Et maintenant cet homme est mort, cet artiste qui forma tant de bons comédiens sans vouloir jamais paraître sur la scène. Il n’avait pas soif de bravos. II se contentait des échos des applaudissements que recueillaient ses élèves. L’histoire dramatique et litté
raire de ce temps n’oubliera pas certainement le nom de Ricourt, qui fut, on peut le dire, le nom d’un croyant, d’un professeur éminent et d’un honnête homme.
Jules Claretie.
Installation provisoire
M. Eugène Lambert est un peintre d’animaux qui a particulièrement étudié les chats et qui les aime d’un amour égal à celui que professait pour eux le dessina
teur Granville et à celui que leur garde M. Cliampfleury qui leur a consacré tout un volume. Chaque année, au Salon, on peut voir quelques jolis tableaux de chats signés du nom de M. Lambert. L’an dernier, c’était l’Installation provisoire.
Provisoire ! Certes, quoi qu’il ne s’agisse point de politique. Trois petits chats, adorables et dont la grâce féline appelle la caresse, se sont installés, du
rant l’absence de Madame, dans le tiroir d’une commode. Ils s’y trouvent à l’aise. Ils sont là en pays con
quis. Les robes de soie leur servent de lit de repos,
les voiles et les rubans les attirent. Ils ont mis le tiroir au pillage. Tranquille et satisfaite, la mère chatte contemple, du haut d’un tabouret, cette scène de réquisition, tandis qu’un griffon, allié pour cette fois à la race des chats, — on s’entend toujours quand il s’agit de détruire, — mordille avec une évidente satisfaction un éventail dont il a fait sa proie.
Pour le moment d’ailleurs, le griffon s’interrompt. Le bruit que font les chats en grattant la commode de leurs petites griffes avides attire évidemment son attention, à moins qu’il n’ait entendu, de l’autre côté de la porte, le pas menaçant de la maîtresse ! Toujours est-il que les petits chats, profitant du pro
visoire, veulent atteindre ce chapeau qui est là-haut,
sur le marbre de la commode et qui leur fait envie. Ils lèvent la tête, ils dressent l’oreille, ils tendent les pattes. Plus calme, le petit chat blanc jouit tranquillement de sa conquête éphémère. U est de l’avis contraire à celui de Charles-Quint :
Croyez qu’on peut fort bien vivre dans une armoire!
Il y a de l’esprit, sans compter le talent artistique, dan» cette jolie composition, une des plus délicates
et des plus ingénieuses de M. Lambert, le peintre ordinaire de leurs majestés félines. J. C.
Le royaume de Dakar
Les mosquées du Sénégal sont partout d’une grande simplicité : des enceintes de murs blancs, le plus souvent à ciel découvert, et sans aucune prétention architecturale.
Dakar en possède une dans ce style, dont nous donnons une vue.
Devant la porte du sanctuaire se tiennent toujours quelques vieux marabouts en prières, accroupis dans les plis de leurs longues tuniques blanches, la poitrine couverte de grigris et le chef surmonté de ces chapeaux d’un grotesque invraisemblable, qui se fabri
quent au loin, dans les contrées du Sud ou l’intérieur du Fonta-Djalen.
Ils récitent à voix basse des phrases sacramentelles, où revient à intervalles réguliers le nom redoutable d’Allah ; tour à tour ils regardent le ciel ou se jettent le front dans la poussière, et les objets extérieurs ne les troublent jamais dans leur recueillement et leurs génuflexions.
La charge des marabouts est héréditaire et entourée d’un grand respect. C’est aux marabouts qu’est confié le soin de rendre la justice et de faire les mariages. Ils passent pour très-versés dans la langue arabe et très-ferrés sur le Coran. Peu d’entre eux cependant méritent cette réputation et possèdent convenable
ment leurs textes; une copie complète des livres de Mahomet est même un objet rare entre leurs mains.
Des versets du Coran écrits en gros caractères sur des planches polies servent à l’instruction des enfants des prêtres. Dans les villages noirs on rencontre sou
vent des groupes de petits marabouts, apprenant tout haut à lire sur leurs tablettes de bois, avec un grand zèle et un entrain très-bruyant.
Les dogmes principanx de la religion musulmane se retrouvent sans altération au Sénégal, et les ob
servances religieuses y sont très-peu modifiées. Les rins et les boissons fermentées sont partout proscrites, t le ramadan toujours strictement observé.
Le ramadan est un mois de jeûne et de prières,
pendant lequel on doit garder une continence irréprochable et ne manger qu’une fois par jour, après le coucher du soleil.
