SOMMAIRE.
Texte : Histoire de la semaine. — Courrier de Paris, par M. Philibert Audebrand — Nos gravures : Tombeau gallo-romain découvert à Séguret (Vaucluse); — M. Henri de Bornirr; — Corot; — L ascension de le Ville-de-Calais; — Legrand cor
tège historique d’Anvers; — Le percement du boulevard
Saint-Germain. — Hiyotoko, nouvelle japonaise, par M. Pejremal (suite). — Le revers de la médaille, nouvelle, par M. Gustave Chadeuil. — L’atmosphère de Vénus. — Statuettes
offertes par les exposants de Vienne à MM. Ozenne et du Sommerard. — Renouvellement du matériel des ambulances de l’armée. — Revue financière de la semaine. — Faits divers.— Statue de Jacques Callot. — Bulletin bibliographique.
Gravures : Corot. — Monument funéraire antique récemment trouvé à Séguret (Vaucluse); — Le village de Séguret (Vau
cluse). — M. de Barnier.— L’ascension du ballon la Ville-de- Calais, à Pau. — Les fêtes d’Anvers (3 gravures). — Le vieux Paris : maisons destinées à être prochainement démolies pour donner passage au boulevard Saint-Germain prolongé. — Statuettes offertes par les exposants de Vienne à MM. Ozenne
et du Sommerard (2 gravures). — La réorganisation des am
bulances de l’armée (3 gravures).— La lepon de natation, d’après le tableau de M. -Adrien Moreau. — Statue de Jacques Callot destinée à être érigée à Nancy. — Echecs. — Rébus.


HISTOIRE DE LA SEMAINE


FRANCE
Cette fois, c’est chose faite, ou peu s’en faut. Les négociations engagées ont abouti, et demain, jeudi,
nous aurons certainement une constitution. Ce ne sera point une perle, oh! non; mais enfin, quelque mal tournée qu’elle nous apparaisse, elle semble viable et perfectible, et c’est l’important. Peu à peu elle s’améliorera sans doute, à mesure que s’aplaniront les difficultés au milieu desquelles vient de s’opérer son laborieux enfantement.
On sait que c’est sur un projet de loi présenté par M. Wallon qu’a eu lieu la transaction entre le centre gauche, la gauche et une partie du centre droit. La gauche et l’extrême gauche avaient remis aux mains du centre gauche la conduite des négociations avec le groupe Lavergne et le centre droit, et ces trois groupes avaient désigné des délégués chargés de préparer l’entente. Le centre droit avait déjà d’ailleurs, dans une réunion tenue chez M. Bocher, adopté en prin
cipe le projet Wallon, en chargeant son président, et MM. d’Audiffret, Buisson et Callet, ses délégués, de faire connaître à ses auteurs les modifications qui,
selon eux, pourraient y être apportées. Il paraissait donc à peu près certain que l’accord se ferait.
En elfet, ces délégués s’élant abouchés chez M. Casimir Périer avec ceux du centre gauche, MM. Corne, Bardoux, de Chadois, Léon Say, Ricard, Christophle, Schérer et Bethmont, et ceux du groupe Lavergne, MM. Wallon, Target, d’Haussonville et Beau, on ne tarda pas à s’entendre. Toutefois, les délégués du centre droit réservèrent l’article qui, au choix du pré
sident de h république, substituait l’élection par l’Assemblée nationale d’une partie des sénateurs,
voulant avant de se prononcer sur ce point connaître l’avis du maréchal. Ils chargèrent en conséquence M. d’Audiffret-Pasquier d’aller en conférer avec le conseil des ministres, qui était justement assemblé en ce même moment, sous la présidence de M. de Mac- Mahon. Celui-ci, mis au courant de la situation, ré
pondit aussitôt que, pour ne point mettre obstacle à une transaction nécessaire, il consentait à renoncer à la prérogative en question. Puis, le conseil des mi
nistres, après avoir pris quelques autres résolutions,
donna mission au ministre de l’intérieur, M. de Cliabaud-Latour, de se rendre au sein de la commission des Treille, pour l’informer de ces résolutions.
De son côté, celte dernière avait depuis la veille commencé l’examen des projets Vautrain, Waddinglon et Cézanne, qui lui étaient soumis. Elle avait re
poussé celui du premier, qui faisait élire le Sénat par le suffrage à deux degrés ; mais elle avait adopté le projet Cézanne, modifié par certains emprunts faits au
projet Waddington et un amendement de M. d’Andelarre, dont nous donnons ci-dessous la teneur.
Voici l ensemble des dispositions qui avaient été adoptées par elle dans sa première séance.
