crevé; MM. les diplomates Font rappelée dans Chilpéric. Encore très-jeune, très-belle, trèsblonde, d’une gaieté sans pareille, comment n’au
rait-elle pas été fêtée en un pareil temps? Ajou
tons qu’elle mettait à la mode des costumes que
le monde d’en haut se hâtait d’adopter. Ainsi l’empressement des grandes dames à accourir à la vente après décès s’explique; c’est peut-être moins de la curiosité qu’un acte de reconnaissance.
Les biographes n’ont pas manqué de raconter qu’elle avait commencé sa réputation par une sorte de voyage triomphal en Russie. Et, en effet, avant même de songer à se faire actrice,
quand elle céda à la fantaisie de montrer son joli museau à Saint-Pétersbourg, elle y fit tourner toutes les tètes. L’engouement venait des princes.
Pas un cœur de boyard qui ne fût incendié. Elle aurait brûlé jusqu’aux ours blancs de Sibérie rien qu’avec ses yeux, si elle l’eût voulu. Au bout de quatre ans, elle revint ; c’est alors quelle affola Paris et qu’elle devint une des célébrités de l’é­ poque.
Mais la pauvre d’Anligny est morte, et trèsrapidement, d’une manière si subite qu’on a supposé un instant qu’il y avait du drame ou du roman là-dessous. Dans le monde oublieux où nous sommes, ce n’est plus d’elle qu’il s’agit,
mais de sa brillante défroque. Je vous le répète, le vrai grand monde a voulu s’assurer au juste, par ses yeux, de la réalité des on-dit à cet égard.
On est venu, on a touché, on a vu. Tout ce qu’on avait publié n’était pas exagéré. Mlle Blanche d’Antigny a été lotie comme une vraie princesse.
Voilà ce qu’on s’est dit en passant en revue ces reliques de l’amour et du hasard.
A ce sujet, des esprits trop chagrins s’emportent et crient à la décadence. Vieille chanson qu’on rabâche un peu trop, soit dit en passant.
A les entendre, ces visites des femmes du monde sont un épisode tel qu’on n’en a jamais vu de semblable. — En cela, ces Catons se trompent. 11 n’y a même pas longtemps, sur la fin du der
nier siècle, il s’en faisait bien d’autres, dans la même gamme et sur le même sujet. Ouvrez les Mémoires de Bachaumont et vous verrez.


« Mme de Guémenée a fait prier la demoiselle Ar


» nould (Sophie Arnould, s’il vous plait! ) de lui » prêter pour une soirée des pendants d’oreiile. » — M. le marquis de Ximenès, toujours galant,
» a conduit Mmu la princesse de Polignac chez ia » faiseuse de la demoiselle Guimard. — MmB la
» maréchale de Soubise a obtenu de Mllc Fleury » une leçon intime sur l’art de se peindre des » mouches au menton ». — Que les esprits sé
vères comparent et ils verront que les relations de grand monde à demi-monde ont encore du
chemin à l aire avant d’arriver au point où elles étaient du temps de nos grands-pères.
Comment va Corot?
Telleestlaquestionqu’onfaitpartoutetàlaquelle on éprouve le besoin d’entendre faire une bonne réponse. Le célèbre paysagiste ne compte dans Paris que des admirateurs de son talent et des amis de sa personne. 11 est donc tout simple que de quartier en quartier on tienne à savoir où en est ta maladie qui a donné tant d’inquiétudes à ceux qui aiment l’excellent artiste. Dans le pre
mier moment, les échos n’apportaient qu’un bruit de deuil. On assurait que les médecins avaient commencé par hésiter et, par suite, à faire ce hochement de tête dont on comprend trop bien le sens sinistre. A une seconde confé
rence, l’espoir a reparu, ils ont décidé qu’on procéderait à une ponction, et, le lendemain, l’opération, très-habilement faite, avait causé un grand soulagement au malade. Il fallait voir avec
quel empressement amical on accueillait la bonne nouvelle ! Ce n’était pas seulement le monde des artistes,, c’étaient aussi les amateurs, les heureux du jour dont il a tant contribué à doubler les
jouissances qui s’accordaient à manifester un vif contentement. — Guérira-t-il? Tout le fait espérer. Néanmoins il ne faut pas se leurrer d’espé
rances trop trompeuses. Corot s’achemine aux limites du grand âge. S’il en réchappe, — ce que tout le monde souhaite si vivement, — il faudra qu’il fasse des concessions au mal. Il est suppo
sable qu’il ne pourra plus fumer sa pipe, qu’il devra quitter l’atelier où il passe les trois quarts de son temps, qu’il ne pourra plus assister aux réunions d’amis, dîners ou causeries, où il mon
trait tant de gaieté. On le condamnera, pour le moins, au repos, loin de Paris. Corot, inactif! Corot, qui faisait du travail une fête, la main oisive, la pensée endormie, conçoit-on cela? Eh! sans doute, il faut s’y résoudre. Il paraît que
la Faculté a déjà parlé d’Hyères; Corot serait exilé là où le ciel est toujours bleu, où les oran


