les colonies. Le Sénat ne peut comprendre plus de trois cents membres. » A cet article, M. Pascal Duprat proposait l’amendement suivant : « Le Sénat est électif ; il est nommé par les mêmes électeurs que la Chambre des députés. »
C’est avec beaucoup d’habileté et non sans quelque malice, que M. Pascal Duprat a exposé les motifs de cet amendement. L’article de la commission, a-t-il dit en substance, pouvait être de mise alors que M. de
Broglie, étant ministre, cherchait les moyens d’ouvrir une porte à la dynastie de son choix ; mais, maintenant que la majorité songe à organiser une républi
que, ce ne serait plus qu’un anachronisme politique. En effet, des sénateurs de droit et des sénateurs nom
més par le chef de l’Etat ne peuvent se comprendre
que dans une monarchie ; mais il est inadmissible qu’un président de république nomme des sénateurs pouvant être appelés un jour à le réélire et, en cas de manquement à ses devoirs, à le juger. Puis, M. Duprat, après s’être efforcé d’établir qu’un Sénat privi
légié serait impuissant et que dans une démocratie les grands pouvoirs doivent être le produit et l’expres
sion du suffrage de tous, il a ajouté que le nombre n’est ni aussi ignorant ni aussi brutal qu’on se plait à le dire, donnant pour preuve l’Assemblée actuelle où siègent « les hommes les plus distingués du pays », un évêque, nombre de gens de lettres, vingt mem
bres de l’Institut, « M. de Broglie compris » ; et que,
s’il est vrai que le suffrage universel ne donne qu’une voix aux citoyens les plus importants comme aux moindres, ce n’est qu’une apparence, attendu que « l’homme de haute valeur va au scrutin avec toutes ses influences ». Il a terminé ainsi : « Il y a, au fond de votre pensée, contre le suffrage universel, une rancune monarchique. N’écoutez pas rette rancune.
Vous avez commencé de donner à la France une constitution républicaine, ayez la sagesse de lui donner un Sénat républicain. »
Immédiatement après ce discours, auquel il ne fut pas répondu, on passa au vote. Il est certain qu’on ne pouvait croire, même à gauche, à l’adoption de l amen
dement, qui n’était vraisemblablement, de la part de cette partie de l’Assemblée, que l’affirmation d’un principe sur l’application duquel elle était disposée à faire toutes les concessions qui n’en seraient pas la négation. Non-seulement le centre droit, mais encore le groupe Lavergne ne l’acceptaient pas, on le savait. D’autre part, il y avait lieu de penser qu’il aurait contrelui et l’extrême droite et legroupe bonapartiste,
qui se sont prononcés depuis longtemps contre toute organisation d’un gouvernement définitif. Cependant,
ô surprise ! à la majorité de 322 voix contre 310, sur 632 votants, l’amendement fut adopté. D’ou venait le coup? Poussant au même but par deux voies oppo
sées, l’extrême droite s’était abstenue, et les bonapar
tistes, très-habiles tacticiens, avaient volé pour. Ce but, on le devine, c’était de provoquer une rupture entre les gauches et la fraction du centre “droit qui s’était alliée à elles, et de rendre ainsi possibles, d’a­ bord le rejet de la loi sur le Sénat, puis ultérieure
ment celui de la loi sur les pouvoirs publics. Il a été atteint, en partie du moins, dans la séance du lende
main, qui a été ouverte par une communication tout à fait inattendue, faite à la Chambre au nom du président de la République, parle vice-président du conseil, M. de Cissey.