Le Sénat devait se composer : 1 De membres élus dans chaque département de la France par un corps électoral formé des membres du conseil général et des conseils d’arrondissement; des députés; d’un délégué de chaque commune désigné par les conseils munici
paux, avec adjonction (amendement d’Andelarre) des plus imposés en nombre égal; 2? Des membres élus par les quatre colonies : Inde française, Martinique,
Guadeloupe, La Réunion ; 3 Des sénateurs nommés parle président de la République, sur la présentation du Sénat, le nombre de ces sénateurs devant être our la première fois de (juatre-vingts. Chaque dépar
lement de la France devait élire deux sénateurs et les trois départements de l’Algérie deux seulement.
Dans sa séance du lendemain, la commission des mte avait décidé que la durée du mandat, des sénateurs élus serait de neuf ans ; que le Sénat serait re
nouvelé par tiers, tous les trois ans, et intégralement
pour chaque département désigné par un tirage au sort ; qu’à l’époque seulement de ce renouvellement partiel seraient comblés les vides faits dans les rangs du Sénat, à moins qu’un département n’eut perdu ses deux sénateurs ; qu’enfin les sénateurs nommés par le président de la République seraient inamovibles.
La commission mettait en délibération la proposition de gratuité des fonctions de sénateur, lorsque M. de Chabaud Latour fut annoncé et introduit. On sait la nature de la communication qu il avait à faire.
Après avoir déclaré qu’une entente venait de s’établir entre divers groupes de l’Assemblée pour voter la loi du Sénat, et que le président de la République, afin de rendre définitive cette entente, croyait devoir re
noncer au droit que lui attribuait la commission de nommer le tiers des sénateurs, il ajouta que le maré
chal invitait, dans le même but, la commission à ne point persister à adjoindre aux conseillers municipaux chargés d’élire un délégué, les plus forts imposés de la commune.
Une telle communication ne pouvait manquer de causer la plus vive émotion parmi les membres de la commission, qui se séparèrent aussitôt en renvoyant au lendemain toute délibération sur l’incident. Il est certain que la commission élait ébranlée. Néanmoins,
après avoir décidé le lendemain, après une assez longue discussion, qu’elle examinerait le projet Wal
lon, jugeant sans doute qu’il y allait, de sa dignité à ne pas se rendre si promptement, elle le repoussa dans sa principale disposition : celle de l’élection par l’Assemblée nationale d’une partie des sénateurs, maintenant sur ce point le droit du président de la Répu
blique. Ede refusa en outre de renoncer à l’adjonction des plus imposés aux conseillers municipaux pour l’élection des délégués. Mais, nous l’avons dit, il n’v avait là qu’une question de dignité, et, dès ce mo
ment, il était clair que la commission ne résisterait que pour la forme au projet Wallon devant l’Assem
blée. « Je ne ne suis pas de ceux qui ne veulent rien faire, avait dit en effet M. Batbie, son président, mais je désire conserver ma liberté jusqu’au dernier mo
ment. La commission peut maintenir son projet, sauf à subh les amendements. » Un autre fait plus signifi
catif encore indiquait bien que telles étaient les dispo
sitions de la majorité de la commission : celui de la nomination comme rapporteur de M. Lefèvre-Pontalis, bien qu’il eut déclaré être favorable à la proposition Wallon et ne pouvoir se charger de la combattre à la tribune.
Accord entre le centre gauche et une partie du centre droit, accord avec le gouvernement, allilude
passive et résignée de la commission, tout allait donc à souhait. Un point restait encore douteux ; l’accueil qui serait fait par la gauche et l’union républicaine au projet Wallon; car, bien que ces deux groupes eussent remis au centre gauche la conduite des négociations, encore s’étaient-ils réservé, après avoir en
tendu les communications des délégués du centre gauche, de prendre alors une résolution définitive.
Un seul orateur de la gauche, M. Jules Grévy, se prononça contre le projet Wallon ; tous les autres membres de ce groupe s’y rallièrent, sous la condition de certaines modifications, au sujet desquelles les dé
légués du centre gauche furent priés de conférer avec ceux du centre droit et du groupe Lavergne. Ces mo
difications consistaient dans la suppression de l inamovibilité des sénateurs élus par la Chambre, dans l’o­
bligation de la majorité absolue pour l’élection de ces mêmes sénateurs, enfin dans l’établissement d’une proportionnalité entre le nombre des délégués muni
cipaux et la population des villes. Mais le centre droit, dans une conférence tenue chez M. Bocher, son pré
sident, refusa d’apporter la moindre modification au projet Wallon, par cette raison que, « le texte arrêté définitivement étant le résultat d’une transaction, si d’une part des changements y étaient introduits, il se
rait impossible d’en écarter d’autre part », ce qui était vrai. En présence de ce refus du centre droit, et du motif sur lequel il était appuyé, la gauche et l’extrême gauche, faisant bon cœur contre fortune, cé
dèrent non sans douleur et se prononcèrent alors pour l’adoption du projet Wallon. Elles décidèrent en outre qu’elles écarteraient résolument tous les amendements ou articles additionnels à ce projet, de quelque nature qu’ils fussent, qui pourraient être présen
tés à l’Assemblée lors de la discussion. Cette dernière décision était prise en vue de parer aux manœuvres préparées, on le savait, par les groupes hostiles à la constitution d’un gouvernement définitif, afin de faire
encore échouer, au dernier moment, le projet de transaction sur lequel, après tant d’efforts, une majo
rité avait enfin pu se former. Parmi ces manœuvres on citaitdeux amendements, l un en faveur du suf
frage universel, l’autre en faveur de la nomination des sénateurs par le président de la République.