gers sont toujours en Heurs et où le soleil ne cesse pas de se montrer, et habiter cet Eden se


rait pourtant un supplice pour cet infatigable ouvrier !
— Tout ce qu’on voudra, a dit le vieux peintre, mais pas de repos forcé. En me promenant au bord de la mer, je ferais tout de même du paysage, ne fùt-ce que sur le sable de la plage et avec le bout de mon bâton !
Dieu merci, notre farouche hiver tire à sa fin. Le froid a disparu. Il n’y aura plus de neige, ni de verglas, ni de brouillards. Déjà une lumière plus limpide descend sur la ville pour l’égayer. On met cette embellie à profit un peu
partout, notamment dans les ateliers, lesquels sont devenus comme des ruches d’abeilles indus
trieuses. Le pinceau, l’ébauchoir, le burin, le ciseau, tous les outils sont en mouvement. Encore quelques semaines et l’on sera arrivé à l’é­
chéance du Salon. Si tout ce qu’on rapporte à ce sujet est exact, la prochaine exposition sera des
plus brillantes. Dès à présent, on parle d’un grand nombre d’œuvres remarquables. Par exemple, on cite, dès à présent, de Donnât, le Portrait de Mme Pasca; de Priou, une Décolla
tion de saint Jean; de Philippe Rousseau, le Fromage blanc; de Cabanel, Juda et Tliamar; de Gervex, Diane et Endymion; de Lefebvre,
une Nymphe des bois; de Détaillé, Défilé sur le boulevard; de Delort, YEmbarguement de Ma
non Lescaut; un Protais, un Gérôme, des Baudry, peut-être un Meissonier.
En commençant, je vous parlais de la vente des bijoux d’une ancienne actrice. Croi
riez-vous que cet épisode si simple ait pu devenir de la part des Allemands l’objet d’une accusation contre nous ? Bien qu’à cause de ce fait, la presse de Berlin s’évertue encore une fois à traiter Paris de « grande Babylone ». — Babylone vous-même, pourrait-on répondre. Et jus
tement un homme de talent, un écrivain qui connaît sur le bout du doigt le nord de l’Europe, M. Léouzon Le Duc renvoie le blâme à qui de droit dans un livre tout nouveau, les Odeurs de Berlin. Qui lira ce livre ne pourra s’empêcher tout à la fois de sourire el de frémir. Au
cun des mystères de cette capitale des Ilohenzollern ne demeure caché. L’auteur arrache d’une main ferme tous les voiles dont ces pré
tendus austères cherchent si bien à se couvrir et il nous dit :
— Voyez tout ce qu’il y a d’écume et de maux horribles dans leur chaste capitale !
Mais n’insistons pas sur ce point. L’Europe entière sait maintenant à quoi s’en tenir là-des


sus. A Berlin, on continue, par système, à incri


miner notre littérature, nos théâtres, nos mœurs.
C’était déjà ce qui se voyait en 1870, au moment de la guerre.
— Oh ! j’aime la France, disait un général allemand à un homme d’esprit qui faisait partie de nos ambulances, et je déplore cette guerre, mais avouez que vous l’avez bien méritée. Vos livres trop immoraux vous ont corrompus. Il faut que vous soyez châtiés.
— Quels livres ?
— Ceux d’Alexandre Dumas.


