promenoirs plantés de la place de la Madeleine; en 1836 sur la place du Château-d’Eau; en 1845 sur celle de Saint-Sulpice. Ces marchés, où affluent toutes les classes de la société, se tiennent chacun deux jours de chaque semaine : le mercredi et le samedi appartiennent sans conteste au marché aux Fleurs;
le lundi et le jeudi aux deux marchés des places du Clùiteau-d’Eau ët de Saint-Sulpice; le mardi et le vendredi à celui de la Madeleine, le marché fashionable où le pot de giroflée, vendu quinze sous au Château-d’Eau, se donne pour vingt-cinq ou trente... et la marchande affirme y perdre quelque chose... Deux petits marchés, également réservés aux fleurs, se tiennent aux Batignoiles et à la place Voltaire.
Toutes ces fleurs, apportées sur les marchés parisiens, appartiennent aux plus belles variétés; elles sont cultivées avec une science horticole qui se ren
contre difficilement ailleurs que dans les environs de Paris, principalement à Vitry et à Fontenav-aux- Roses, d’où elles se dirigent non pas seulement vers les légers abris des marchandes de la capitale, mais aussi vers la province et même s’exportant jusqu’en Angleterre, en Hollande et en Russie. P. L.
Le pigeonaier militaire du Jardin
d’acclimatation
Nous n’avons sans doute pas besoin de rappeler le service que, durant cinq longs mois, les pigeons voyageurs rendirent aux Parisiens investis, sans commu
nications avec le dehors, affamés de nouvelles plus encore que de pain. Le siège de Paris, après plu
sieurs autres fameux aussi, ayant démontré tout le parti que l’on peut tirer de ces oiseaux, la plupart des nations étrangères, mais surtout les Allemands, en ont pourvu leurs citadelles.
Venant la dernière dans l organisation d’un service de correspondance par pigeons voyageurs, nous de
vons espérer que notre administration saura bien vite regagner le temps perdu et profiter de l’expérience acquise par les nations voisines. D’après une déci
sion prise il y a quelques mois par le ministre des finances, dont relève l’administration des postes, le Jardin d’acclimatation a été chargé de l’élève de ces intéressants volatiles appelés, eux aussi, à contribuer à la défense de la patrie, tout comme les autres com
pagnons de nos travaux et de nos plaisirs. Un vaste colombier pouvant contenir plusieurs centaines de couples s’élève en ce moment dans l’enceinte du Jardin, et offre l’aspect d’une haute tourelle percée d’un grand nombre d’ouvertures. C’est là que se mul
tiplieront nos messagers futurs qui, une fois parvenus à l’âge adulte, devront se trouver répartis d’abord
dans les villes frontières pouvant être investies les premières, puis dans les forteresses avoisinant Paris. Nous n’avons pas entendu dire que le service de cor
respondance par pigeons voyageurs sera confié à un personnel spécial, ni quelles dispositions ont été prises pour initier ce personnel ou tout autre aux soins à donner aux pigeons, à la formation des dé
pêches, à leur préparation, à leur réduction photo
graphique; ce que nous savons seulement c’est qu’en
temps de paix le personnel et le matériel du service de la poste par pigeons voyageurs relèvera de l’admi
nistration des postes, sera formé et administré par elle. En cas de guerre, ce service sera mis à la disposition du ministère de la guerre, par voie de réquisi
tion, tout comme les services des télégraphes, des ballons, etc., et sera appelé à faire partie de l’arme du génie. P. L.