Ces amendements furent en effet produits au cours de la délibération sur le projet, pour lequel M. Wallon avait demandé, aussitôt après la lecture du rap
port, l’urgence et la discussion immédiate. Mais ils furent tous repoussés sans discussion. En vain les orateurs de la droite, de l’extrême droile et du groupe de l’Appel au peuple, MM. Ganivet, de Belcaslel, de Lorgeril, de Castellane, Raoul Duval, pour Renommer que ceux-là, provoquèrent ceux des centres et de la gauche à monter à la tribune, ces derniers firent la sourde oreille, restant impassibles devant les plus vives attaques ; et c’est sans s’être départis un seul instant du silence prudent qu’ils s’étaient promis de garder jusqu’au bout qu’ils adoptèrent tous les articles du projet Wallon. Par suite des efforts des groupes opposés à l’organisation d’un gouvernement définitif, ce projet n’en occupa pas moins deux longues séances,
et ce n’est qu’au commencement de la troisième que put être adopté l’article 5, relatif à l’élection des séna
teurs par l’Assemblée, auquel M. Martial Delpit avait proposé d’ajouter une disposition réglant que cette élection aurait lieu sur une liste présentée par le président de la République. Le renvoi de l’amende
ment, ayant été réclamé par le rapporteur, était de droit ; de là la remise. Mais ce n’était qu’un retard. La loi sur le Sénat adoptée, l’Assemblée passa aussitôt à la troisième délibération de la loi sur les pou
voirs publics, dont ce soir, mercredi, tous les articles ont été adoptés, moins un réservé pour demain. C’est un article additionnel de M. Wallon, donnant au pré
sident de la République, entre autres attributions, la
nomination du président et des membres du conseil d’Etat. Comme c’est chose convenue, cela ne peut faire l’ombre d’une difficulté. Demain donc l’article sera adopté, et, quand paraîtront ces lignes, sans aucun doute ce laborieux travail de constitution sera dé
finitivement achevé. Aussi, croyons-nous pouvoir dès aujourd’hui en donner un court résumé.
Le pouvoir législatif s’exerce par deux assemblées : une Chambre des députés et un Sénat composé de
trois cents membres. La Chambre des députés est nommée par le suffrage universel.
Le Sénat est élu, savoir : 75 membres par l’Assemblée nationale, au scrutin de liste et à la majorité des suffrages, membres inamovibles et ne pouvant être remplacés en cas de vacance que par le Sénat; 225 par un collège composé, pour les départements et les colonies, des députés, des conseillers généraux et d’arrondissement et d’un délégué élu par chaque conseil municipal parmi les électeurs de la commune. Ces 225 membres sont élus pour neuf ans et renouve
lables par tiers. Deux départements, la Seine et le Nord, élisent chacun 5 sénateurs ; six en élisent 4; vingt-sept, 3 ; tous les autres, 2 ; Belfort, les trois départements de l’Algérie, la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et les Indes françaises, 1.
Le Sénat a, avec la Chambre des députés, l’initiative et la confection des lois, sauf celles de finances,
qui doivent d’abord être présentées à la première Chambre et votées par elle. Il peut en outre être con
stitué en Cour de justice pour juger soit le président de la République, soit les ministres, et pour connaître des attentats commis contre la sûreté de l’Etat.
Le président de la République, toujours rééligible, est nommé pour sept ans, à la majorité absolue des suffrages, et remplacé en cas de vacance par le Sénat et la Chambre des députés, réunis en Assemblée na
tionale. Il promulgue et fait exécuter les lois, dispose de la force armée, nomme le président et les membres du conseil d’Etat, négocie les traités, et a le droit de faire grâce, sans cependant pouvoir accorder d’amnistie. Il peut, sur l’avis confurme du Sénat, dis
soudre la Chambre des députés, qui devra être rem
placée dans un délai de trois mois. Les ministres sont responsables, solidairement de la politique générale du gouvernement, individuellement de leurs actes personnels. Le président de la République ne Test qu’en cas de haute trahison.
Les deux Chambres ont le droit, soit spontanément, soit sur la demande du président de la République, de déclarer qu’il y a lieu à réviser l’acte constitutionnel. En ce cas elles se réunissent en Assemblée natio
nale pour procéder à cette révision, qui ne peut se faire qu’à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée. Toutefois, jusqu’en 1880, la révision ne peut être proposée que par le maréchal.
C est le candidat légitimiste, M. de Kerjégu, qui Ta définitivement emporté dans les Côtes-du-Nord. Il a été élu par 45 940 voix.