C’était une sorte de message, aussi impérieux que laconique, dans lequel M. de Mac-Mahon déclarait qu’à ses yeux l’adoption de l’amendement Duprat, en dénaturant l’institution du Sénat, « enlèverait à l’en
semble des lois constitutionnelles lê caractère qu’elles ne sauraient perdre sans compromettre les intérêts conservateurs » ; qu’il ne pourrait s’en accommoder, et qu’il croyait de son devoir d’en prévenir l’Assemblée avant que ses résolutions « pussent devenir défi
nitives ». Cette intervention, en ces circonstances, du
pouvoir exécutif, dont nous ne voulons pas discuter l’opportunité, équivalait à une mise en demeure à la
quelle l’Assemblée ne pouvait ni ne voulait sans doute résister. La droite, l’extrême droite, les bona
partistes se tenaient prêts à donner, ouvrant leurs rangs au centre droit qui, troublé, indécis, battait en retraite de leur côté. Un instant la majorité du 24 mai se trouva reformée, un seul instant. Il n’en fallait pas davantage. La loi sur le Sénat succomba. 368 voix contre 345 décidèrent que l’Assemblée ne passerait pas à une troisième délibération. Il est bon de noter qu’avant ce vote l’Assemblée avait adopté tout le pro
jet, article par article, et même l’amendement Bardoux qui, corrigeant celui de M. Duprat, sur lequel il greffait quatorze catégories d’éligibles, était suscep
tible, croyons-nous, de satisfaire à toutes les exigences légitimes des intérêts conservateurs.
Ainsi tout était rompu, et tout eût été perdu sans doute sans le sang-froid du centre gauche qui, au milieu de la déroute, comprenant la faiblesse de son vainqueur, ne désespéra pas de l’avenir des lois constitutionnelles, et, tandis que l’extrême gauche courait au-devant d’un nouvel échec, en demandant l’ur
gence sur une proposition de dissolution, rassembla ses forees, fit avancer ses réserves, et revint au com
bat avec deux nouvelles propositions de loi, l’une de M. Waddington, l’autre de M. Vautrain, que l’As
semblée, à une assez forte majorité, renvoya à la commission des Trente.
Cette manœuvre hardie avait évidemment déconcerté l’armée alliée, et déjà peut-être le centre droit en était aux regrets de ce qui venait de se passer. En effet, repousser la république, n’était-ce pas rendre à l’empire toutes les chances qu’il a perdues dans ces derniers temps, la majorité du 24 mai ne pouvant exister sans le concours des bonapartistes, concours qu’il faudrait naturellement payer. Est-ce cela que voulait le centre droit? Contribuerait-il à ses risques et périls à assurer le triomphe plus ou moins prochain mais certain d’un adversaire redouté, plutôt que de prêter définitivement et sans arrière-pensée les mains, toute espérance de restauration de la monarchie par
lementaire perdue, à l’institution d’une république dans le gouvernement de laquelle il doit évidemment avoir sa place réservée? C était peu vraisemblable, et c’est ainsi sans nul doute que raisonna le centre gauche, en prenant la résolution de ne point encore abandonner la partie.
A-t-il eu raison ? Il y a quelque motif de le croire, et les choses semblent prendre en ce moment une tournure favorable à la réalisation de ses espérances. Le centre droit ou du moins le groupe Wallon-de La
vergne lui revient, et la preuve c’est l’agitation des droites qui, voulant prévenir et faire échouer ces dernières tentatives de conciliation, mettent tout en œuvre pour amener le retrait des projets de lois con
stitutionnelles. Un de leurs membres, M. Méplain, a même formulé dans ce sens une proposition qui est un retour au septennat personnel, et dont voici les bases ; droit de véto, droit de dissolution de la pro
chaine Assemblée, et renouvellement partiel. Mais cette proposition est-elle susceptible d’aboutir, sans la reconstitution, qui semble impossible, de la majorité du 24 mai? Il est permis d’en douter. Soumise au maré
chal, elle a été par lui froidement accueillie. Il a, dit-on, répondu à la députation qui la lui exposait, qu’il ne désespérait pas encore de voir s’établir une majorité pour voter l organisation d’un Sénat. En
effet, comme nous le disions il n’y a qu’un instant, les dernières nouvelles sont bonnes, les négociations engagées entre le centre droit, le groupe Lavergne- Walion et le centre gauche vont bien ; et, si elles aboutissent, c’est encore M. Wallon qui aura eu l’honneur et le bonheur de formuler le projet de loi
destiné à parfaire notre future constitution. D’après ce projet la nomination du Sénat serait attribuée aux conseils généraux et aux conseils d’arrondissement, avec l’adjonction d’un délégué du conseil municipal de chaque commune. L’Assemblée nationale serait de
plus appelée à élire soixante-quinze sénateurs. Sur ces bases, nous croyons la conciliation facile. C’est le système de l’élection qui prévaut, le seul que puis
sent admettre les gauches, partant nulle objection à craindre de leur part, et si le centre droit y adhère,
c’est évidemment chose faite. Mais y adhèrera-t-il? On peut, crovonSTnous, l’espérer, car c’est son intérêt. S’il n’y adhérait pas, alors... Mais il sera tou
jours temps de tourner les regards vers cet inconnu redoutable.