HIYOTOKO


NOUVELLE JAPONAISE
(Suite)
11 poussa un soupir de soulagement, en atteignant enfin la légation française, perdue au fond du solitaire quartier de Saïkaïdji. Quand il se présenta sur la porte de l’enclos, la sentinelle, accroupie selon la méthode japonaise, cria quel
ques mots pour l’empêcher de passer outre;
mais lui, relevant la lance qu’on avait croisée
devant lui, se précipita en courant vers la vérandah, et avant que le poste appelé par la sentinelle eût le temps de se rassembler, il s’engouf
fra dans le salon que Lavison occupait à la légation. Mais il s’arrêta brusquement...
Soukouné se précipita sur lui en poussant des
cris de joie; Zingou tourna vers lui ses yeux remplis de larmes ; Tsjoo se leva tristement pour lui serrer la main.
— Vous ici! s’écria l’artiste visiblement embarrassé. Et depuis quand?
— Depuis quelques heures, dit Lavison. 11 y a du nouveau, mon brave Lespalier.
— Je m’en doute, dit l’artiste. Mais, ajouta-t-il avec hésilation et craignant soit d’éveiller quel
que cruelle douleur, soit de faire connaître une désolante nouvelle, il me semble que je ne vois pas ici toute la famille.
— Chut! fit Lavison en se détournant pour poser un doigt sur ses lèvres.
Mais Tsjoo avait entendu la recommandation et remarqué le signe. Il reprit dans ses deux mains la main de Lespalier, et la serrant fiévreusement:
— C’st vrai, dit-il, il nous manque notre fille Iliyotoko. Ma fille, ma pauvre fille, frappée tout à coup de folie, s’est enfuie hier matin avant le jour du yaski de son père; ma fille est perdue, ma fille est morte.
— Perdue......je ne dis pas non, fit Lespalier;
mais morte, je gagerais qu’elle ne l’est pas, car je l’ai vue il n’v a même pas longtemps.
— Ma fille ! tu as vu ma fille! s’écria Tsjoo en levant les bras au ciel.
— Tu as vu Iliyotoko? dit Lavison avec animation.
— Tout comme je vous vois. J’ai même déjeuné et diné avec elle. Malheureusement...... Voici d’ailleurs toute l’histoire.
Pendant que Lespalier faisait le récit de ses aventures, la figure de Tsjoo s’épanouissait visi
blement. De temps en temps, quand le narrateur faisait une pose pour maîtriser ses émotions et ménager celles de ses auditeurs, le Japonais se penchait pour dire un mot dans l’oreille de sa femme, dont les traits assombris s’éclaircissaient progressivement.
Mais il fallait enfin entamer la parlie critique du récit. Lespalier usa de tous les ménagements imaginables et n’en vint qu’après de longs dé
tours à raconter comment, à son réveil, son norimon avait disparu et la jeune fille aussi. Tsjoo l’interrompit par un sonore éclat de rire. Lespa
lier et Lavison le regardèrent avec stupéfaction et ne doutèrent pas qu’ils eussent affaire à un fou.
— Pauvre Tsjoo, dit le capitaine, ton malheur est grand assurément; mais enfin, ta fille vit ; la police japonaise est fort habile, nous allons la mettre sur pied, et...
— Je n’ai que faire de la police, dit Tsjoo en riant; je sais où est ma fille.
Lavison et Lespalier se regardèrent avec inquiétude.
— Tu le sais? demanda Lavison. — Je le sais à n’en pas douter. — Comment cela?
— Voici comment. Les hommes d’armes vêtus d’une cotte de mailles et coiffés d’un casque sont des soldats du taïkoun; aucun autre daïmio ne pour
rait, sous peine de la vie, affubler ses hommes de la sorte.
— Eh bien? demanda Lavison.
— Eh bien ! les hommes du taïkoun ne sortent jamais que par l’ordre du taïkoun, ne font
rien que ce que le taïkoun a ordonné. S’ils ont enlevé ma fille, c’est le taïkoun qui l’a voulu.
— Est-ce qu’il a voulu aussi mon norimon? demanda Lespalier.
— Non, sans doute, car il n’en a pas besoin ; mais il aura peut-être oublié que ma fille en au
rait besoin si on la retrouvait, et ses hommes y auront songé pour lui. Le norimon ne sera pas perdu. Quant à ma fille, elle est à O-Siro, dans le palais du taïkoun, j’en jure sur ma tête.
En prononçant ces paroles, les gestes, l’intonation, les regards de Tsjoo témoignaient d’une joie immense et qui avait peine à ne pas éclater ;
Zingou elle-même, bien que ne comprenant rien aux paroles de son époux, qui s’exprimait en un mauvais français, ne détachait pas son regard des lèvres de Tsjoo, et par son attitude témoignait


une profonde satisfaction. Lavison éprouva un mouvement de colère qu’il réprima aussitôt.