Le dernier jour du mois lunaire du ramadan, il est nécessaire, avant de prendre son repas, d’avoir aperçu la lune nouvelle. Des mets recherchés sont préparés ce soir-là dans toutes les cases, et les habitants sur leurs portes guettent avec anxiété l’apparition du mince croissant qui doit mettre fin à leurs mortifi
cations. Mais parfois le temps est couvert ; il suffit dans ce cas qu’une seule personne ait aperçu le croissant,
et l’affirme, pour que la population rassurée commence le festin réparateur.
Lafermeture du ramadan est célébrée par de grandes fêtes qui durent plusieurs jours. L’ivresse cependant est interdite de par Mahomet; mais, ce détail à part,
les folies de ce carnaval nègre rappellent beaucoup ce qui se pratique à pareille époque chez les peuples civilisés......
La navigation est chez les Sénégaliens un art avancé, et les formes bizarres de leurs pirogues sont le résultat d’expériences raisonnées et de combinaisons intelligentes.
Une pièce de bois énorme et massive est toujours la partie essentielle de l’embarcation ; elle est taillée à ses deux extrémités en longs éperons, destinés à piquer dans les lames terribles de ces brisants, où les meilleurs de nos canots seraient infailliblement perdus.
Cette poutre pesante, à moitié dissimulée sous l’eau, donne à cet ensemble une stabilité très-convenable, et c’est aux qualités seules et aux formes heu
reuses de cette base, que la construction entière doit son mérite et sa valeur.
La partie visible, posée sur cette pièce principale, n’a plus qu’une importance secondaire ; les rebords de l’embarcation (les bordages), souvent brisés et re
nouvelés à peu de frais, sont composés de planches légères, calfatées au moyen de bourrelets de paille. A l’avant, une plaque de bois de forme biscornue em
pêche le remou des lames fendues par l’éperon d’monder les passagers ; elle porte deux pointes en forme d’oreilles, au haut desquelles des grigris sont suspendus. — Un banc étroit, placé immédiatement derrière cette plaque protectrice, est destiné aux voyageurs de qualité, tandis que, tout à l’opposé de ce qui se fait en Europe, les rameurs sont placés à l’arrière.
Les noirs manœuvrent leurs pirogues à la rame ou à la pagaye, debout ou assis. Ils s’excitent par des cris aigus, ou plus souvent par un certain sifflement de reptile, qu’ils produisent en soufflant avec force entre leurs dents blanches. Les pirogues vont plus rarement à la voile, et sont alors si penchées qu’elles
paraissent naviguer sur le flanc. Souvent, chargées jusqu’au bord, elles semblent prêtes à chavirer, mais les piroguiers savent toujours les redresser à temps, par des flexions habiles de leur propre corps, et ob
tiennent par ce moyen de vrais prodiges d équilibre. Si cependant un malheur leur arrive, ils ne se déconcertent jamais, ils nagent et plongent comme les re
quins eux-mêmes, et, en un clin d’œil, l’embarcation relevée et rechargée est prêle à continuer sa route.
Dom Guéranger
Tout le monde connaît l’ordre des bénédictins, qui donna à l’Eglise et au monde savant tant de personsages célèbres. Supprimé en France par décret de l’Assemblée constituante, le 19 juin 1790, il y a vu tomber toutes ses maisons. De nos jours, une tentative a été faite à Solesmes pour le rétablir, et l’ini
tiative en a été due à dom Guéranger, qui, après avoir
longtemps dirigé le nouvel établissement, y est mort dans les derniers jours du mois de janvier.
Dom Guéranger était un enfant de la Sarthe, un Français, non un étranger, comme pourrait le faire penser à quelques-uns le dom (dominus) qui précède son nom, et qui n’est qu’un signe jadis adopté par les bénédictins pour témoigner de la noblesse de leur congrégation. Il était né au Mans en 1806. S’étant de bonne heure destiné à l’état ecclésiastique, il avait été quelque temps attaché à l’évêché ; puis bientôt entraîné par son zèle, il était entré dans les ordres réguliers.
Ayant alors obtenu l’autorisation de ressusciter l’ordre des bénédictins, il travailla de toutes ses forces, vers 1830, à reconstituer cette célèbre abbaye de So
lesmes qu’avait fait disparaître la Révolution, et qui ne tarda pas à redevenir un riant et paisible asile, centre d’études et de grands travaux d’érudition.
L’abbaye de Solesmes remonte haut dans le temps. Il y aura bientôt sept siècles qu’elle existe. Il est inu
tile d’ajouter qu’elle a été plusieurs fois reconstruite depuis sa fondation. Actuellement, comme on peut le
voir par une des vues que nous en donnons, elle forme un ensemble de constructions très-simples, renfer
mant le cloître, et reliées à un bâtiment plus ancien, flanqué d’une tour élevée. Cette dernière partie date de la Renaissance, la première du commencement du xvme siècle.