ALLEMAGNE
Le Reichslag allemand s’est séparé après avoir adopté trois lois importantes, que le Landtag ne tardera pas à ratifier : la loi sur le landsturm, qui per
mettra au ministre de la guerre de faire passer dans la landvvher des forces jusqu’ici incomplètement organisées ; la loi sur le mariage civil et la loi qui organise une banque impériale.
ESPAGNE
Le roi Alphonse vient de rentrer à Madrid. Il en était parti, le 19 janvier, pour se rendre à l’armée du Nord, qui se proposait de ravitailler Pampelune, à
bout de ressources, puis de chasser les carlistas d’Estella et des positions occupées par eux en Navarre.
La première partie de ce plan a réussi. Pampelune a été ravitaillée par le général Moriones, et le roi, s’y étant rendu, a reçu dans cette ville l’accueil le plus enthousiaste. Mais l’expédition contre Estella, con
duite par le général Laserna, ayant sous ses ordres Primo de Rivera, a été moins heureuse. Puenta-la- Reina et Oteiza furent occupées. Mais le général La
serna ayant tenté de pénétrer par Lorca dans la vallée du rio Salado, afin de prendre par derrière les carlistes que Moriones devait attaquer de face, il ren
contra la plus vive résistance. Attaqué lui-même dans
ses positions du mont Esquinza par quatre batai bns carlistes, et dans celle de l’ermitage de San Gristobal
par une guérilla qui faillit surprendre le roi, il fut forcé de s’arrêter devant les points fortifiés qui dé
fendent les approches d’Estella, tout proche du champ de bataille où tombait naguère le maréchal Goncha. L’expédition en est là.
G’est à la suite de cet échec qu’Alphonse XII prit la résolution de regagner Madrid et de laisser à ses généraux la responsabilité des opérations futures.
Ajoutons, pour en finir avec l’Espagne, que les ambassadeurs de France, de Russie et de Portugal viennent de remettre, leurs lettres de créance au gou
vernement du nouveau roi, que la Prusse n’a pas encore reconnu, elle qui avait été la première à reconnaître le maréchal Serrano. On s’étonne de ce retard succédant à cet empressement.
Il n’y a que la vie de Paris pour amener de bizarres coïncidences. Le jour même où l’au
teur de la Dame aux camélias prononçait son discours de réception à l’Acadé mie française, on procédait dans un autre coin de la ville, rue Drouot, à la vente aux enchères des meubles de la femme qui aura le plus ressemblé à Margue
rite Gautier, son héroïne. Au Palais-Mazarin, un public d’élite se pressait pour ne rien perdre de ce que pourrait dire M. Alexandre Dumas. A l’hôtel des commissaires-priseurs de grandes dames, quinze ou vingt, étaient accourues pour voir, mieux que cela, pour toucher de leurs
mains les bagues, les colliers, la dentelle, tous « les bibelots » dont s’était parée M 6 Blanche d’Antigny.
On sait que celte jeune femme a été tout à la fois du demi-monde et du monde lyrique. Aucune
étoile n’a brillé d’un plus vif éclat sur la fin de l’empire. Elle était la coqueluche des premiers gommeux. On se disputait les places pour aller l’entendre dans les folles opérettes d’Hervé. La cour elle-même a voulu l’applaudir dans l҆OEU
Courrierde
Paris