— Eh bien, Tsjoo, demanda-t-il d’une voix émue, ta fille est à O-Siro, je veux le croire ; cela suffit-il pour te rassurer ?




— Me rassurer ! s’écria Tsjoo avec une sorte d’enthousiasme; cela suffit pour me donner les plus grandes et les plus légitimes espérances. Songe donc! ma fille est belle, tu le sais bien,




toi, dit-il avec quelque malice; il y a peu, il n’y




a peut-être pas de Japonaise plus belle que ma fille. Est-ce vrai?




— C’est parfaitement vrai. Ensuite?




— Ensuite, la Kisaki la verra, elle plaira à la Kisaki, la Kisaki l’offrira à son auguste époux...




C’est Ongazawara qui sera furieux!... Qu’est-ce que cela méfait? Qu’ai-je à craindre d’Ongazawara si le taïkoun protège ma famille? La pro




tection du taïkoun, qui sait? ajouta-t-il à demivoix, c’est la porte d’O-Siro ouverte à Tsjoo et aux idées qu’il apporte des pays du couchant ; c’est l’empire du Soleil levant ouvert aux commerçants de tous pays, à la civilisation, au pro




grès ; c’est la réalisation de tes espérances, c’est l’accomplissement de ta mission.


— Est-ce l’accomplissement des désirs de ta fille ?


— Pourquoi pas?




— Qui sait? Ta fille (s’il y a de ma faute je t’en demande pardon, mais je n’ai rien fait volontai




rement pour cela), ta fille a refusé, chose inouïe, d’entrer dans le yaski de son daïmio; acceptera-t- elle d’être la maîtresse du taïkoun ?




— Si elle résistait... dit Tsjoo en serrant les dents et les poings.




— Si elle résistait, Tsjoo, dit Lavison avec sévérité, si elle résistait, je t’engagerais à te sou




venir que tu as appris chez nous comment on aime ses enfants; je te rappellerais que tu n’es plus Japonais qu’à moitié, et reconnaissant que ta noble fille n’est plus Japonaise du tout, que son âme généreuse a franchi d’un seul pas tous




les degrés de la civilisation, tu ferais comme font la plupart des hommes d’Occident : tu sacrifie




rais au bonheur de ta fille toutes tes espérances égoïstes et tes vœux intéressés.




La tête de Tsjoo tomba tristement sur sa poitrine ; et après un moment de douloureux silence il la releva avec un soupir et s’écria :




— Malheur ! malheur à Tsjoo ! Tsjoo n’a plus de patrie ; les portes de son pays lui sont à jamais fermées !




— Celles du mien te resteront ouvertes. Allons voir le taïkoun et lui arracher, s’il en est temps, une innocente victime.


XVII
Le troisième jour du troisième mois est, pour la population lettrée d’Yédo, une fête d’un caVactère tout particulier, que Ton pourrait appeler la fête des madrigaux. Ce jour-là, en effet, tous les poètes de la ville et beaucoup d’autres accou
rus de loin à cette solennité se rendent à O-Siro, auprès de la Kisaki et des autres femmes du taï
koun, pour leur offrir leurs hommages poétiques et chanter le printemps en termes ampoulés.


Or, c’est précisément le troisième jour du troisième mois que Lavison, Tsjoo et Lespalier se présentèrent au pont-levis d’O-Siro et sollicitè




rent auprès de l’officier qui commandait le poste extérieur, en deçà du canal, la faveur d’être ad




mis auprès du prince temporel du Japon. L’offi




cier parcourut en fronçant le sourcil le laisserpasser qu’avait obtenu Lavison, en arrivant à


Yédo, pour être introduit à toute heure auprès


du taïkoun, en qualité d’envoyé extraordinaire du gouvernement français. Il jeta un coup d’œil


sur le diplôme délivré à Tsjoo au moment de sa


mission en Europe. Puis il s’arrêta devant Lespa




lier en tendant la main pour qu’il lui remît ses titres.




— C’est mon secrétaire, dit Lavison.




L’officier toisa Lespalier d’un air assez impertinent, et d’une baguette de fer qu’il tenait à la main, il frappa trois coups sur un gong suspendu