— J’en connais de plus dangereux, répondit le Français; ce sont ceux qui nous arrivent de


Berlin. Il est vrai qu’ils sont toujours si ennuyeux qu’on ne se décide plus à les lire.
Voilà Mm0 Christine Nilsson qui revient du pays où il question d’envoyer Corot. On as
sure qu’elle est guérie. C’est ce qu’a Pair de dire une lettre d’elle-même à M. Ulmann, l’associé de
M. Halanzier. Elle ajoute qu’elle va aller chanter dans des concerts à travers les départements, en commençant par Rouen. Mais pourquoi ne pas s’arrêter au nouvel Opéra, puisqu’elle était reve
nue de Vienne pour s’y faire entendre? Convenez que tout cela a grandement l’allure d’un rébus dont nul ne peut trouver le mot.
Et nos cinq cents dilettanti qui s’attendaient si bien à applaudir Ophélia, — après son enrouement ! Eh bien, non, Ophélia ne chantera pas.
Feu Vidal (de Cassis), médecin de l’Opéra, avait vu de près toutes les grandes cantatrices :
Mme Dorus, Mlle Falcon, Mm8 Rosine Stolz et les autres, et il faisait une remarque d’une grande finesse. Ce savant docteur, si fort homme du monde, prétendait qu’on ne devait jamais per
mettre à une première chanteuse de se croire malade.
— Quand une cantatrice garde la chambre, disait-il, si cela dure trop longtemps, c’est le public qui finit par être indisposé.
Le Tour du monde vient de dépasser la centième représentation.
Ce succès toujours croissant a remis en mouvement la verve conteuse des voyageurs.
Voici, à ce sujet, un trait qui nous a été rapporté, l’un de ces derniers soirs.
Un voyageur américain, du genre de ceux que M. Jules Verne fait si bien courir, débarqua, il y a quelque temps, sur une île de l’Océanie. En vrai touriste, il jeta sur son épaule un excellent fusil, passa deux revolvers à sa ceinture, sauta à terre et marcha droit devant lui, aussi lestement que s’il eût traversé une rue de New-York.
A peine avait-il fait quelques pas sur le rivage qu’il aperçut les débris d’un bâtiment, dont le naufrage devait remonter à peu de jours.
Un naturel était entré dans l’eau jusqu’aux genoux, cherchant encore quelques épaves. L’A­
méricain voulut avoir des détails sur ce naufrage et des nouvelles du bâtiment. En conséquence, il se plaça sur un monticule et s’écria d’une voix impérative :
-—- Y say ?
A ce langage inconnu, le sauvage leva la lête et regarda l’étranger avec un étonnement mêlé d’effroi.
— Come here, viens ici ! reprit le Yankee. Et comme le naturel ne lui paraissait pas com
prendre suffisamment ce qu’il disait, il épaula vivement son fusil.
Pour le coup, l’Océanien comprit parfaitement. En trois bonds, il arriva auprès de celui qui l’appelait.
Après quelques essais infructueux, le voyageur improvisa enfin un idiome, grâce auquel il put commencer son entretien avec le sauvage. En voici l’exacte traduction, imitée du père Bonheur de la Fanchonnette.
— Où passé équipage du grand canot? — Tombé entre les mains de nous. — Combien étaient-ils ? — Trente.
— Qu’en avez-vous fait?
— Tué trente, mangé vingt-neuf. — Misérables ! pourquoi?
— Eux bons, eux gras, vingt-neuf!


— Et l’autre, pourquoi vous pas manger?


— Lui? Trop sentir tabac! pas bon! trop tabac ! trop tabac !
Trop tabac ! — Il résulte de ce fait que le fumeur, le chiqueur et même le priseur courent la chance, s’ils tombent entre les mains des canni
bales, sinon d’être épargnés, du moins de n’être pas mangés.
Philibert Audebrand.