L’église, en forme de croix latine, est très-remarquable, avec son clocher surmonté d’un dôme, ses voûtes à clefs historiées, son chœur garni de stalles qui sont des chefs-d’œuvre de sculpture du xvie siècle, et ses deux admirables chapelles du transept. Ces cha
pelles sont, en effet, la grande curiosité de l’église. Dans l’une, celle de gauche, ont été retracées par le plus habile ciseau les principales scènes de la vie de la Vierge. L’autre, celle qui termine le bras droit du transept, et où se trouve la vieille madone si vénérée,
Notre-Dame de Pitié, est précédée d’un portail du xvie siècle, orné à sa partie supérieure d’un calvaire à nombreux personnages sculptés du plus beau travail.
Ce portail donne accès sous une voûte ogivale ou grotte, célèbre par son groupe en terre cuite repré
sentant une Mise au sépulcre, et surtout la fameuse statue de la Madeleine, renommée dès le moyen âge pour sa beauté, et qui est bien véritablement « le joyau et la perle de ce monument».
C’est dans ce pieux et charmant asile, au milieu d’une campagne écartée, propice aux méditations, que dom Guéranger s’était retiré et qu’il a vécu quarante ans, consacrant tous ses soins et toute son activité à l’extension de son ordre et aux travaux historiques qui l’ont jadis illustré. Parmi les nombreux ouvrages
de dom Guéranger, citons : Du naturalisme dans l histoire, la Monarchie pontificale, et ses Institu
tions liturgiques, contenant l’histoire de la liturgie depuis les apôtres jusqu’à nos jours. Dans ces divers ouvrages, il s’est surtout proposé de combattre l’Eglise gallicane et de relever le pouvoir du pape, car il était un des chefs du parti catholique français ultramontain.
Dom Guéranger est mort à la suite d’une très-courte maladie, qui n’avait, pas paru donner à craindre un si déplorable dénoùment. C’est l’évêque du Mans, assisté des évêques de Nantes et de Quimper, qui a présidé à ses obsèques. L’évêque de Poitiers doit prononcer son oraison funèbre le 3 mars prochain.
L’inhumation d’un suicidé militaire
Depuis quelque temps des suicides avaient lieu assez fréquemment dans l’armée française. L’autorité ne pouvait manquer de s’en émouvoir, et, récemment,
M. le général Espivent de La Villeboisnet prenait un arrêté par lequel tout homme sous les drapeaux, cou
pable de s’être volontairement donné la mort, devait être porté la nuit au cimetière par quatre hommes, commandés par un caporal, et inhumé sans que les honneurs militaires et religieux lui fussent rendus.
Cet arrêté, approuvé par le ministre de la guerre et signalé par lui à tous les généraux commandant les divisions militaires de la France, vient d’être mis pour la première fois à exécution à Marseille même, à la suite d’un suicide, et c’est un enterrement de cette nature que représente le dessin que nous donnons.
Les marchés aux fleurs de Paris
Qu’elle soit grande dame ou pauvre ouvrière, la Parisienne adore les fleurs. Il n’est donc pas éton
nant qu’à Paris le commerce des fleurs soit des plus florissants et que six marchés aient été jugés nécessaires pour les transactions dont elles sont l’objet.
Avant la Révolution, le marché aux fleurs proprement dit se tenait sur le quai étroit et incommode de la Mégisserie. Eu 1808, on le transporta sur les terrains nivelés à cet effet et plantés d’arbres du quai
Desaix, entre le pont au Change et le pont Notre- Dame. Devenu marché aux fleurs, le quai Desaix per
dit dans le langage usuel son nom officiel pour devenir le. quai aux Fleurs. Vers 1860, les travaux de construc
tion du nouveau Tribunal de Commerce forcèrent les fleurs à opérer une retraite tout juste en bon ordre; elles s’éparpillèrent sur les quais et les ponts d’alen
tour et quelques bouquets plus hardis osèrent passer la rivière pour aller s’ins!aller sur la rive droite. Le marché resta dans cette situation jusqu’au jour où il
fut invité à s’installer sur l’emplacement, définitif peut-être, qu’on lui a ménagé derrière le Palais occupant son ancienne place.
Ce marché aux fleurs est le principal de la ville, celui sur le carreau duquel on vend non-seulement des fleurs coupées, des bouquets, des fleurs en pots ou en bourriches, mais aussi des arbrisseaux, même
des arbres, en caisses, en paniers ou à l’état d’arrachis, c’est-à-dire avec leurs racines enveloppées de terre que maintiennent des liens en paille.
D’autres marchés ont été installés en 1834 sur les